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Ce travail de recherche s’attache à montrer les similitudes que l’on peut constater entre certains états non ordinaires de conscience (ENOCs), tels la transe ecsomatique (OBE), le rêve lucide, les expériences de mort rapprochée (NDE), les expériences décrites comme des « enlèvements par les extraterrestres » et la transe chamanique induite par les postures de transe découvertes par l’anthropologue Felicitas Goodman. <br>Cette recherche décrit aussi comment l’anthropologie expérimentale peut se révéler être un outil d’exploration du chamanisme. Les séances impliquant les postures de transe, présentées dans cette thèse, montrent comment des sujets occidentaux, n’ayant eu aucun contact notable avec le chamanisme, délivrent des contenus de nature chamanique.<br>Enfin, ce travail met en relief les liens entre les ENOCs et les « géographies de l’invisible », i. e. les différents plans et niveaux de l’outre monde.

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Published by Michel Nachez, 2020-02-17 06:34:50

LES ÉTATS NON ORDINAIRES DE CONSCIENCE - Essai d&#39;Anthropologie Expérimentale

Ce travail de recherche s’attache à montrer les similitudes que l’on peut constater entre certains états non ordinaires de conscience (ENOCs), tels la transe ecsomatique (OBE), le rêve lucide, les expériences de mort rapprochée (NDE), les expériences décrites comme des « enlèvements par les extraterrestres » et la transe chamanique induite par les postures de transe découvertes par l’anthropologue Felicitas Goodman. <br>Cette recherche décrit aussi comment l’anthropologie expérimentale peut se révéler être un outil d’exploration du chamanisme. Les séances impliquant les postures de transe, présentées dans cette thèse, montrent comment des sujets occidentaux, n’ayant eu aucun contact notable avec le chamanisme, délivrent des contenus de nature chamanique.<br>Enfin, ce travail met en relief les liens entre les ENOCs et les « géographies de l’invisible », i. e. les différents plans et niveaux de l’outre monde.

Keywords: chamanisme, transes, états non ordinaires de conscience, états de conscience modifiés, transe ecsomatique (OBE), rêve lucide, expériences de mort rapprochée (NDE), chamanisme, anthropologie expérimentale, géographies de l’invisible, enlèvement par les extraterrestres, abduction

Aujourd’hui j’étais bien. J’avais une sensation
d’endormissement pendant toute la séance. Au début,
j’étais normal et j’ai eu une sensation : des sortes de
flashs qui venaient sans arrêt l’un après l’autre de
couleur violette au niveau du troisième œil [entre les
deux yeux].

Après, sur ces flashs, s’est greffé un œil, j’ai eu
l’impression qu’il s’est collé sur moi, cet œil ! Il
s’agrandissait et j’ai eu l’impression de regarder dans
l’œil. En fait ce que je voyais, c’était une sorte d’iris.
Comme si on pouvait voir dans la tête de quelqu’un.
Cette idée d’œil qui permet de voir dans l’âme.
Après, ça a disparu.

Après, j’ai eu des sensations de traction dans la
partie droite de mon corps. De nouveau une moitié
du corps, comme la dernière fois mais moins fort. De
nouveau il y avait une moitié du corps qui était
endormie, pas endormie mais que je ne sentais pas.
Le côté droit était tendu. Ça commence toujours au
milieu des fesses, puis le bras et ensuite les jambes...
Et c’est resté tendu pendant pratiquement toute la
séance. Et maintenant je sens encore des membres
qui ont été tendus pendant tout ce temps.

J’avais à un moment donné chaud à la tête. J’avais
une sensation d’endormissement beaucoup plus forte
que d’habitude. Je crois qu’il y a une question de
moment de la journée pour le faire. Le matin, c’est

~ 451 ~

mieux. J’avais du mal à accrocher en fait, j’avais
même du mal à me concentrer. Ce n’étais pas comme
d’habitude. D’habitude, je suis bien concentré. Il y
avait des histoires qui venaient, n’importe quoi... des
soucis, qui arrivaient là et qui gênaient. »

Commentaire : Comme le dit Thierry, moins de
concentration dans cette séance. Il est plus distrait
et ne parvient pas à lâcher-prise : des soucis d’ordre
quotidien semblent l’empêcher de « partir ». Thierry
est très cérébral et il a parfois du mal à décrocher
de ses pensées journalières.

#.7. Thierry 04/06/96 — séance 7 — Olmèque (1)

« J’ai eu une crampe dans un pied. C’est parti.
Pendant tout le temps, c’était très visuel : des
paysages avec de l’eau, des nuages, de la pluie. Un
plan d’eau très calme, avec une bouche de crocodile
de laquelle je sortais. Et toujours ce côté gris pluvieux.
À un moment donné, j’ai réussi à décoller, je me
baladais au-dessus. Je voyais tout, les champs, là, et
tout. C’était sympathique, sans aucun effort.

Ça variait. Une fois, c’était gris, l’autre fois, il y
avait vraiment un temps d’orage, mais toujours
humide.

Je n’ai pas trop ressenti de choses dans le corps. La
posture en soi est très agréable, de détente. »

~ 452 ~

Commentaire : Très bien pour une première posture
de transformation. Apparemment, il était un oiseau
symbiote qui sortait d’une bouche de crocodile.

#.8. Thierry 11/06/96 — séance 8 — Olmèque (2)

« Bien alors, au début, j’ai eu de nouveau cette
sensation de crampe dans les deux jambes, mais
moins fort que la dernière fois. La musique était
différente, alors j’étais un peu perdu. C’est très
important pour moi, la musique est un bon support.

J’ai eu des battements. Dans la tête, il n’y avait pas
d’images. Par contre il y avait du visuel qui arrivait,
qui partait. C’était mélangé. Des choses de tous les
jours.

À un moment donné, j’ai essayé d’être un peu plus
concentré, c’est-à-dire d’entendre la musique, d’être
vraiment pris dans la musique, et j’ai de nouveau eu
l’apparition de cet œil — je ne sais pas d’où il vient —
et je voyais bien cet œil et il y avait sur les yeux des
sortes de traits, blanc lumineux, comme le blanc de
l’œil avec les veines qui sont dedans. Et de là
partaient des sortes de flashs de plus en plus loin vers
un milieu et ensuite il y avait d’abord l’œil qui a
disparu — avec des flashs qui se succédaient comme
si j’avançais dans quelque chose très rapidement. Et
ça a duré un moment — 15, 20 flashs environ — et
j’allais vers cette chose-là, — toujours une couleur
violette. À un moment, je suis arrivé au fond et il y

~ 453 ~

avait une tache violette qui était là, constante, qui
stagnait. J’ai essayé de voir s’il y avait quelque chose
derrière, et puis c’est devenu flou et c’est parti.

Mais j’avais l’impression d’être arrivé au bout de
quelque chose. J’avais l’impression de regarder dans
l’iris de quelqu’un très profondément, comme si je
regardais au fond de l’âme de quelque chose.

Après, j’étais dans une sorte de caverne, où il y
avait une lumière au bout. C’était très tortueux,
comme — j’imagine — un tunnel de ver de terre. Au
bout, il y avait de la lumière et plus j’avançais, et plus
j’avais l’impression que le tunnel se creusait parce
que je n’arrivais pas à sortir à la lumière. J’avançais
dans ce tunnel, j’avançais vers la lumière et toujours
la lumière me fuyait.

Et après, cet aspect-là est parti et il y a de nouveau
eu des images. Un mélange de n’importe quoi.

Vers la fin, j’ai eu un petit moment d’apaisement,
de fatigue.

À un moment, dans lequel je me suis aussi
concentré sur la musique, j’ai eu une sorte de vertige,
j’étais pris dans une sorte de tourbillon. Je sentais
d’ailleurs mon corps qui commençait à tourbillonner.
Mais il n’y avait pas de fin, toujours le même
principe : plus on s’approche, plus c’est loin. »

~ 454 ~

Commentaire : Revoilà le tunnel. Mais Thierry n’arrive
pas au bout. Dans cette séance, la transformation
ne s’est pas opérée, il semble que la traversée du
tunnel ait été plus importante. Que signifie-t-elle
pour Thierry ? Et l’œil est-il une porte vers un autre
état de conscience ?

#.9. Thierry 25/06/96 — séance 9 — Olmèque (3)

« C’était assez confus. Il y avait des choses, plein
d’images qui sont arrivées. Des yeux, un regard. Par
contre, cette fois-ci, il était coloré, du bleu.
D’habitude, il n’est pas coloré. Et alors, il y a eu toute
une succession de regards. En face de moi, il y en
avait deux. Une sorte de masque, de bandeau,
comme ça, sur les yeux qui regardait, qui se tournait,
à gauche, à droite. Des regards qui venaient, des
gens que je voyais de face, de profil. Pas de gens,
juste des regards. Après, il y a eu une main aussi, qui
est arrivée. Une main qui se mettait devant moi,
devant mon visage et derrière on distinguait
vaguement une forme de visage, comme quelqu’un
qui tendrait sa main avec le visage caché à l’arrière.

