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La maison présumée hantée de la Place des Orphelins à Strasbourg. Cette enquête ethnographique a permis de mener une réflexion sue les phénomènes de hantises. C'est la place de la mort dans notre société post-moderne qui est questionnée ici. Que fait-on des récits et témoignages des gens qui voient et vivent des choses qui ne sont pas censées exister...

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Published by Michel Nachez, 2020-05-14 12:01:24

La maison hantée - Approche et réflexion

La maison présumée hantée de la Place des Orphelins à Strasbourg. Cette enquête ethnographique a permis de mener une réflexion sue les phénomènes de hantises. C'est la place de la mort dans notre société post-moderne qui est questionnée ici. Que fait-on des récits et témoignages des gens qui voient et vivent des choses qui ne sont pas censées exister...

Keywords: hantise,poltergeist,maison hantée,revenants,ectoplasme,mort,morts,au-delà,ethnologie,Michel Nachez,spectre,fantôme

UNIVERSITE DE STRASBOURG
FACULTE DES SCIENCES SOCIALES

INSTITUT D'ETHNOLOGIE

Michel NACHEZ
Année universitaire 1988-1989

1989
Mémoire préparé sous la direction de Éric NAVET
En vue de l'obtention de la Licence d'ethnologie

2

TABLE DES MATIERES

TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION
ENQUETE

LA MAISON PRESUMÉE HANTÉE DE LA PLACE DES
ORPHELINS À STRASBOURG
LA PLACE DES ORPHELINS
LA MAISON HANTÉE : INTERVIEWS
LA MAISON HANTÉE : APPROCHE ET RÉFLEXION
PROBLÉMATIQUE
ANNEXE 1
ANNEXE 2
BIBLIOGRAPHIE
INDEX
INDEX DES PERSONNES
INDEX DES MATIERES

1

La maison présumée hantée de la Place des Orphelins à
Strasbourg

2

INTRODUCTION

Les phénomènes de hantise sont une
interrogation. Une interrogation sur l'invisible, ce qui est
au-delà, de la conscience ou... de la mort. Ce mémoire
mène dans les méandres de la mort, dans ses
manifestations, celle des maisons hantées, d'une part,
et celle des esprits, de l'autre. Mais il mène aussi dans
notre imagination, dans notre inconscient, dans le
fantastique. La question de la limite sera posée, limite
entre le conscient et l'inconscient, la vie et la mort, l'ici
et l'au-delà.

Je laisse au lecteur le libre choix de me suivre ou
non dans mon raisonnement. Loin de moi l'idée de
vouloir l'influencer. Je lui demanderai simplement de
bien vouloir m'accompagner, avec les sens en éveil, et
une ouverture à une autre facette de la vie. Je désire
montrer du doigt un lieu de doutes, une faille, qui, quoi
que la rationalité veuille bien en penser, émerge très
rapidement sous un vernis de culture. Pendant les
entretiens d'enquête, j'ai observé ce glissement vers
l'irrationnel. Comme si ce rationnel, que le discours

3

ambiant magnifie, n'était qu'un garde-fou précaire vis à
vis d'une réalité que l'on nie.

La mort accompagne l'homme. Elle est la barrière,
le saut vers l'inconnu. Beaucoup d'auteurs et de
chercheurs se sont penchés sur le problème de la survie,
du passage... Certains avec succès, tel Raymond Moody,
par exemple. En dépit de cela, dans notre société
occidentale, la mort est niée. Et pourtant, de par le
monde, quel peuple n'est-il pas en relation avec le
monde des morts ?

L'intérêt de ce mémoire est donc d'essayer de
montrer que, quoiqu'en disent certains, l'existence de la
survie après la mort est une hypothèse de travail
sérieuse. Et donc, par conséquent, il convient de
regarder sous un jour différent les manifestations dites
de l'au-delà, dont font partie les maisons hantées. Sans
écarter les théories d'explication de manifestations
paranormales induites par l'inconscient, tels les
poltergeist.

Mais avant d'aborder ces thèmes, je convie le
lecteur à m'accompagner dans mon enquête sur la
maison présumée hantée de la place des Orphelins à
Strasbourg.

4

ENQUETE

La MAISON PRESUMÉE HANTÉE de la PLACE
des ORPHELINS à STRASBOURG

Entreprendre une enquête sur les maisons
hantées peut sûrement paraître amusant pour nombre
de gens. Pour beaucoup, cela équivaut à une perte de
temps. Trouver des raisons pour dénigrer ce genre de
recherche, cela est facile. L'approcher de manière
sérieuse et ouverte, dans la cadre universitaire, pourra
en choquer plus d'un.

Mais, "on" en parle. "On" en rit, mais "on" en a
quand même peur, cela insécurise.

Alors, qu'y a-t-il derrière cela ? Je vais tenter de le
développer.

Mon intérêt pour les phénomènes paranormaux
date de ma jeunesse. J'avais fini par reléguer cela un peu
à l'arrière-plan, d'abord parce qu'il est difficile d'être

5

témoin direct de ces phénomènes, puis, la vie étant ce
qu'elle est, l'attention est souvent attirée vers des
choses plus matérielles.

