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Ce travail de recherche s’attache à montrer les similitudes que l’on peut constater entre certains états non ordinaires de conscience (ENOCs), tels la transe ecsomatique (OBE), le rêve lucide, les expériences de mort rapprochée (NDE), les expériences décrites comme des « enlèvements par les extraterrestres » et la transe chamanique induite par les postures de transe découvertes par l’anthropologue Felicitas Goodman. <br>Cette recherche décrit aussi comment l’anthropologie expérimentale peut se révéler être un outil d’exploration du chamanisme. Les séances impliquant les postures de transe, présentées dans cette thèse, montrent comment des sujets occidentaux, n’ayant eu aucun contact notable avec le chamanisme, délivrent des contenus de nature chamanique.<br>Enfin, ce travail met en relief les liens entre les ENOCs et les « géographies de l’invisible », i. e. les différents plans et niveaux de l’outre monde.

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Published by Michel Nachez, 2020-02-17 06:34:50

LES ÉTATS NON ORDINAIRES DE CONSCIENCE - Essai d&#39;Anthropologie Expérimentale

Ce travail de recherche s’attache à montrer les similitudes que l’on peut constater entre certains états non ordinaires de conscience (ENOCs), tels la transe ecsomatique (OBE), le rêve lucide, les expériences de mort rapprochée (NDE), les expériences décrites comme des « enlèvements par les extraterrestres » et la transe chamanique induite par les postures de transe découvertes par l’anthropologue Felicitas Goodman. <br>Cette recherche décrit aussi comment l’anthropologie expérimentale peut se révéler être un outil d’exploration du chamanisme. Les séances impliquant les postures de transe, présentées dans cette thèse, montrent comment des sujets occidentaux, n’ayant eu aucun contact notable avec le chamanisme, délivrent des contenus de nature chamanique.<br>Enfin, ce travail met en relief les liens entre les ENOCs et les « géographies de l’invisible », i. e. les différents plans et niveaux de l’outre monde.

Keywords: chamanisme, transes, états non ordinaires de conscience, états de conscience modifiés, transe ecsomatique (OBE), rêve lucide, expériences de mort rapprochée (NDE), chamanisme, anthropologie expérimentale, géographies de l’invisible, enlèvement par les extraterrestres, abduction

tendance à y percevoir une réalité tangible vécue sur
un autre plan, dans une autre dimension ou un
univers parallèle.

Nous allons maintenant aborder un autre type
d’ENOC — la transe — qui va nous dévoiler un vécu
tout aussi troublant, car également très réaliste.

~ 201 ~

VII. LES POSTURES DE TRANSE
DE FELICITAS GOODMAN

Felicitas Goodman
Felicitas Goodman, anthropologue et spécialiste de

la transe, a découvert, il y a une trentaine d’années, ce
qu’elle appelle les postures de transe. Des statuettes,
des figurations, des dessins et des peintures rupestres,
représentent des postures provenant de différentes
ethnies de par le monde et de différentes époques.
J’en donnerai plus avant une description plus détaillée.

Ses travaux de recherche l’ont amenée, à partir de
1965 à la Denison University, à s’intéresser aux états
de transe religieuse chez les Pentecôtistes, ces groupes
religieux chrétiens qui pratiquent la glossolalie1 en état

1 La glossolalie — le « parler en langues » : dans cet état
particulier de transe, les sujets émettent une série de sons,
d’onomatopées, de « mots », totalement inconnus. Mais ce qui
est particulier, c’est qu’ils se comprennent entre eux, alors que
les personnes extérieures à la transe n’y entendent qu’une
série de phonèmes sans signification. Et voici le plus étonnant :

Suite de la note page suivante

~ 202 ~

de transe pendant les services religieux. Dans le droit
fil de son travail scientifique, Felicitas Goodman a
ensuite étudié d’autres congrégations chrétiennes au
Mexique, lesquelles, comme les Pentecôtistes, aspirent
à la manifestation de l’Esprit Saint sous la forme de la
transe glossolalique.

Dans les cours qu’elle donnait à l’époque à ses
étudiants, elle parlait de ses recherches, faisait écouter
des cassettes audio et décrivait le bien-être ressenti par
ceux qui avaient participé aux cérémonies impliquant
des ENOCs. Les étudiants, passionnés, demandèrent à
expérimenter ces états et c’est alors qu’ont commencé
les expériences de transe d’Occidentaux, avec des
résultats de plus en plus surprenants.

Au fil du temps, Felicitas Goodman s’est rendue
compte que certaines postures du corps, répandues
dans les ethnies des cinq continents, étaient des
moyens d’induire des états de transe. Elle découvrit
que chacune de ces postures est spécialisée, c’est-à-
dire donne accès à un vécu tout à fait spécifique. Les
recherches de Felicitas Goodman lui permirent ainsi
de dégager une quarantaine de ces postures et
d’approcher la « spécialité » de chacune : il y a là des
postures ouvrant à des transes de guérison, de

chaque personne en transe parle une « langue » dont les
caractéristiques sont tout à fait différentes de celles des autres
personnes en transe glossolalique.

~ 203 ~

divination, de voyage chamanique, de métamorphose,
de quête d’informations pour les rituels... Ces transes
semblent donc être des outils permettant de résoudre
les problèmes matériels et spirituels de chaque groupe
ou individu.

Felicitas Goodman est née en 1914 en Roumanie et,
après la deuxième guerre mondiale, elle a émigré aux
États-Unis avec sa famille. Comme nombre de
nouveaux arrivants en Amérique, elle a alors connu la
détresse d’avoir quitté la terre natale, la pauvreté et la
peur du devenir. Bien des nuits, elle s’est réveillée,
étouffant l’anxiété qui montait de ses rêves-souvenirs
de la guerre.

