plusieurs décennies. Il est évident dans ce contexte
que mes sujets — onze au total pour un peu plus d’une
centaine de séances — n’ont pu me « fournir » un tel
matériel. Cependant, et c’est cela qui mérite d’être
souligné ici, cette série expérimentale a permis de
montrer que la transe est facile à induire chez des
sujets occidentaux inexpérimentés, que des contenus
émergent relativement vite — plus ou moins
rapidement selon le quotient personnel de chaque
individu, lié à son âge, à son milieu socioculturel, à son
ouverture et à sa souplesse d’esprit, à sa capacité
d’adaptation, à sa rapidité de réaction à de nouveaux
stimuli, etc. — que la transe a des composantes psycho-
stimulantes (Cathy, Lucie, Amélie), qu’elle a des
propriétés psychothérapeutiques (Lucie, Thierry,
Anne) — en ce qui concerne l’amélioration de la santé
physique, cela reste à démontrer —, qu’elle rééquilibre
et développe le système nerveux (Lucie, Anne), qu’elle
donne accès à une communication avec l’inconscient
et à l’inconscient collectif (tous les sujets), qu’elle peut
stimuler les facultés psi, qu’elle comporte des
caractéristiques OBE (Patrick, Érica, Amélie), qu’elle
ouvre sur le Sacré (Fred, Erica). De ce point de vue, le
bilan est donc positif.
En ce qui concerne les mesures EEG — parmi celles
qui sont exploitables — il est intéressant de constater
que la plupart d’entre elles présentent des fréquences
étagées entre le haut Thêta et l’Alpha inférieur (6 à
9 hz). Il n’est pas possible de généraliser avec le peu de
~ 501 ~
données à ma disposition, je désire tout au plus les
mettre en regard des résultats d’autres chercheurs
comme Neher1 et Goodman2 qui relient la transe
chamanique avec les fréquences Thêta. Il n’existe pas
de recherches approfondies à l’heure actuelle sur
l’incidence de la transe sur les ondes cérébrales et la
chimie du cerveau. C’est un champ de recherche
encore pratiquement vierge qui pourrait apporter de
nouvelles connaissances à l’anthropologie, mais aussi
à d’autres disciplines.
Avant de conclure sur ce sujet des postures de
transe, je voudrais encore examiner la conscience de
soi dans ces expériences de transe.
La conscience de soi dans l’expérience de
la transe
Dans les états non ordinaires de conscience
(ENOCs), il n’est pas toujours aisé de maintenir la
vigilance du mental conscient, d’avoir l’esprit lucide et
une bonne faculté d’analyse, de niveau homogène
tout au long de l’expérience ; ni d’avoir une lucidité
équivalente à chaque nouvelle expérience. De
nombreux facteurs font fluctuer cette lucidité, parmi
lesquels on peut citer une carence de la concentration,
1 Cf. chapitre #.1, p. 14.
2 Cf. chapitre 4, p. 14.
~ 502 ~
un haut niveau de stress, une fatigue sous-jacente et
bien d’autres encore...
Cette question de la vigilance en ENOCs me semble
primordiale pour une bonne estimation de
l’expérience et aussi pour la meilleure mémorisation
possible de celle-ci. Un esprit confus par exemple, plus
proche du sommeil que de l’état de veille, ne pourra
pas garder une mémoire fidèle de l’expérience de
transe. Cette mémoire sera entachée de bribes de
séquences oniriques, d’images hypnagogiques et de
contenus brouillons. En effet, cette réminiscence
confuse engendre un vécu plutôt proche de l’état de
rêve et donc peu intéressant en ce qui concerne
l’exploration des univers qui se révèlent dans les états
non ordinaires de conscience. Une expérience forte,
claire et bien conscientisée est bien plus enrichissante.
Dans cette partie j’aborde donc ce sujet de la
vigilance et de la conscience de soi dans la transe
induite par les postures1. Nous y verrons des aspects
de la profondeur de l’expérience de transe et la
question de la conscience de soi et du rapport au
corps physique.
Une chose frappe au premier abord dans ces
expériences de transe : le sujet est capable de se
1 Cela peut bien entendu s’appliquer aussi à d’autres états non
ordinaires de conscience comme le rêve lucide et l’OBE, par
exemple.
~ 503 ~
ressentir présent dans son univers habituel et
« ailleurs » en même temps, c’est-à-dire dans un autre
environnement, inconnu de lui.
Revoyons les extraits significatifs du récit d’Amélie
(séance 5 du 12/06/96) qui illustre ce propos :
« (...) Je me suis vraiment sentie bien, comme
rarement je l’ai été, et cela dès le début. Je n’ai eu
aucune gêne physique. Pas de pensées trop parasites.
Un petit peu tout de même au début et puis c’est
parti. Une envie de rire par moments, mais c’était
physique. C’était une sensation de bien-être total,
quelque chose comme de la béatitude, oui, j’irai
presque jusque-là.
Et donc une envie de rire par moments. Et alors là,
j’ai vu un cheval blanc et je crois que je me suis mise
à galoper. J’ai donc vu un cheval qui passait devant
moi. Ensuite j’ai eu comme l’impression que j’étais un
cheval. Enfin, disons que j’avais l’impression de
galoper. C’était bizarre comme sensation.
Après, j’ai eu l’impression de voler, mais vraiment
comme un oiseau. Et ensuite, j’ai vu une sorte de
belette et je me suis sentie comme assimilée à elle. Je
regardais autour de moi (rire). C’était passionnant.
Là, je voyais cet animal devant moi et ce qui était
étrange, c’est que je me prenais pour lui, alors que
lui, il avait une personnalité qui lui était propre, il
était donc un personnage distinct de moi et moi,
~ 504 ~
j’étais à côté de lui et je le mimais. Mais c’était
comme si j’étais dans lui, alors que je n’y étais pas. Je
pouvais ressentir son physique intérieur. C’était chaud
et complètement différent. Par rapport aux séances
précédentes, il y avait ici un sentiment de
détachement bien plus grand. Les choses venaient
tout naturellement, comme coulant de source.
C’est surprenant, ces postures et, ce qui est le plus
fou, c’est qu’on ne décolle pas de la pièce ! Il n’y a
pas une seconde où je n’ai pas eu conscience que
j’étais ici. C’est ça, qui est étonnant. On pourrait se
demander : “Mais qu’est-ce que je suis en train de
faire ?” Mais c’est tout naturel, simplement évident et
c’est plus fort que soi. (...) »
Amélie exprime très bien cette sensation d’être à la
fois ici et « là-bas ». Ce qui caractérise cette sensation
de lucidité est le fait de savoir qui l’on est, où l’on est,
et ce que l’on fait. Ici, dans ces transes induites par les
postures, les sujets ne perdent jamais conscience
d’eux-mêmes : ce n’est pas comme dans un rêve où
l’on subit une histoire. Ce type de transe permet de
garder son identité de veille tout en laissant émerger
un autre genre d’expérience, de nature plus ou moins
symbolique. Ici, avec Amélie, cette expérience était
assez forte pour lui donner cette sensation d’être un
animal — cheval, oiseau, belette —, dans un autre
environnement que ceux qu’elle connaît dans son
monde habituel et surtout de participer à quelque
~ 505 ~
chose d’étranger pour un humain : la vie intérieure
d’une belette. Il y a là des rapports évidents avec les
récits de sorciers-chamans qui possèdent et contrôlent
des esprits-animaux ou s’assimilent à des animaux.
Les sujets, pendant leur expérience des postures de
transe, explorent d’autres dimensions de l’être où les
sensations et les perceptions liées à la transe se
superposent aux sensations et aux perceptions de leur
corps physique et de notre monde matériel.
J’ai pu constater qu’il y a trois niveaux principaux
dans cette perception de la transe (bien évidemment,
on peut être plus ou moins vigilant, avoir une forte ou
une moins forte présence à soi à chacun de ces
niveaux).
* Le premier niveau de perception est composé de
sensations : il n’y a pas d’images en tant que telles,
plutôt des impressions, des ressentis fugaces. La
présence au corps physique et au monde matériel
est encore importante.
