représentation chamanique et elle pense que la
peinture de Lascaux et cette représentation d’Osiris
ont une parenté certaine. Ce qui l’étonne, c’est le laps
de temps qui les sépare et le fait que les cultures soient
si différentes. Quelle en serait la filiation ? La posture a
dû être très répandue sur le pourtour méditerranéen,
pense-t-elle.
Ce qu’elle trouve de fantastique dans ces postures
de transe, c’est que l’être humain actuel puisse faire
l’expérience de pratiques vieilles de plus de 15 000
ans. Ce qui nous rapproche de ces humains, nos
ancêtres.
5 : Osiris-Res ou l’« Osiris-ressuscitant ».
Figure VIII-19 : posture de voyage (Égypte)
~ 251 ~
#.2. Voyage dans le monde d’en bas (1) : la posture
jivaro
11 : terre cuite de Ursula Straub, Berne, Suisse.1
Figure VIII-20 : posture de voyage (origine :
Amérique du Sud)
Tout d’abord, il faut préciser ici qu’il n’y a pas de
connotation négative dans ce « monde d’en bas » par
1 Source Goodman. Terre cuite créé par Ursula Straub. Posture
découverte par Michael Harner en Amérique du Sud, Équateur,
chez les Jivaro.
~ 252 ~
rapport au « monde d’en haut ». Monde d’en haut et
monde d’en bas sont des lieux avec des
caractéristiques différentes et complémentaires. Il y a
là plutôt une différenciation de localisation et
d’éléments : le monde d’en haut correspond aux
éléments air et éther, le monde d’en bas correspond
aux éléments terre, eau et feu. Dans le monde d’en
bas, il y a des paysages, des végétaux, des animaux,
des symboles et aussi le monde des morts — non pas
enfer ou purgatoire, mais demeure des esprits des
ancêtres. Monde d’en haut et monde d’en bas sont,
dans les cultures chamaniques, des lieux où sont
donnés les différents aspects des initiations et des
enseignements (par exemple Nungari, la partie du
monde d’en bas où le chaman aborigène apprend les
secrets de l’art de guérir).
Voici le récit de Joseph (Cuyamungue, 1986) :
« Je me suis enfoncé dans la montagne, puis j’ai été
la montagne. J’étais un volcan éteint et je me
chargeais en énergie. J’ai ensuite éclaté et je suis sorti
sous forme d’énergie rouge. Puis, je me suis de
nouveau retrouvé dans la montagne. Et là je dansais,
toujours plus vite et le rythme du hochet s’accélérait
~ 253 ~
aussi. Je devais faire attention où je dansais pour ne
plus retomber dans le volcan. »1
#.3. Voyage dans le monde d’en bas (2) : la posture
sami
Cette posture induit une sorte de voyage
chamanique.
Barbara (1985, Cuyamungue) : « Dès que j’ai pris
la posture, les images sont arrivées avant même que
le rythme commence. J’étais dans un paysage
magnifique. Devant moi il y avait un mur avec une
maison en adobe avec une porte. De cette porte est
sorti un insecte noir, puis un deuxième. Puis une
antilope, et plein de gens à la peau foncée (...). Tout
à coup arrive un personnage très lumineux. J’ai peur
et il disparaît. Je regarde en hauteur et au-dessus de
moi il y a une magnifique ouverture dans le ciel. »2
Le thème de l’eau revient souvent :
Claudia (Utrecht, 1987) : « Ma tête est devenue très
lourde, comme s’il y avait beaucoup de sang à
l’intérieur et la respiration est devenue difficile. Je suis
devenue un poisson ou un squale, grand et massif, et
1 Felicitas Goodman, Wo die Geister auf den Winden reiten, p.
124.
2 Ibid., pp. 118-119.
~ 254 ~
10 : chaman lapon (Sami) (d’après Scheffer, Magicus
Sacer der Lappen, 1673 (Oppitz, 1981, 275))
Figure VIII-21 : posture de voyage sami (origine :
Laponie)
je nageais dans l’océan. Avant, j’ai vu une cascade
avec des saumons. J’avais du feu dans les mains,
mais en fait je n’avais pas de mains, elles étaient
complètement déformées. »1
#.4. L’homme de Cuautla
Elle semble plutôt induire une expérience de voyage
souterrain.
Vrenie (Suisse, 1987) : « Je suis arrivée à un rocher
et il y avait une entrée et un escalier en spirale qui
montait. Je devais monter mais c’était difficile. Il m’est
poussé des ailes et je pouvais donc m’envoler ; des
1 Ibid., p. 119.
~ 255 ~
tourbillons m’ont emmenées. Ensuite, j’étais un
oiseau et j’étais perchée sur la rampe de l’escalier. »1
Ursula (Suisse, 1987) : « Il faisait sombre. À ma
gauche, il y avait des pierres formant un mur et à côté
un fossé. J’ai vu une ouverture dans le sol, sombre, et
je ne voulais pas y aller. Je me suis demandée ce que
cela signifiait. Alors, une ombre est sortie de
l’ouverture, y est retournée, puis ressortie ; plusieurs
fois de suite. Je suis finalement descendue, il y avait
un escalier et de temps en temps, l’ombre était
devant moi. Nous sommes arrivés devant une tortue
en pierre qui est tout à coup devenue vivante. Des
yeux de pierre sont apparus qui sont aussi devenus
vivants. L’ombre devant moi avait une tache rouge sur
la poitrine qui s’est éclairée et tournait. Je suis enfin
arrivée dans une salle avec une coupole et le volume
de la maracas est devenue très fort. Les tortues de
pierre et les serpents de pierre voulaient tous sortir
mais ils devaient monter l’escalier et ils sont allés très
vite. Il a fait chaud, j’ai vu le ciel et des lumières
solaires et là, il y avait de nouveau des ombres
debout près du mur. »2
1 Ibid., p. 283.
2 Ibid., p. 284.
~ 256 ~
11 : terre cuite, l’homme de Cuautla, Mexique1
Figure VIII-22 : posture de voyage - l’homme
de Cuautla (Mexique)
La plupart des personnes font ainsi un voyage dans
les profondeurs de la terre, dans une ou des grottes.
1 Source : Goodman.
~ 257 ~
Felicitas met les visions de cette posture en relation
avec le Popol Vuh où il est question de grottes
souterraines où sont figurées des tortues et des
serpents et le puissant jaguar.
#.5. Laussel, la Vénus à la corne
Dordogne, 28 000 ans.
12a : Laussel, France, la Vénus à la corne1
Figure VIII-23 : posture de voyage initiatique -
la vénus à la corne (France)
1 Source : Goodman.
~ 258 ~
Ruth (Columbus, 1990) : « Il m’a attrapée par les
cheveux et m’a attirée dans un tunnel. Je devenais de
plus en plus fine, n’avais bientôt plus d’os et n’avais
plus de substance. On aurait pu m’étirer comme un
chiffon et c’est ce qu’il a fait et puis il a noué une
corde dans mes cheveux et m’a ainsi attachée à un
cheval. Il a galopé dans la steppe jusqu’à un village.