Mais voilà que vers la mi-août 1988, en allant dîner
au restaurant place des Orphelins avec ma femme et
une amie, notre conversation se porte sur cette bâtisse,
assez superbe, qui serait le siège de phénomènes de
hantise. Je suis passé d'innombrables fois devant cet
édifice. Mais c'était la première fois que quelqu'un me
disait qu'elle était hantée.

Cela a éveillé mon intérêt. Pour une fois, l'"objet
du délit" était là, ici, devant mes yeux, près de chez moi,
en plus. Ce qui laissait entrevoir la possibilité d'obtenir
des informations de première main.

J'ai commencé par demander à cette amie d'où
elle tenait ses informations : d'une amie à elle qui avait
émigré aux États Unis. Voilà qui commençait comme
commencent toutes les histoires de maisons hantées :
c'est l'amie de untel "qui le sait de sa sœur, qui le sait de
sa grand-mère"... etc. Bref, tomber sur des informations
fiables et claires semble toujours relever de la fiction la
plus pure, dès lors que l'on cherche à approcher
l'irrationnel. Je donnerai donc comme caractéristique
n°1 de tout ce qui concerne les phénomènes
inexpliqués, qu'il s'agisse des maisons hantées, des

6

phénomènes parapsychologiques dans leur ensemble,
des phénomènes magiques, du phénomène OVNI, etc.,
la caractéristique suivante : ils échappent à toute
approche rationnelle, à toute volonté d'analyse.

C'est regrettable pour le scientifique, mais, après
tout, c'est peut-être bien mieux ainsi. Cela laisse encore
du rêve, dans une civilisation où le matérialisme essaie
systématiquement de détruire l'irrationnel.

Je me suis donc dit : cela vaut la peine d'essayer de
cerner cette maison, de découvrir, si oui ou non, il y a un
fond de vérité derrière cela. C'est à ce moment que j'ai
décidé d'en faire le sujet de mon mémoire, en sachant
que je me risquai sur un terrain glissant. Mais, après
tout, pourquoi pas ? Ou bien je ne trouverai rien, et
alors tant pis. Ou bien je tomberai sur une vraie maison
hantée, et, au pire, je me payerai la frayeur de ma vie.
Mais, dans ce cas, cela aura sans doute été un
évènement majeur dans ma vie. Car cela aura signifié,
sans nul doute, la preuve de l'existence de forces extra-
sensorielles.

Un peu plus tard, en ayant parlé à un ami, je lui
proposais de venir passer avec moi une nuit dans cette
maison, pour chercher à ressentir le phénomène et à
s'en imprégner. Pour corser le tout, je proposai une nuit
de pleine lune. Refus sur toute la ligne. Ainsi, semble-t-

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il, même s'il n'est pas sûr de rencontrer un fantôme, la
seule idée que cela serait possible, fait frémir. Voilà.
"On" veut bien en rire, mais "on" ne veut surtout pas s'y
frotter, ni y être confronté (même si "ça" n'existe pas !)...

C'est là que le tabou sur la mort fait son apparition.
Car maison hantée signifie présence d'un fantôme.
Fantôme signifie survie après la mort. Et la mort, il ne
faut surtout pas y penser, car il vaut mieux la laisser là
où elle est : dans les cimetières, à l'abri de notre monde
de vivants.

Ce tabou de la mort, j'y reviendrai, il est, à mon
avis, au cœur du malaise de notre civilisation.

Je reviens à mon enquête. Il fallait donc que je
questionne des habitants de la place des Orphelins. Il me
fallait aussi me renseigner sur l'édifice, et connaître le
propriétaire.

Je voulais aussi, d'une manière plus générale,
"sonder" des personnes neutres sur ce qu'elles
plaquaient sur le signifiant de maison hantée. Et puis,
voir ce que des médiums en disaient.

Il est vrai que je n'ai pas eu le courage de mener
un nombre considérable d'interviews. Mais je pense que

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celles que j'ai menées m'ont permis d'approcher la
problématique.

C'est donc une enquête en deux parties :

- celle concernant directement la maison de la
place des Orphelins

- celle concernant le concept de maison hantée.

LA PLACE DES ORPHELINS

Je désirai tout d'abord savoir ce qui se disait sur la
maison de la place des Orphelins. Je décidai donc de
m'adresser à notre électricien de quartier. Il est connu
pour être au courant de tout ce qui se passe. De plus, il
connaît beaucoup de monde. Renseignements pris, il me
conseilla d'aller voir la boulangère de la place elle-
même : elle devrait être au courant de tout. C'est une
personne qui semble jouer le même rôle que notre
électricien : collecteur de toutes les histoires de
quartier. Bref, des informateurs de première main.
Toute la difficulté consiste, en fait, à se présenter.
L'électricien m'avait conseillé de venir de sa part. Cela a
facilité l'approche.