* Dans le deuxième niveau de perception
apparaissent spontanément des images, des scènes
qui se déroulent dans le mental du sujet, scènes qui
prennent du relief à tel point que le sujet va
devenir acteur dans le « scénario ». À ce moment-là,
deux réalités se superposent : la réalité de la transe
~ 506 ~
et l’autre, la réalité physique ordinaire. Le sujet est
conscient qu’il vit ces deux modes d’être en même
temps, il découvre un nouveau type de
fonctionnement de son mental, en est d’abord
surpris, puis s’habitue pour se laisser tout à fait aller
dans ces nouvelles expériences. C’est à ce niveau
qu’apparaît soit la sensation que son corps se
modifie ou développe de nouvelles propriétés, soit
celle d’avoir un autre corps — humain ou animal. Le
sujet n’est pas troublé en cela, dans la mesure où il
sait toujours que son corps physique est intact et
que ses perceptions sont d’un autre ordre.
* Le troisième niveau est celui où le sujet « coupe le
contact » avec la réalité physique ordinaire — tout
en continuant à savoir qui il est et où il est et que
son corps physique est en sécurité —, où il entre
plus complètement et plus profondément dans la
réalité de la transe. Ce vécu est tellement réaliste
~ 507 ~
que, pour lui, ce n’est pas une hallucination1 ni un
rêve, car la sensation de vécu, de réalité, est très
forte. Cependant, la faculté d’analyse et de
réflexion peut être plus ou moins opérationnelle
comme je l’ai déjà évoqué plus haut. À ce niveau, le
sujet peut ne plus sentir son corps physique,
toutefois il sait clairement où se trouve ce dernier.
La sensation d’un corps se reporte totalement sur le
« corps de transe » dont il peut ressentir les
moindres sensations à l’exception de la douleur2.
1 L’hallucination est définie comme une perturbation des sens
et des mécanismes du cerveau produisant des perceptions
fictives. Elle n’a ni structure, ni logique interne, ni signification
culturelle, symbolique ou religieuse. Elle se produit en état de
conscience ordinaire. Il est évidemment difficile pour
l’observateur extérieur ne connaissant pas le contexte de faire
le distinguo.
2 Celia Green rapporte l’expérience d’un de ses sujets en rêve
lucide qui a décidé de faire un test de douleur avec un couteau
de rêve. Sachant qu’en rêve, elle ne pouvait pas se faire de mal
physiquement et que le rêve lucide semblait immuniser contre
la douleur, elle se pique donc le bras avec la pointe du
couteau. Elle décrit sa sensation comme étant très réaliste, ce
qui la fait hésiter à poursuivre. Survient alors une personne
Suite de la note page suivante
~ 508 ~
La plupart du temps, dans ces transes, le sujet reste
conscient de ce qui se passe et se laisse complètement
aller sans désirer contrôler le processus. Il sait qu’il
pourrait tout arrêter, mais ce serait au détriment de
son vécu, de sa curiosité et surtout de son plaisir. Car
ce type de transe procure parfois un bien-être intense,
aussi bien physique que psychique, bien-être qui
remue, électrise en des courants montants et
descendants, virevoltants et tourbillonnants. La transe
est un bain d’endorphines, les neurotransmetteurs du
plaisir :
« C’était formidable. J’ai réellement ressenti des
vagues d’euphorie et une sensation de liberté
absolument extraordinaire.
Je suis “partie” très très vite, c’était presque
immédiat. J’ai essayé de me concentrer sur le
troisième œil et là, j’ai vu une espèce de boule de
lumière avec deux mains qui la tiennent. J’ai eu très
tôt la sensation que c’était la nature, la montagne,
des collines et j’étais dans une espèce de lumière
laiteuse. Et je cabriolais (rires). Je ne sais pas si j’étais
un animal, mais j’avais vraiment les pattes avant, les
avec des ciseaux qui propose de lui couper un grain de beauté.
Elle donne son accord, sans vouloir regarder. Un peu plus tard,
cette personne lui dit que c’est terminé : elle n’avait rien senti et
ne voyait même pas de blessure. Celia Green et Charles
McCreery, op. cit., pp. 52-53.
~ 509 ~
pattes arrières... Et je sentais mon dos, vraiment
comme si j’étais une chèvre... À certains moments,
j’avais carrément envie de sauter. Je me suis vraiment
amusée. Et j’avais l’impression d’une sensation de
galop aussi et de ne pas être seule non plus, comme
s’il y avait d’autres animaux comme moi tout autour
de moi. On courait, on sautait sur des rochers.
Je ne voyais pas les rochers, mais j’avais tout à fait
la sensation des rochers. J’ai vécu là quelque chose de
très euphorique et avec une intense sensation de
liberté.
Voilà, c’est tout. C’était extrêmement agréable. »
(Anne, séance 7 du 15/04/96)
Lors de la transe, les sujets peuvent vivre des
expériences hors normes : s’incarner dans des
animaux, se promener dans des paysages parfois
inouïs, voler dans les airs, chasser, vivre des initiations
de type chamanique, rencontrer des personnages
fabuleux ou numineux, mourir et renaître,
expérimenter des transformations corporelles
inhabituelles et surprenantes, participer à des rites,
assister à la naissance de l’univers, accompagner les
décédés dans le monde des morts, entrer en contact
avec des entités diverses et variées, se décorporer... et
cela leur apparaît tout à fait normal.
Ainsi, lorsque l’on est dans cet état de transe, toutes
ces expériences sont acceptées naturellement parce
~ 510 ~
que l’état de conscience est spécial. Alors que si elles
étaient perçues ou vécues dans l’état de veille
habituel, dans l’état de conscience ordinaire, le sujet
qui les vit verrait naître la suspicion sur son état de
santé et son équilibre psychique. On sait aujourd’hui
que, vécu dans l’état de conscience ordinaire (ECO), ce
type d’expérience signe souvent une pathologie, alors
que vécu dans certains ENOCs, ce même type
d’expérience est curatif.
Dans la transe donc, on peut se sentir grandir et
traverser le plafond ou expérimenter d’autres
sensations « impossibles » : les pieds peuvent traverser
le sol, les mains pénétrer dans le corps... Les membres
se transforment, on devient un autre, on est en
plastique ou en bois... Tout ceci est simplement
accepté, sans que la raison raisonnante ne stoppe le
processus. Tout se passe comme si une autre instance
psychique, obéissant à d’autres lois, prenait le dessus
et faisait en sorte que l’impossible devienne possible
dans l’expérience du moment.
Il en est de même dans les rêves. Ne vole-t-on pas et
ne traverse-t-on pas les murs tout naturellement ? Ne
parle-t-on pas aux morts sans surprise ? Alors, rêve et
transe, seraient-ils de même nature ? Le sujet en transe
peut dire sans ambiguïté que ce n’est pas un rêve :
pour lui, c’est une expérience vécue, réellement
juxtaposée à sa vie ordinaire.
~ 511 ~
Dans ce mode de fonctionnement psychique de la
transe, le traitement des informations sensorielles et
cognitives est donc notablement différent de celui de
l’état de conscience ordinaire. La faculté d’analyse
peut être plus ou moins altérée et plus ou moins
perméable aux pensées non-logiques. Dans certains
cas, des distorsions importantes du jugement critique
rationnel sont mises en évidence. Par exemple (Cathy,
séance 3 du 04/03/96) :
« Après que mes mains se soient levées d’elles-
mêmes, j’ai senti qu’à un moment donné mon pied
gauche s’enfonçait un peu dans le sol et que le droit
se soulevait [Cathy a des lévitations spontanées des
membres pendant la transe. Précisons aussi que le
sujet est assis.] Effectivement, il s’est soulevé de
quelques centimètres. (...)
C’était très agréable. J’étais engourdie mais me
sentais légère. Ce pied qui s’est levé à la fin, ça m’a
fait bizarre. Comme pour les mains d’ailleurs ! Si le
pied gauche s’était levé, je le laissais venir également.
Je me laissais complètement porter par les sons du
tambour.
Un vrai bien-être et un laisser-aller... Maintenant,
après coup, je peux dire que, si à ce moment-là, on
avait voulu couper ma jambe, eh bien oui, on la
coupait, quoi. S’il avait fallu le faire, on le faisait.