Elle a trouvé assez rapidement un travail de
traductrice de textes scientifiques, mais ce n’est que
sept ans après son arrivée que les perspectives
matérielles sont devenues plus souriantes. Elle partit
un jour en excursion au National Park du Kentucky et
là, couchée dans l’herbe, elle redécouvrit pour la
première fois depuis des années la splendeur du ciel.
Des nuages floconneux ont émaillé le bleu du
firmament et pendant qu’elle regardait cela, elle eut
une vision : elle vit une scène dans laquelle des
guerriers indiens, portant de somptueux ornements de
plumes, préparaient l’enterrement d’un des leurs. Plus
tard, sur le chemin du retour, elle a lu une pancarte
mentionnant l’histoire de ce lieu : ce sol, « sombre et

~ 204 ~

sanglant », avait été un des « terrains de chasse » des
Blancs — et leur gibier étaient les Indiens, tués ici en
très grand nombre.

Felicitas s’est alors demandée si sa vision lui avait
montré les esprits des Indiens exterminés et elle s’est
questionnée : « Mais sont-ils vraiment morts? »

Quelques années plus tard, en 1961, des amis
amérindiens l’ont invitée à assister à la Fête du Maïs à
Santo Domingo, un village indien près du Rio Grande,
au Mexique. C’est un rituel de fertilité ancestral et des
milliers de femmes, d’hommes et d’enfants y dansent
du matin jusqu’au coucher du soleil, menés par des
chœurs d’hommes et un grand tambour dont la
sonorité profonde résonne à travers le pays
désertique, comme les battements du cœur de la
Terre-Mère.

Cette nuit-là, Felicitas a eu un rêve, ou plutôt une
vision : elle vit trois vieux Indiens devant sa fenêtre,
habillés de vêtements d’apparat, et l’un d’entre eux
portait le grand tambour. Avec la baguette du
tambour, il frappait sur la vitre et puis, il fit signe à
Felicitas de les suivre. La vision disparut alors en lui
laissant un intense sentiment de bonheur.

À cette époque, la résidence habituelle de Felicitas
se situait dans l’Ohio et elle ne connaissait pas encore
la littérature ethnographique touchant aux Indiens
Pueblo. Mais elle eut vraiment l’impression que les

~ 205 ~

Esprits des anciens Indiens lui apparurent pour l’inviter
dans leur pays. Presque en état de somnambulisme,
Felicitas a décidé alors d’accepter cette invitation et
d’acheter un morceau de cette terre magique. Cela lui
prendra des années et ce n’est qu’en 1963 qu’elle est
parvenue à cette fin : elle acquit une centaine
d’hectares de terre aride dont son avocat lui dit :
« N’achetez pas cela ! Nous appelons cet endroit le
désert de Pojoaque. »1

Felicitas ne devait jamais regretter son achat : de
toutes parts sa propriété est entourée de villages
Pueblo encore traditionnels. Elle aime l’ambiance et ce
qu’elle ressent se dégager de cette terre encore
préservée de la « civilisation » : les collines sont vierges
de constructions, pas de goudron mais du sable doré ;
il s’y trouve des « arroyo », de profondes tombes, et
des traces d’éruptions volcaniques vieilles d’un million
d’années. La nuit, les coyotes s’esclaffent et « les Esprits
murmurent dans les rêves... »

En 1965, Felicitas finit par pouvoir construire une
petite maison sur son terrain et cette maison
deviendra après sa retraite le Cuyamungue Institute,
l’endroit où elle a continué ses recherches et ses
expérimentations sur la transe.

1 Felicitas Goodman, Wo die Geister auf den Winden reiten, p.
20.

~ 206 ~

Felicitas avait entrepris, quelques semestres
auparavant, des études d’anthropologie et de
linguistique à l’université. Elle y a bénéficié de
l’enseignement d’Erika Bourguignon, une des
premières anthropologues à avoir établi que la transe,
loin d’être un état pathologique, était un état modifié
de conscience, un ENOC, naturel et salutaire. Felicitas
a ainsi obtenu son doctorat et aussi, en 1968, un poste
d’enseignante à la Denison University. Lorsqu’elle a
pris sa retraite en 1979, elle a continué ses recherches
et son enseignement dans sa maison de Cuyamungue,
désolée d’avoir dû quitter l’université contrainte et
forcée à l’âge de 65 ans.

Avec Felicitas, depuis la fin des années 1960, des
groupes d’Américains et d’Européens de toutes les
couches socioprofessionnelles ont expérimenté les
postures de transe. C’est de leur vécu qu’a pu être
dégagée la particularité de ces différentes postures.
Postures que je vais décrire ci-après.

Ensuite, je présenterai dans un premier temps une
série expérimentale sur la transe posturale conduite
par Felicitas Goodman entre 1971 et 1982 pour
montrer ses méthodes et introduire les postures de
transe. Dans un second temps, je décrirai et détaillerai
plus exhaustivement ces postures et exposerai ses
résultats et ses découvertes. Enfin, j’introduirai et

~ 207 ~

développerai ma propre série expérimentale sur mes
sujets suivie de mes conclusions et observations.

Les postures de transe : description et
typologie

Pour la plupart d’entre elles, ces postures sont
représentées sur des statuettes, des bas-reliefs, des
poteries, des peintures dont l’une — la figure de
Lascaux1 — remonte à 14 000 ans dans le passé. On
peut les classer en différentes catégories : la guérison,
la métamorphose, la divination, le voyage
chamanique, le renforcement, la régénération, la
chasse, suivant leur utilisation rituelle.

1 Beaucoup de choses ont été écrites sur le personnage de la
grotte de Lascaux. On pense que c’est un chaman — il en a
d’ailleurs les attributs (cf. Éliade). Felicitas Goodman est la seule
qui a eu l’idée de l’expérimenter selon sa procédure (prise de la
posture et rythme à 3,5 hz). Elle en a retiré une expérience
qu’elle nomme « vol dans le monde d’en haut ». Est-ce cela que
l’artiste a voulu traduire dans son œuvre ? On ne le saura sans
doute jamais.

~ 208 ~

a. La guérison
#.1. La posture de l’ours

Figure VIII-2 : carte de la répartition planétaire de la
posture de l’ours / Europe - Asie - Océanie
~ 209 ~

Les représentations de la posture de l’ours se retrouvent
sur la planète entière. Elle est la plus connue de toutes les
postures. Rien qu’aux Cyclades, on en a dénombré 34. Des
fouilles livrent continuellement de nouveaux exemplaires.
Cette carte donne une vue d’ensemble provisoire.