Il y avait cette histoire de musique qui me gênait au
début. J’ai de nouveau eu cette sensation de point qui
partait très loin. C’est comme des flashs. Et
pratiquement dans toutes les séances, il y a une
couleur dominante, c’est le violet. Beaucoup de violet.
Ce n’est pas le noir, c’est le violet. Il y a des flashs qui

~ 455 ~

viennent, il y a du noir, du violet, du noir, du violet et
ça va de plus en plus vite et au bout, il y a une
lumière, quelque chose de très beau. Je n’arrive
jamais jusqu’au bout... Ça flashe. C’est comme si je
pénétrais dans quelque chose. Ça a disparu aussi.

C’est vrai que j’avais tendance à m’assoupir comme
ça. Une fatigue pas physique, mais au niveau de la
tête, un peu bizarre.

Ça a sauté du coq à la l’âne. Il y a eu une forme
tordue dans l’espace, après une maison, après...
n’importe quoi, sens dessus dessous.

Il y a toujours cet effet de chaleur à la tête. Je
commençais de nouveau à avoir chaud dans les
jambes. Je laisse venir ce qui vient. Ça détend. Ce
n’était pas très actif et pas très ordonné. À un
moment donné, il y avait des quartz aussi, des pierres
construites. C’est tout. »

Commentaire : Rien de très intéressant dans cette
séance si ce n’est la répétition de la procédure œil-
tunnel-lumière qui laisse présager un final
enrichissant pour Thierry. Mais son parcours
initiatique n’est pas encore achevé et il n’a pas
encore atteint le bout du tunnel.

~ 456 ~

#.10. Thierry 02/07/96 — séance 10 — Olmèque (4)

« Le problème c’est d’essayer de le raconter dans
l’ordre. Au début, j’ai eu des images : une porte, je
voyais bien le verrou de la porte, le verrou était doré
et la porte s’est ouverte doucement et je me suis
retrouvé dans un cagibi où il y avait des lattes. On
voyait de la lumière à travers. J’ai essayé de rester là-
dedans mais je n’y suis pas resté.

Il y a eu une succession d’images mentales.

Il y a eu un moment fort où, dans la musique, je
n’entendais plus le tam-tam comme un tam-tam mais
comme un son qui était prononcé. Et au moment où
j’ai confondu le son du tam-tam avec le son, il y a
tout de suite une image humaine qui m’est apparue :
quelqu’un qui faisait le son avec la bouche. C’était
très fort. C’était une sorte d’Africain, une image de
chaman, et la partie que je voyais le plus, c’était cette
bouche qui faisait le son. Ça n’est pas resté
longtemps. L’image est venue subitement et puis elle
a disparu.

J’ai eu aussi à nouveau ce regard. C’est marrant
parce que c’est un regard qui me regarde et qui se
tourne et va regarder vers quelque chose comme pour
me dire : “Regarde vers là”. Pour diriger le regard
vers quelque chose.

~ 457 ~

Il y a eu une succession de visages qui sont
apparus. D’abord des corps de gens dont je ne sais
pas s’ils existent ou non. Des visages qui avaient une
drôle d’allure. Il y en a eu tout plein. On aurait
presque pensé que c’était des photos sépia de gens
— vivants, pas vivants, je ne sais pas. Ce n’était pas
des photos. Leur regard était toujours un peu
métaphysique : le regard de quelqu’un qui réfléchit,
qui est dans un autre monde. Et puis ça a disparu.

Et puis il y a eu des moments d’assoupissement,
comme si j’allais m’endormir. Je me demande si c’est
le fait de s’endormir ou si c’est un relâchement de la
pensée. J’ai plutôt l’impression que je me laisse
entraîner dans une histoire que je ne dirige plus.
L’histoire que je me raconte alors — dont je ne suis
plus conscient — est-ce qu’elle m’entraîne vers le
sommeil ? Et je me réveille de nouveau. J’ai eu
l’impression — ça m’est arrivé trois, quatre fois — que
c’est une sorte de mécanique qui est en place qui fait
que je décroche par rapport à la pensée. J’ai
interprété ça comme du sommeil, mais j’ai
l’impression que ce n’est pas du sommeil maintenant.
C’est autre chose. C’est une sorte d’absence. Je
n’arrive pas à le contrôler. Il y a les images et tout
d’un coup il y a quelque chose d’autre qui vient,
comme si ça venait piquer les images et qui
m’emmène autre part. Et là, je décroche. »

~ 458 ~

Commentaire : J’ai décidé de refaire une quatrième
séance de transformation. La curiosité... Thierry
entre bien en transe mais n’arrive pas à garder sa
vigilance. Il a des absences et il ne sait pas ce qui s’y
passe. L’œil est encore présent et semble lui
indiquer une direction. Apparemment, il ne sait pas
encore où aller, il ne connaît pas encore le chemin.
L’œil tente de lui indiquer la direction à prendre. Ce
processus est important : tout se passe comme si
Thierry était guidé vers une expérience intérieure.
D’abord, il y a eu l’œil, puis le tunnel et au bout il a
vu une lumière qui semblait être le but à atteindre.
Ensuite, cette lumière s’est révélée être très belle.
Cependant, Thierry n’arrive pas encore à y accéder.
« On » lui montre alors le chemin. À lui de le suivre.
C’est une sorte de parcours initiatique et « on » lui
dessine la carte, car il ne connaît pas le chemin.

#.11. Thierry 10/07/96 — séance 11 — Ours (1)

« Je ne vais pas dire rien, ce serait décevant. Au
départ, ce que j’ai vu, c’est l’image d’un mort. Je ne
sais pas pourquoi je dis qu’il était mort. C’est ce que
je sentais. Il était couché. J’étais bien concentré, mais
j’avais une gêne par rapport à la position qui fait que
j’étais sans cesse rappelé à mon physique. Il y avait le
problème de l’équilibre.

Il n’y a pas eu de mots, il y a eu quelques images
qui sont venues. À un moment donné, l’image d’un

~ 459 ~

serpent, un crotale avec la bouche ouverte. Et des
drôles d’images, j’ai vu beaucoup de couleur rouge.
Les images que j’ai vues, sont apparues de manière
bizarre, c’est comme si on prenait une vitre, si on la
couvrait à l’aide d’une sorte de peinture à la craie et
alors, il y a des formes qui se posaient là-dessus et
qui se déplaçaient et lorsqu’elles sortaient, la craie
avait disparu. Et je voyais à travers le carreau et je
voyais un paysage, ça pouvait être une ville... Il y a eu
à un moment donné un papillon qui papillonnait sur
la vitre comme s’il était collé sur la vitre. Et à chaque
fois qu’il se décollait, il emmenait la peinture avec. Et
donc, par bribes, je voyais à travers, je percevais le
décor à l’arrière. Comme ça, il y a eu différents
insectes qui sont venus, qui se collaient là-dessus et
qui faisaient apparaître derrière un autre décor. C’est
bizarre.

C’étaient plutôt des villes, des décors urbains.
Toujours dans une ambiance très rougeâtre.

À un moment donné j’ai prononcé le son OM dans
ma tête et alors, quand j’ai commencé à faire ça, il
n’y avait plus ces images mais il y avait des triangles,
un triangle rentrait dans l’autre. Et c’était des
mosaïques. Mais tout était en forme de triangle. Tout
était très géométrique. Et j’ai dit ce son parce que
j’étais gêné par ma position, je sentais mes jambes
qui tremblaient et je voulais justement calmer le
mental par rapport à ça. Et alors, avec ce son OM,

~ 460 ~

tout était un peu filtré par des losanges. Et il y eu peu
d’images mentales, mais elles sont toutes apparues
avec cette vitre devant.

Malgré tout, c’était agréable. J’étais bien dans ma
tête, mais mes jambes me gênaient. »

Commentaire : L’image d’un mort dans cette transe de
la posture de l’ours est « normale » puisqu’elle
induit un scénario d’initiation avec mort et
renaissance. Mais la procédure initiatique ne
s’active pas, une vitre empêche l’accès à « l’autre
côté ». Thierry n’a pas encore percé le voile.

#.12. Thierry 17/07/96 — séance 12 — Ours (2)

« J’ai eu des images. Il y avait des mouches, des
insectes. Des têtes de mouches, des trucs comme ça.
La tête énorme devant moi, des mouches.