Je me retrouvais ensuite dans un récipient qui se
remplissait de fumée blanche qui s’échappait vers le
haut. On m’a retirée de là et allongée dans une
tombe ouverte creusée dans la steppe. On a mis une
couverture sur moi, retenue par des piquets aux
quatre coins. Dans la tombe, j’ai perçu beaucoup de
lumière, des rayons lumineux et ensuite je me sentais
enroulée dans une chaude couverture de lumière.
Pendant tout ce temps, l’homme se tenait derrière
moi et me soufflait dans le crâne et ma forme
physique est revenue. Il y avait aussi un petit animal
qui me soufflait sur les doigts et aidait l’homme pour
m’aider à recouvrer mon apparence. Ça a duré
longtemps et pendant tout ce temps, j’étais entourée
de lumière. Subitement, c’était terminé et je sortis du
trou et dehors il faisait très clair, comme si c’était le
matin. J’étais dans la steppe et j’entendais une
instruction qui me disait : “Maintenant, suis le chemin,
suis le chemin.” Quand le rythme s’est arrêté, j’étais
emplie de bonheur et pleurais de joie. »1
1 Felicitas Goodman, Trance, der uralte Weg zum religiösen
Suite de la note page suivante
~ 259 ~
D’autres personnes ayant expérimenté cette posture
ont aussi raconté ce vécu initiatique. La corne que la
Vénus tient dans la main est une sorte d’instrument de
pouvoir qui irradie de l’énergie et qui assure le bon
retour dans le monde matériel. Felicitas utilisait des
cornes en carton pour symboliser cet aspect de la
figure.
#.6. La posture de Galgenberg
13 : statuette féminine de Galgenberg1
Figure VIII-24 : posture de voyage cosmique
(Allemagne)
Erleben, p. 56.
1 Source : Goodman
~ 260 ~
Cette sculpture préhistorique (aurignacien) est datée
de 30 000 avant notre ère et a été découverte en
1988 par l’archéologue Christine Neugebauer-
Maresch. Felicitas a noté que son bras levé fait un
angle de 37° avec la verticale de son corps ce qui la
rapproche de la posture de Lascaux et c’est d’ailleurs
aussi une posture de voyage, mais contrairement à
celle de Lascaux qui entraîne le sujet dans le monde
d’en haut, la posture de la figure de Galgenberg
emmène dans le cosmos d’après les expérimentations
de 1989 à Columbus.
La posture est difficile à tenir (j’ai moi-même
demandé à un de mes sujets de la prendre et au bout
de deux minutes, il a fallu arrêter la séance : c’était trop
douloureux), elle est fort désagréable et entraîne une
sensation de très forte chaleur.
Une participante (Columbus, 1989) : « Je sortais
régulièrement de la transe car j’avais extrêmement
mal. Je voulais laisser tomber mon bras et j’avais
aussi tellement chaud que j’avais la sensation de ne
pas pouvoir le supporter. »1
Belinda (Columbus, 1989) : « Je voulais sortir de
mon corps car je pouvais voir les étoiles au-dessus de
moi et je voulais être parmi elles. Mais je ne savais
pas comment y arriver. À ce moment, le son de la
1 Ibid., p. 67.
~ 261 ~
maracas s’est transformé dans le rythme de l’acte
sexuel (...) et j’ai été éjectée de mon corps. La nuit du
cosmos et les étoiles étaient magnifiques et tout était
énorme. Je me suis longuement promenée là-bas. »1
Parfois apparaît l’Arbre du Monde :
Joanne (Columbus, 1989) : « J’ai regardé mon bras
et c’était une branche. Elle a ensuite commencé à
pousser et mes doigts se sont transformés en vrilles et
ont poussé vers le ciel. En observant cela, je voyais de
minuscules humains qui grimpaient le long des vrilles.
Je me suis jointe à eux et je suis montée jusqu’au
premier étage, là où sont les nuages et je m’y suis
reposée. Puis j’ai continué à monter et je me suis
rapprochée de la lune qui était violet foncé. Et les
vrilles ont embroussaillé la lune et ont poussé jusqu’à
recouvrir tout le système solaire et il m’est apparu que
l’arbre possédait une infinité de ces vrilles qui
poussaient maintenant dans la galaxie pour en
définitive envahir tout l’espace. »2
Felicitas, après interprétation des récits de transe
concernant cette posture de Galgenberg, infère que
certaines activités humaines peuvent influer sur la
trame cosmique et que le chaman a pour rôle, entre
autres, de réparer ces altérations de manière à ce que
1 Ibid., p. 69.
2 Ibid.
~ 262 ~
l’énergie cosmique puisse à nouveau circuler et
imprégner les humains. Cette tâche ne peut être
correctement accomplie que si le chaman parcourt le
cosmos, traverse le monde des morts, escalade l’Arbre
du Monde et arrive enfin dans le lieu où il pourra
rétablir l’ordre initial. L’acte qui met ainsi l’ordre
cosmique en danger semble être le non-
accomplissement répété d’un rituel important. Ce
thème d’ordre cosmique ou d’ordre de l’univers se
retrouve dans de nombreuses cultures. Pour n’en citer
qu’un exemple chez les Aïnou du Japon :
« ... la pensée aïnou voulait que le monde des dieux
soit complémentaire du monde des hommes, le bon
ordre de l’univers nécessitant la coopération des
hommes et des dieux qui nomment eux-mêmes le
monde des hommes : “le berceau des dieux”. »1
Ce thème mythique est revécu dans la transe et
Felicitas en conclut que le déroulement du temps dans
la transe est différent de celui de notre univers
habituel et qu’en conséquence le mythe peut y être
directement vécu.
1 Jacques Lemoine, « Les Aïnou », in : Ethnologie Générale, pp.
994-995.
~ 263 ~
#.7. Le voyage vers le monde des morts
49 : figure masculine en bois, Nouveau Mexique, 1300ap. J.C.
50 : figure féminine en bois, retrouvée avec la figurine précédente
51a : figurine en pierre, Regnitz près de Bamberg, Allemagne
51b : argent et or, Kanis près d’Ankara, est de l’Anatolie, 2000 av.
J.C.1
Figure VIII-25 : posture de voyage dans le monde des
morts (Nouveau-Mexique, Allemagne Anatolie)
1 Source : Goodman.
~ 264 ~
Cette posture se retrouve en Amérique Centrale, au
Sahara du Sud, en Polynésie, en Europe Centrale et
dans l’est de Anatolie.