Figure VIII-1 : carte de la répartition planétaire de la
posture de l’ours / Amérique

~ 210 ~

La représentation de l’ours — l’Esprit de l’Ours, dans
beaucoup de traditions, est lié aux pouvoirs de
guérison — serait extrêmement ancienne et très
répandue sur la planète. Les cartes1 suivantes nous en
montrent la répartition géographique en fonction de
différents continents.

Certaines des représentations de l’ours montrent une
femme, telle celle de Lepenski — datée entre 5350 et
4700 av. JC :

La tête est légèrement inclinée en arrière, les mains
sont sur le ventre et suggèrent la posture de l’ours.
D’après Goodman, on trouve encore dans la Grèce du
troisième millénaire av. J.C. des représentations de
femmes dans la posture de l’ours, cependant, la
prédominance rituélique des femmes étant sur le
déclin, beaucoup de ces représentations sont
modifiées : on y a transformé la tête et le cou en
phallus.

Lors de ses premières expériences avec la posture de
l’ours, Goodman pensait qu’il s’agissait d’une forme de
possession car un des vécus de cette transe se
manifeste par la sensation de s’ouvrir, de devenir le
réceptacle d’une force. Elle a vite rejeté cette idée,
étant spécialiste de la possession2, et il lui est apparu

1 Felicitas Goodman, op. cit., pp. 166-167.
2 Felicitas Goodman, Ekstase, Besessenheit, Dämonen — Die
geheimnisvolle Seite der Religion,. Dans cet ouvrage Felicitas

Suite de la note page suivante

~ 211 ~

Figure VIII-2 : posture de l'ours,
pierre, Allemagne (Donau), 5350

à 4700 av. J.C.1

que cette « ouverture » servait à recevoir la force de
guérison. C’est ainsi qu’elle en a déduit que la posture
de l’ours était une posture de guérison. De nombreux
témoignages provenant de ses étudiants, de
personnes ayant suivi ses séminaires, d’amis et d’elle-
même, l’ont conforté dans son analyse.

Voici, pour exemple, certains récits vécus rapportés
par des personnes ayant expérimenté cette posture de
l’ours.

Goodman expose l’extase, la transe, la glossolalie, les
phénomènes de possession et les rituels et pratiques en liaison
avec les démons ; l’exorcisme. Elle les analyse et les interprète
sous l’angle de ses recherches anthropologiques.
1 Source : Goodman.

~ 212 ~

Kristina (Cuyamungue, août 1984) : « Je me suis
sentie intégrée dans l’Être de l’Ours, mais je ne le
voyais pas. L’Ours m’a poussée deci-delà et j’ai senti
dans tout mon corps des mouvements extrêmement
subtils. J’ai eu l’impression de pénétrer de plus en
plus profondément dans mon propre corps. Puis, j’ai
repris conscience de moi avec une intense impression
d’immense bien-être. »1

Christian (Vienne, 1985) : « L’Ours est venu
derrière moi. Il m’a entouré de ses bras et je me suis
senti protégé par une sollicitude quasi maternelle.
Puis, il m’a lacéré de ses griffes, m’a arraché la tête,
m’a vidé les entrailles. C’est ensuite que j’ai pu
ressentir son pouvoir guérisseur lorsqu’il m’a ouvert la
poitrine et y a mis trois masques. J’avais un long
pénis noir et j’ai pénétré dans une mer sombre ; soit
j’y suis entré ou j’y suis tombé, je ne sais plus. Puis je
suis revenu ici et je vous ai tous vu. J’ai voulu danser,
l’ours était dans le cercle, il a touché Eva, a fait une
bise sur le nez de Felicitas, puis a de nouveau voulu
m’arracher la tête et le son s’est arrêté. »2

Ce qui est étonnant ici, c’est que Christian, étudiant
en histoire et guère familier des rituels initiatiques
traditionnels, a vécu là spontanément une expérience

1 Felicitas Goodman, Wo die Geister auf den Winden reiten, p.
173.
2 Ibid., p. 175.

~ 213 ~

d’initiation des chamans sibériens. Deux ans après
cette expérience avec la posture de l’Ours, Christian a
commencé à se former à différentes approches
thérapeutiques : il semblerait bien que l’Esprit de
l’Ours ait ainsi modifié ses projets de carrière.

Marie-Thérèse (Strasbourg, 1996) : « Je me suis
subitement retrouvée allongée sur le dos devant un
feu, et un chaman, dont je ne voyais pas le visage,
préhistorique ou indien, muni d’une lance, vêtu d’une
peau d’ours dont la tête ouvrait sa gueule au sommet
du crâne de l’homme, dansait tout autour de moi.
J’entendais des tambours au lointain. Il faisait nuit et
seuls les reflets du feu me permettaient de voir les
mouvements du chaman autour de moi. Subitement,
il a levé sa lance et me l’a plongée dans l’estomac,
me clouant littéralement au sol. Je n’avais ni peur ni
douleur. Une vague de gratitude m’a submergée en
même temps que je ressentais une bienfaisante
chaleur là où la lance était plantée : dans mon plexus.
Puis, tout s’est fondu dans le noir et je suis revenue
ici. »1

Marie-Thérèse, à l’époque, était contaminée par un
parasite digestif lui provoquant une gastrite : l’Esprit
de l’Ours semble avoir touché juste.