Après il y avait des oiseaux, des volants. Surtout des
insectes, des abeilles. Je pense, ce n’était pas toujours
les mêmes. On voyait les mandibules devant. Ça
apparaissait en noir et puis le fond derrière était
plutôt gris. C’était découpé. Pas de couleur.

J’ai vu des sortes d’éclairs, des arcs électriques qui
circulaient pendant un moment. Et l’oiseau était
comme un oisillon lové dans son œuf, c’est-à-dire
l’œuf n’existait pas mais il était comme enveloppé
dans un œuf et en fait l’œuf était formé par le noir du

~ 461 ~

tour. Je le voyais à travers un ovale et il était pris dans
cet ovale, recroquevillé.

À un moment, donné, la musique, je l’entendais
dans le corps. Dans la poitrine. Je la sentais bien en
moi. Ça n’a pas provoqué d’images.

Il y a eu des flashs sans queue ni tête qui
apparaissaient. À un moment donné, j’ai vu des
moustaches bleues. Il n’y avait pas de visage, il y avait
des moustaches qui se baladaient en l’air.

Je sais que j’ai basculé, j’ai eu très chaud pendant
la séance.

C’était surtout un méli-mélo d’images. Les insectes
revenaient, ça s’est répété, comme une sorte de
thème.

La posture était beaucoup plus facile à tenir cette
fois. J’étais bien dans la posture. »

Commentaire : L’oisillon et l’œuf semblent suggérer
une naissance. Rien de très clair ne transparaît ici.
Nous n’avons pas continué, Thierry n’aimant pas
cette posture de l’ours : elle ne lui « parle » pas, dit-
il. C’est dommage, je pense qu’avec encore
quelques séances — nombre qui aurait débordé
mon plan expérimental — Thierry aurait pu enfin
traverser ce voile, cette limite qui l’empêchait d’aller
plus loin.

~ 462 ~

En conclusion de cette série, on peut tout de
même constater que Thierry, qui est familier du
yoga, trouve maintenant plus facilement l’accès à
des états non ordinaires de conscience intéressants.
Ce qui l’a surtout surpris, c’est cette relaxation
extrêmement rapide qui s’installe au bout de
quelques minutes seulement, alors qu’il faut
beaucoup plus longtemps avec le yoga pour
atteindre des états de relaxation moins profonds.
Ceci est dû, sans conteste, à la présence des
neurotransmetteurs libérés très rapidement par la
transe.

J. AMÉLIE

Amélie est une jeune femme de 22 ans (en 1996),
célibataire, autonome, graphiste professionnelle. Elle
croise dans les milieux de l’art (peinture, sculpture et
musique) est passionnée de vidéo et d’informatique et
veut créer son propre journal. C’est la fille d’une amie
et elle a voulu essayer les postures de transe. Elle
n’avait aucune idée de dont il s’agissait, à part qu’on
pouvait vivre des expériences un peu spéciales. Je ne
lui ai pas dit grand-chose sur les postures de transe
afin éviter qu’elle ne soit trop influencée. Ces séances
ont eu un effet sur elle : elle s’est mise à être sensible à
l’écologie et à s’intéresser à la psyché humaine avec
une préférence pour les questions sur la mort.

~ 463 ~

#.1. Amélie 13/05/96 — séance 1 — Cholula (1)

« Quand le son est arrivé, ça a commencé à faire
des [engourdissements] dans les bras. C’est comme
l’alcool ! Au bout de cinq minutes, j’ai eu vachement
chaud. J’ai transpiré, j’ai eu comme des sueurs
froides. Ce n’était pas très agréable, bizarre. Ça me
l’a fait plusieurs fois. Après, j’ai eu l’impression de
balancer de gauche à droite, des fois, d’avant en
arrière et des fois dans tous les sens. Et puis après, le
corps s’est affaissé.

Après, j’ai eu l’impression que ma main (celle
posée sur le genou) rentrait dans la jambe, qu’elle
s’enfonçait. Les pieds : j’avais l’impression de les
perdre.

J’avais l’impression qu’à des moments, il y avait des
changements de notes dans le son. J’avais
l’impression de brûler par moments sur le visage.
J’avais l’impression de ne pas pouvoir bouger. Hyper-
space,1 c’était très étrange, je n’avais jamais ressenti
quelque chose comme ça, même en buvant ! C’était
excitant. Maintenant, je me sens hyper excitée, bien !
J’ai envie de rigoler. »

Commentaire : Amélie a été très surprise par l’effet de
la transe. Elle n’a jamais vécu cela de toute sa vie.

1 Elle utilise ce terme pour définir un vécu très fort.

~ 464 ~

Elle semble très réceptive. Les effets habituels
induits par les postures de transe sont là :
balancements très présents et forte chaleur. Pas
d’images, mais cela viendra.

#.2. Amélie 22/05/96 — séance 2 — Cholula (2)

« Des petits engourdissements dans les bras. Des
picotements dans les jambes. Il ne s’est rien passé
pendant quatre minutes1. Puis j’ai commencé à
vouloir me balancer mais c’était très léger et puis
c’était par petits à-coups : je me balançais pendant
quelques secondes et puis ça s’arrêtait. Après, j’ai
commencé à tomber vers l’avant. Tout doucement. Là
j’ai eu plus envie de me balancer sur les côtés et j’ai
vraiment eu envie de tomber vers la gauche. Après,
c’est devenu plus fort, j’ai eu plus chaud — c’était
beaucoup moins fort que la dernière fois. C’est tout.

Dans les bras, c’est bien. Sinon, la sensation à
l’intérieur est bonne. Il y a des petites choses qui
dérangent la concentration : je n’arrête pas de
réfléchir, de penser à des trucs débiles, comme si
j’étais dans un moment d’arrêt avec des pensées
parasites qui m’empêchaient de me concentrer. Et
puis, toujours les picotements dans les jambes et cette
impression de tomber, je me dis : “Et si je me casse la

1 Elle dit cela au hasard car, pendant la transe, la sensation du
temps qui passe est altérée.

~ 465 ~

figure ?” Les trucs désagréables : la nuque qui tire, les
bras qui tombent, l’envie de tomber...

Pas d’images, juste l’impression d’être dans un
endroit désertique, du type grand canyon. Je n’ai rien
vu. J’y ai pensé, c’est tout. »

Commentaire : Pas de très grands progrès depuis la
dernière séance. Les mêmes ingrédients sont
présents. Cette impression de canyon est nouvelle
mais trop faible. Sa question : elle ne l’a pas posée,
elle a oublié, il est vrai qu’elle est un peu distraite
par moments.

#.3. Amélie 29/05/96 — séance 3 — Monde d’en bas
(1)

« Au départ c’était une grosse tête de corbeau avec
un œil tout orange et blanc. Il ne bougeait pas.
Après... C’était par plans. Ce n’était pas un
enchaînement. Le plan suivant, c’étaient des corbeaux
qui bouffaient mon ventre. Je me sentais très bien, il
n’y avait pas de douleur. Ils bouffaient ça. C’était bon.
Je voyais des bouts, comme dans les films. Après,
c’était comme si je me levais et que je me mettais à
courir. Et cette sensation était très agréable. Je
courais mais il y avait des petits cailloux par terre et
ça me dérangeait un peu, juste mentalement. Mais ça
ne dérangeait pas ma façon de courir. Après, je me
suis mise à sauter à pieds joints. C’est tout.

~ 466 ~

Le désert [au début] était gris, comme du béton, il
n’y avait pas d’horizon et le ciel était un peu de la
même couleur que le sol, tout plat avec des cailloux.

D’abord, il y a le bras qui m’est rentré dans la tête.
Et quand il a eu fini de rentrer dans la tête, il a
disparu, il est parti. Ça m’a fait peur sur le moment.
C’est une anxiété. Après, il y a le deuxième qui a
commencé à partir aussi. Après, je me suis dit : “Ah,
mais j’ai encore les jambes !” Voilà.

C’est plutôt une sensation, c’est plus suggéré. Il y a
toujours des moments où il ne se passe rien. En gros,
c’était très agréable.

Mon bras, c’est comme si on l’avait écrasé avec
quelque chose et qu’il ne répondait plus. Quand le
deuxième a commencé à partir, c’est là que j’ai
commencé à voir le corbeau. Mais c’est toujours
pareil, je ne sais pas si c’est un fantasme du moment.

Le deuxième corbeau était plus fort, il est revenu
plusieurs fois. »

Commentaire : Ici Amélie commence à expérimenter
des choses troublantes : ses viscères sont dévorées
par des corbeaux et ses bras disparaissent (et ça lui
fait peur sur le coup, mais elle se calme très vite — la
transe permet un fort détachement). On est là
manifestement en présence d’éléments de scénario
initiatique mort-renaissance : il y a dépeçage par

~ 467 ~

des animaux-tutélaires et dissolution du corps —
tout du moins commencement de dissolution du
corps. Son appréciation finale est positive mais elle
se pose quand même des questions sur ce qui lui
est arrivé.