Voici un récit qui illustre cette posture :
Bernie (Cincinnati, 1987) : « Cela s’est bien passé,
ce fut une expérience épuisante. Dès que j’ai pris la
posture et que j’ai entendu la maracas, tout s’est
passé naturellement. (...) J’ai d’abord été assez
effrayé, j’ai eu une sensation de froid et, en même
temps, j’ai su comme si j’étais malade, même mort, et
je suis devenu un cadavre. J’ai erré dans un paysage
plat, immense et froid, les arbres n’avaient pas de
feuilles, il y avait de la neige qui tombait et j’ai suivi
ce chemin. Je suis arrivé devant un amoncellement
d’ossements et de peau (...). Et là, le paysage s’est
transformé et il était maintenant totalement recouvert
d’os. Près de l’amoncellement, il y avait une fosse très
sombre et dans l’obscurité il y avait de petites
lumières, c’était des esprits. (...) Je voulais entrer dans
cette fosse et ce qui m’a étonné, c’est que pour y
entrer, je devais non seulement enlever mes habits,
mais aussi ma peau, ma viande et mes os, tout, pour
que je puisse pénétrer dans ce lieu des esprits. J’étais
prêt à faire cela. Au début de la transe, j’avais
demandé l’aide de l’esprit de l’ours et lorsque je me
suis retrouvé dans la fosse, j’ai été complètement
reconstitué et habillé de la chaleur de l’ours : c’était
la peau et les os de l’ours. Je ressentais une intense
sensation de force et c’est cela qui m’a le plus
~ 265 ~
impressionné, cette sensation de force dans le vrai
sens de force physique. Cette force m’a aidé à sortir
de la fosse, de retour dans le froid, mais accompagné
d’une forte chaleur, de force et de lumière. La lumière
est difficile à décrire, c’était plutôt plusieurs lumières,
et je me suis senti bien. »1
D’après Felicitas, ce récit raconte une mort et une
renaissance avec une visite dans le monde des morts.
Les autres participants n’ont pas sollicité l’aide d’un
esprit et n’ont pas vécu ce type de scénario, mais
seulement des éléments de celui-ci ou le début de la
procédure (mort / monde des morts / renaissance)
comme s’il leur manquait une aide, un esprit tutélaire
pour pouvoir réaliser le passage et le retour. Le récit
suivant l’illustre.
Bill (Cincinnati, 1987) : « Dès que le rythme a
commencé, j’ai senti une force qui me poussait aux
épaules. C’était comme un vol et je suis devenu un
oiseau. Tout à coup sont apparus un ours, un loup et
un bison et beaucoup d’yeux et de museaux. Tout
s’est assombri et au-dessus de moi se trouvait un trou
par lequel je pouvais voir le ciel. Autour de moi il y
avait des murs avec des trous dedans. La lune s’est
levée (...) et il n’y avait pas de vent ; c’était une nuit
calme. Je voulais sortir de ce trou mais je ne pouvais
1 Felicitas Goodman, Wo die Geister auf den Winden reiten,
pp. 241-242.
~ 266 ~
pas. Au-dessus de moi est apparu un œil qui voulais
être mon guide. J’ai alors commencé à me balancer,
au rythme de ma respiration. J’ai voulu arrêter, mais
cela n’allait pas. »1
Felicitas pense qu’il s’agit là d’une posture qui donne
au mourant, une fois arrivé à la fosse qui signale le
monde des morts, la force de revenir vers les vivants
bien que sous une autre forme.
Je pense plutôt qu’il s’agit d’un processus de
purification du nouveau mort avant d’entrer dans le
monde des morts. Car les vivants ont peur des morts,
ils n’aiment pas les voir croiser dans leur entourage.
#.8. Le guide vers l’au-delà — psychopompe
Posture connue au Sud du Sahara, en Amérique
(Côte Nord-Ouest). La figure 56b présente un trou qui
symbolise, d’après les récits locaux, « l’ouverture vers le
ciel » par lequel on peut accéder à l’aide d’une échelle
(thème classique, cf. Éliade).
Cette posture conduit le sujet à guider les âmes vers
le monde des morts. Après plusieurs expériences,
Felicitas s’est rendue compte que la posture devait être
accompagnée de sonorités vocales qui servent de
pilote aux morts, comme une sorte de fil conducteur
qui ouvre la voie. Jan (Columbus, 1987) :
1 Ibid., p. 243.
~ 267 ~
« Lorsque le hochet s’est mis en route (...), j’ai su
dès le début que quelque chose n’allait pas, que
quelque chose manquait : le son dont nous avions
parlé. Je me suis senti comme déchiré car aucun son
ne sortait de nous [du groupe]. (...) J’ai compris que
les sons servaient de guide pour les âmes des morts,
pour qu’ils trouvent leur chemin. Lorsque nous
prenons la posture, nous nous déclarons prêts à servir
de guide. (...) Pendant toute la séance, j’étais en
conflit avec moi-même : je devais émettre un son
mais d’autre part, je ne voulais pas déranger les
autres. J’ai alors commencé à danser, d’un pied sur
l’autre, dans le rythme du hochet et j’ai essayé de
produire des sons. Mais j’oubliais d’ouvrir la bouche.
Ma bouche était donc fermée et mon cœur se
chargeait d’énergie. J’ai emmagasiné toute cette
énergie de mort et ne l’ai pas relâchée. J’ai ensuite
enfin ouvert ma bouche et je me suis entendu, et
c’était comme avec le chaman chantant [la posture du
chaman chantant, cf. supra]. (...) L’énergie est
descendue dans les jambes, puis elle est remontée. À
la fin j’ai tout de même émis des sons. Et c’est alors
que la posture et les sons sont devenus un signal
dirigé vers l’autre réalité. Un signal appelant les
guides de l’au-delà afin qu’ils remplissent leur tâche.
(...) À la fin, nous avons tous compris comment faire,
même si ce n’était pas très réussi. On a pu sentir que
les Esprits comprenaient que nous ne savions pas ce
que nous faisions réellement, mais ils nous ont laissé
~ 268 ~
faire sans nous en tenir grief. Cependant, nous ne
devrons plus recommencer par la suite sans être
maître de ce que nous faisons. »1
1 Ibid., p. 254-255.
~ 269 ~
54 : terre cuite, Cochiti Pueblo, Nouveau Mexique, env. 1890
55 : bois, ethnie Akan, Côte d’Ivoire, Afrique, contemporain.
56a : fragment de maracas, sculpture sur bois colorée, côte nord-
ouest de l’Amérique, XIXème siècle
56b : poteau en bois, Kitwancool, Skeena River, Colombie
Britannique, env. 18701
Figure VIII-26 : posture psychopompe (Nouveau-Mexique,
Afrique, Amérique du Nord)
1 Source : Goodman.
~ 270 ~
e. La protection — la régénération — le
renforcement
#.1. Le bannissement des mauvaises influences
29 : le bannissement des mauvais influences1
Figure VIII-27 : posture de protection
Cette posture induit la perception d’un
environnement masqué, recouvert de fumée, de
1 Source : Goodman.
~ 271 ~
brume ou de nuages... Lorsqu’on traverse cet obstacle,
on se retrouve généralement dans la lumière et
accompagné d’esprits tutélaires comme la chouette,
par exemple.