9

La difficulté à exposer ma demande d'informations
sans dire exactement ce que j'étudie, m'a fait hésiter
avant de me lancer. Je ne pouvais pas me présenter de
cette manière : "Bonjour, je suis étudiant en ethnologie,
je fais une étude sur la maison hantée de la place, dites-
moi ce que vous en savez." C'est trop brutal. Par contre
: "Je suis étudiant, je fais une étude sur cette maison de
la place, pouvez-vous me parler un peu d'elle, ce que
vous en pensez ?..." C'est beaucoup mieux, et cela me
permet de ne pas me "mouiller" tout de suite. Et de
laisser la personne interrogée elle-même venir sur le
caractère bizarre de l'immeuble. Avec un peu de chance
elle parlera de la "hantise".

Première approche le 12.03.1989. Il s'agissait de
faire une reconnaissance sur le terrain, de
photographier la maison. Vers 13 heures, j'aborde une
vieille femme qui promenait son chien. Aucune difficulté
pour obtenir des renseignements. Cela donne ceci :

La maison est habitée par un homme de 45 ans
environ, professeur à Obernai, nommé GERARD.

Il habiterait au deuxième étage, n'ouvre jamais les
volets. Est bizarre. N'entretient pas la maison. À une
sœur qui n'habite pas là. Sa mère habitait là aussi, mais
elle est morte il y a deux ans. Elle vivait sur l'avant, lui
sur l'arrière.

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De temps en temps, il coupe du bois pour se
chauffer. N'allume jamais de lumière. La voiture, à
l'entrée, lui appartient. Il ne veut pas louer. N'ouvre pas
quand on vient (sa mère n'ouvrait pas non plus). Dans le
passé, il louait, mais il a fini par se débarrasser de ses
locataires. Il n'est pas marié. Il est déjà arrivé que des
clochards s'installent dans la buanderie.

La femme croyait que le nom était visible sur la
porte d'entrée, ce qui n'est pas le cas. Elle dit que c'est
un "assez grand professeur", mais ne sait pas préciser
cette idée.

Un jour, elle l'a vu sur le toit, accroché par une
corde, pour enlever la neige. Elle a trouvé ça bizarre.

Il est supposé rentrer tous les soirs.
Apparemment, la maison lui paraît normale. Pas
l'habitant. Elle n'a fait aucune difficulté pour parler. Et
n'a pas sous-entendu de choses. D'après elle, ça fait très
longtemps que la maison est dans cet état.

C'est vrai, j'aurai dû d'abord décrire la maison. La
photo ci-contre permet de se faire une idée de l'allure
de l'immeuble. Toutes les fenêtres sont fermées. Volets
fermés. Au-dessus du portail, il y a la trace d'un balcon,
il a été détruit. L'immeuble, de loin, fait bonne
impression, il est cossu. L'intérieur, du moins ce que l'on
peut en voir de l'extérieur, laisse présager l'abandon.
Une vieille carcasse de Peugeot 504 blanche finit de
rouiller derrière le portail. On voit des débris. A travers

11

les volets, on constate que certaines vitres sont brisées.
L'intérieur donne une impression de saleté. Les
sonnettes ont été arrachées. On ne peut pas en dire
plus. Il faudrait pouvoir rentrer.

L'interview précédente était une improvisation.
Sans magnétophone, sans notes. J'ai tout retranscrit de
mémoire chez moi, un quart d'heure après environ.
Interview improvisée, certes, mais intéressante quand
même. J'y apprend que la maison est habitée. Par un
original, mais habitée quand même. Il m'a donc fallu
essayer de cerner un peu le personnage, de savoir qui il
était. Je dois dire que cela n'a pas été trop difficile.

Bien sûr, je parle de mon mémoire à tous les gens
que je connais. Cela me permet de connaître leurs
réactions et, parfois, d'apprendre des données
nouvelles, ou bien d'avoir des contacts.

Par exemple, cette autre amie, qui me parle d'une
personne de la place qui connaît bien la maison. Il me
suffit de téléphoner. Je le fais le 15.03.89. Voici ce que
j'apprends (voir annexe 1 comprenant la transcription
de l'interview) :

Elle connait l'habitant de la maison. La
maison a commencé à être restaurée il y a 5-6 ans, mais

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les travaux ont cessé du fait d’un procès. Voilà pourquoi
il manque le balcon au-dessus du portail : il a été enlevé.
Cet homme n'a pas les moyens d'entretenir l'immeuble
: "Il n'a pas les moyens... Ne paye rien, je crois, Il n'a pas
l'eau, l'électricité, il n'a rien, dans cette maison. De
toutes façons, l'intérieur n'est pas du tout refait, c'est
sordide."

L'informatrice est sympathique, je décide de
dévoiler mon jeu, de poser la question de la hantise : "...
c'est les gens du quartier qui disent ça, mais ce n'est pas
vrai. (...) Tous les gens du quartier disent que la maison
est hantée, mais (...) d'où vient ce bruit, je n'en sais
rien." Elle dit elle-même qu'il "vit comme un fantôme".

Il ressort de l'entretien qu'il a hérité de la maison,
et que c'est une charge trop lourde pour lui. Mais que,
pour une obscure raison, il ne veut pas vendre, ni louer.
Elle me conseille, elle aussi, de consulter la boulangère.

J'ai enregistré la conversation, le texte se trouve
en annexe. Ce qui est intéressant, ici, c'est que la maison
intrigue les habitants de la place, et que, faute de savoir,
on lui colle une étiquette : "maison hantée" ou "maison
du pendu". Mais cela sera plus évident pendant
l'interview de la boulangère.