#.4. Amélie 05/06/96 — séance 4 — Monde d’en bas
(2)

« Au début, c’était vraiment super : énergie. Jusqu’à
la moitié, c’était très bien. Après, quand j’avais ce
bras qui commençait à tomber, c’était exactement
comme la dernière fois : là j’avais l’impression que
c’était le moment le plus important de la séance,
quand le bras tombe. Ça ne fait pas peur, mais c’est
angoissant. Le bras, c’est comme s’il disparaissait. Et
après, il se passe des choses différentes, l’esprit pense
à des trucs différents. Après, j’ai pensé à des fourmis
qui me bouffaient les bouts des doigts et les cuisses et
après, ça commençait à devenir insupportable, dans
le sens physique. C’est tout.

Après, j’avais l’impression que le squelette sortait.
Et que donc j’avais toute cette main en squelette.
Juste la main gauche. Pendant tout ce temps, j’avais
l’impression qu’il y avait quelqu’un autour. Une...
mais quoi, je ne sais pas. Une présence..., neutre.

Le bras : ce n’est pas une douleur, mais c’est
tellement dérangeant que ça en devient une. L’autre
bras était un peu endormi, mais ça allait. Mais c’était

~ 468 ~

moins angoissant dans le sens où je savais ce qui se
passait.

J’ai l’impression d’être ici, tout le temps. Je suis à
deux endroits différents. L’autre endroit, ce n’est pas
assez fort pour que je le ressente vraiment.

Au début, c’était vraiment super cool. C’était la
première fois, vraiment, que je me sentais bien, où le
physique ne dérangeait pas. »

Commentaire : Amélie a eu des soubresauts corporels,
des décharges de transe. Elle « part » bien et vite. Ici
aussi, dans cette séance, on devine nettement les
éléments du dépeçage rituel : les fourmis qui
mangent la chair jusqu’à ne laisser que le
squelette : en tous cas, seule la main gauche et les
cuisses ont été mangé — et le reste du corps n’a pas
encore été touché. Amélie a bien détecté le
moment où elle basculait dans un autre état de
conscience et où se déclenchait ce processus
initiatique.

#.5. Amélie 12/06/96 — séance 5 — Olmèque (1)

« Dès que la musique s’est mise en route, j’ai tout
de suite eu envie de bouger le buste... Au début, il y
avait des petits picotements dans la tête — vraiment
bizarre. Vers le milieu, dans la tête, c’était
indescriptible, mais c’était comme si tout était

~ 469 ~

spongieux et qu’il y avait des picotements qui
n’existent pas.

Je me suis vraiment sentie bien, comme rarement je
ne l’ai jamais été, et ça, dès le début. Je n’ai eu
aucune gêne physique comme les autres fois. Pas de
pensée trop parasite. Un petit peu au début et c’est
parti. Une envie de rire par moments, mais c’était
physique. C’était une sensation de bien-être total, de
la béatitude, j’irai presque jusque-là, parce je ne sais
pas ce que c’est que la béatitude.

Et donc une envie de rire par moments. Et alors là,
j’ai vu un cheval blanc et je me suis mise à galoper, je
présume. J’ai vu un cheval devant moi qui passait. Et
ensuite, j’ai eu comme l’impression que j’étais un
cheval. Enfin disons que j’avais l’impression de
galoper. C’est bizarre comme sensation.

Alors, après, j’ai eu l’impression de voler, mais
comme un oiseau. Et ensuite, j’ai vu une sorte de
belette, et donc je me suis prise pour elle. Je
regardais autour de moi. (rire) C’était intéressant. Là
je voyais cet animal devant moi et ce qui était bizarre,
c’est que je me prenais pour lui alors que lui, il avait
une personnalité qui était propre à lui, enfin, c’était
un personnage distinct de moi et ce qui était étrange
c’est que je le mimais. Moi, j’étais à côté de lui et je le
mimais. Mais c’était comme si j’étais dans lui, alors
que je n’étais pas dans lui. Je pouvais ressentir son

~ 470 ~

physique intérieur. C’était chaud, et différent. Par
rapport aux autres fois, il y avait un détachement qui
était plus grand. Les choses venaient naturellement,
sans qu’il y ait de question.

C’est dingue, ce truc. Ce qui est fou, c’est que je ne
décolle pas de la pièce ! Il n’y a pas une seconde où
je n’ai pas conscience que je suis ici. C’est ça qui est
marrant. Je me dis : “Mais qu’est-ce que je suis en
train de faire ?” Et c’est plus fort que moi.

Le cheval : je pense que je galopais. C’était une
grande joie vers la liberté. Après, pendant quelques
secondes, j’ai eu l’impression de voler, et là, c’était
vraiment le nirvana. Je ne voyais rien, c’était juste les
sensations de voler. »

Commentaire : Amélie entre facilement dans le
processus de la transformation. Elle est cheval, puis
oiseau, puis une sorte de belette. C’est plus ressenti
que vu, mais pour la belette, elle le vit l’intérieur et
cela est très intéressant. Ces envies de rires, cette
euphorie est typique de la posture du prince
olmèque (on retrouve aussi cette euphorie,
provoquée par les endorphines, dans d’autres
postures, mais moins accentuée).

#.6. Amélie 20/06/96 — séance 6 — Olmèque (2)

« C’était moins bien que la dernière fois. J’étais un
animal, c’est sûr. Au début, ce n’était pas sûr, j’ai cru

~ 471 ~

que j’étais un homme. Près de la mer, c’était la nuit, il
y avait des grillons. Après, je me suis rendue compte
que j’étais dans les fourrés, en train de manger de
l’herbe. Tout à coup, il y a un homme qui est arrivé,
une silhouette noire. Et je suis sûre qu’il voulait me
tuer, mais il est reparti. C’est tout.

J’ai mis presque quinze minutes à comprendre que
je broutais de l’herbe.

Je n’ai rien vu, c’était plus des sensations qu’autre
chose. La silhouette, celle-là, je la voyais bien mais de
là à dire ce qu’elle faisait... La bête faisait attention à
l’entourage et elle était très discrète. Un animal
sauvage, un herbivore.

Physiquement, il y a des choses intéressantes. Dans
les muscles, c’est sympa comme sensation. Dans la
tête, c’est bizarre. »

Commentaire : Amélie se sent être un animal qu’elle
ne peut identifier et qui flaire un danger. Sa notion
du temps dans sa transe est nettement altérée.

#.7. Amélie 27/06/96 — séance 7 — Ours (1)

« Tu vas être déçu. Je n’ai rien vu du tout. [Il y a eu]
des moments d’euphorie. Sinon, c’est comme si le
mouvement me déchargeait de quelque chose. C’est
tout. Plus les mouvements allaient vite, plus

~ 472 ~

j’appréciais. Le tambour était très lointain, pas comme
les autres fois. »

Commentaire : Des balancements. Sinon rien de
notable.

#.8. Amélie 04/07/96 — séance 8 — Ours (2)

« Je n’ai rien vécu du tout ! J’étais présente ici tout
le temps. Le corps joue du tam-tam. L’esprit n’est pas
maître du corps. Il pense : “Mon dieu, qu’est-ce que
tu as l’air débile !”

Il y a des moments où, physiquement, ce n’est pas
mal et il y a des moments où il y a des irritations. La
dernière fois, je n’avais pas ça. Dans les jambes, dans
les bras : comme une ankylose.

Je me sens bien maintenant. »

Commentaire : Amélie n’a pas vécu de séquence
initiatique dans ces deux dernières transes induites
par la posture de l’ours. Elle semble avoir du mal à y
entrer alors que d’autres postures de transe la
projettent littéralement dans un état non ordinaire
de conscience assez profond. Nous n’avions pas le
temps, pour des raisons matérielles, d’aller plus loin
dans cette série de séances avec Amélie. Il est
possible qu’avec plus de séances, Amélie ait pu
vivre une séquence initiatique complète à un
moment ou à un autre car elle est un très bon sujet,

~ 473 ~

ouvert et sans a priori avec une bonne faculté à se
laisser aller et aussi une bonne dose de curiosité.

K. ERICA

Erica est ma femme, elle a une longue pratique des
états non ordinaires de conscience et une solide
connaissance sur le chamanisme. Entrant très
facilement et profondément en transe, je lui ai
demandé son concours pour me servir de point de
référence. J’ai ainsi pu comparer les transes produites
par des sujets novices avec des transes vécues par une
personne expérimentée.