Lors de ma dernière visite au Louvre, en mars 1998,
j’ai pu constater que cette posture était fortement
représentée sous forme de statuettes en albâtre dans
les civilisations de Sumer et d’Akkad.
#.2. Le serpent ailé
60 : bois, ethnie Bijogo (Bidyugo), Afrique de
l’ouest, contemporain1
Figure VIII-28 : posture de régénération et de
fertilité (Afrique)
1 Source : Goodman.
~ 272 ~
Cette posture semble être très ancienne et
particulièrement importante puisqu’elle symbolise la
régénération et la fertilité. Pendant la transe, on est
porté dans les airs par un serpent ailé ou par une
chenille, on se retrouve dans un cratère ou une fissure
et on se régénère ensuite, tel le phœnix.
#.3. Posture de renforcement
48 : bois, Maya, origine inconnue, 537 ± 120 ap.
J.C.1
Figure VIII-29 : posture de renforcement maya
Cette posture se retrouve également dans la culture
minoéiènne entre 2000 et 1700 av. J.C. ainsi qu’en
Perse et dans la Polynésie actuelle. Elle fait ressentir au
sujet l’intégration d’une énergie paisible et puissante.
1 Source : Goodman
~ 273 ~
#.4. Le pointage de l’os
C’est une posture d’origine australienne. Pour les
Aborigènes, la mort n’est naturelle que pour les
enfants et les personnes âgées ; un adulte d’âge
moyen ne peut mourir que par magie ou sorcellerie.
Le pointage de l’os est un rituel servant à venger une
telle mort en envoyant une arme mortelle invisible sur
le criminel.
4 : pointage de l’os, Australie (photo de Elkin,
1964, figure 18)1
Figure VIII-30 : posture d'agression (Australie)
Othmar (Suisse, 1984) : « C’était étonnant de sentir
comment ma main droite vibrait de plus en plus,
comme si elle était surchargée. Ensuite, ça s’est
1 Source Elkin, cité par Goodman.
~ 274 ~
calmé. Puis j’ai vu un petit arbre avec les branches
dirigées vers le bas et qui avait des aiguilles. À côté
de l’arbre il y avait un petit être, un nain, qui ne
bougeait pas. Le paysage était une steppe avec un
point d’eau dans lequel il y avait un squelette. (...) »1
Felicitas interprète ce récit de la manière suivante :
Othmar est la lance invisible et il cherche sa proie mais
il n’y a pas de cible désignée et Othmar n’avait de
toute manière aucune intention belliqueuse.
1 Felicitas Goodman, Wo die Geister auf den Winden reiten, p.
94.
~ 275 ~
f. La chasse
#.1. La posture de chasse
6 : Cowichan, côte nord-ouest de l’Amérique, broche, XIXème siècle
7a : dessin rupestre sur le chemin de Peñasco Blanco, Californie
7b : terre cuite, Cochiti Pueblo, Nouveau Mexique.
7c : dessin rupestre, Korgsta, Suède1
Figure VIII-31 : posture de chasse (États-Unis, Suède)
1 Source : Goodman.
~ 276 ~
Cette posture permet de connaître l’endroit où
chercher le gibier. Cette posture n’a plus de raison
d’être aujourd’hui où nous trouvons notre nourriture
au supermarché. Il n’est pas sûr que le chasseur
d’aujourd’hui — chassant plus par plaisir que par
nécessité — puisse avoir des informations pertinentes.
Cette posture se retrouve sur la côte Nord-Ouest des
États-Unis, en Californie, au Nouveau Mexique, en
Suisse sur un menhir, en Floride aux temps
préhistoriques, au Pérou, au Sahara, en Nouvelle-
Guinée, dans les îles du Pacifique... C’est en 1985 que
Felicitas pour la première fois et avec son ami Gerhard
utilisent cette posture à Cuyamungue, sans savoir à
quoi elle pouvait bien servir. Dès le début de la séance,
le magnétophone sur lequel elle avait enregistré le
rythme de la maracas pour pouvoir induire la transe
s’est détraqué et le volume montait et descendait sans
cesse, et cela était fort désagréable. Au bout d’un
moment, elle a voulu le contrôler, mais elle ne pouvait
plus bouger, elle était comme paralysée dans cette
posture.
Felicitas (Cuyamungue, 1985) : « Au début le
rythme était abominablement fort puis le volume du
son diminuait jusqu’à devenir presque inaudible, et
cela continuait ainsi, comme une sorte de grand huit.
Je voulais me tourner vers le magnétophone pour voir
ce qui n’allait pas mais j’étais comme clouée au sol et
ne pouvais pas bouger. L’enregistrement se calmait
~ 277 ~
enfin mais les quinze minutes étaient presque
écoulées. Mes épaules me faisaient horriblement mal.
Je n’avais rien vu mais j’avais l’impression de ne plus
être que deux paumes énormes, brûlantes et
rayonnantes. »1
Gerhard (Cuyamungue, 1985) : « Une ligne m’a
traversé ; le son de la maracas a commencé
violemment. Il y avait du pouvoir qui se plaçait dans
les mains. Mes mains grandissaient et la force s’y
écoulait. »2
Ce soir-là, Gerhard a manipulé des aiguilles de porc-
épic pour se confectionner un collier et Felicitas lui a
donné quelques aiguilles supplémentaires. Le
lendemain matin, au lever du soleil, ils font la posture
de l’homme de Tennessee et là, tous deux, vivent une
expérience de chasse : Felicitas vit la mort d’un animal
et Gerhard se voit révélé la fonction de la posture.
Après cela, dehors, le chien s’approche d’un fourré et
trouve un porc-épic immobile, prêt à se laisser attraper.
Coïncidence ou hasard ? Felicitas pense que la
manipulation des aiguilles de porc-épic, la veille, a pu
induire l’auto-offrande rituelle de cet animal.
Après la description de ces postures, il serait
intéressant de savoir combien de postures sont encore
1 Ibid., p. 96.
2 Ibid., p. 97.
~ 278 ~
en utilisation aujourd’hui, dans quels endroits et pour
quelles utilisations.
Nous ne savons pas non plus quelles sont les
modifications neurophysiologiques qu’entraînent ces
postures. Il semble que ce soit subtil. Y a-t-il un lien
avec les postures de yoga. Peu probable, pense-t-elle.
Concernant les chakras, Felicitas dit :
« À cette époque [fin des années 1970], on
attribuait nombre d’expériences mystérieuses à
l’influence des chakras que l’on connaît en Inde
depuis plus de mille ans. (...) Je me demandais si mes
sujets activaient ces chakras de manière diverse de
sorte que chaque posture générât un état de
conscience spécifique. Avec 7 chakras, on arriverait à
un total de 127 états de conscience différents. (...)