Cette impression de ne pas agir, de laisser faire.
~ 512 ~
Finalement, je m’en fichais. Régulièrement, pendant
la transe, je constate que mes membres se soulèvent
et je me dis : je les repose ? Et puis non, je ne les
repose pas, je les laisse aller. Et je suis vraiment bien.
(...) »
En transe, Cathy accepterait donc l’idée qu’on lui
coupe un membre. Sa faculté d’analyse est ici mise
plus ou moins en veilleuse, l’instinct de conservation
ne semble plus vraiment jouer. Par contre, le
détachement et le sentiment de paix sont importants.
Précisons ici que de telles idées, qui peuvent paraître
macabres, ne comportent absolument aucun danger,
ni pour le corps, ni pour l’équilibre psychique du sujet
en transe. En effet, il n’y a aucun aspect de souffrance
dans ces expériences, mais un profond bien-être, qui
n’est pas le signe d’une pathologie mais bien plutôt de
l’ordre de la félicité. D’ailleurs, si un réel danger se
présentait, le sujet sortirait de la transe
immédiatement. Il faut bien comprendre que le sujet
laisse agir mais ne subit pas : il peut à tout moment
décider d’arrêter l’expérience — mais il tend à ne pas le
faire parce qu’il s’y sent à la fois bien et en sécurité. Le
sujet sait qu’il n’y a aucun danger pour son corps
physique : il s’autorise donc des vécus du corps
différents qui lui permettront de se familiariser avec les
« lois » du « monde » de la transe.
J’ai remarqué cela sur moi-même lors de mes
propres expériences de transe : cette sensation d’être
~ 513 ~
là et de prendre les choses comme elles viennent, de
ne pas se dire : « Mais c’est impossible, cela ne se peut
pas, il y a un problème !... » Des idées défiant toute
logique ordinaire de notre monde physique semblent
tout à fait normales et sont acceptées : « En fait, je sais
très bien que cela ne se peut pas dans la réalité de
l’état de conscience ordinaire mais, en même temps, je
sais que je suis en transe et j’accepte ce qui arrive tel
quel. » C’est là un phénomène assez courant en état
de transe.
Dans les récits de mes sujets, il y a une altération de
la pensée cognitive, du raisonnement : le sujet accepte
les phénomènes et les événements de la transe sans
réflexion, comme si cela était normal. C’est ce « lâcher-
prise », cette acceptation, qui permet l’expérience car,
si le sujet résistait ou se rebellait, il n’y aurait pas de
vécu de la transe. D’ailleurs quand les pensées
parasites de la vie quotidienne s’infiltrent dans la
pensée, la transe s’arrête, comme dérangée par cette
intrusion ; ces pensées parasites ne sont pas anodines,
elles représentent une sorte de résistance à la transe.
La question se pose alors de savoir comment juger
une telle expérience : dans ces vécus de transe induits
par les postures découvertes par Felicitas Goodman, il
y a apparemment peu de place pour la décision
personnelle. L’action, le libre choix de ce que l’on veut
vivre dans cet ENOC ne semble pas permis : les choses
~ 514 ~
adviennent d’elles-mêmes et le sujet constate
simplement leur survenue.
Peut-être est-ce dû au manque d’expérience de la
plupart des sujets ? Un chaman expérimenté, lui, sait
prendre des décisions et suivre une stratégie délibérée
pendant la transe. On peut donc en déduire que la
transe est un mode de fonctionnement du psychisme
humain dans lequel l’apprentissage est possible et
désirable. En effet, dans toute discipline, avec
l’entraînement vient la maîtrise et il en est
certainement de même dans le domaine des ENOCs.
C’est ainsi que, transe après transe, les sujets se
familiarisent avec ces
« mondes / plans / univers / dimensions » et finissent
par ne plus rester simplement observateurs : ils
agissent, décident ou explorent comme l’illustre le récit
d’Erica (voir séance 13 page 491 — séance 13 du
23/02/97 — Le pont vers le monde des morts —
Totenbrücke).
Son récit montre donc bien la force et la relative
cohérence de la transe lorsque la personne est plus
expérimentée, lorsqu’elle a une certaine habitude de
cet état de conscience particulier et la capacité de
« lâcher-prise ».
~ 515 ~
C’est de toute évidence le cas pour John Lilly1, le
créateur et spécialiste du caisson d’isolation sensorielle
(CIS)2, un des explorateurs de ces contrées peu
connues de la psyché humaine, qui nous apporte
l’immense étendue de son expérience de plus de
trente ans dans ce domaine :
« Après quelques séances de dix heures [de
caisson], je me suis rendu compte de phénomènes qui
avaient été rapportés dans la littérature. Je suis passé
par des états semblables au rêve, par des états de
transe, par des états mystiques. Dans tous ces états,
j’étais en bonne condition, centré et présent... je n’ai
jamais perdu conscience du fait de l’expérience. Une
partie de moi-même savait toujours que j’étais dans
un caisson, dans le noir et le silence, et que je flottais
tranquillement dans l’eau. »3.
Lilly également énonce ainsi clairement cette double
perception de soi que l’on rencontre dans la transe et
dans d’autres ENOCs, comme le rêve lucide ou l’OBE.
1 En 1954, John Lilly est directeur de recherches en
neurophysiologie au National Institute of Mental Health dans
le Maryland et il commence à expérimenter l’isolation
sensorielle sur lui-même en caisson. Il y obtient des ENOCs tels
que OBE, transes, contacts avec des intelligences supérieures,
des Êtres de l’Invisible.
2 Je traiterai du CIS plus en détail chapitre 5, p. 14.
3 John Lilly, Das Zentrum des Zyklons, p. 51.
~ 516 ~
Chamanisme expérimental : conclusion
Des nombreux comptes rendus d’expérimentation
d’ENOCs — qu’ils soient dus à la transe ou à d’autres
états non ordinaires de conscience comme l’OBE, les
« voyages » en CIS et d’autres encore... — se dégage le
fait que le sujet, à un moment donné, sait qu’il est
encore ici, dans notre espace-temps habituel, mais est
également « ailleurs ». Cet ailleurs recouvre la
sensation de ne plus être dans son corps charnel, de
ne plus percevoir le monde matériel habituel, et de se
sentir hors de son corps physique, dans un autre corps
qu’on appelle, dans la littérature des occultistes, corps
subtil, corps de lumière ou corps astral et aussi, double,
corps de transe, corps de rêve... Cette sensation d’être
hors de son corps est très réaliste et ceux qui la vivent
sont persuadés d’être dans un environnement qui leur
semble plus réel que le monde physique habituel.
Certains chercheurs comme Suzan Blackmore
(Michael Persinger et Celia Green, également) pensent
que cette expérience de sortie hors du corps est une
sorte de vision où l’activité consciente est faible — la
faculté d’analyse logique y étant cependant
fonctionnelle —, l’imagerie mentale vive et les
sensations corporelles très faibles ou absentes. Pour
Suzan Blackmore, le sujet dans cet état serait leurré1
1 « Pour Harvey Irwin et Suzan Blackmore, chercheurs de la SPR
[Society of Psychical Research] ayant consacré des années à
Suite de la note page suivante
~ 517 ~
par une activité intéroceptive1 du système nerveux —
les stimuli provenant du corps physique étant absents
et les sensations extéroceptives coupées — et la
sensation de sortie hors du corps serait donc une sorte
d’hallucination. Stephen LaBerge, spécialiste du rêve
lucide, pense que les personnes se disant en OBE sont
dans un état de rêve pré-lucide, c’est-à-dire qu’ils ne
sont pas vraiment conscients qu’ils rêvent. Pour
LaBerge, donc, la sortie hors du corps est une sous-
catégorie du rêve lucide ou, tout du moins, une étape
vers le véritable rêve lucide.
Cette question est en effet épineuse et l’on
comprend que les spécialistes ne soient pas d’accord
entre eux concernant la réalité de cette expérience
OBE. En effet, doit-on faire confiance à ses
perceptions, ou doit-on rejeter cette sensation d’être
en dehors de son corps comme étant un leurre
l’étude de l’expérience hors du corps (mais uniquement sous
forme d’études statistiques et intellectuelles), et bien que tous
deux s’affirment convaincus qu’il soit erroné de vouloir réduire
l’OBE à un simple rêve, il n’y a pas décorporation du sujet au
cours de l’expérience mais seulement illusion d’une telle sortie.