~ 474 ~

#.1. Erica 23/02/96 — séance 3 — Cholula

« J’ai vu un chaman avec masque et grosse
tignasse. Il dansait. Il m’initiait.

Je me suis sentie de plus en plus grande jusqu’à
voir la Terre sous moi — en étant exactement dans la
même posture — puis l’Univers devant moi — étant
uniquement observatrice.

J’ai eu des sensations physiques : importance
amplifiée de la zone bouche, langue, mâchoire.
Sensation fugace d’“électricité” dans la main droite,
frémissement dans la main gauche. »

Commentaire : Erica entre facilement en transe et elle
n’en est pas là à sa première expérience de transe.
Elle sort un peu du lot de mes sujets dans la mesure
où elle est la seule qui est déjà bien familière de ces
états non ordinaires de conscience. Son concours
permet de bien montrer quelles sont les différences
entre un sujet pris au dépourvu, c’est-à-dire ne
connaissant pas la transe et ce qu’elle implique, et
un sujet entraîné, qui a l’habitude de ces ENOCs
différents. Cette séance de Cholula n’est pas très
parlante en soi, mais je voulais l’insérer ici à cause
de l’enregistrement EEG.

~ 475 ~

EEG : En effet, cet EEG montre un cerveau dont les
deux hémisphères sont bien synchronisés et la
fréquence y est de 8 hz, Thêta supérieur, à la
frontière avec l’Alpha. Beaucoup d’artefacts sont
présents : Erica a tendance à avoir des convulsions
en transe, ce qui explique cela.

Graphique IX-18 : EEG Erica séance 3

~ 476 ~

#.2. Erica 02/04/96 — séance 5 — Monde d’en bas

« Impression de sortie du corps tout en maintenant
le contact avec mon corps. Je suis partie dans le
couloir, suis allée dans la chambre devant le miroir.
Je suis rentrée dans la chambre dans le miroir
(traversée du miroir) et je suis allée vers la porte du
fond pour voir ce qu’il y a après : une sorte de vulve à
passer. Je passe et me retrouve au-dessus de la rue,
je flotte-saute sur le toit d’en face et regarde
l’immeuble d’ici, assise sur le toit. Je sais que, dans
une pièce du troisième, au fond, je — mon corps —
est en transe.

Autres sensations : élévation vers le haut,
retournée, montée au plafond. Voir mon corps en bas
— sauf que “en bas” était plutôt “en haut”. »

Commentaire : Erica vit ici ce qu’elle décrit comme une
sortie hors du corps. Cela pourrait être aussi un
voyage mental très réaliste ; on ne peut trancher.
Ce qui est intéressant ici est cette vulve, ce passage
qui la fait sortir dehors et lui permet de passer sur
l’immeuble d’en face.

EEG : Ici l’EEG a les mêmes caractéristiques que
l’enregistrement de la séance précédente — des
problèmes techniques toujours présents
provoquent parfois sans raison apparente des
pertes d’intensité lors de l’échantillonnage des

~ 477 ~

informations. Donc ici aussi : synchronisation des
deux hémisphères et 8hz (haut Thêta).

Graphique IX-19 : EEG Erica séance 5
#.3. Erica 15/06/96 — séance 6 — Sami

« Il ne s’est rien passé pendant longtemps et je me
suis endormie. Je n’ai rien vu. J’ai senti des sensations
de distorsion au niveau des bras. Donc mes bras
étaient à d’autres endroits apparemment que ceux où

~ 478 ~

ils étaient normalement. Ou plus longs peut-être. Et
puis ensuite, j’ai dormi. Je me suis réveillée en
toussant.

Là, j’ai vu un visage très précis de petite fille
bronzée, qui bougeait lentement en tournant. Et là, ça
a commencé à être différent. J’ai vu une espèce de
tourbillon qui se focalisait vers le centre du regard et
qui avait l’air de vouloir descendre vers quelque
chose. Et ensuite, le champ visuel est devenu comme
une flaque d’eau et la pluie tombait dedans et moi je
regardais tomber la pluie, les gouttes qui tombaient
dans la flaque d’eau. C’est ainsi que ça s’est fini.

Ah oui, au début, j’ai vu du bleu, j’ai vu des
couleurs bleu dans le champ visuel, ce que je n’avais
jamais jusqu’à présent de façon aussi nette. Gros
bleu. »

Commentaire : Le bleu est la couleur de l’eau et l’eau
est l’élément de cette posture sami telle que
rapportée par Felicitas Goodman. D’ailleurs, plus
loin, Erica voit une flaque d’eau puis de la pluie.
Felicitas Goodman rapporte les témoignages
suivants : en 1987 en Hollande, une participante
dans la posture sami raconte avoir entendu des
gouttes d’eau tomber ; une autre a vu devant elle
une cascade, un autre des gouttes tombant dans
une grotte dont les parois étaient recouvertes de
champignons ; une autre encore, Claudia, à

~ 479 ~

Utrecht, en 1987 : « Ma tête est devenue très
lourde comme si elle était pleine de sang et j’avais
du mal à respirer. Je suis un poisson ou un cétacé,
très grand et massif, et je nage dans l’océan. Avant
cela, j’ai vu une cascade dans laquelle nageaient
des saumons ; et j’avais du feu dans les mains. Mais
mes mains n’étaient pas des mains, elles étaient
totalement dénaturées. »1 Erica est à « la bonne
adresse ».

#.4. Erica 15/06/96 — séance 7 — Sami (avec
carapace de tortue sur le dos)

« Ça c’était assez
bizarre, comme un film
qui se tournait sur lui-
même. À un certain
moment, relativement
rapidement, je me suis
retrouvée dans une cascade et plouf, je suis tombée
dans la cascade, mais de temps à autre, j’étais plus
ou moins dissociée, ou associée à moi-même. Et ce
que je voyais très bien, par contre, c’était toutes les
gouttes d’eau qu’il y avait autour de la cascade, et la
cascade était extrêmement haute, dans un paysage
très sauvage : rochers, arbres de résineux. La cascade
tombait d’une très haute falaise. J’ai mis très très

1 Goodman, op. cit., p. 119.

~ 480 ~

longtemps à descendre. Je me suis retrouvée dans un
bac d’eau en bas, je suis allée au bord, j’ai marché...

Et j’étais vraiment un chaman, ce que j’avais sur le
dos, c’était plus un bouclier et j’étais vêtue de
fourrures et en fait je pense que j’avais le chapeau
pointu de l’image. Et puis, je marchais dans un
endroit où il y avait de la neige au sol et puis des
épineux au sol, quelques grands arbres. Je me
retrouvais de nouveau dans la cascade, et puis à
nouveau en bas, il y avait plusieurs fois cette
séquence. Et puis, à un moment donné, j’ai vu un
rond noir brillant dans le centre du champ visuel, et
en regardant de plus près, j’ai vu que c’était l’œil
d’un cheval et puis j’ai sauté sur le cheval et je me
suis baladée dans cet endroit. Et ce n’était vraiment
pas civilisé comme endroit. Quelque chose me disait
que j’avais une mission, qu’il fallait que je récupère
une âme ou quelque chose qui s’était perdu là et puis
je me suis retrouvée de nouveau dans la cascade en
train de descendre. Là, j’ai nagé plus longtemps pour
revenir au bord. Et puis ensuite je me suis de nouveau
retrouvée sur le cheval dans le même paysage. Et là
aussi, il y avait une grande étendue d’eau, au fond...

Donc, je marchais toujours dans cette espèce de
lande enneigée et j’ai fini par longer le bord d’un très
grand lac ou de la mer, je ne sais pas trop, plus
vraisemblablement d’un grand lac. Et je savais que
j’avais un travail à faire là et à la fin, j’ai vu un feu.

~ 481 ~

J’avais le bouclier sur le dos et un poignard en
main. J’ai vu un grand feu et je suis allée à ce feu et
c’est effectivement là qu’il y avait une âme qui était
emprisonnée dans le feu. Et le feu, ce n’était pas du
tout un feu, c’était des esprits qui faisaient semblant
d’être des flammes, ou c’était des esprits du feu ou je
ne sais quoi. Alors, je me suis battue un peu et j’ai
sorti une tête. C’était la tête de A.T.1. C’était juste la
tête et je la tenais comme ça [par les cheveux]. Les
esprits du feu se sont égaillés, j’ai dû gagner la partie
et puis la tête s’est éparpillée, elle s’est effilochée
dans tous les sens, elle est partie dans tous les sens
comme si elle était libérée. C’est tout.