Comme je disais plus haut, je parle autour de moi
de mon enquête. À la faculté aussi. Et voilà qu'une
étudiante me dirige vers un autre étudiant qui est

13

"censé connaître des gens qui ont loué un appartement
dans cette maison, et qui l'ont quittée pour cause de
hantise". Voilà une piste hautement intéressante. Je
décide de la suivre et de remonter la chaine. J'arrive,
enfin, à contacter ce jeune homme. Et voilà ce que
j'apprends ce 15.03.1989 à 19h45 : "La personne qui m'a
dit ça s'appelle (je tais le nom). Je lui passerai ton
numéro de téléphone pour qu'il te contacte... Son
téléphone est coupé." Coup classique : je n'ai jamais eu
de nouvelles. De plus, je soupçonne cette personne de
l'avoir, elle aussi, appris de quelqu'un d'autre. Et mon
hypothèse est la suivante : oui, il y a bien eu des gens qui
ont loué un appartement dans l'immeuble de la place
des Orphelins. Mais ils ne l'ont pas quitté parce que
l'immeuble était hanté, mais pour une autre cause. Il
s'agit en fait d'une déformation des informations, telle
qu'on la retrouve dans le processus de la rumeur.

Plus l'enquête avance, plus j'entends de versions.
Mais je n'arrive jamais à mettre la main sur les
personnes qui ont véritablement loué un appartement
là-dedans. Il s'agit toujours de : c'est des amis qui m'ont
dit, c'est une connaissance qui m'a dit, etc... C'est
dommage. Car cela m'aurait permis d'avoir une
certitude. Mais une chose est sûre, c'est que plus j'ai de
renseignements, moins je suis convaincu d'avoir affaire
à une maison hantée.

14

Le 14.04.89 vers 16h, je me rends chez la
boulangère. J'ai dissimulé mon magnétophone sous ma
veste. Je n'ai pas envie d'impressionner, je désire éviter
les blocages, car je désire savoir. J'entre donc (voir
annexe 2 comprenant la transcription de l'interview ; C1
= cliente 1 ; C2 = cliente 2 ; ...) :

La première chose que j'apprends est que
l'homme qui habite l'immeuble est le propriétaire. Et
elle me dit son nom, Girard, et me donne son numéro de
téléphone - que j'ai appelé souvent par la suite, sans
succès -. L'immeuble ne lui a pas toujours appartenu. Il
fut un temps où une des moitiés appartenait à un curé.
A la mort de celui-ci, c'est sa gouvernante qui a hérité.
Mais, cette femme a fini par vendre à une agence
immobilière car elle ne pouvait plus supporter son
voisin. L'agence, évidemment, a loué les appartements
qu'elle a acquis. Girard semble ne pas vouloir supporter
des voisins et leur rend la vie impossible : "C1 : Des
cadenas et tout cadenassé avec des chaînes ; C2 : Il
voulait que les gens partent, quoi." Résultat, l'agence
met aux enchères et Girard achète. Il est maintenant le
seul propriétaire.

Je renvoie le lecteur en annexe afin qu'il puisse lire
la retranscription de l'interview. Celle-ci a été décisive.
J'ai eu, là, pour la première fois, une vision cohérente de
l'histoire récente de la maison. Les faits racontés

15

semblent accréditer mon hypothèse : la maison n'est
pas hantée ; des gens ont bien loué des appartements,
mais ils ont été chassés à cause des nuisances
provoquées par Monsieur Girard. La boucle est bouclée.
Je regrette seulement de n'avoir pu entrer en contact
avec ces ex-locataires. Cela m'aurait donné une
certitude.

Cette interview a aussi été révélatrice de l'intérêt
des gens du quartier pour cet immeuble. Dans la
boulangerie se trouvaient plusieurs clientes. Ma
présence s'est avérée être un catalyseur. Toute
l'attention des clientes s'est trouvée focalisée sur la
"maison hantée". Une cliente âgée connaissait des
éléments de l'histoire et les racontait. Une autre avoue
qu'elle rêve de cette maison, ainsi que d'autres
personnes de sa connaissance. Une troisième ajoute que
son mari aussi en a rêvé. Et puis, tout le monde veut
savoir. Les questions fusent, les remarques tombent.

Et puis, quand même, cette remarque de la
boulangère : "Y a même des écoles qui sont déjà venues
et qui m'ont dit venir voir la maison hantée !" (ton
amusé). Cela en dit long. Je pense que, s'il y avait eu une
quelconque manifestation paranormale, la boulangère y
aurait fait allusion. Mais rien. Je me suis donc trouvé en
présence d’une simple histoire de rumeur de quartier. Je
ne veux pas dire par là que ce n'est pas un phénomène

16

intéressant, mais son étude sort du cadre de ce
mémoire. L'immeuble de la place des Orphelins n'est pas
hanté. Il est habité par un homme ne désirant pas
cohabiter avec d'autres personnes, et qui,
apparemment, projette sur cette maison une affection
toute particulière.