Cette illusion se développe dans un état modifié de conscience
qui ne serait ni le rêve usuel ni la simple relaxation. » Jérôme
Bourgine, Le voyage astral, p. 304.
1 Intéroceptive : activité sensorielle provenant de l’intérieur du
corps — une stimulation du système nerveux par exemple.
Extéroceptive : activité sensorielle provenant de l’extérieur du
corps, par les cinq sens.
~ 518 ~
psychique ? Des chercheurs et des expérimentateurs
comme Robert Monroe et John Lilly par exemple,
tranchent nettement en direction de la réalité du
phénomène : ils sont sûrs d’être en dehors de leur
corps et dans un autre environnement pendant leur
ENOC. Et il en est de même pour les chamans qui
pratiquent le voyage chamanique et pour les soufis.
En résumé, les éléments énumérés ci-dessous me
semblent importants afin de permettre à toute
personne expérimentant des ENOCs une bonne
estimation de son vécu et de la qualité de son
expérience :
1) la conscience de soi est un facteur important d’un
ENOC réussi et cette conscience de soi peut amener
à ressentir une transformation à l’intérieur de soi : la
sensation d’être dans un autre corps (de transe, de
rêve, subtil ou autre) et de se ressentir dans un autre
environnement que le monde physique habituel ;
2) cette conscience de soi peut être fluctuante et des
carences dans la faculté d’analyse du sujet amènent
des distorsions dans le déroulement de la pensée
cognitive pendant la transe et, donc, à des erreurs
d’interprétations de l’expérience ;
3) le sujet peut accepter des idées que son intellect
rejetterait en temps normal ;
~ 519 ~
4) le sujet est conscient d’être « ici » et « là-bas » en
même temps.
Comme nous avons pu le constater dans les récits
des mes sujets, les transes induites par les postures
peuvent mener, elles aussi, à des sorties hors du corps,
à des voyages chamaniques, à des vols magiques ou
extatiques, ce qui me les fait classer dans la même
catégorie que l’OBE et ses dérivés.
Ainsi la pratique des différents types d’ENOCs que
sont le rêve lucide, la transe ecsomatique et les
postures de Felicitas Goodman montre que les sujets
qui les expérimentent vivent une sensation de réalité
différente de l’état de veille habituel et ouvrent à une
vision du monde plus élargie, plus riche, plus
mystérieuse également.
Que cette perception d’un autre monde soit plus
riche, ceci nous pouvons le dégager des nombreux
récits d’expérienceurs et tout particulièrement de ceux
qui ont passé de nombreuses années à explorer ce
que les occultistes appellent l’Invisible.
Cette richesse se traduit en fait dans une véritable
géographie de l’invisible qui comporte de nombreuses
subdivisions bien délimitées, parfois moins bien
délimitées et parfois assez floues, mais toujours
hiérarchisées.
~ 520 ~
Ce qui est étonnant dans ces géographies, c’est
qu’elles sont pratiquement toutes différentes, tout en
incluant certaines constantes. Ces différences posent
une question fondamentale : avons-nous affaire à des
leurres psychiques, des illusions, des hallucinations ?
Certes, une telle diversité peut conduire à une
conclusion radicale : les transes provoquent des
hallucinations et il n’existe nulle autre réalité que celle
de l’état de veille ordinaire quand bien même la
perception en ENOC semblerait plus réelle que la
réalité.
Pourtant, on peut aussi interpréter les choses d’une
autre manière. En effet, il est possible d’envisager que
les perceptions des expérienceurs en ENOC (en tout
temps et en tout lieux) soient totalement liées à aux
croyances et à aux représentations du monde des
expérienceurs. Alors, les différences constatées dans
les descriptions des géographies de l’invisible ne
seraient que superficielles et seraient dues à une sorte
de déguisement culturel. Dans cette optique, une
géographie de l’invisible serait un langage-repère ou
simplement une carte — une carte n’étant jamais le
territoire — et le territoire véritable, lui, serait impossible
à connaître de manière directe, il serait au-delà du
langage car échappant totalement à nos sens
physiques — c’est d’ailleurs ce que suggèrent
généralement les maîtres spirituels et les grands
mystiques.
~ 521 ~
Ainsi, il est possible d’envisager un territoire vaste et
hiérarchisé, d’une structure complexe, dans lequel
viendraient, pratiquement à l’aveuglette et avec des
repères plus que succincts, évoluer des humains en
ENOC, avec tous les problèmes de maîtrise du
raisonnement, de maintien de la conscience et
d’apprentissage de nouveaux sens que cela entraîne. Il
ne serait donc pas étonnant, dans cette hypothèse,
que les descriptions de l’au-delà, de l’autre monde ou
quels que soient les noms dont on les qualifie, soient si
divergentes en apparence.
Je vais donc à présent décrire quelques-unes de ces
géographies / cartographies de l’invisible et montrer
les rapports étroits qui les lient aux états non
ordinaires de conscience.
~ 522 ~
IX. LES GÉOGRAPHIES DE
L’INVISIBLE
Avant d’aborder les cartographies de l’invisible
élaborées en cette fin du XXème siècle, il est nécessaire
de rappeler, à titre de comparaison, les principales
visions du monde des sociétés traditionnelles à
dominante chamanique, et de l’ésotérisme et de
l’alchimie de notre aire occidentale.
La structure du monde dans les sociétés
traditionnelles
Éliade nous a beaucoup éclairé sur le chamanisme
et sa géographie sacrée dont l’axe du monde, la
montagne cosmique et l’arbre du monde sont des
éléments très importants. À titre de rappel, je vais les
décrire de manière abrégée en guise d’introduction à
la géographie de l’invisible, car, en effet, ces éléments
constituent en quelque sorte le chemin, la porte
d’accès aux cieux ou aux enfers que visite le chaman.
~ 523 ~
Éliade1 décrit la géographie de l’invisible ou
géographie sacrée comme composée d’un axe au
long duquel se développe une structure dont la plus
simple s’étage en trois niveaux — le Ciel, la Terre et les
Enfers — et ces trois niveaux communiquent entre eux
à l’aide de trous par lesquels passe le chaman lors de
son voyage chamanique. Cette structure peut se voir
développée en 5, 7, 9, 12, 16 ou même 33 niveaux
pour le Ciel et, par réflexion, le même nombre de
niveaux pour les Enfers, suivant les cultures et les
cosmogonies y afférentes. Cette structure est
universelle et le thème de l’axe se trouve décrit en tant
que pilier du monde, pilier du ciel, arbre du monde...
Cela peut être aussi une montagne, une échelle, une
corde, tout objet vertical ayant pour fonction de relier
(religare). Les chamans sont les seuls à pouvoir passer
d’un niveau à un autre par l’axe central et à
entreprendre un voyage, à réellement communiquer2
1 Ibid., pp. 214-215.
2 Mircéa Éliade met l’accent sur la transe extatique des
chamans et sur le fait qu’ils sont seuls capables de voyager en
ces endroits : « ... le “Centre du Monde” (...) est le lieu d’un
envol au sens strict du mot. La communication réelle entre les
trois zones cosmiques... » (Ibid., p. 215). Le chaman s’y rend de
manière symbolique en esprit, par le biais de la transe
extatique ; Éliade souligne que le chaman vit une expérience
personnelle extatique, une expérience mystique concrète par
opposition au reste de la communauté pour qui la
Suite de la note page suivante
~ 524 ~
avec ces lieux de la géographie sacrée. Le chaman a
une connaissance de ces niveaux par expérience :
« En effet, c’est toujours lui, et lui seul, qui dispose
d’une connaissance expérimentale des Enfers car il y
pénètre de son vivant, tout comme il escalade et
descend les sept ou neuf cieux. »1
L’échelle est une des représentations qui permet
cette communication avec ces niveaux. Elle permet
non seulement au chaman de monter aux cieux ou de
descendre dans les enfers, mais également aux dieux
ou aux démons de venir sur Terre. On retrouve ce
thème de l’échelle dans de nombreuses cultures : Inde,
Malaisie, Népal, Égypte, Grèce antique, Afrique,
Océanie, Amérique du Nord, dans la Bible, dans la
tradition islamique, dans la tradition alchimique... et
dans bien d’autres contrées sous d’autres formes. C’est
un thème universel. Éliade note que la communication
entre le Ciel et la Terre est possible — et si elle ne l’est
plus, elle l’a été aux origines — et qu’elle utilise pour ce
faire un axe vertical qui est l’axis mundi.