J’ai eu une très grande impression de réalité du
paysage. Là, je le vois très bien encore. (...) Je devais
quand même être une femme, mais très asexuée,
j’étais très proche de l’homme, je ne sais pas trop.
Ramassé, mastoc, petit et puis chapeau pointu. Ça
m’évoque un cheval mongol avec un mongol dessus,
mais le paysage n’avait rien à voir avec ça.

Je me suis sentie dissociée à plusieurs reprises de
moi dans le voyage, mais je peux dire que j’étais plus
unie avec ce qui se passait dans le voyage qu’ici. En
fait, j’ai dû perdre complètement le contact avec ici à
l’un ou l’autre moment. »

1 A.T. est une personne proche décédée il y a quelques années.

~ 482 ~

Commentaire : Voici un beau récit de voyage
psychopompe : libérer l’esprit d’un mort de
l’emprise des esprits du feu pour lui permettre de
regagner le monde des morts. Cela se passe de
commentaires. L’élément intéressant de ce récit est
la qualité de la perception d’Erica : elle est plus « là-
bas » qu’ici et à certains moments, elle n’a plus du
tout conscience de se trouver dans la pièce où a
lieu l’expérience. C’est une transe profonde et très
réaliste où le sentiment de réalité est très
développé. Ici, on retrouve aussi les éléments eau
et feu comme dans le récit de Claudia à Utrecht en
1987.

#.5. Erica 15/06/96 — séance 8 — Olmèque

« Rien de l’ordre de l’euphorie.

Au début, je me suis sentie avec une gueule
allongée, je n’ai pas réussi à savoir, si j’étais un
chameau. La première idée qui m’est venue à l’esprit,
c’est que j’étais un chameau. Et puis, c’est resté
statique assez longtemps avec cette impression
d’avoir le museau allongé sans que ça fasse autre
chose.

Ensuite, j’ai eu l’impression de dodeliner de la tête
et je suis devenue un cobra, ça, ça a été assez
instantané. C’est venu avec le dodelinement de la
tête.

~ 483 ~

Et j’étais donc un cobra et en face de moi il y avait
une sale bête genre mangouste et alors elle a explosé
dans tous les sens, c’est comme si je l’avais envenimé
de l’intérieur et je savais que ça l’avait fait exploser.
Ensuite je me suis baladée en serpent — j’étais assez
longtemps serpent — d’abord dans des endroits avec
des arbres — à un moment donné je me suis
enroulée autour d’une branche et je sentais le raclage
de la branche — et ensuite je me suis retrouvée,
toujours serpent, sans transition, dans un désert de
dunes de sable et je dégringolais, j’essayais
apparemment de grimper une dune de sable et je
dégringolais de nouveau dans le fond et je voulais
repartir vers le haut.

Ensuite je me suis retrouvée ici et puis j’ai
commencé à voler et j’étais une cigogne et j’ai
traversé le plafond — je savais que c’était le plafond
d’ailleurs — et j’ai volé au-dessus de Strasbourg, pas
très très haut et j’ai vu de haut le trajet vers
l’Orangerie et je suis allée à l’enclos des cigognes à
l’Orangerie et je me suis perchée sur un des montants
de l’enclos des cigognes.

Ensuite, je me suis retrouvée — je n’ai pas compris
tout de suite ce qui se passait — je me suis retrouvée
en me voyant une espèce de grand machin gris-fer,
brillant-luisant, à l’avant comme quelque chose
d’assez allongé, et j’ai réalisé que j’étais un dauphin.
Et que je voyais donc l’avancée de mon museau de

~ 484 ~

dauphin. Et puis je nageais, je me suis trouvée dans
une eau assez sale genre eau un peu verdâtre avec
des saletés en suspension. En tant que dauphin c’est
un endroit qui ne me plaisait pas. Et puis j’ai fait
bouger avec mon nez quelque chose et c’était un
cadavre humain. Apparemment, ça me dérangeait
que ce soit à cet endroit-là, je l’ai donc fait bouger
pour le décoincer de là. Et ensuite, je suis repartie
vers une eau plus propre.

Ensuite est encore venu autre chose. Je ne sais pas.
Il y a eu deux choses qui se sont interconnectées. Je
me suis retrouvée là et j’ai vu arriver vers moi une
espèce de truc allongé très coloré, avec des points,
des polychromies dessus. Et ce truc est allé là (sur
moi), s’est enfoncé là et m’a injecté quelque chose et
en même temps, je sentais des sensations de picotis
et de l’endroit où ça s’est enfoncé, frémissait jusqu’au
haut : une sensation physique assez étonnante. Très
localisée. J’ai dû avoir des frissons à ce moment-là. Et
s’est interconnectée à ça, l’impression qu’on me
mettait une corne, comme une licorne, enfin quelque
chose de cet ordre d’idée. Et puis, peu de temps
après, c’était fini.

C’était assez spectaculaire. C’était chaotique parce
que cela ne restait jamais longtemps quelque chose. »

Commentaire : Erica vit ici plusieurs métamorphoses
qu’elle décrit très bien. Elle n’a pas vécu l’euphorie

~ 485 ~

caractéristique de la posture de prince olmèque,
mais cela n’est pas systématique.

#.6. Erica 15/06/96 — séance 10 — Galgenberg
« La posture est très inconfortable, elle fait mal. La

douleur occupe beaucoup. Je sais que j’ai convulsé.
J’ai eu des petites choses qui ne paraissent pas
forcément significatives. Par exemple, à un certain
moment, j’ai vu un cône devant moi et un autre cône
un petit peu plus loin. Et je me suis dit — c’était foncé,
ça avait l’air d’un volcan. À part ça, il ne s’est pas
passé grand-chose à cet endroit-là.

Ensuite, je me suis dit que j’avais le fin mot de
l’histoire pour la tête de Mars : que ce n’était pas une
tête du tout, et que c’était une configuration de
montagne un peu bizarroïde : le soleil avec certains
angles de vue donne ce genre de manifestation. (...)

Mais bon, c’était généralement assez fugace parce
ça tirait sec et je m’occupais à nouveau du bras et du
tiraillement à l’épaule. Je me suis dit que pour un
cardiaque, ce n’était pas à mon avis une très bonne
posture.

~ 486 ~

J’ai eu une vague pensée pour Ingo Swann1 qui
avait dit à quoi ressemblait Jupiter avant qu’on ne
sache à quoi ressemble Jupiter. Et puis c’est tout. »

Commentaire : La tête de Mars est un configuration
assez spectaculaire photographiée par la sonde
Voyager en 1971 dans la zône appelée Cydonia.
Récemment, en avril 1998, la sonde martienne
Surveyor a été envoyée de nouveau sur ce site
pour faire de nouvelles photographies plus
récentes et pour vérifier la nature de ces
configurations si étranges. La photographie qu’elle
nous a envoyée ne répond pas correctement à la
question de savoir si cette configuration rocheuse
est naturelle ou non. Cependant, il y a de très fortes
chances pour que ce soit un caprice de la nature.

#.7. Erica 15/06/96 — séance 11 — Ours

« Temps subjectif : assez long. Je dirais une
éternité. Je ne peux pas chiffrer.

Pendant un long moment, il ne s’est rien passé. Et
puis à un moment, j’ai senti une présence derrière

1 Ingo Swann : personnage américain doué pour la sortie hors
du corps et connu pour ses facultés psi. A participé à partir des
années 1970, et sur une période de 15 ans, à de nombreuses
expériences scientifiques en laboratoire aux États-Unis dont
l’American Society for Physical Research.

~ 487 ~

moi. Qui, quoi, je ne sais pas, je ne le sais toujours
pas. Et à un moment donné, j’ai vu ici comme une
explosion, comme quelque chose qui explosait de
l’intérieur et ça a fait un trou rond tout noir. J’ai vu
apparaître à la fois le trou et en même temps des
coulures noires qui sortaient de là. Et en fait, je n’ai
jamais su si... non, maintenant que j’y pense, c’est
effectivement plus un poing, enfin quelque chose
venant de l’extérieur qui a traversé. Parce qu’à un
moment donné, je me suis demandée si ma colonne
vertébrale avait été trouée ou si ça c’était passé du
côté du rein pour aboutir devant.

Ensuite, j’ai vu une main humaine, mais je n’ai
jamais vu de personnage, qui continuait à nettoyer et
ensuite la même main ou une autre main qui
ramassait et qui me mettait une espèce d’argile sur
les parois, de l’estomac apparemment, et qui ensuite
refermait le trou.

Et ensuite, j’ai de nouveau senti cette présence à
l’arrière. C’était comme si le personnage ou l’entité
qui m’avait mis de l’argile était passé derrière. Et là,
ce sont les mêmes mains qui se sont mises à
m’arracher la peau, et à l’arrière aussi. Les mains en
question ont pris de l’argile et ont colmaté tout ce qui
saignait, là où il n’y avait plus de peau, à enrober le
tout de peau, enfin d’argile pour faire de la peau. Ça,
c’est la deuxième étape.