D’après mes recherches, qui s’étalent sur plus de dix
ans à l’heure actuelle, je n’ai découvert que 30
postures, non 127, et un seul état de conscience de
type religieux. Cette conclusion recouvre les
observations d’autres chercheurs. Par exemple Peters
et Price-Williams ont constaté que les aspects
expérienciels des différents états de transe
recouvraient un seul et unique processus
~ 279 ~
psychologique dynamique (“are descriptive of a single
dynamic psychological process” ; 1983 :61. »2
Une autre question se pose de savoir pourquoi
certaines postures étaient connues dans différents
endroits du globe au même moment. Communication
par l’inconscient collectif ? Informations annoncées
par les esprits ? Ou autre ?
Que cela fonctionne, cela semble sûr, mais le
comment et le pourquoi restent encore à découvrir.
Le plus grand mystère concerne certainement les
concordances entre les contenus des visions et les
postures. Certains récits ethnographiques racontent
des histoires similaires à celles vécues en transe (par
exemple le dépeçage initiatique en relation avec la
posture de l’ours, le vol avec la posture de Lascaux,
l’arbre du monde, le pont qui relie le monde des
vivants au monde des morts...). Une explication peut
être que les visions sont induites par notre système
nerveux qui est de même nature pour tous les
humains ou par notre patrimoine archétypal. De ce
fait, il ne serait pas étonnant d’y retrouver le même
genre de perceptions-visions — les archétypes sont
universels et ils se retrouvent en grand nombre dans
1 Peters, Larry G. et Price-Williams, Douglas, A
phenomenological overview of trance, Transcultural
psychiatric research review, 1983, 20, pp. 5-39.
2 Felicitas Goodman, op. cit., pp. 44-45.
~ 280 ~
ces expériences de transe. Felicitas Goodman pense
que les visions de transe ont pour origine le monde
invisible, l’autre côté, l’autre réalité (die andere
Wirklichkeit), et que les postures de transe sont un
accès à cette autre réalité que nous pouvons alors
percevoir. Les postures de transe ont changé la vision
du monde de Felicitas Goodman. Pour elle, le monde
des esprits est réel et il est indissolublement lié au
nôtre1. Elle pense que nous avons besoin des esprits
pour vivre et inversement. Sa pratique l’a transformée
en une sorte de chamane moderne, qui enseigne les
postures dans le monde entier, et elle est toujours
active malgré son âge avancé. Elle vit cet
enseignement comme une urgence, comme une
1 À ce propos, Felicitas Goodman précise : « Pourquoi le rituel
est-il si important ? C’est, pour les esprits, un moyen de
communication avec nous, les humains (...). Il ne se passe
aucune action religieuse sans rituel, c’est un fait qui est connu
dans les communautés religieuses. Le rituel est le pont que les
esprits empruntent pour venir dans notre monde. Pourquoi le
veulent-ils, cela n’est pas clair. Mais c’est certainement parce
qu’ils savent ce que nous avons oublié dans notre culture
occidentale, c’est-à-dire que le monde ordinaire et l’autre
réalité sont les deux aspects d’un même tout. Le monde est
entier uniquement lorsque les deux parties sont réunies, un
monde dans lequel la vie vaut la peine d’être vécue. Sans les
esprits, la vie humaine est pauvre, mais cela est vrai aussi de la
vie des esprits qui est également incomplète sans nous et notre
monde matériel. » Felicitas Goodman, op. cit., p. 85.
~ 281 ~
entreprise de sauvegarde du patrimoine de
l’humanité. Mais aussi comme la redécouverte d’un
monument cyclopéen oublié qui pourrait renaître en
quelque sorte grâce à une génération jeune tournée
vers le New Age. Car l’institution universitaire ne peut
la contenter : elle a subi une amère déception lors de
sa mise à la retraite, alors qu’elle avait encore
d’excellentes ressources pour enseigner et poursuivre
ses recherches.
Felicitas se demande pourquoi les postures de
transe ont quasi disparu. D’après ses réflexions, elles
seraient liées à un type culturel spécifique, et elle a
constaté que dans les cultures basées sur l’agriculture
intensive avec élevage de bétail, on ne les rencontrait
plus, bien que ces cultures connaissaient aussi la
transe religieuse, mais sous une autre forme. Il y a eu
un changement de paradigme lors de ce passage
culturel. Les religions basées sur l’agriculture ont fini
par domestiquer la terre : ces cultures sont basées sur
l’exploitation, la prédation. Elles détruisent le monde
après avoir détruit l’ancien monde. Les Navajos disent
que lorsque toutes les nations du monde ne parleront
plus qu’une seule langue, ce sera la fin. Et aussi :
lorsque plus rien ne sera sacré, les monstres
mangeront les hommes.
Pour Felicitas Goodman, les esprits se retirent de
plus en plus et notre univers spirituel s’appauvrit de
jour en jour. Ce qui subsiste aujourd’hui, ce ne sont
~ 282 ~
plus que quelques restes de cette richesse spirituelle à
laquelle nos ancêtres avaient accès. Et pour elle, avec
chaque conte, chaque mythe qui disparaît — parce
qu’il n’y a plus personne pour les raconter — c’est une
part de la possible compréhension de la transe qui
disparaît. De même, de nombreux indices ne sont plus
compréhensibles aujourd’hui car le patrimoine n’existe
plus qui aurait pu nous l’expliciter. Que signifie une
statuette sans le fond culturel qui la sous-tend ? Rien,
ce n’est plus qu’une œuvre d’art muette, un objet de
culte sans âme qui finit dans un musée, sur une
étagère d’un collectionneur privé, à l’image d’un poste
de radio sans pile et sans mode d’emploi. C’est à ce
triste constat qu’en vient Felicitas Goodman, et ce
constat est aussi avancé par d’autres ethnologues qui
tentent de protéger le peu de sociétés traditionnelles
qui subsistent encore, mais avec si peu d’espoir, face à
notre civilisation occidentale qui lamine toute culture
étrangère avec une obstination proportionnelle aux
profits financiers qu’elle en escompte.
Joan Halifax est également de cet avis :
« Il semble que nous soyons témoins de
l’effacement douloureux des dieux séculaires. Le
Zarathoustra de Nietzsche proclamait la mort de tous
les dieux et on peut apprendre chaque jour, dans les
rubriques nécrologiques, la disparition de divinités
locales liées à une culture occidentale qui s’étend sur
l’ensemble de la planète. Mais si les dieux
~ 283 ~
traditionnels sont de moins en moins nombreux, les
devins et prophètes des temps anciens sont toujours
vivants. Et pendant encore une décennie, deux peut-
être, nous pouvons embrasser toute l’histoire sacrée
de la planète, avant qu’elle ne se dissolve dans la
puissance de l’ère biochimique et transindustrielle qui
nous domine désormais : notre siècle sera le témoin
de la disparition de dizaines de milliers d’années
d’une histoire toujours vivante, mais menacée de
mort. Ainsi, en nous retournant sur notre héritage, en
étudiant les modes de vie que nous ont transmis les
prêtres guérisseurs de l’ère paléolithique, nous
cherchons à connaître leurs traditions et à retrouver le
fil conducteur de ces premiers visionnaires, tout en
sachant que la tradition chamanique, si elle doit
aujourd’hui renaître, devra inventer une autre
forme. »1
Après avoir présenté le travail de Felicitas Goodman
et décrit les différentes postures de transe, il convient à
présent de présenter les données et les résultats des
séries expérimentales de Felicitas Goodman.