1 Une personne de passage à Strasbourg et qui n’a donc pas
fait partie des mes sujets.

~ 214 ~

Il arrive que la posture de l’Ours ne soulage pas que
celui qui la prend. Lors d’un stage, Dean (Cincinnati,
printemps 1987), souffrait de sciatique et de douleurs
intenses, irradiant jusque dans la jambe droite. Tout le
groupe, sauf Dean, prit la posture de l’Ours et voici les
récits de certains participants1 :

Une jeune fille : « Je n’ai rien vu, mais subitement,
j’ai senti une lumière jaune clair jaillir de mes mains
et pénétrer directement dans le corps de Dean. »

1 Felicitas Goodman, op. cit., p. 176-177.
~ 215 ~

18 : poterie, probablement Bolivie, précolombienne ; 19 : albâtre,
Almeria, Estramadura, Espagne, 4500 à 2000 av. J.C. ; 20 :
ivoire, Beersheba, sud Negev, 4000 av. J.C. ; 21 : pierre,
olmèque, région de Veracruz, Mexico, 800 à 400 av. J.C. ; 22 :
pierre, nord-ouest du Liberia, Afrique.1

Figure VIII-3 : posture de l'ours (Bolivie, Espagne, Mexique,
Afrique)

1 Source : Goodman.

~ 216 ~

Une autre : « J’ai vu une grande main apparaître.
Au bout des doigts, il y avait une perle bleue qui
devint blanche ensuite. C’est alors qu’elle s’est
intégrée à Dean comme un cadeau. »

~ 217 ~

25 : Crète, 5000 à 4000 av. J.C. ; 26 : récipient calcaire, ethnie
des Quimbaya, Colombie, précolombien ; 27 : île de l’Océan
Pacifique ; 28 : bois, Pangwe (Fang), Gabon et Cameroun,
Afrique ; 29 : pierre, County de Rhea, Tennessee, 1300 à 1700
ap. J.C.1
Figure VIII-4: posture de l'ours (Colombie, Océan Pacifique,

Afrique, Amérique du Nord)

1 Source : Goodman.

~ 218 ~

Un participant : « J’ai vu des aiguilles sortir de mes
mains, elles se sont littéralement éjectées et j’ai
vraiment cru que ça allait donner à Dean une espèce
de choc électrique. »

~ 219 ~

30a : bois, Gilyaken à l’embouchure du fleuve Amour, Sibérie,
contemporain ; 30b : menhir, Saint Germain sur Rance, France,
2000 av. J.C. ; 30c : dent de morse, esquimau, Banks Island,
Territoire du nord-ouest, Canada, 1800 à 1850 ap. J.C. ; 30d :

poupée Sitka, bois, côte nord-ouest des USA ; 30e : Uschebti, un

serviteur dans le Monde des Morts, faïence bleue, Égypte, époque
tardive.1

Figure VIII-5: posture de l'ours (Sibérie, France, Canada,
États-Unis, Égypte)

1 Source : Goodman.

~ 220 ~

Quelques temps après ce stage, Dean a signalé une
amélioration de son état.

De cette posture de l’ours semble donc se dégager
le thème du dépeçage initiatique qui se rencontre
dans de nombreuses ethnies. En Sibérie, ce thème est
courant et accompagne l’initiation du chaman.

« D’après un autre enseignement yakoute, les
mauvais esprits portent l’âme du futur chaman aux
Enfers et là l’enferment dans une maison pendant
trois ans (...). C’est là que le chaman subit son
initiation : les esprits lui coupent la tête qu’ils mettent
de côté (car le candidat doit assister de ses propres
yeux à sa mise en pièces) et le taillent en menus
morceaux qui sont ensuite distribués aux esprits des
diverses maladies. C’est à cette seule condition que le
chaman gagnera le pouvoir de guérir. Ses os sont
ensuite recouverts de chairs fraîches et dans certains
cas on lui remet aussi du sang nouveau. »1

Éliade donne peu de détails concernant les animaux
impliqués dans ce dépeçage initiatique. Tout au plus
parle-t-il de l’Oiseau-de-proie-Mère qui apparaît deux
fois dans la vie du chaman : à sa naissance spirituelle
et à sa mort. Il prend l’âme du chaman et

1 Mircéa Éliade, Le chamanisme et les techniques archaïques
de l’extase, pp. 46-47.

~ 221 ~

« la porte en Enfer et la laisse mûrir sur le rameau
d’un faux-sapin. Quand l’âme est venue à maturité,
l’oiseau retourne sur terre, coupe le corps du candidat
en petits morceaux qu’il distribue entre les mauvais
esprits des maladies et de la mort. Chacun de ces
esprits dévore le morceau de corps qui lui revient ce
qui a pour effet de conférer au futur chaman la
faculté de guérir les maladies correspondantes. Après
avoir dévoré le corps entier, les mauvais esprits
s’éloignent. L’Oiseau-Mère remet les os en place et le
candidat se réveille comme d’un sommeil profond. »1

On retrouve tout de même ce thème de l’ours
initiateur plus loin :

« L’expérience extatique du morcellement du corps
suivi d’un renouvellement des organes est connue
aussi des Esquimaux. Ils parlent d’un animal (ours,
cheval de mer, morse, etc.) qui blesse le candidat, le
dépèce ou le dévore ; ensuite, une chair nouvelle croît
autour de ses os. Parfois, l’animal qui le torture
devient l’esprit auxiliaire même du futur chaman. »2

Durant les séances de transe avec la posture de
l’ours, le scénario complet du dépeçage ne se
manifeste pas forcément dans son intégralité. Il
advient souvent que certains thèmes seulement

1 Ibid., p. 46.
2 Ibid., p. 52.

~ 222 ~

composant ce scénario soit vécu par le sujet. Ainsi,
pour Christian (Vienne, 1985) :

« L’ours est venu derrière moi. Il m’a entouré de ses
bras et je me suis senti protégé par une sollicitude
quasi maternelle. Puis, il m’a lacéré de ses griffes,
m’a arraché la tête, m’a vidé les entrailles. C’est
ensuite que j’ai pu ressentir son pouvoir guérisseur
lorsqu’il m’a ouvert la poitrine et y a mis trois
masques. (...) »1

Seul le début de la procédure est ici évoqué ; la fin,
c’est-à-dire le remembrement et la reconstitution de
son corps sont éludés ; au lieu de cela, c’est un
passage dans une mer sombre qui lui redonne son
intégrité. Il arrive aussi qu’aucun thème de dépeçage
n’apparaisse ; seuls un ou des ours sont impliqués ; ou,
également, l’ours guérisseur peut être secondé par des
aides sous forme d’autres animaux tels : serpents,
oiseau de proie ou charognards. Et l’on retrouve là le
thème de l’Oiseau-de-proie-Mère des Sibériens.