Pour clore cette enquête concernant cet
immeuble, voilà le compte rendu de ma visite aux
Archives de la ville de Strasbourg, effectuée le
14.04.1989 :

Je me suis rendu aux Archives de la ville de
Strasbourg afin d'y chercher des éléments historiques
sur la maison de la Place des Orphelins. L'accueil a été
agréable. Ambiance studieuse. Quelques personnes
présentes consultaient des documents.

J'ai pu feuilleter les deux versions, française et
allemande, du Livre de SEYBOTH. C'est une histoire des
bâtiments principaux de la ville. Ainsi que des rues.

La maison étudiée place des Orphelins a pour
adresse : 25 rue Ste Marguerite. Elle a été construite en
1838. Par qui et pourquoi : cela les archives ne le disent
pas. Il s'agit en fait d'une maison d'habitation

17

certainement depuis l'origine. Les livres d'adresses en
font foi.

L'archiviste a été très aimable et m'a orienté vers
la consultation des livres d'adresses qui sont des sortes
d'annuaires des rues, décrivant, pour chaque rue, les
habitants ainsi que leur profession par numéro
d'immeuble.

Les livres d'adresses possédés par les Archives
vont de 1884 à 1914, puis de 1920 à 1939. Puis 1948 et
1953. À partir de 1920, il s'agit déjà d'annuaires
téléphoniques composés de trois parties : un classement
par rues, un classement par noms et un classement par
professions. Les deux derniers classements nous étant
familiers de par nos annuaires.

Voici un relevé des livres d'adresses : les locataires

1884 : Jacoby, Thron, Wolf Netter

1886-1887 : Baierlein, Erhardt, Hübschmann,
Kauffmann, Lang, Meyer, Mosterts, Wissmann.

1890 : Mächler, Schneider, Dau, Dupré, Jensch, Möller,
Möller, Starker, Baierlein, Füchs, Mosterts, Pflug,
Hübschmann.

18

1982 : Kössler, Schneider, von Wülchnitz, Baierlein,
Mosterts, Netter.

1893 : Kössler, Schneider, von Wülchnitz, Baierlein,
Mosterts, Pflug, Netter.

1900 : Kössler, Schneider, Gerval, Baierlein, Mosterts,
Pflug, Netter.

1910 : (Ici mention du propriétaire : la ville de
Strasbourg) Bauer, Pfeiffer, Schneider, Thiebault,
Mosterts, Pflug, Münch.

1914 : (Ici mention du propriétaire : la ville de
Strasbourg) Bauer, Haendler, Thiebault, Ehrmann, Pflug,
Heitz.

Ensuite : pas de livre d'adresses jusqu'en 1920 (Guerre
1914-1918).

1920 : personne. Ni mention de propriétaire, ni de
locataire. Passage du n°24 au n°26 de la rue Ste
Madeleine.

1932 : idem.

1939 : idem.

19

Ensuite guerre de 1939-1945. Archivage reprend en
1948.

1948 : (Pas d'indication de propriété). Brechenmacher
(comptable), Jansem (ouvrière), Haspélé (photographe),
Girard (employé), Strecker (patissier).

1953 : personne.

Voici donc les données obtenues ce jour. Il faudra
vérifier le prénom du locataire Girard de 1948. Il s'agit
peut-être de notre Alfred Girard, actuellement
propriétaire.

NOTE : j'ai expliqué à l'archiviste le pourquoi de
mon étude. Il a réagi très positivement. Sur la question
de l'existence d'autres maisons hantées à Strasbourg sa
réponse a été négative. Tout au plus des phénomènes
d'apparitions, mais pas de coups frappés et pas de
poltergeist.

Une remarque concernant cette liste : l'immeuble
a été propriété de la ville avant la grande guerre. Aucune
indication de propriété entre 1920 et 1948. Je suppose
qu'après la seconde guerre mondiale, l'immeuble est
devenu propriété privée.

20

Ainsi s'achève mon enquête concernant
l'immeuble de la place des Orphelins. Je constate qu'elle
ressemble plus à une enquête de type « policier » qu'à
une enquête ethnologique. Mais, c'était le seul moyen
de rassembler des données.

La deuxième partie de l'enquête est plus classique.
Il s'agit de mener des entretiens non-directifs
concernant le concept de maison hantée.

21

LA MAISON HANTÉE : INTERVIEWS

J'ai mené 6 entretiens dont 4 sont retranscris ci-
après. Les deux autres n'apportaient aucune
information utile dans le cadre de ce mémoire.

Les entretiens qui suivent me semblent
particulièrement intéressants du point de vue du vécu
des personnes interrogées. J'ai choisi de les présenter
dans une forme directe, afin de permettre au lecteur de
sentir à quel point l'"irrationnel" y est présent.

Interview : JACQUES et SIMONE

11.02.89, en soirée.

Jacques et Simone (35 et 32 ans) sont des
personnes pratiquant le spiritisme. Erica est mon
épouse.

SIMONE Ce sont des collines qui sont sur la

ligne Maginot. Entre deux forts de la Ligne Maginot.

Donc, c'est déjà des endroits un petit peu... chargés.