Cependant, cette communication ne peut s’établir
que lorsque le chaman est en extase2 (hors du corps),
c’est à ce moment qu’il ouvre la « porte » et qu’il peut
communication avec le Ciel ou les Enfers n’est pas de même
nature.
1 Ibid., p. 225.
2 Cf. supra p. 14, selon la définition qu’en donne Éliade.
~ 525 ~
voyager. Cette extase était aux origines permanente :
tous les habitants des mondes (dieux, hommes et
démons) pouvaient se déplacer librement entre les
différents pans du monde. Éliade soulève la question
de l’expérience concrète du voyage chamanique et il
remarque la tendance qu’a le chaman de vouloir à
tout prix expérimenter ce voyage en chair et en os —
ce qui n’est possible qu’en esprit. Il remarque
l’existence de pratiques chamaniques aberrantes qui
seraient des compulsions à vouloir absolument
retrouver cette extase originelle — qui n’est plus — par
des moyens inappropriés tels ingestion de substances
narcotiques, danse jusqu’à épuisement, possession... Il
laisse la question ouverte.
Le pilier du monde relie donc au minimum trois
mondes ou étages : le Ciel, la Terre et l’Enfer. Il permet
au chaman — et à lui seul — de passer d’un monde à
l’autre par un trou ou passage et d’y rencontrer leurs
habitants (morts, esprits, dieux ou démons),
d’échanger des informations, chercher et trouver des
remèdes et solutions aux problèmes qu’il a à résoudre
et se procurer les informations dont il a besoin. Les
habitants des cieux et des enfers peuvent, eux aussi,
traverser le passage et venir dans le monde des
hommes.
Le pilier du monde se retrouve généralement
symbolisé par le pilier central de l’habitation (tente, par
exemple) ou par un trou au sommet de l’habitat qui
~ 526 ~
laisse s’échapper la fumée du foyer (la fumée étant
aussi symbole de l’esprit ou du vecteur messager vers
les esprits ou les dieux).
Aux origines, la communication et le voyage vers les
autres niveaux était possible à tout homme. Il y eu
ensuite une rupture mythique qui interdit aux
hommes d’emprunter ce passage et ce privilège fut
ensuite accordé aux seuls chamans.
La montagne cosmique procède du même
symbolisme que celui de l’axe du monde. Le sommet
de la montagne représentant l’axe de passage vers les
mondes supérieurs, les cieux. En général, la montagne
cosmique — comme le pilier du monde, d’ailleurs — est
centrale, elle est au centre du royaume, du pays, du
territoire.
L’arbre du monde est dispensateur de la vie,
régénérateur du cosmos, garant du Sacré. Il est une
figure plus évoluée de l’axe du monde en ce sens que
ses branches représentent les différents niveaux
supérieurs et ses racines les niveaux inférieurs. Dans de
nombreuses cultures, chaque branche ou racine —
donc chaque ciel ou enfer — est régentée par un dieu
ou un démon. Sur les branches de l’arbre du monde se
trouvent les âmes des défunts qui sont ainsi un
réservoir d’âmes et les feuilles de l’arbre représentent
chacune le destin d’un être humain ; quand la feuille
tombe, l’homme meurt.
~ 527 ~
Suivant les cultures, l’arbre du monde a 7 ou 9
branches en général. D’après Éliade, ce chiffre 7 a
pour origine la Mésopotamie et ses 7 planètes. Le
chiffre 3 est donc premier, ce n’est que plus tard que le
7 fait son apparition avec les 7 branches de l’arbre
cosmique. Le chiffre 9 serait un multiple de 3 et donc
plus ancien que le 7.
Éliade souligne que le chaman « semble avoir une
connaissance plus directe de tous ces cieux et, partant,
de tous les dieux et demi-dieux qui les habitent. »1
Chez les Esquimaux2, il existe trois régions pour le
séjour des morts dont le ciel, un enfer sous l’écorce
terrestre et un autre enfer qui se trouve profondément
enfoui sous la terre. Dans le ciel et dans l’enfer
profond, les morts vivent heureux et, là-bas, le climat
ressemble à celui de la terre mais il y est inversé. Dans
l’enfer proche de l’écorce terrestre se trouvent les
morts punis pour leurs fautes ou pour leur non-respect
des règles de la communauté.
Voici, à titre d’illustration, le récit d’un chaman
d’Alaska dans l’enfer proche :
« En marchant [sur le chemin qu’ont suivi les
trépassés], il entendait continuellement des pleurs et
1 Mircéa Éliade, « Chamanisme et cosmologie », in : Anthologie
du chamanisme, p. 62.
2 Mircéa Éliade, Le chamanisme et les techniques archaïques
de l’extase, p. 234.
~ 528 ~
des lamentations ; il apprit que c’étaient les vivants
qui pleuraient leurs morts. Il arriva dans un grand
village, tout pareil aux villages des vivants ; là deux
ombres le conduisirent dans une maison. Un feu
brûlait au milieu de la maison et quelques morceaux
de viande grillaient sur la braise — mais ils avaient
des yeux vivants qui suivaient les mouvements du
chaman. Les compagnons lui enjoignirent de ne pas
toucher à la viande (le chaman ayant goûté une fois
aux mets du pays des morts aurait eu des difficultés à
revenir sur la terre)1. Après être resté quelques temps
dans le village, il continua son chemin, arriva dans la
Voie Lactée, la parcourut longuement et descendit
finalement sur sa tombe. Dès qu’il eut réintégré la
tombe, son corps revint à la vie et, quittant le
cimetière, le chaman entra au village et raconta ses
aventures. »2
Chez les Cheyennes, cette division du monde en 3
existe aussi. La Terre physique, celle que l’on peut
1 Ce thème se retrouve dans notre folklore en liaison avec le
monde du petit peuple (elfes, nains, gnomes, sylphes...). En
effet, de nombreux récits rapportent qu’un humain est parfois
enlevé dans le monde des elfes où il y trouve un peuple
merveilleux et y voit des choses magnifiques. Cependant, il est
mis en garde contre la nourriture des elfes. Si jamais il en
mangeait, il ne pourrait revenir dans le monde des humains et
serait à jamais bloqué dans le monde des elfes.
2 Ibid., pp. 234-335.
~ 529 ~
fouler avec ses pieds, c’est le monde du milieu,
votostoom, qui relie le monde d’en haut et le monde
d’en bas. Le monde du milieu est subdivisé en 3, la
surface de la Terre, sous la Terre jusqu’à la limite
inférieure de croissance des racines et une partie du
ciel.
Le monde d’en bas comporte de nombreux endroits
comme par exemple des grottes sacrées. Maheonxsz
est de celles-ci et reçoit les individus en quête de
savoir. Cette grotte sacrée est habitée par des esprits
puissants, les maiyun, qui enseignent et initient les
humains. Les esprits des animaux habitent aussi des
grottes nommées heszevoxsz, ce sont les réservoirs de
vie animale desquels peuvent être envoyés ou retenus
les esprits des animaux qui s’incarneront sur Terre.
Pour les Cheyennes, la disparition de certaines espèces
d’animaux signifient que les esprits-animaux de ces
espèces sont bloqués dans la grotte sacrée. Mais ceci
est temporaire car les Cheyennes actuels pensent que
les maiyun attendent que la civilisation industrielle et
une grande partie de la population humaine aient
disparu pour de nouveau permettre aux animaux de
repeupler la Terre. Ce qui explique l’extinction de
certaines races animales.
Sous la limite inférieure que représente la pousse
des racines, se trouve le monde d’en bas, atonoom.