D’après Felicitas Goodman, la posture de l’ours est
puissante et est également efficace lorsque le malade
ne peut pas la prendre lui-même. En Sibérie, une petite
figurine représentant la posture de l’ours est alors
déposée sur le malade (figure 30a) et est censée le
guérir. Cette posture est très ancienne et très

1 Felicitas Goodman, op.cit., p. 175.

~ 223 ~

répandue, elle se rencontre en Égypte (fig. 30e) ainsi
que chez les Aztèques où la déesse Tlaelquan y est
représentée sous cette posture de l’ours.

Il existe évidemment d’autres postures de guérison
que je vais maintenant présenter.
#.2. Une posture de guérison féminine.

Les deux dessins ci-dessous représentent une
posture de guérison féminine. Le bas du corps est
manquant et Felicitas Goodman n’ayant aucune
information à ce sujet l’a tout d’abord testée debout.

~ 224 ~

31 : pierre, Pianul de Jos, Siebenbürgen, Roumanie,
4500 av. J.C.

32 : pierre trouvée à proximité de Lebanon dans le
Tennessee, USA, 700 ap. J.C.1

Figure VIII-6 : posture de guérison féminine
(Roumanie, États-Unis)

Plus tard, lors d’un voyage en Hongrie, son hôte
ethnographe Mihàly Hoppàl lui montre son dernier
ouvrage sur le chamanisme eurasien où elle découvre
une photographie d’une chamane uzbèque dans
cette même posture et assise en tailleur. Plus tard, de
retour chez elle, elle teste la posture avec quatre autres
personnes :

1 Source : Goodman.

~ 225 ~

Judy (Columbus, 1985) : « Pendant l’exercice de
respiration, j’ai quitté mon corps. Je me suis retrouvée
très haut et j’ai regardé dans la pièce mais elle était
vide. L’esprit du cerf est venu et m’a conduite à
travers un tunnel qui menait à une grotte spacieuse
où des personnages dansent autour d’un feu. Je
m’approche et danse avec eux. Puis je sors de la
grotte ; dehors il pleut. Je me transforme en goutte de
pluie ; je sens la terre, c’est magnifique.
Malheureusement, j’ai dû retourner dans mon corps
physique et je ne le voulais pas. »1

Jan (Columbus, 1985) : « Je pouvais sentir, au
début, comment la pièce se remplissait d’énergie.
J’avais cette énergie dans mes mains et elle était si
forte qu’elle me faisait mal. Ensuite il y a eu un épi de
maïs qui a éclaté, et les grains se sont mis à danser
en rond. J’ai vu alors chacun de nous vivant et
mourant, chacun à un endroit différent. Ils sont
ensuite revenus ici dans cette pièce et nous avons tous
ramené quelque chose. Je me suis ensuite retrouvé
dans une grotte de cristal qui rayonnait de toutes les
couleurs, j’ai plongé dans l’eau, puis volé dans les
airs jusqu’aux étoiles et l’énergie était toujours là et si
forte que je pensais que mon corps ne pouvait la
supporter. »2

1 Ibid., p.182.
2 Ibid.

~ 226 ~

33 : menhir, Colombie.2

Figure VIII-7 : posture de
guérison féminine
(Colombie)

Felicitas (Columbus, 1985) : « Je vole dans un
monde bleu foncé, l’arrière-plan est bleu nuit. À ma
gauche apparaissent des images plates comme
l’image de la terre vue de l’espace à bord d’un
vaisseau spatial. Je freine car je ne veux pas quitter la
terre ; et je suis triste de ne plus voler. Ensuite tout
disparaît sauf l’énergie qui me berce et ne me quitte
pas. »1

Les deux autres personnes ont rapporté des choses
semblables ainsi que des danses ; elles ont cependant
vécu des détails complémentaires, comme hors de

1 Ibid.
2 Source : Goodman.

~ 227 ~

propos : totem, ours, chèvre... Ce n’est que plus tard
que Felicitas va comprendre, lorsqu’elle lira enfin le
livre de son ami Mihàly Hoppàl se rapportant à cette
photographie de chamane et découvre que celle-ci
appelait l’aide d’esprits nommé Tschiltan qui sont 41
jeunes cavaliers ou jeunes filles. Le texte rapporte que
la chamane enduit son tambourin de sang car ces
esprits aiment bien le lécher. Chez les Uzbèques, cette
énergie, que le groupe de Felicitas a vécu, est utilisée
pour la guérison. On trouve cette posture également
sur la Côte Nord-Ouest des États-Unis, en Arizona, en
Amérique Centrale (Olmèques), en Afrique de l’Ouest.
Les recherches de Félicitas lui font également
découvrir des figures masculines où la posture est
montrée debout, elle a donc décidé que la posture
assise serait plutôt utilisée par les femmes et les
postures debout par les hommes dans ses propres
séances.

~ 228 ~

#.3. Le couple de Cernavodà

Ces figurines en terre cuite ont été trouvées en
Roumanie à Cernavodà, dans une tombe. La datation
a donné un âge compris entre 5000 à 3000 av. J.C.