~ 488 ~

Ensuite, j’ai senti comme une patte griffue passer
par mon talon, une seule fois, mais je ne sais pas si
ça m’a arraché des bouts de viande ou pas. Je ne
crois pas en fait. Et ça a duré aussi pas mal de temps,
l’arrachage de peau et le colmatage à l’argile.

Ensuite, il ne s’est plus rien passé et je me suis
rendue compte que je pensais à F [F. a un cancer] et
que je la voyais à l’hôpital. Et je me suis dit qu’elle
devrait être à ma place. Et à un moment donné, c’est
comme si elle était sur moi, comme si on se
superposait l’une l’autre, comme si elle était là à faire
la posture de l’ours. Et j’ai eu l’impression — ce n’est
pas très net — une histoire d’argile mis sur son foie
ou dans un trou de son foie ou quelque chose comme
ça. Et puis c’est tout.

Et quand je dis que ça a duré une éternité, ce n’est
pas une éternité en durée, c’est une éternité, je dirais,
en dehors du temps. Donc, la notion de temps n’était
pas impliquée dedans. Très long mais... je ne peux
pas expliquer. Décrochée du temps, voilà.

J’ai entendu à chacune des transes de l’ours que
j’ai faite, un genre de mélopée au début,
apparemment vocale. Toujours basée sur quatre
temps. Dans toutes mes transes, il y a de la
musique. »

~ 489 ~

Commentaire : C’est un dépeçage rituel avec
régénération subséquente. Erica avait des maux de
ventre à l’époque. Elle s’est bien sûr fait soigner
médicalement, mais aujourd’hui, elle n’a plus rien.
F. est décédée dans l’intervalle.

#.8. Erica janvier 97 — séance 12 — posture Chiltan

« Je me suis retrouvée dans un sous-bois de sapin
enneigés, puis j’ai vu un traîneau que je conduisais
avec des chiens et des gens en plus. Ambiance assez
en ‘‘chien et loup’’.

Le traîneau est sur la glace d’un lac qui rompt et le
traîneau s’enfonce.

Ensuite, je me retrouve au fond de l’eau, accrochée
à une épine dorsale osseuse d’un poisson
gigantesque. Il n’avait pas de chair, rien que des os. Il
ondule dans l’eau et j’ondule derrière parce que je
suis accrochée au bout.

À un moment, j’ouvre les yeux et, surprise, car je
sens quelqu’un à côté de moi, comme si tu étais là
(Michel) à ma gauche. Car il y avait des bruits et
mouvements de plancher comme si on marchait là :
mais il n’y avait rien ! !

Cela s’est produit à l’identique trois ou quatre fois
avec à chaque fois ouverture rapide des yeux pour
constater que j’étais seule.

~ 490 ~

Il devait y avoir deux à quatre présences, pas plus. »

Commentaire : Des éléments très intéressants
apparaissent ici : les sous-bois de sapins enneigés,
la glace et l’eau gelée et, surtout, les sensations de
présence.

#.9. Erica 23/02/97 — séance 13 — Le pont vers le
monde des morts

« Au début, rien. Et ensuite j’ai commencé à voir
des nuages noirâtres qui passaient devant mes yeux.
À un certain moment, je me suis sentie sur une
espèce de pont, une sorte d’aqueduc dans l’espace,
assez transparent. Ce pont n’était pas matériel et je
m’avançais dessus. Au bout de ce pont, il y avait
quelque chose comme un œil, c’est-à-dire un œil
gigantesque, comme un portail en forme d’œil. En me
tâtant, j’ai constaté que j’avais une petite robe courte.
[...]

Et je marche donc — ou plutôt je flotte sur ce pont
— sur cette espèce de pont. Enfin, j’arrive au bout,
devant l’œil. Et là, je sais que je veux traverser mais je
ne sais pas trop comment faire. À un moment donné,
je décide de me jeter dans la pupille et je me retrouve
engoncée dans une espèce de glu. Maintenant, je
dirais que c’est peut-être comme ça qu’on peut
imaginer une naissance : en rampant pour sortir d’un
utérus-vagin. En tous cas, c’était gluant et ça collait et

~ 491 ~

il fallait faire de sacrés efforts pour bouger et aller de
l’avant. J’ai fini par arriver de l’autre côté.

Et me voici dans une sorte de ville, avec des
maisons de petite taille, ambiance assez siècle
dernier, baignant dans des couleurs beige-jaune. Il y
a des rues, une fontaine, et j’explore. Ça a l’air très
paisible. À un certain moment, au loin, je vois ma
mère qui marche [nota : la mère du sujet est morte
depuis plusieurs années]. Je l’ai même revue plus tard
à une fenêtre en train de me faire des signes. Mais
j’avais l’impression que, de toutes façons, elle ne
pourrait pas arriver jusqu’à moi, parce que c’était
comme s’il y avait une sorte de vitre transparente —
pas comme une vitre de fenêtre, mais quelque chose
de plus consistant — qui l’empêcherait de venir
jusqu’à moi. Je lui ai fait un signe aussi.

Et puis, à un moment, j’ai l’impression d’avoir une
petite blessure à mon gros orteil droit et je saigne un
peu. Je suis alors sur une petite place, très charmante,
avec une fontaine et je trempe mon pied dans l’eau.
Je nettoie un peu mon pied et ça cesse de saigner.
Très peu de temps plus tard — il y avait des gens,
mais plus personne que je connaisse — j’aperçois au
loin, à l’extrême droite, un homme et je sais que c’est
Jürgenson. Il m’attrape par le bras et me dit : “Viens”.
Il me conduit à un endroit où on rencontre un autre

~ 492 ~

homme et je sais que c’est Raudive1. Puis ils
m’emmènent au cinéma.

Nous nous installons dans une salle de cinéma où,
apparemment, il n’y a que nous trois. L’écran est
panoramique et c’est une salle de cinéma très
habillée de rouge foncé, velours et quelques dorures,
le genre cossu.

Le film s’enclenche. Je suis assise entre les deux
hommes et ils me maintiennent les paupières
ouvertes pour que je ne cille pas et que je voie toutes
les images du film. Et là, je vois vraiment tout
l’Univers. Je vois la danse des atomes, je vois les
galaxies, je vois des constellations de choses et d’êtres
passant à toute allure. Et la dernière image que j’ai
vue apparaître sur l’écran, c’est un homme, debout,
qui tend les mains vers moi — il a même l’air d’être
en trois dimensions — et, du bout de ses doigts,
jaillissent des rayons qui entrent dans mes yeux, me
percent le cerveau et qui sont encore des choses de
l’ordre de la connaissance et de l’Univers.

1 Friedrich Jürgenson et Konstantin Raudive : pionniers de la
Transcommunication Instrumentale. Pour de plus amples
informations sur ce sujet, voir : Les morts nous parlent, François
Brune, Ed. du Félin, 1988 et l’article « La Transcommunication
Instrumentale », Michel Nachez in : Mort et Vie, Éd.
l’Harmattan, 1996, ouvrage collectif sous la direction de Pierre
Erny, Anne Stamm et Marie-Louise Witt.

~ 493 ~

Quand c’est fini, je me retrouve seule dans ce
cinéma. J’en sors par une porte latérale et me voilà à
nouveau dans la ville et devant une autre fontaine. Je
me penche sur la fontaine et je vois mon visage. Et
mon visage, c’est un visage extrêmement pâle avec
des cheveux noirs assez longs. Un visage agréable,
ovoïde, menton pointu [la physionomie du sujet est
différente de ce portrait].

À ce moment-là, j’ai pris conscience que mon corps
d’ici tremblait. Et instantanément, tout ce paysage
s’est brouillé comme si tout cela était de l’eau qui
s’agite. Tout a complètement disparu comme si ce
n’avait été qu’un reflet dans l’eau. Et je me suis
retrouvée dans un autre endroit, dans une vallée
entourée de montagnes du genre Vosges. J’étais au
bord d’un lac et penchée sur ce lac. Et alors, j’ai
continué à regarder mon visage dans l’eau, j’étais
toujours très pâle et j’avais ces cheveux noirs. J’ai
relevé la tête et observé les alentours, puis j’ai de
nouveau regardé dans l’eau. Cette fois-ci, c’était le
même visage, mais un peu plus “tête de mort”. Je
regarde de nouveau le paysage autour de moi et je
me repenche de nouveau. Et à ce moment-là, je n’ai
plus vu que la couronne de cheveux. Le visage avait
disparu, c’était le vide sous la couronne de cheveux.
Ensuite, ça s’est arrêté et j’ai vu une dernière image
qui s’est superposée, qui était juste comme une
gigantesque aile de libellule avec des nervures. [...]