La surface est subdivisée en trois zones : noavoom,
là où poussent les herbes courtes, les petites plantes et
~ 530 ~
vivent les petits animaux ; notostovoom, le domaine
des grandes plantes, des humains et des grand
animaux et matavoom, l’espace des arbres et des
forêts.
Le monde d’en haut est composé de trois aires :
setovoom, le domaine du vent et de l’air ; taxtavoom
qui, grâce au don de la respiration, permet la vie
physique et setovoom, le ciel proche qui se termine là
où commence otatavoom, le grand ciel bleu qui est
endroit très sacré. Les cimes des montagnes qui
touchent le grand ciel bleu sont particulièrement
sacrées car ici se rejoignent le monde d’en bas et le
monde d’en haut communiquant directement. Le bleu
du ciel représente l’Être Suprême.
~ 531 ~
L’univers Tsistsistas (Cheyenne) : Hestanov, le monde
visible, créé comprend Matasoomhestanov, le monde
invisible des esprits. Atonoom est le monde d’en bas qui
commence sous les racines des plantes et comprend toutes
les parties du paysage sans végétation ainsi que les hautes
montagnes. Les cimes des montagnes sont des endroits
particulièrement sacrés, car c’est là que le monde d’en bas
entre directement en contact avec le monde d’en haut, le
Ciel. (Karl Schlesier, Die Wölfe des Himmels — Welterfahrung
des Cheyenne, p. 21).
Figure X-1 : cosmogonie cheyenne
~ 532 ~
Ainsi, comme nous venons de le voir, la géographie
sacrée de l’univers chamanique est à la base fondée
sur 3 niveaux principaux : le Ciel, la Terre et les Enfers.
Abordons à présent un peuple, les Tibétains, qui a
fortement détaillé sa géographie de l’invisible.
Tibet — Le livre des morts tibétain
La géographie sacrée décrite dans le Livre des morts
tibétains se subdivise en de nombreux plans
comportant toute une série de ciels ou paradis et
d’enfers. Au centre se trouve le mont Meru autour
duquel se placent 7 cercles d’océans puis 7 cercles de
montagnes, en configuration alternée telles les
couches d’un oignon. Cette configuration de 15
couches représente le support de tous les mondes.
« On peut représenter grossièrement la conception
lamaïque de notre univers en imaginant un oignon
ayant quinze enveloppes. Le cœur soutenant ces
quinze couches est le mont Meru. Au-dessous, sont
les divers enfers ; au-dessus, supportés par le Mont
Meru, sont les cieux des dieux contrôlés par les sens,
comme les 33 cieux où règne Indra et ceux qui sont
sous le pouvoir de Mârâ. (...) Au-dessus du tout est le
ciel appelé Suprême (tib. Og-min). Étant le dernier
poste extérieur de notre univers, Og-min, comme
~ 533 ~
vestibule du Nirvâna est l’état transitionnel conduisant
de l’état du monde à l’état supra-mondial. (...)
Au niveau du royaume d’Indra demeurent les huit
Déesses Mères chacune dans son ciel particulier ;
elles apparaissent toutes dans notre texte [le texte du
bardo]. (...)
Dans le mont Meru lui-même, sur lequel les cieux
reposent, il est quatre royaumes superposés. Les trois
inférieurs sont habités par divers ordres de génies, le
quatrième, le plus élevé, est placé immédiatement
sous les cieux. Il est habité par les ‘‘esprits impies’’,
les Asuras ou titans qui, semblables aux anges de la
foi chrétienne sont tombés à cause de leur orgueil, et
y vivent et y meurent comme rebelles, en guerre
interminable avec les dieux des plans supérieurs. La
couche intérieure (...) est l’océan entourant le mont
Meru. La couche suivante, allant vers l’extérieur, est
celle des montagnes dorées ; après vient un autre
océan et ainsi de suite, un cercle de montagnes
dorées venant après un autre océan et ainsi de suite,
un cercle de montagnes dorées venant après un
océan jusqu’à la quinzième couche figurant l’océan le
plus externe dans lequel flottent les continents et leurs
satellites. La peau de l’oignon est un mur de fer
entourant cet univers.
~ 534 ~
Au-delà de cet univers il y en a un autre et ainsi de
suite, à l’infini1. Chaque univers, comme un grand
œuf cosmique, est enclos dans la coquille du mur de
fer qui enferme la lumière du soleil, de la lune et des
étoiles ; ce mur de fer étant le symbole de l’obscurité
perpétuelle séparant un univers de l’autre. Tous les
univers sont pareillement sous la domination de la loi
naturelle synonyme de karma (...). »
Les continents extérieurs comportent quatre
continents principaux dont l’un, le continent Sud, est
notre monde terrestre. Le continent Est est appelé
« grand corps » et est habité par des êtres d’esprit
calme et vertueux. Le continent Ouest est habité par
des gens puissants se nourrissant de bétail et le
continent Nord est peuplé de créatures se nourrissant
du produit des arbres. »2
C’est sur cette géographie sacrée que se base le
bardo qui est l’état intermédiaire3 entre la mort et la
1 Si nous pouvons arriver à la conception lamaïque d’un
univers qui soit un système de monde et d’une pluralité
d’univers qui soit une pluralité des systèmes mondiaux formant
un univers, il nous serait plus facile de voir la corrélation entre
la cosmographie du bouddhisme du Nord et du brahmanisme,
d’où elle semble être originaire, et la cosmographie de la
science occidentale. (Evans-Wentz).
2 Evans-Wentz, Le livre des morts tibétain, pp.53-56.
3 L’état intermédiaire du Bardo Thödol, n’a rien à voir avec
l’état intermédiaire décrit par Florence Ghibellini.
~ 535 ~
renaissance. Et Sogyal Rimpoché nous informe du lien
qui relie les états de conscience et les régions du
bardo, c’est-à-dire de la géographie de l’invisible des
Tibétains.
« Il existe une relation claire et précise entre les
états du bardo et les niveaux de conscience dont nous
faisons l’expérience tout au long du cycle de la vie et
de la mort. Quand nous passons d’un bardo à l’autre,
que ce soit dans la vie ou dans la mort, il se produit
un changement correspondant dans notre
conscience. »1
Les mandalas, qui sont des dessins figuratifs, des
cartes-guides des niveaux de conscience, symbolisent
la géographie sacrée, la structure de l’univers en tout
ou partie, suivant la complexité désirée. Ainsi :
« Les mandalas moins compliqués sont soit des
simplifications de ce plan [de l’univers], soit des
sections détachées du grand mandala des déités
paisibles et terribles, qui est une représentation
symbolique de tout l’univers ainsi que du corps
humain. Qu’il puisse être les deux à la fois s’explique
par la doctrine du Vajrayãna que microcosme et
macrocosme sont de construction identique. »2
1 Sogyal Rinpoché, Le livre tibétain de la vie et de la mort, p.
154.
2 John Blofeld, Le bouddhisme tantrique au Tibet, p. 117.
~ 536 ~
Le bouddhisme tibétain pointe sur la
correspondance totale entre le microcosme (la psyché
humaine) et le macrocosme (l’univers) et met
clairement en relief les rapports existant entre les états
de conscience et la géographie du bardo. Les
mandalas sont donc des cartes qui permettent à
l’utilisateur d’induire les états de conscience désirés
pour « visiter » les différents « étages » de l’univers
invisible. Les descriptions des entités, déités et esprits
habitants ces lieux sont décrits avec de multiples
détails très précis. Il est clair que les Tibétains ont
développé un outil de connaissance du psychisme
humain non seulement très élaboré mais aussi
utilisable d’un point de vue pratique. D’autant plus
que, malgré l’imagerie extrêmement riche et détaillée
qu’ils en donnent, son interprétation s’applique de
manière universelle. Ainsi, le Bardo Thödol, Le livre des
morts tibétain,
« semble être basé sur des données vérifiables
d’expériences humaines physiologiques et
psychologiques et il considère le problème d’après la
mort comme un simple problème psychophysique (...).