Mais on était comme ça, on se promenait. C'est sur une

22

colline qui donne sur la plaine. Et on y allait souvent le
soir, après le boulot, assez tard le soir, bon, pour se
balader un petit peu, comme le font les gens du patelin,
qui s'oxygènent un peu.

Et on s'était dit, ce soir-là, tient, on va
monter se promener. Déjà, il s'était passé deux
évènements, plus exactement, à des périodes distantes.
La première, il faisait nuit, vers onze heure-minuit. Et je
crois qu'il y avait de l'orage dans l'air. Et on a entendu un
bruit. On se trouvait sur une colline, au bord donc d'une
plaine qui descendait, et on avait tout l'aperçu de la
plaine d'Alsace(...), et à un endroit tout au fond, je veux
dire à 5 km, donc à vol d'oiseau, on entend un bruit, mais
un bruit d'oiseau, comme un bruit d'oiseau qui fait..., qui
serait en train de chasser un animal.

JACQUES Enfin, c'était plutôt une plainte

comparable à un cri humain, fait par un jeune garçon ou

une jeune fille ou un truc comme ça...

SIMONE C'était difficile à déterminer...

JACQUES Ce qui nous a frappé, c'est que ce bruit

se déplaçait, à une vitesse inimaginable pour un oiseau,

ou même un animal, un mammifère en train de courir...

23

SIMONE Oui, c'est ça. C'est comme, même,

même admettons que ç'ait été un faucon ou quelque

chose comme ça, qui ont quelque fois des cris très

perçants, très aigus, mais moi je m'imaginais que c'était

un oiseau qui avait plongé sur un animal, un lapin, ou un

truc comme ça. Mais un cri, à la fois le cri du faucon et

le cri de l'animal qui vient d'être happé, bon le cri de

mort quoi, finalement. Et ce cri s'est déplacé, sur une

distance disons, 5, 6, 10 km, je ne sais pas, dans le fond,

disons que nous on voyait que la plaine était dégagée,

mais à une distance qu'on estimait à, disons à un km

espacé, et en une seconde ou en truc, le bruit se

déplaçait. Donc on s'est dit, c'est pas possible que ce soit

un animal ! (...) On s'était dit, ça ne peut pas aller aussi

vite. Et tout d'un coup on a senti venir sur nous, parce

que, il faut se dire, bon, la colline était là, là il y avait un

chemin qui descendait dans la plaine, et nous, nous

étions pour ainsi dire stationnés à un croisement de

chemins. Souvent, les croisements dans la campagne

sont des endroits relativement... En plus, comme dit,

c'était une colline avec la ligne Maginot, et juste derrière

la colline, il y avait un monument où beaucoup de

soldats sont morts. Et on pense que..., sous cette colline,

il y avait donc un fort qui avait explosé pendant la

guerre.

JACQUES C'était un dépôt de munitions explosé.

24

SIMONE Qui avait sauté. Et bon, tous les soldats

également. Donc c'était un lieu qui était déjà

particulièrement... Bon on a compris après, hein. Alors,

on a senti venir, donc, ce cri qui était là, qui se déplaçait,

tout. On a senti une présence venir, mais sur nous. On

était là mais, Hhhhhh !!, on l'a senti passer et tout et,

bon, ça nous a... ça nous a effrayé, c'est à dire qu'on a

vraiment senti que... On n'a plus entendu le cri, mais on

a senti qu'on n'était plus seul. On a senti que, que cette

présence, euh, venait sur nous. Ce qui fait que nous, ni

une ni deux, on s'est dit, on va rentrer, bon. C'est bien

gentil les petites promenades mais on va rentrer.

MICHEL Est-ce que la présence vous a traversés
?

SIMONE On n'a pas senti ça. On a senti... Ça, on

peut pas le dire. C'était pas quelque chose de physique.