1 Joan Halifax, Les chamans, pp. 30-31.
~ 284 ~
Les séries expérimentales de Felicitas
Goodman
Felicitas Goodman a conduit plusieurs séries de
recherches expérimentales1 sur ce thème des postures
de transe : six séries entre 1971 et 1976 (séries A) sans
utiliser les postures de transe et cinq séries entre 1977
et 1982 (séries B)2 avec les postures de transe.
Les séries A comportaient chacune 10 séances. Le
lieu était une salle de classe avec un tapis, les meubles
avaient été mis de côté pour avoir de la place, les
fenêtres avaient été assombries. Les sujets étaient
préparés psychologiquement à entrer dans un état de
conscience modifié positif. La transe était induite avec
un instrument indien : un hochet.
Les séries B se déroulaient de la même manière à la
différence de l’utilisation de postures qu’aucun
participant ne connaissait. Vingt-huit personnes ont
pris part à ces expériences dont dix-sept femmes et
onze hommes ; âge compris entre 24 et 45 ans avec
un étudiant de 19 ans et une enseignante retraitée de
plus de 60 ans ; comportant treize Américains (dont
1 Felicitas Goodman, Körperhaltung und die religiöse Trance —
eine experimentelle Untersuchung, Focus, Vienne, 1988.
2 Je les nomme « séries A » et « séries B » pour plus de
commodités.
~ 285 ~
trois Indiens), dix Autrichiens et six Allemands. Les
métiers : quinze étudiants, sept thérapeutes et six
employés. Dans la première des séries B, deux
participants ne sont pas entrés en transe, Felicitas a
donc introduit un exercice de respiration. Les lieux :
première série B à Columbus au domicile de Felicitas ;
deuxième série B dans un hôtel ; troisième série B dans
un centre bouddhiste en Autriche ; quatrième et
cinquième séries B à Cuyamungue au Nouveau
Mexique dans une Kiva.
Voici comment Felicitas procède : elle ne dit pas à
ses sujets à quoi est destinée la posture qu’elle leur fait
prendre. Après la transe, les sujets écrivent leur
ressenti, leurs rencontres, leurs visions. C’est en
collationnant ces informations que s’est
progressivement dégagé le profil de chacune de ces
postures.
Comment les postures de transe se prennent :
La transe a été induite, comme toujours avec
Felicitas, avec un hochet ; la durée de l’induction
sonore est de quinze minutes précédées d’une petite
relaxation respiratoire (50 inspir-expir). Voici, de
manière succincte, les observations recueillies.
La posture de l’ours :
— série 1B : en général, la sensation d’un courant de
chaleur allant de haut en bas a été ressenti par la
~ 286 ~
plupart des sujets ; avec aussi la sensation d’une
ouverture de la tête et de la poitrine.
— série 2B : on y relève le même genre de ressenti, une
sensation de chaleur intense chez les sujets de ce
groupe. Certains n’avaient plus une sensation exacte
de leurs dimensions corporelles : des déformations
multiples du corps se sont manifestées (par exemple,
un petit corps et des yeux immenses ou, pour un
autre, la sensation d’avoir des antennes d’insecte).
— série 3B : de nouveau cette intense sensation de
chaleur. Un participant a ressenti la pièce comme
étant démesurément grande ; un autre a senti cette
sensation de démesure dans son propre corps ; un
autre a eu peur, mais cette sensation s’est finalement
transformée en joie.
— série 4B : (ici la séance se déroule dans la Kiva) une
participante a vu deux danseurs indiens. Trois
participants n’ont rien ressenti.
— série 5B : sensation de chaleur encore. Un des
participants indiens s’est vu rapetisser puis la Kiva est
devenue immense ; elle avait quatre entrées aux
quatre points cardinaux et dans chaque se
mouvaient des esprits bienfaisants (Hilfsgeister).
Pour Felicitas, cette posture de l’ours est sans aucun
doute une posture de guérison. Le fait que le sujet
« s’ouvre », sente une force, puis ressente une
~ 287 ~
sensation de bien-être sont des indices qui vont en ce
sens.
Concernant mes propres expériences, j’ai aussi
remarqué cette sensation de chaleur intense qui
caractérise ces transes. Je reviendrai là-dessus plus loin
dans l’analyse de mes observations.
La posture de divination (devin Nupe) :
— série 1B : tous les participants ont vu une couleur
avec le bleu prédominant ; la moitié des participants
ont ressenti une stimulation dans la région de
l’estomac ; l’autre moitié, dans la région du cœur.
Une des participantes s’est vécue en tant que
clocher avec une sensation de savoir universel et
d’ubiquité. Une autre s’est sentie traverser un voile
et à eu accès à la Connaissance.
— série 2B : lumière bleue et jaune. Ici aussi, des
participants ont vécu une stimulation de la région
stomacale. Trois participants ont été « coupés en
deux ». Il y a aussi eu une sensation de tourbillonner.
— série 3B : perception de bleu ici aussi. Aussi
sensation de tourbillonner.
— série 4B : les couleurs bleu et blanc ont été perçues.
Une participante a senti comment cette lumière s’est
mise à tourner et l’a repoussée : à ce moment, elle a
« compris », sans savoir de quoi il retournait.
~ 288 ~
— série 5B : la couleur perçue est blanche chez deux
des sujets. Un des Indiens raconte : « On m’a appelé
et j’ai dit que je ne voulais pas sortir car je voulais
voir ce qui se passait dans la Kiva. Mais on continuait
à m’appeler et je suis donc sorti : il y avait là un être
sacré, grand et blanc qui me fit un cadeau : c’était
un rituel dont j’avais besoin. »
La posture du « chaman chantant » :
— série 1B : stimulation de la région du nombril et du
crâne. Peu de perceptions.
— série 2B : sensations dans la tête pour la moitié des
participants. (La bouche reste ouverte pendant cette
transe). Felicitas Goodman pense qu’en raison du
manque de spontanéité concernant le chant chez
les Occidentaux, la transe a provoqué des
mouvements corporels comme des ébauches de
danse pour contrebalancer le chant inhibé. Les
participants ont tous ressenti comme une sorte de
blocage et de frustration. Felicitas a donc décidé de
recommencer la séance en invitant ses sujets à
émettre un son avec la bouche. Les sujets ont vécu
une sorte de libération : certains ont senti comment
leur corps se transformait en instrument de musique.
D’autres avaient toujours envie de danser et ils
pouvaient maintenant « se déplacer » sans entrave,
marcher, tourner, sautiller, se balancer d’avant en
arrière.
~ 289 ~
— série 3B : suite à la série 2B, Felicitas a tout de suite
conseillé aux sujets de chantonner et de se déplacer
d’avant en arrière. Ils ont ressenti des vibrations dans
la tête et l’impression de vivre un rythme d’une
intense beauté.