Il affirme d’une manière répétée que ce qui est perçu
dans le plan du Bardo est dû entièrement au propre
contenu mental de celui qui le perçoit. Qu’il n’est pas
de visions, de dieux ou de démons, de cieux ou
d’enfers autres que celles qui naissent des
hallucinations karmiques de formes-pensées
constituant la personnalité. (...) De jour en jour, les
~ 537 ~
visions du Bardo changent, en concordance avec
l’éruption des formes-pensées de celui qui les
perçoit. »
« Il n’y a pas lieu de croire que tous les morts
expérimentent les mêmes phénomènes dans l’État
intermédiaire, pas plus qu’ils ne le font dans leurs vies
ou dans leurs rêves. Le Bardo Thödol est simplement
un exemple et une suggestion de toutes les
expériences de l’après-mort. Il décrit seulement en
détail ce que peuvent être les visions bardiques du
contenu de la conscience d’un adepte ordinaire de
l’École des bonnets rouges de Padma Sambhava. (...)
En conséquence, pour un Bouddhiste de toute école,
comme pour un Hindou, un Musulman ou un
Chrétien, les expériences du Bardo seront différentes.
Les formes-pensées du Bouddhiste ou de l’Hindou
comme dans un rêve, donneront naissance aux
visions correspondantes des déités du panthéon
bouddhiste ou hindou. Un Musulman verra le paradis
de Mahomet, un Chrétien aura la vision du Ciel
chrétien, un Indien d’Amérique celle de la Terre de
Chasse heureuse. De la même façon, le matérialiste
aura des visions d’après la mort aussi négatives, aussi
vides, aussi dénuées de déités que celle qu’il rêvait
dans son corps humain. Rationnellement, il est
considéré que les expériences d’après la mort sont
(...) entièrement dépendantes du contenu mental de
chaque personne. Ou, en d’autres termes, (...) l’état
d’après la mort est très semblable à un état de rêve,
~ 538 ~
et ces rêves sont enfantés par la mentalité du rêveur.
Cette psychologie explique scientifiquement pourquoi,
par exemple, des dévots chrétiens ont eu (...) soit
pendant des transes, soit dans un état de rêve, soit
après la mort, des visions de Dieu le Père assis sur un
trône dans la Nouvelle Jérusalem, de son Fils à son
côté, et de tout le décor biblique et les attributs du
Ciel, de la Vierge, des Saints, des Archanges ou du
Purgatoire et de l’Enfer. »1
Ce commentaire est important, car il montre à quel
point les perceptions en ENOC sont indissolublement
liées à nos croyances et à nos représentations. Ainsi, il
n’est pas étonnant de découvrir une telle diversité de
géographies de l’invisible dans les différentes cultures.
De même, cette doctrine du bouddhisme tibétain nous
fournit un modèle explicitant la nature des perceptions
des différents états non ordinaires de conscience. Et
ceci est tout à fait valable pour le rêve lucide et l’OBE,
ENOCs que les tibétains utilisent d’ailleurs comme
technique de libération sous la dénomination de Yoga
du Rêve.
Ces notions sont donc fondamentales.
Voyons à présent, les données concernant les
traditions ésotériques et alchimiques occidentales.
1 Evans-Wentz, op. cit., pp. 30-31.
~ 539 ~
La tradition ésotérique occidentale
La géographie de l’invisible occidentale plonge ses
racines dans l’Antiquité avec la hiérarchisation en 7
niveaux provenant de Sumer et se basant sur les 7
planètes1. Celle-ci a été adoptée par l’alchimie et tout
l’ésotérisme occidental.
Je commencerai par la description d’une
géographie de l’invisible d’origine alchimique et
rapportée par Archarion, un alchimiste contemporain.
Voici ce qu’il nous décrit2 :
Les plans divins sont subdivisés en 7 niveaux :
A — la terre et ses habitants au stade de l’innocence
B — la région astrale supérieure, plan des instincts et
des esprits de la nature
1 Nous avions déjà vu, d’après Éliade, que la géographie sacrée
du chamanisme semblait avoir les mêmes racines
mésopotamiennes. Mais ceci peut se discuter. En effet, certains
chercheurs, anthropologues et préhistoriens, avancent que
certaines figures rupestres vieilles de plus de 10 000 ans ont
des implications fortement chamaniques. On peut donc
avancer, sans preuves toutefois, que ces anciennes cultures
avaient, elles aussi, une vision du monde élaborée,
probablement de type chamanique. Bien plus en arrière dans
le temps, il y a 100 000 ans, les Néanderthaliens enterraient
leurs morts. Avaient-ils déjà élaboré le concept d’un monde des
morts ?
2 Archarion, Von wahrer Alchemie, p. 59 et suivantes.
~ 540 ~
C — le Paradis, début du stade de la sainteté, dans
lequel tous les désirs personnels disparaissent
D — le plan angélique, la sphère de la sainteté
E — le Ciel, plan de la lumière / là où les êtres quasi
divins ont atteint la maîtrise de soi
F — le plan de la liberté, de l’état christique
G — le plan de l’accomplissement, de la perfection
Les plans humains comportent 7 niveaux
également :
a — la terre et ses habitants
b — le monde de l’ombre du plan astral inférieur, là où
vivent les ombres et les larves des humains morts.
Ici le corps astral prend le plus souvent
l’apparence de l’animal qui correspond au
caractère du décédé.
c — le monde inférieur qui héberge les esprits de ceux
qui sont rattachés à la terre
d — le plan des démons, le règne de l’égoïsme à l’état
pur
e — l’enfer, là où se retrouvent ceux qui sont esclaves
de la nostalgie du passé
f — l’âme perd son lien avec le divin
g — destruction, mort spirituelle
Chacun de ces plans est subdivisé en sept autres
plans, ce qui porte leur nombre à 49.
~ 541 ~
Cette structure est composée de 7 plans supérieurs
ou divins et de 7 plans inférieurs — une structure
classique qui se trouve très répandue dans l’ésotérisme
occidental.
Un autre alchimiste contemporain, Titus Burckhardt,
nous décrit l’agencement et la structure de ces
différents niveaux ou sphères :
« La disposition des sphères célestes reflète l’ordre
ontologique du monde, selon lequel chaque degré
d’existence procède d’un degré qui lui est supérieur,
de sorte que le plus élevé contient le degré inférieur,
exactement comme une cause “contient” son effet.
Ainsi, plus large est la sphère céleste dans laquelle se
meut un astre, plus le degré d’existence ou le niveau
de conscience qui lui correspond est pur, libéré de
limitations et proche de son origine divine. »1
1 Titus Burckhardt, Alchimie, sa signification et son image du
monde, p. 47.
~ 542 ~
Figure X-2 : l’Échelle du Monde
« La subdivision des régions supérieures du cosmos en neuf
chœurs d’anges est empruntée à l’œuvre « Des hiérarchies
Jc.éCle.)s.teCse»tteduœuPvsreeudfuot-Dtreandyusi~te5d4’eA3nle~lxaatnindraieu (vers 500 après
IXème siècle par le
philosophe irlandais Jean Scott Erigène. » Manuscrit XIIème
Dans cette description d’un alchimiste il ressort
également clairement le lien qui relie le macrocosme
et le microcosme, entre la sphère psychique et
spirituelle et la structure de l’univers. Ainsi, intérieur et
extérieur sont similaires.
Il existe « un manuscrit hermétique anonyme du
douzième siècle, écrit en latin et probablement
d’origine catalane1, dans lequel la signification
spirituelle des sphères célestes, l’une entourant l’autre,
est représentée... » de cette manière :
« L’ascension à travers les sphères est décrite
comme une ascension à travers une hiérarchie de
degrés spirituels (ou intellectuels) par lesquels l’âme,
qui les réalise successivement, parvient
progressivement d’une connaissance discursive limitée
aux formes, jusqu’à une vision indifférenciée et
immédiate dans laquelle le sujet et l’objet, le
connaissant et le connu ne font qu’un. Cette
description est illustrée par des dessins représentant
1 MS Latin 3236A de la Bibliothèque Nationale. Publié par M. T.
d’Alverny, Les Pérégrinations de l’âme dans l’autre monde
d’après un anonyme de la fin du XIIe siècle, dans Archives
d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen-Âge, 1940-1942.