C'était déjà l'éveil de notre... Bon, je veux dire, Nous

avons quand même l'habitude, c'est un grand mot, mais

disons que nous sommes "éveillés". Et nous avons une

curiosité. Et je veux dire, une description des

phénomènes, un décryptage un peu différent des gens,

c'est à dire communs, qui n'ont pas affaire à ce genre de

phénomènes. Donc, on a déjà eu notre attention

d'éveillée par ce phénomène-là. Et donc nos sens, je

dirais nos sens suprahumains, enfin, je ne sais pas

comment les appeler. Étant éveillés, on a senti,

25

effectivement, cette force, qui passait, qui venait sur
nous, qui se ruait sur nous. Bon, on est parti. Et on n'est
pas revenu, Pas tout de suite. Je sais pas, quinze jours
après, peut-être. Et, il faut vous dire que, certainement
un coin que vous connaissez peut-être de nom. On y
accède par Mittelhausbergen. Non, plutôt
Niederhausbergen. C'est le village, il fait toute la
longueur de la rue principale et il y a un petit chemin qui
monte pour accéder au chemin de promenade,
finalement. Et sur ce chemin-là, il y avait toujours des
gitans. Qui étaient stationnés, qui campaient là, le long
du chemin qui accédait en haut de la colline. Et ce soir-
là, où on avait décidé de monter, moi, je ne voulais pas
monter. J'avais un pressentiment. J'ai dit, faut pas qu'on
monte. Mais si, on va se promener, on va un petit peu
s'aérer... Pendant tout le chemin de la ville jusqu'à
Nieder, j'étais angoissée. Mais je ne pouvais pas lui dire
que j'avais un pressentiment que, qu'il allait se passer
quelque chose. Ca paraissait assez anormal. Bon. On y
est monté. On passe le petit chemin. Et je me dis à moi-
même : tiens, les gitans sont partis. Pour moi ça
paraissait déjà louche, et ça paraissait..., pour moi c'était
une confirmation de quelque chose qui n'était pas
normal. Bon, on arrive sur la colline. Et puis je crois que
c'était dans la période de la nuit de Walpurgis. C'était un
petit peu avant ou après. Je ne sais pas si vous
connaissez un petit peu la tradition qui entoure cette
période-là ? Et, on arrive donc à ce croisement de

26

chemin. Il faisait donc nuit. J'arrête la voiture et puis je
me dis : bon, j'ai dit on ne reste pas, on s'en va et tout
ça. Il me dit, mais non, on va un petit peu se promener
et tout ça. Je laisse la porte de la voiture ouverte parce
que, je sentais qu'il arrivait quelque chose, que ce soir-
là, c'était pas comme les autres soirs, qu'il y avait
quelque chose qui se préparait. Et, je sentais autour,
c'est à dire que ce lieu était vraiment chargé, et il y avait
quelque chose. Alors, j'ai dit : mais écoute, il faut qu'on
s'en aille parce qu’il y a quelque chose, on n'est pas
seuls. Et, bon, Jacques, contrairement à moi, d'une part,
lui, il sent peut-être moins parce que c'est un homme. Il
sent moins ce genre de choses, mais une fois qu'on lui a
dit, c'est à dire que lui, il voit. (...) Il s'est passé quelque
chose, à cet endroit, il y a des forces qui... J'ai dit à
Jacques : on n'est plus seuls. Et, du coup, tu prends le
relais... Tu dis ce que tu as vu.

JACQUES Il est vrai que, bon, j'étais amoureux, je

suis toujours amoureux, n'est-ce pas, de ma femme,

mais on n'était pas encore mariés, on était dans une

situation un peu précaire. Et, pour moi, c'était de sortir

un peu avec Simone, d'être un peu seul avec elle. Et

j'étais absolument pas branché sur la perception de ce

genre de choses. Je mettais son émoi sur totalement un

autre registre que la réception effective d'une force

réelle qui pouvait exister dans l'invisible. Et lorsqu'elle

manifeste effectivement son désarroi, je me rends

27

compte qu'elle avait totalement raison ! C'est à dire que
nous n'étions pas seuls. Alors, on rentre dans la
voiture..., on démarre...

SIMONE Non. Il y a déjà autre chose avant. Tu

me disais que tu as vu. Toi tu as observé ce qui se passait.

Comme on était en croisement de chemin, notre voiture

était là, j'avais laissé la portière ouverte Pour pouvoir

sauter dans la voiture tout de suite et partir. Et il m'a

raconté qu'il avait vu débouler, donc sur le plan de

l'astral, débouler le "Chariot de la Mort". Pour ainsi dire.

(...) Il me disait que c'est comme si des "loubards" de

l'astral débarquaient et, bon, allaient nous anéantir. Et...

JACQUES Non mais, si tu veux, c'était pas

uniquement le sentiment d'avoir vu effectivement des

images. Bon, des images, tout le monde en a (...). Mais

c'était le sentiment profond d'être en face d'une force

négative. C'est à dire comme des loubards qui ne

demandent rien à personne, et puis qui cassent la figure

à tout le monde. Un point, c'est tout. Et c'était un peu

cette force qui, que je pressentais. Avec,

accompagnement d'images, une espèce de carrosse qui

vient ramasser des vivants... Avec une image de la Mort

très imagée. Et, donc, nous sommes entrés dans la

voiture. On est parti. On est arrivé devant la première

lumière qui nous était accessible...

28

SIMONE Oui, mais avant, il y avait encore autre

chose. C'est à dire que, comme on était dans la

campagne, c'était donc pas éclairé. Alors, moi, tant que

j'étais dans les ténèbres, j'étais pas rassurée. Et je lui ai

dit, sur le chemin, parce que, je me suis dépêchée donc

pour sortir de la colline, pour aller de nouveau vers les

maisons habitées (...). À un moment j'étais tellement

angoissée que j'ai dit : on n'est pas seuls. J'ai dit : cette

entité est dans la voiture ! Elle nous a rejoint. Mais elle

nous accompagnait dans la voiture, alors au premier feu

rouge, à la première lumière, je suis sortie de la voiture,

j'ai dit : je ne rentre plus là-dedans ! Mais l'entité était

avec nous ! C'est qu'on l'avait happée ! C'est un peu

comme, bon, vous disiez. Y en a qui veulent prendre

possession comme ça d'êtres, et c'était effectivement ce

qui s'était passé, c'est à dire que cette entité, voyant la

charge émotive qui attire aussi ces forces-là, bon elle

était dans la voiture, quoi ! Je suis sortie. Et du coup,

Jacques s'est un peu chargé de cette entité pour la

dissoudre, pour la neutraliser. Bon, je suis remontée

dans la voiture mais j'étais tellement... remuée que j'en

ai parlé. Ce qui fait que ça l'a fait revenir, ça l'a ré-attiré.