~ 494 ~

Ensuite je suis revenue ici. C’était très
impressionnant. Pendant tout ceci, une toute petite
partie de moi savait que mon corps était ici et une
grande partie de moi vivait l’expérience dans un autre
corps. »

Commentaire : Erica nous conte ici son passage dans
le monde des morts. J’y reviendrai un peu plus loin
en détail pour évoquer les niveaux de conscience
dans la transe.

Commentaires généraux et remarques

Voici donc le matériel rapporté par mes sujets. Il est
riche et apporte des indications sur l’univers de la
transe induite par les postures découvertes par
Felicitas Goodman.

Ces séances de chamanisme expérimental montrent,
finalement, que l’état de transe peut être objet de
découverte et d’exploration. Les récits des chamans
nous émerveillent et on s’extasie sur les pouvoirs
chamaniques. En fait, généralement, leurs capacités
sont dues à un apprentissage, souvent long et difficile,
parfois bref et violent, qui leur permet de développer
des capacités qui sont inhérentes à tout être humain,
latentes cependant pour la plupart des femmes et des
hommes, et absolument inutilisées chez la personne
occidentale moyenne. Tous mes sujets, à part Lucie,
ont vécu à un moment ou à un autre des états non

~ 495 ~

ordinaires de conscience générés par la transe.
Felicitas Goodman a remarqué depuis longtemps déjà
cette faculté d’apprentissage de la transe chez ses
étudiants et les participants à ses groupes.

Les récits rapportés par mes sujets lors de mes
expériences corroborent les recherches de Goodman.
On y trouve beaucoup d’éléments se rapportant au
même corpus symbolique et les thèmes chamaniques
sont évidents. Comment cela est-il possible ? Jusqu’à
ce jour, cette question n’a pas pu être éclaircie. Ce qui
est notable, par contre, c’est que j’ai effectué ces
expériences sur des sujets — à part Erica et Simone (qui
a lu Castaneda et est versée dans les sciences occultes)
— qui n’avaient aucune connaissance du chamanisme
et n’avaient jamais vécu une transe. Même si certaines
personnes comme Anne, Rémi et Thierry sont familiers
de la relaxation et des états hypnagogiques y
afférents, leur vécu n’a pas été influencé directement
par des lectures ou des récits entendus chez d’autres
sujets (sauf Pascal et Cathy qui sont mariés et qui ont
échangés leur vécu au bout de quelques séances). À la
différence de Goodman, j’ai voulu tester ces postures
en séances individuelles chez des sujets ne se
rencontrant pas, n’ayant jamais entendu parler de
cette technique et — dans la mesure du possible — ne
sachant rien ou pas grand-chose du chamanisme.

Goodman expérimente en groupe et, pour la
plupart, ses sujets ont lu ses livres et travaux décrivant

~ 496 ~

les postures et leurs effets. De plus, dans ses groupes,
les participants se parlent et s’écoutent raconter leurs
expériences respectives les uns aux autres, certains ont
déjà participé à des séminaires ou groupes de travail
précédemment. D’ailleurs, Goodman rapporte que les
personnes travaillant avec elle, par le biais de
l’expérience de la transe, développent une dynamique
de groupe propre, une sorte d’unité de groupe
renforcée par l’expérience intime de la transe.
Goodman pense qu’il faut trouver là l’explication de la
force des liens qui unissent les personnes adeptes des
sectes, dans la mesure où l’expérience de la transe
collective répétée, justement, fortifie la cohésion et le
sentiment d’unité de ces groupes sectaires.

Dans les groupes de Goodman, la contamination
entre les participants est patente et une forme de
communication non verbale peut même se manifester
entre les membres pendant la transe, qui induit un
vécu de transe non plus individuel, mais dans certains
cas collectifs. Parfois, certains participants perçoivent
nettement la présence et l’énergie des autres membres
du groupe.

Dans mes séances, je voulais, autant que faire se
peut, éviter cette contamination. Et j’ai donc décidé de
pratiquer en séances individuelles, sans rencontres des
sujets entre les séances (à part Gérard et Cathy qui
sont mariés). La seule personne, en définitive, présente
avec les sujets pendant les séances était moi-même.

~ 497 ~

On sait que l’expérimentateur influence les sujets de
son expérience : cela a été largement discuté et
prouvé et je n’y reviendrai pas. C’est la seule
contamination possible, celle de mon savoir, de mon
attitude et de mes pensées : les sujets en transe sont
très sensibles et influençables ; ils sont très réceptifs à
la suggestion — la transe comportant des états
hypnotiques et auto-hypnotiques. Il est donc tout à fait
possible, et même fortement probable, que, malgré
mes précautions, une influence non verbale de ma
part ait agi ; sans parler de l’échange possible
d’informations au niveau inconscient (télépathie) qui
relève du domaine de la parapsychologie ; cette
hypothèse ne peut pas être écartée.

Ainsi, en ayant éliminé cette contamination qui
existe dans les expériences de groupe et en
n’informant pas mes sujets quant aux expériences
qu’ils allaient vivre, j’ai essayé de vérifier le
fonctionnement de ces transes induites par les
postures d’après les techniques rapportées par
Felicitas Goodman.

Les thèmes émergeant des vécus de transe sont
divers. On retrouve souvent chez mes sujets une
description d’Indiens d’Amérique dansant,
s’accompagnant de tambour, avec tout le décorum
des westerns classiques. Je pense qu’il s’agit là d’une
sorte d’artefact directement en relation avec
l’enregistrement sonore que j’ai créé pour induire la

~ 498 ~

transe. À partir de ce décorum peuvent s’élaborer
ensuite des scénarios ou des contenus à caractères
nettement plus symboliques, métaphoriques,
messages de l’inconscient, porteurs de sens. Ce sens
n’est pas toujours évident à décrypter, souvent il reste
obscur car non développé, sommaire, subtil.

D’autres fois, la métaphore utilise des symboles
clairs, parlants, bien structurés, amenant des
changements dans le mental des sujets. C’est le cas de
Fred qui a vécu un véritable processus initiatique. Ce
cas est exceptionnel dans la mesure où la plupart des
sujets vivent d’abord une phase d’acclimatation à la
transe, un apprentissage, suivi d’une stabilisation et
ensuite seulement, les contenus peuvent devenir
véritablement significatifs. Pour le cerveau, cet
apprentissage de la transe signifie le développement
de nouveaux trajets neuronaux, ouvrant à de
nouvelles perceptions, des circuits neuronaux qui,
d’ordinaire, ne sont pas activés chez nous,
Occidentaux.

Fred, pratiquant des arts martiaux, avait sans doute
déjà activé certaines capacités psycho-mentales. Il ne
lui manquait certainement qu’un petit « coup de
pouce » pour s’ouvrir à une autre facette de lui-même.

Thierry, pourtant familier du yoga, n’avait pas trouvé
la sortie du « tunnel » à la fin de la série expérimentale.
Ce que les postures lui ont apportées, c’est une
profonde relaxation, mais il est resté « bloqué » en

~ 499 ~

cours de route, empêtré dans son esprit analytique,
décortiquant chaque image, analysant chaque scène,
se perdant dans des considérations secondaires
typiques de l’esprit rationnel qui veut tout comprendre
et qui, en fin de compte, en tous cas dans ce domaine
des ENOCs, est un véritable frein à la connaissance
intérieure. Cet esprit critique rationalisant bride le Moi
de transe, le bloque et le renvoie dans les profondeurs
de la psyché.

Anne a vécu un déblocage qui lui a permis de
danser et qui, plus tard, l’a rendue disponible pour une
liaison affective stable (alors qu’auparavant, il n’en
était pas question) ; Lucie a résolu ses problèmes et a
retrouvé le goût de se battre et d’assumer les
problèmes de la vie aussi, graves soient-ils ; Amélie a
découvert de nouveaux horizons et a créé une revue
d’art ; Patrick a retrouvé du travail grâce à une plus
forte confiance en soi, les autres (à part Erica qui
bénéficie déjà d’une solide expérience en ce domaine)
ont vécu des expériences enrichissantes et inattendues
et ont découvert que l’esprit humain est bien plus
vaste que ce qu’ils pensaient.

Il est un fait que Goodman a pu réunir des contenus
de transe beaucoup plus parlants, plus riches, pour
certains en relation avec des mythes ou des
archétypes. Il s’agit là de résultats obtenus sur un
grand nombre de séances de transe — plusieurs
milliers — avec de nombreux sujets et s’étendant sur

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