34 : terre cuite, Cernavodà, Roumanie, issues toutes deux de la
même tombe, 5000 à 3000 av. J.C.1

Figure VIII-8 : le couple de Cernavodà

Felicitas Goodman n’a pas testé les postures
séparément. En 1986, en Suisse, elle a, pour la
première fois, introduit ces postures dans son
programme ; son groupe comportait neuf femmes et
trois hommes. Dans la transe induite par ces postures,
les hommes semblent envoyer de l’énergie aux
femmes et ressentent, à l’issue de la transe, une

1 Source : Goodman.

~ 229 ~

grande fatigue, un épuisement. Les femmes, elles,
vivent un voyage :

Dorothea : « Je suis sur un petit bateau et quelque
chose me tire vers la gauche. Le vent vient de droite
et mon équilibre est menacé. Je peux enfin m’arrêter.
Le vent s’arrête brusquement et un serpent de mer
arrive, vert et grand comme un monstre marin. Le
serpent a des yeux verts et une langue rouge et celle-
ci se sépare en trois subitement et trois têtes aussi. Il
me menace et j’ai besoin de beaucoup de force. »1

Cette posture délivre également des thèmes relatifs
au rôle du chaman — qui est ici une femme : scénario
d’accouchement, guérison, appel d’esprits tutélaires,
renforcement de la force vitale, conduite des esprits
des décédés dans le monde des morts (le voyage
s’effectue dans un bateau, sur un fleuve).

En 1987, poursuite de l’expérimentation à Vienne
où le nombre de femmes et d’hommes était plus
équilibré. Les hommes semblaient moins fatigués
après la séance. Les femmes expérimentaient les
mêmes thèmes qu’en 1986.

Abordons à présent une autre grande fonction de
ces postures de transe : la métamorphose.

1 Ibid., p. 191.

~ 230 ~

b. La transformation — la métamorphose

#.1. Le prince olmèque

Ces figures d’origine olmèque montrent une posture
dite de transformation, c’est-à-dire une position du
corps induisant une transe où le sujet expérimente
une tranche de vie animale. D’après Felicitas, cette
posture provoquerait une conséquente dépense
d’énergie (se manifestant par une forte sensation de
chaleur) pour maintenir l’animal de manière stable ; si
cela n’est pas le cas, une série d’animaux se succèdent
pendant la séance. Une participante (Hanna,
Cuyamungue, août 1987) raconte comment elle s’est
transformée en grenouille et comment le paysage
avait du mal à se maintenir stable et se modifiait sans
cesse. Voici quelques récits d’expériences de ce vécu1 :

Une femme : « J’étais un chat, peut-être un lion, et
puis je me suis dit que j’aimerais mieux devenir une
grenouille. Je devins donc grenouille. J’avais une
mare pour moi toute seule ! »

Une autre femme : « Il y avait de la lumière qui
venait d’en face. J’attendais quelqu’un qui vint et me
jeta de la viande crue. J’ai commencé à la dévorer. Je
ressemblais à un chat avec une longue queue. »

1 Felicitas Goodman, « Les postures de transe chamanique »,
in : Gary Doore, La voie des chamans, p. 75.

~ 231 ~

Marie-Thérèse (cf. supra, Strasbourg, 1996) : « Tout
était immobile, puis j’ai pris conscience de
l’omniprésence du vert autour de moi : de très
grandes feuilles d’une végétation tropicale parsemée
de gouttelettes d’eau luisantes. Je sentais sur mon dos
des gouttes fraîches tomber de temps en temps et j’ai
alors réalisé que j’étais un serpent, vert également,
paresseusement couché dans la verdure moite. J’ai
baillé en fermant les yeux, mais je continuai à voir la
végétation à travers des sortes d’opercules
translucides. J’étais bien, là, me fondant
mimétiquement, vert dans le vert, en toute sécurité. »

Un professeur suisse s’est ainsi trouvé guéri d’une
intense phobie des serpents. Il raconte :

« Je me suis transformé en serpent... Je n’imaginais
pas, auparavant, à quel point les serpents pouvaient
être fragiles, vulnérables et délicats. Pendant ma
métamorphose, j’avais tout le temps peur que
quelqu’un ne vienne mettre le pied sur moi et me
brise la colonne vertébrale. »1

1 Felicitas Goodman, Wo die Geister auf den Winden reiten, p.
203.

~ 232 ~

36 : basalte, Necaxa, Puebla, Mexico, olmèque, 1100 à 600 av.
J.C.

37 : basalte, Huimanguillo, La Venta, Tabasco, Mexico, olmèque,
1100 à 600 av. J.C.1

Figure VIII-9 : posture de transformation - le prince olmèque
(Mexique)

1 Source : Goodman.

~ 233 ~

#.2. Le jaguar tatoué

Cette figurine olmèque (800 à 600 av. J.C. —
origine : La Venta, Mexico) représente clairement un
jaguar. D’après Felicitas, cette posture ne donne pas la
sensation de se transformer directement en animal,
mais plutôt la sensation de présence et de force de
l’esprit du jaguar qui induit une transformation.

38 : La Venta, olmèque, 800 à 600 av. J.C.1
Figure VIII-10 : posture de transformation - le

jaguar tatoué (Mexique)

1 Source : Goodman.

~ 234 ~

Ursula (Suisse, 1985) : « Mon pouls bat fort (...). Je
suis assise sur une terre rouge et je m’allonge. Il y a
un trou dans le sol, rempli d’eau et quelque chose y
tombe. Cela crée des ondes qui se transforment en
gros tourbillon et je suis attirée à l’intérieur et je
tourne jusqu’à ce que je me transforme moi-même en
tourbillon. Tout à coup, mes pieds, mes cuisses et
mon ventre deviennent très chauds et j’ai une
fourrure de loup. Mon visage a une gueule de chien
et je me sens bien. (...) Je vois à côté de moi une
grande forme, c’est une louve, ma mère et il y a
d’autres louveteaux autour. »1

1 Ibid., p. 208.

~ 235 ~

#.3. La déesse du maïs

42a : déesse du maïs aztèque, Lava, centre du
Mexique.1

Figure VIII-11 : posture de transformation -
la déesse du maïs (Mexique)

Cette posture trouvée sur une représentation
aztèque est aussi une posture de transformation et,
d’après l’expérience de Felicitas Goodman, l’intensité
du vécu serait plus faible : il serait donc plus difficile de
se transformer et encore plus difficile de maintenir la
forme animale ainsi obtenue. Les sensations des sujets
rapportent des transformations en éléphant, loup,
panthère, oiseau et serpent mais aussi insectes et plus
souvent plantes.