— série 4B : ce groupe n’a pas chantonné et les
expériences ont été de nature visuelle. Deux ont vu
une lumière claire, les autres ont vu des images.
— série 5B : ce groupe n’a pas chantonné non plus. Les
participants ont vu des danseurs dans la Kiva ou ont
eux-mêmes dansé (dans leur perception intérieure).
Commentaire de Felicitas : les relations entre la
danse, le chant et la transe sont connues et il n’est
donc pas étonnant de voir se manifester cela dans
cette série.
Le pointage de l’os (posture des aborigènes
australiens) :
— série 1B : chez la plupart des sujets, une stimulation
au niveau du coccyx s’est manifestée et s’est
prolongée jusque dans les doigts ou dans les yeux.
Certains ont ressenti le besoin de chercher
« devant » ou « en haut ». Il a été décrit une force qui
se prolongeait vers l’avant.
— série 2B : dans ce groupe, une sensation d’énergie
s’est manifestée au niveau du pied droit d’abord
pour se prolonger dans la main jusque dans le
bâton pointé en avant. Une sensation de flux
~ 290 ~
cosmique a été décrite. Deux sujets ont eu des
difficultés pour tenir la posture et ont rapporté que
la sensation d’énergie changeait sa trajectoire. Pour
l’un — qui avait un problème d’équilibre —, elle est
retournée dans le dos pour sortir par l’arrière de son
corps. Pour l’autre — qui a abaissé le bras tenant le
bâton —, elle est passée du pied droit au côté droit
du dos, puis au bras droit, puis au bras gauche, de
sorte qu’il avait la sensation que l’énergie circulait en
rond dans son corps et se manifestait par une
sensation de forte chaleur — alors que sa tête restait
« froide ».
— série 3B : seuls trois sujets ont pu tenir la posture
correctement. Ils ont rapporté que l’énergie prenait
naissance dans le bas du corps pour arriver à la main
droite. Pour l’un, le bâton s’est agrandi vers l’infini et,
soudain, de son coude a jailli une force très claire,
blanche et il a eu très froid. Une autre, pratiquant le
Zen, a eu des problèmes éthiques et une sensation
de forte peur s’est manifestée dans sa poitrine.
— série 4B : ce groupe n’a pas expérimenté cette
posture.
— série 5B : seule une femme de ce groupe a senti
comment la force sortait de son bras et passait dans
le bâton.
Commentaire de Felicitas : cette posture est
originaire d’Australie et sa fonction consiste à envoyer
~ 291 ~
une flèche ou lance magique qui provoque la maladie
ou la mort. Le bâton — ou plus précisément l’os — est
pointé vers la victime pendant le rituel. Pour Elkin, le
bâton est une sorte de lance invisible qui peut être
lancée sur une grande distance et elle touche la
victime avec précision. Celle-ci meurt suite à de fortes
fièvres si on ne jette pas un contre-sort. Elkin rapporte
que ce rituel est hautement dangereux et que le jeteur
de sort doit faire attention à ne pas se renvoyer la
« charge » contre lui-même.
La posture de Lascaux :
— série 1B : dans tout le corps se manifestent des
soubresauts et des tensions. Cinq personnes ont
ressenti une excitation dans le bas ventre et quatre
d’entre eux l’ont ressentie jusque dans les organes
sexuels. Il y a plusieurs phases : d’abord une
manifestation énergétique, comme une force qui se
déplace dans le corps, de manière circulaire ;
ensuite, cette énergie sort par le haut de la tête (un
sujet rapporte : « Quelque chose voulait sortir de
moi. Tous les poils de mon corps étaient dressés
lorsque cette chose est sortie de moi comme une
exacte copie de mon corps. ») ; enfin, on « vole ».
— série 2B : même scénario que précédemment ; les
personnes ont ressenti une forte chaleur dans leur
corps. Très vite, ils ont « volé ». Un témoignage :
« Une forte chaleur s’est déplacée de mes pieds
vers ma tête. Lorsqu’elle est arrivée en haut, ma tête
~ 292 ~
s’est transformée en sommet de montagne et s’est
étendue de plus en plus en hauteur, toujours plus
haut et j’avais l’impression d’être le plus haut sommet
de la terre. Sous moi s’étendait le monde entier, infini
et sans frontières. Je pouvais pratiquement tout voir.
J’avais l’impression que la terre n’était pas seule à
être infinie, mais aussi le ciel, et que le cosmos entier
allait s’ouvrir et s’étendre, infini, devant moi. La
sensation de chaleur a ensuite disparu et je suis
tombé dans cette immensité, du sommet de la
montagne, j’étais conduit par un vent léger, c’était
très léger et très doux. Il n’y avait pas de distance, ni
en largeur, ni en hauteur, ni vers le bas. Je pouvais
me laisser dériver dans toutes les directions, où je le
voulais et c’était très beau. »1
— série 3B : la structure est la même que
précédemment. Une participante a vécu cette sortie
de l’énergie de son corps comme un accouchement.
Pour elle — qui a mis au monde deux enfants et pour
qui cela a été un grand bonheur —, cette expérience
d’accouchement a été formidable et l’a rendue
heureuse. Elle a eu l’impression d’accoucher de cent
enfants d’un coup — tellement c’était fort — et savoir
qu’il lui était possible de revivre cette expérience
d’une autre manière l’a éblouie.
1 Felicitas Goodman, Körperhaltung und die religiöse Trance —
eine experimentelle Untersuchung, p. 37.
~ 293 ~
— série 4B : des perceptions semblables sont ici
rapportées. Forte chaleur ; une participante avait ici
aussi l’impression d’être enceinte ; et une autre s’est
sentie voler à forte vitesse sur une fusée.
— série 5B : dans la Kiva, une femme s’est mise à voler
en rond. Un des Indiens s’est senti se transformer en
un lion des cavernes et est sorti de la Kiva où il a
rencontré un géant nu qui possédait quatre
récipients dans lesquels étaient retenus prisonniers
de nombreux bons esprits. Des aigles sont apparus
et, avec leur aide, il a cassé les récipients et libérés les
bons esprits.
Commentaire : Felicitas cite Éliade pour montrer la
nature chamanique du vécu de ses sujets dans cette
expérience de la posture de Lascaux.
Suite à ces séries, Felicitas s’est demandée si une
posture quelconque pouvait donner des résultats sur
des sujets non entraînés à la transe. Elle a donc choisi
d’utiliser une posture neutre : une posture de danse
où les deux bras sont pointés vers le haut et la jambe
gauche relevée, le corps reposant sur la jambe droite
uniquement. Aucun participant n’a vécu de transe et,
de plus, la posture s’est révélée fatiguante et sans
intérêt.
Elle a également voulu tester, chez des sujets
entraînés à la transe, le vécu d’une posture neutre.
Pour cela, elle a utilisé une posture debout, relâchée
~ 294 ~
avec les bras ballants. Les sujets ont ressenti vertige,
état nauséeux, peur de tomber et perte de repères ; de
plus il leur était difficile d’occulter leurs préoccupations
journalières.