Selon les dernières recherches de M. T. d’Alverny, le manuscrit
se trouvant à la Bibliothèque Nationale de Paris, aurait
probablement été écrit à Bologne d’après un manuscrit
espagnol plus ancien.
~ 544 ~
des sphères célestes comme des cercles
concentriques, à travers lesquels montent des
hommes, comme sur une échelle de Jacob, jusqu’à la
sphère la plus élevée, l’Empyrée au-dessus duquel le
Christ se tient sur un trône. Les cercles célestes sont
complétés vers le bas — c’est-à-dire en direction de la
terre — par les éléments. En dessous de la sphère
lunaire se trouve le cercle du feu dans lequel est celui
de l’air, qui à son tour renferme le cercle de l’eau
entourant immédiatement la terre. »
L’auteur ajoute en commentaire :
« Remarquons que ce manuscrit anonyme, dont le
caractère hermétique est évident, reconnaît
expressément la validité des trois religions
monothéistes, Judaïsme, Christianisme et Islam. Cela
montre clairement que la science hermétique, grâce à
son symbolisme purement cosmologique, peut être
combinée avec toutes les religions authentiques sans
entrer en conflit avec leurs dogmes respectifs. »1
Continuons notre visite alchimique avec les
références et informations des Philosophes de la
Nature, un groupe de recherche et d’expérimentation
en alchimie, maintenant dissout, mais qui a, en son
temps (1984 à 1992), apporté beaucoup à la bonne
compréhension des procédés spagyriques et
1 Titus Burckhardt, op. cit., p. 47.
~ 545 ~
alchimiques en diffusant des cours sous forme de
fascicules traduisant en « clair » les obscures
manipulations alchimiques secrètes et en décrivant le
matériel nécessaire en laboratoire.
Alchimie et Qabal — l’Arbre des Séphiroth
L’Occident a également adopté le système
qabalistique d’origine juive, qui comporte une base de
10 plans ou niveaux, et l’a combiné avec le système de
base 7 : les 7 planètes traditionnelles de l’astrologie et
leur symbolisme et les 10 Séphiroth.
Le texte qui suit illustre et explicite la structure de
l’Arbre des Séphiroth. Il me semble important de citer
ici de longs extraits des enseignements donnés par le
groupe des Philosophes de la Nature dans la mesure
où ils sont clairs, extrêmement riches en informations
et qu’ils décrivent de manière détaillée des opérations
habituellement occultées et placées sous le sceau du
secret. De plus, nous avons ici encore un exposé qui
explicite le lien entre les différents états de conscience
et la géographie de l’invisible figurée ici par l’Arbre des
Séphiroth. C’est donc un document majeur pour ma
démonstration de la corrélation étroite entre les
ENOCs et la géographie de l’invisible.
« L’initiation personnelle alchimique est un voyage
de plusieurs étapes, chacune d’elles comportant
plusieurs paliers. Ce n’est pas une initiation
~ 546 ~
symbolique comme la plupart de celles données par
des organisations diverses. L’initiation alchimique
modifie le niveau de conscience et ouvre le domaine
de la connaissance de la Nature. Ce domaine n’est
pas celui de la connaissance volatile et provisoire de
la science, mais celui de la connaissance fixe des
divers mondes. Aussi, pour ce voyage, est-il
nécessaire d’avoir une carte.
Il en existe plusieurs, mais en Occident, la meilleure
à notre disposition est certainement la Qabal. Cette
carte de la tradition occidentale a de plus été utilisée
par les Philosophes Alchimistes du passé, qui
connaissaient la philosophie de la Nature. (...)
Commençons notre étude par le bas de l’arbre.
Assiah est le monde physique dans lequel la
conscience de l’homme prend connaissance des
choses à travers ses sens physiques. C’est le seul qui
soit accessible à toute personne non initiée. C’est le
monde le plus dense, celui où aboutit l’involution,
mais d’où part l’évolution. C’est le monde du
septième jour de la Bible, celui du repos. (...) Ce
monde du septième jour n’a qu’un temps et un
espace accessibles à la conscience de l’homme, et
c’est le jour du repos. Il vaudrait mieux dire sommeil.
Comme l’homme perd conscience du monde physique
dans le sommeil, en ce monde, l’homme s’endort et
perd conscience des mondes spirituels. La véritable
initiation (réelle et non symbolique) doit peu à peu
~ 547 ~
supprimer ce sommeil. Le monde physique est
assimilé à l’élément terre.
Le monde situé immédiatement au-dessus du
monde physique est celui de Yetzirah qui signifie
création. C’est à ce niveau que les énergies diverses
se coagulent pour former le monde matériel. Il est
aussi connu sous le nom de monde astral. L’homme
peut prendre conscience de ce monde si son corps
astral est libéré de son corps physique, provisoirement
au cours de cette expérience, définitivement dans la
mort. Toutefois, l’initiation personnelle ouvre peu à
peu les portes de ce monde.
Nous avons ici trois Séphiroth, Netzach ou Vénus,
Hod ou Mercure, Yesod ou Lune. Ce monde est donc
constitué par les quatrième, cinquième et sixième
jours de la création. Dans ce monde, la conscience
peut travailler sur trois temps différents et de même
dans trois densités d’espace distinctes. De là viennent
les difficultés d’interprétations physiques des
expériences réalisées dans ce monde. Bien qu’il ne
soit pas obligatoire, il est évident que le chemin
d’accès préférable est Yesod, car son temps est le plus
proche de celui de la terre et l’adaptation de la
conscience y est plus aisée. C’est peut-être la raison
pour laquelle certaines traditions occultes occidentales
et orientales disent que le voyage des défunts
commence par la Lune.
~ 548 ~
Nous devons encore dire que ce monde est ouvert
par la Pierre Végétale, blanche, couleur argent, qui
est la couleur du métal de la Lune. L’élément Eau est
affecté à ce monde. Seule l’alchimie métallique
permet l’initiation personnelle à un degré plus élevé,
soit l’accès au monde de Briah.
Le monde nommé Briah est celui des idées
créatrices. Certains l’assimilent au monde christique
car tous les êtres ayant réintégré ce monde sont à cet
état. L’élément Air lui est affecté. Sur la planche, le
pointillé qui le sépare du monde supérieur montre
qu’il est le reflet passif du monde supérieur actif. Il y a
trois Séphiroth, Tiphereth ou Soleil, Geburah ou Mars,
Chesed ou Jupiter, qui sont respectivement les
troisième, second et premier jours. Nous avons
encore ici pour la conscience trois niveaux de densité
d’espace. L’entrée se fait par le Soleil, troisième jour,
et l’initiation alchimique par la Pierre au rouge
possédant les sept influx planétaires. Les défunts
suffisamment spiritualisés entrent dans ce monde par
le processus de la seconde mort.
Au-dessus de ce monde, il n’y a plus pour la
conscience ni temps ni espace mais l’union des deux
dans l’Éternité.
Le monde supérieur est Atziluth composé des trois
Séphiroth Kether, Chokmah, Binah. C’est un monde
d’énergie pure : la forme, les couleurs, tout disparaît.
~ 549 ~
Dans sa phase la moins subtile, Binah apparaît
comme étant la potentialité de la forme et du temps.
L’élément de ce monde est le Feu purificateur, à la
fois feu et amour.
L’accès conscient à ces mondes1 donne la
connaissance des processus occultes de la Nature
dans son travail d’évolution permanente.
Il est bien entendu que chacun peut continuer son
travail alchimique sans adhérer à ce qui précède. Nul
n’est tenu d’acheter une carte avant un voyage ni de
dire qu’elle est bonne tant que le voyage ne l’a pas
confirmé. »2
La suite de l’exposé concerne le travail alchimique
plus précisément :
« C’est par une suite de réharmonisations
successives que l’homme rétablit son éveil spirituel.
Elle ne peut être que progressive si l’on veut éviter
tout inconvénient tant physique que mental. C’est
pourquoi nous avons d’abord parlé des sept élixirs
(...).
En fait, le mécanisme est le suivant : chaque élixir
agit sur un des aspects planétaires de l’homme soit,
1 C’est moi qui souligne.
2 Extraits de la notice 27 du cours de Spagyrie des Philosophes
de la Nature.
~ 550 ~