1 Source : Goodman.
~ 236 ~

39 : Chalchihuitlicue, déesse aztèque de l’eau et de
la fécondité.1

Figure VIII-12 : posture de transformation : la
déesse aztèque de l'eau

#.4. Chalchihuitlicue

La déesse de la fertilité et de l’eau chez les Aztèques
et la femme du dieu de la pluie.

C’est une posture de transformation où l’on se
retrouve le plus souvent dans l’eau et l’on se
transforme en poisson. Les vécus y sont semblables à
ceux de la posture du prince olmèque.

1 Source : Goodman

~ 237 ~

#.5. Le chaman chantant

Cette posture procure la sensation de grandir ou de
s’étendre ; on a l’impression d’être en hauteur, au
sommet d’une montagne. On y voit de très beaux
paysages

46a : terre cuite, Cochiti Pueblo, Nouveau Mexique,
contemporain

46b : calcaire, Nouvelle Guinée
46c : bois, Pitiliu Mélanésie.1

Figure VIII-13 : le chaman chantant (Nouveau
Mexique, Nouvelle-Guinée, Mélanésie)

1 Source : Goodman.

~ 238 ~

#.6. L’appel des esprits

47 : pierre, La Venta, olmèque, 800 à 400 av. J.C.1
Figure VIII-14 : l'appel des esprits (Mexique)

Les plus anciennes figurations de cette posture
datent du néolithique. On devient très grand et on se
transforme en une grande colonne, en une montagne
ou en un arbre. C’est le pilier du monde, l’arbre du
monde. Le sujet se retrouve ensuite environné
d’esprits.

1 Source : Goodman.

~ 239 ~

c. La divination1

#.1. La posture de Cholula

La posture que Felicitas appelle « la voyante de
Cholula » ouvre à une transe permettant la divination.
Le nom de cette posture — « voyante de Cholula » —
est liée au fait que des statuettes montrant cette
position ont été trouvées à Cholula, dans une
pyramide précolombienne, dans un des anciens
centres religieux d’Amérique Centrale. Ces statuettes
datent d’environ 1350 après J.C.

Lorsqu’elle se manifeste pendant la transe, la
divination peut être liée à une demande formulée
explicitement comme dans le cas de Belinda
(Columbus, 1987) ci-dessous. Elle est thérapeute et se
donnait beaucoup trop à son travail, à son propre
détriment :

« J’ai posé une question quant à ma santé et j’ai
alors vu un tuyau rouillé dans ma gorge. Puis j’ai
entendu quelqu’un répéter sans cesse : ‘‘Tu en fais
trop, tu en fais trop.’’ J’ai ensuite vu des taureaux

1 La divination n’est pas entendue ici comme technique pour
connaître son futur. Felicitas Goodman la définit ainsi : ce sont
les informations cachées au questionneur et qui lui sont
délivrées pendant la transe. Chaque posture de divination est
différente et est à choisir selon les besoins du moment.

~ 240 ~

apparaître, des milliers de taureaux dans une course
éperdue. Je les ai priés d’arrêter de courir et ils se
sont alors arrêtés et couchés dans l’herbe. Tout est
devenu calme et silencieux alors et j’ai entendu une
voix disant : ‘‘Tu dois modifier ton histoire.’’ »1

Nancy ne supporte plus son travail en milieu médical
: elle est environnée d’hommes et se plaint de s’y sentir
seule et sans soutien. Voici son expérience avec la
posture de Cholula (Columbus, 1987) :

« J’ai vu un filet avec plein de mailles déchirées que
j’ai entrepris de réparer et alors des étincelles en ont
jailli. Puis est apparue une vache blanche gigantesque
et j’ai grimpé dans sa fourrure douce et chaude. Nous
sommes ainsi allées de montagne en montagne. Je lui
ai demandé ce que je devais faire. Elle m’a répondu :
‘‘Tu trouveras bien quoi faire’’. Ensuite, elle m’a
ramené au point de départ et j’ai alors commencé à
me plaindre de cela. ‘‘Arrête de grogner et de
geindre !’’ m’a-t-elle soufflé. »2

Les perceptions reçues dans la transe de Cholula ne
sont pas toujours claires, pas plus que ne l’étaient les
révélations de la Pythie ou d’autres augures. Ce sont là
les aléas de la divination. Mais ce qui est ainsi reçu est
souvent plein d’enseignements métaphoriques à

1 Felicitas Goodman, op. cit., p. 153.
2 Ibid., p. 152.

~ 241 ~

décrypter — comme souvent pour les autres postures
de transe, d’ailleurs.

17 : terre cuite originaire de Cholula, Mexique,
précolombien.1

Figure VIII-15 : posture de divination - Cholula
(Mexique)

1 Source : Goodman.

~ 242 ~

#.2. L’homme de Tennessee
Cette posture est spéciale dans la mesure où elle sert

uniquement à questionner « l’homme de Tennessee »
pour obtenir des informations concernant les rituels à
accomplir. Selon Felicitas, elle permet donc de savoir
quel rituel faire, quand, où, dans quelles conditions,
avec quoi, etc. C’est une posture utile et pratique et
d’une haute importance sur le plan cérémoniel.
L’homme de Tennessee répond de manière bourrue à
toute question banale concernant la vie de tous les
jours ; il peut aussi se montrer indifférent voire
désagréable. Cependant, lorsqu’il est sollicité pour des
questions rituéliques, il devient très disert et offre de
nombreux détails et compléments.

~ 243 ~

16 : pierre, vallée de Cumberland, Comté de
Rhea, Tennessee, 1300 à 1700 av J.C.1

Figure VIII-16 : posture de divination -
l'homme de Tennessee (États-Unis)

#.3. La posture de divination (mallam) Nupe

Son origine : ethnie Nupe, sud du Sahara. C’est la
première posture que Felicitas a expérimentée et c’est
aussi celle qui a fait l’objet de tests à l’hôpital de
Munich. Elle conduit à une transe profonde. Il s’agit
d’une posture utile pour les questions d’ordre social,
de groupe. Souvent, lors de cette transe, on a le

1 Source : Goodman.

~ 244 ~

sentiment d’être transporté par une sorte de spirale ou
de tourner sur soi-même et l’on se voit « ouvert » par le
haut. La compréhension de la situation, la réponse,
vient suite à une sorte de déchirement d’un voile.
Cette posture montre des images du passé, éclaire des
événements de l’enfance qui sont importants pour
comprendre le présent. On y perçoit généralement

2 : voyant-guérisseur

Figure VIII-17 : posture de divination (Afrique)

une lumière bleutée remplissant le champ visuel ou
sous forme de points.