Une autre question était celle de connaître le rôle de
l’expérimentateur : les récits recueillis en transe sont-ils
aussi intéressants chez des sujets qui expérimentent
chez eux et seuls ? D’après Goodman, les vécus de
personnes qui expérimentent seules chez elles sont de
même nature que celles qui se déroulent en sa
présence. De plus, l’identité de l’expérimentateur ne
semble pas jouer non plus : pour la posture du voyage
dans le monde d’en bas, Harner et Goodman
recueillent des récits très convergents.
En conclusion de ses expériences, Goodman pense
que le vécu de la transe posturale ne peut s’expliquer
de manière simpliste. Les sujets ne connaissaient pas
les postures avant de participer aux séances et ne
pouvaient donc savoir ce qui allait se passer. Le plus
surprenant concerne la posture de Lascaux dans la
mesure où même Felicitas ne pouvait inférer avant de
l’expérimenter pour la première fois qu’elle allait
induire des expériences de vols, car la figure en elle-
même peut être interprétée de diverses manières et les
plus évidentes — par exemple : le personnage est
tombé devant le bison — ne sont pas celles qui
semblent expliquer la représentation pariétale.
~ 295 ~
On pourrait aussi inférer de ces vécus de la transe
un effet de suggestion dans la mesure où certains
auteurs pensent que les sujets en transe sont
facilement influençables — ce qui se vérifie dans de
nombreux cas (comme le pense Catherine Lemaire).
Cependant, Felicitas a, à plusieurs reprises, utilisé la
suggestion afin d’influencer ses sujets pour les mener
dans une direction précise, et cela sans résultat. Elle a
tout de même remarqué une différence entre ses
sujets amérindiens et ses sujets européens : il y a une
relative influence de la culture sur les perceptions en
transe posturale.
Pour Felicitas, les transformations physiologiques
relatives à la transe ont une influence sur le psychisme
et cela de manière totalement inconnue. Si la posture
n’est pas exacte, c’est-à-dire si le sujet modifie sa
posture, alors des modifications peuvent se manifester
dans ces structures physiologiques et donc se
répercuter sur le psychisme (Cf. pointage de l’os, par
exemple). Il semble donc que les postures doivent être
prises et tenues de manière rigoureuses.
~ 296 ~
Le processus thérapeutique des postures
de transe
Ce qui est apparu très vite à Felicitas, c’est la nature
des récits rapportés par ses sujets. En effet, les thèmes
sont souvent similaires voire identiques avec des récits
de nature chamanique que l’on retrouve dans la
littérature ethnographique. Cette question est
évidemment très intéressante et l’a poussée à
approfondir sa compréhension du fonctionnement
neurophysiologique de ces transes posturales avec
l’aide du Professeur Johann Kugler à l’Université de
Munich. Le premier résultat (EEG) a montré
l’émergence d’ondes cérébrales Thêta (6-7 hz). Par
contre le pouls était très élevé et la pression sanguine
faible, processus que l’on rencontre généralement
chez une personne en danger de mort ayant perdu
une grande quantité de son sang. La prise de sang a
révélé une baisse du taux d’adrénaline, de
noradrénaline et de cortisol1 au-dessous de la normale
alors que le cerveau synthétisait de la bêta-
endorphine, l’analgésique du cerveau, ce qui explique
l’état d’euphorie des sujets. Ce que Felicitas en infère
est donc que ces expériences de transe — et donc par
extension les expériences mystiques, puisque celles-ci
comportent également des vagues d’euphorie — sont
1 Cortisol : hormone produite par la glande surrénale.
~ 297 ~
accompagnées de modifications physiologiques
importantes et qu’il ne s’agit donc pas de pure
fantaisie ou d’affabulation. Ces modifications
physiologiques ont des effets bénéfiques, par exemple
la réduction du stress qui peut expliquer une
amélioration du bien-être physique et donc aussi
rééquilibrer le système nerveux et le capital-santé, ce
qui expliquerait les guérisons lors de certaines séances
de transe. Une autre observation est que la pratique
de groupe resserre les liens entre les participants et
leur donne une identité de groupe.
« Les bénéfices psychologiques éprouvés par ceux
qui ont pris part à mes expériences dans les diverses
postures peuvent aussi être rapprochés de ce que l’on
nomme habituellement ‘‘l’expérience de conversion’’.
Ainsi, certains participants font état de changements
profonds survenus en eux-mêmes. Par exemple,
certains déclarent qu’ils avaient été jusque-là
incapables de résoudre des problèmes personnels ;
d’autres affirment avoir acquis une confiance en soi
qu’ils ne possédaient pas ; d’autres encore affirment
être désormais capables de surmonter les craintes et
les angoisses qui les assaillent. On pourrait multiplier
à l’infini les récits de cas de guérison dus à l’influence
de ces postures sur les expériences chamaniques. »1
1 Felicitas Goodman, « Les postures de transe chamaniques »
In : La voie des chamans, p. 81.
~ 298 ~
Chaque posture de transe a, en dehors de sa
spécificité (divination, métamorphose ou autre), un
effet complémentaire dans le sens où pratiquement
chaque personne qui expérimente une posture
ressent un très rapide et très évident bien-être. Le
stress s’évapore, l’énergie saine revient, l’équilibre
général de la personnalité s’améliore et le plus
souvent, une sensation d’euphorie s’installe, chassant
les états psychologiques de l’ordre de la déprime, de
l’angoisse et activant l’envie d’agir et l’élan.
En expérimentant les postures de transe, tout le
monde n’a pas tout de suite des images flamboyantes,
mais les sensations de plénitude physique, de prise de
force et d’optimisme sont tout à fait courantes.
On comprend mieux aujourd’hui pourquoi la transe
a de tels effets : elle amène l’organisme à sécréter des
endorphines, bêta-endorphines.
Dans les pages qui précèdent, on a pu comprendre
comment Felicitas Goodman avait entrepris ses
expériences sur les postures de transe. Il est à noter
qu’elle a pratiquement toujours travaillé avec des
groupes d’individus. Elle pratique parfois seule, chez
elle au Nouveau-Mexique, ou avec un ou une amie,
mais c’est assez rare. On sait depuis de nombreuses
années maintenant, grâce aux travaux sur la
dynamique de groupe, que les groupes, précisément,
~ 299 ~
développent une sorte de conscience propre de sorte
que chaque individu en faisant partie se sent intégré
dans une entité avec des valeurs et une force de
cohésion propres.
Pour ces raisons, j’ai voulu expérimenter avec des
individus isolés, afin d’observer leurs réactions et
surtout déterminer si, dans ces conditions — qui n’ont
jamais été réalisées dans une étude anthropologique
—, on pouvait aussi induire la transe et collecter des
récits de type chamanique de la même qualité que
ceux rapportés par Felicitas Goodman. C’est ce que je
vais développer dans le chapitre suivant.
~ 300 ~