~ 245 ~

d. Les postures de voyage en esprit / voyage
chamanique

#.1. Voyage dans le monde d’en haut

C’est là une des postures de voyage chamanique.
Elle peut induire des vols et des expéditions dans les
airs, ou des OBE, ou des contacts avec des êtres ailés
ou des dieux. Voici quelques récits.

Eva (Autriche, 1983) : « Il y avait un grand oiseau
au-dessus de moi qui me tenait entre ses serres et
nous volions ainsi. C’était tout à fait extraordinaire et
très beau à vivre. Puis j’ai eu envie de voler par moi-
même et l’oiseau m’a lâchée. J’ai alors ressenti des
réactions physiques extrêmement intenses pendant
que je volais en cercles de plus en plus étroits. »1

Isi (Cuyamungue, 1986) : « J’ai d’abord eu peur
parce que je me suis sentie si légère et que j’avais
perdu le contact avec le sol. Mais c’est allé si vite et je
me suis retrouvée volant dans le ciel. J’ai vu la Terre
sous moi et puis l’ombre d’un grand oiseau. Puis j’ai
compris que l’oiseau, c’était moi. (...) J’ai fait
quelques cabrioles. (...) Puis, je suis arrivée à une
étoile qui était en fait une porte derrière laquelle il y
avait une forte lumière. Je l’ai passée et je me suis
retrouvée devant une statue qui n’avait pas de tête.

1 Ibid., pp. 111-112.

~ 246 ~

Tout autour il y avait beaucoup de lumière. Et il y
avait des gens qui dansaient et tous semblaient très
heureux. »1

La peinture rupestre page suivante représente la
plus ancienne figuration connue de posture de
voyage chamanique dans le monde d’en haut. Elle
date de 14 000 ans et c’est le chaman peint dans la
célèbre grotte de Lascaux. Il est à noter qu’il porte un
masque d’oiseau, symbole même du vol et un sexe
érigé, symbole de la forte énergie vitale activée par la
posture.

1 Ibid., pp. 112-113.

~ 247 ~

La figure de Lascaux1

Dans le vol chamanique, l’oiseau symbolise l’esprit,
les âmes des morts (les oiseaux perchés sur les
branches de l’Arbre du Monde sont les âmes des

Figure VIII-18 : posture de voyage - peinture de
Lascaux (France)

défunts dans les mythologies d’Asie Centrale, de
Sibérie, d’Indonésie), les âmes des Ancêtres. Les
chamans utilisent souvent l’image de l’oiseau pour

1 Source : Goodman

~ 248 ~

symboliser leur vol vers les branches de l’Arbre du
Monde et en ramener les âmes de défunts. Pour
Éliade, le vol chamanico-magique a une fonction
magique universelle et il donne un immense pouvoir,
une « condition surhumaine » à celui qui le maîtrise :
« ... la liberté de se mouvoir impunément dans les trois
zones cosmiques et de passer indéfiniment de la “vie”
à la “mort” et vice versa, exactement comme les
“esprits” (...) »1

Cette figuration de l’oiseau perché sur un bâton se
retrouve sur la peinture rupestre représentant le
personnage de Lascaux. L’oiseau y est perché sur un
bâton. Voici le sens qu’en donné Mircéa Éliade :

« L’oiseau perché sur un bâton est un symbole
fréquent dans les milieux chamaniques. On le
retrouve, par exemple, sur le tombeau des chamans
yakoutes. Un tàltos hongrois “avait un bâton ou un
pieu devant sa hutte et un oiseau était perché sur ce
bâton. Il envoyait l’oiseau là où il devait aller”2. On
voit déjà un oiseau perché sur un poteau dans le
célèbre relief de Lascaux (homme à la tête d’oiseau)
dans lequel Horst Kirchner a vu la représentation

1 Ibid., p. 374.
2 G. Ròheim, Hungarian Shamanism, p. 38 ; cf., id., Hungarian
and Vogul Mythology (« Monographs of the American
Ethnological Society », XXXIII, New York, 1954), p. 49 et
suivantes.

~ 249 ~

d’une transe chamanique. Quoiqu’il en soit, il est
certain que le motif de l’“oiseau perché sur un
poteau” est extrêmement archaïque. »1 2

La liaison oiseau-sur-bâton / vol chamanique semble
donc être extrêmement ancienne (les peintures de
Lascaux datent de 14 000 ans, ce qui semble bien
montrer que ces connaissances chamaniques étaient
déjà bien intégrées à cette époque).

Une autre figuration de cette posture de voyage
dans le monde d’en haut se retrouve en Égypte :

Cette illustration d’Osiris apparaît 12 000 ans après
celle de Lascaux et montre le même angle de 37
degrés. La posture est un peu différente puisque l’on y
voit le bras droit d’Osiris pointé vers le haut dans le
prolongement du corps. D’après les textes égyptiens,
Osiris a été mis en pièce par Seth et reconstitué par sa
mère et ses sœurs, après quoi il est allé au ciel avec les
autres dieux. Ces thèmes sont des thèmes
chamaniques (morcellement, reconstitution, montée
au ciel...). D’après Felicitas, Osiris serait une

1 Mircéa Éliade, op. cit., p. 374.
2 Ce thème de l’oiseau sur le bâton se trouve peint sur une
paroi ce la grotte de Lascaux en relation avec un personnage.
C’est ce dessin qui a incité Felicitas Goodman à essayer la
posture représentée et l’expérience qui en a découlé est décrite
par elle comme un voyage dans le monde d’en haut, car ses
sujets ont décrits un vol dans le ciel.

~ 250 ~


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