Mais comme on était dans des endroits habités, ça m'a

moins angoissé parce que on était de nouveau au milieu

de la civilisation quoi, on n'était pas en pleine

cambrousse, sans lumière et tout. Et bon, on l'a un peu

ramenée avec nous. Alors, notre première destination,

on s'est dit : qu'est-ce qu'on va en faire ? Bien qu'on

29

était très remués par ce contact, et il était toujours là,
parce que, croyez-moi, on la sentait, hein ! Bon, on est
allé à l'Orangerie, encore qu'il était très tard, et puis
cette entité nous suivait ! Elle était avec nous. Puis, on
en a discuté. On a discuté qu'est-ce qu'on allait en faire.
Et puis, Jacques l'a emmenée avec lui et puis il a travaillé
avec. Voilà. Fin de l'histoire.

ERICA Et ça se passait quand ?

SIMONE Ça c'est passé, oh, il y a cinq ans, six
ans.

JACQUES Plus que ça.

SIMONE Plus que ça ? Attend, ça s'est passé en

1982, à peu près ? Oui.

ERICA Donc, au printemps ?

SIMONE Oui, c'est ça. (...) Donc on s'était

promis de remonter là-haut. Mais faut dire que pendant

un certain temps, on n'a pas réussi à remonter là-haut,

du moins, moi, je n'ai pas réussi à remonter là-haut,

parce que c'était trop entaché de... Mais c'était vraiment

quelque chose qui travaillait un petit peu sur ces plans

subtils. J'avais jamais été réellement en contact de cette

manière. C'était toujours de manière subjective, mais là

30

c'était vraiment, je dirai, presqu'effective. Et là, ça avait
une réalité qui n'avait plus rien de personnel, je veux
dire qu'il n'y avait pas de projection, il ne pouvait pas y
avoir de projection personnelle. C'était vraiment
quelque chose, on sentait, qui venait de l'extérieur. Et
d'ailleurs, après coup, en y réfléchissant, moi je me suis
dit, on en a reparlé, on a un petit peu fait des recherches
et Jacques disait que ça devait être une force qui
s'appelait "URSITURIS", ce qui pouvait correspondre. Les
gitans, justement. Le fait que les gitans ne soient plus là.
On pensait qu'ils sentaient, vu que c'est les femmes qui
décident l'emplacement du départ ou du lieu. Elles
avaient senti qu'il allait y avoir quelque chose comme ça
et, dans cette tradition-là, on parle effectivement de
forces comme ça. Dont le nom c'est "URSITURIS"...

ERICA Et si vous n'aviez pas pu fuir ou réagir

d'une certaine manière, qu'est-ce qui se serait passé, à

votre avis ?

SIMONE Ben, faut dire qu'on n'a pas tellement

réagi. Mais ce qui se serait passé, sur le moment..., tu as

une idée de ce qui aurait pu se passer ?

JACQUES Il y aurait eu la même chose...

ERICA Non, mais vous n'auriez pas été qui

vous êtes, vous auriez été deux promeneurs neutres, des

31

humains normaux, quoi, habituels, sans sensibilité
particulière, sans réceptivité particulière, qu'est-ce qui
se serait passé ?

JACQUES Une panique.

ERICA Ah, une panique. Donc la réaction eût

été très voisine ?

SIMONE Une peur panique.

ERICA Et irraisonnée ?

SIMONE Voilà, et pas savoir pourquoi. Bon,

nous on sentait un peu ce qu'il y avait derrière. Mais,

euh, ce qui aurait été lié, bon, je pense à... l'endroit ;

enfin à des phénomènes... On aurait des explications

naturelles : bon, on est à la campagne, la nuit, tout ça,

quoi...

ERICA Oui, mais est-ce que ça aurait pu être

offensif ? Je veux dire, créer une panique, OK. Est-ce que

ça aurait pu, par exemple, blesser, détruire, tuer,

provoquer un accident, une mort ou quelque chose...

JACQUES En passant par un médium humain,

peut-être. Dire, quelqu'un, peut-être faible d'esprit ou

saoul ou je sais pas trop quoi. Ça aurait pu,

32

effectivement, investir une certaine volonté humaine à
détruire. C'était ça le fin fond de ce que j'ai ressenti,
c'était une volonté de destruction. Ça, je dis, c'est une
espèce de bande de loubards, là, qui débarque et qui
veut faire du mal.

ERICA Et cette créature, c'est un conglomérat

de quelque chose pour autant que vous l'ayez ressenti ?

Ou c'est une entité définissable ? URSITURIS, c'est...

JACQUES Non. Mais ça, c'est par des

recoupements ultérieurs.

SIMONE C'est ça. On a pensé que ça pourrait...

JACQUES Mais par ressentir direct, c'était une

espèce de charge émotionnelle, si je peux m'exprimer

uniquement en termes énergétiques. C'était une charge

émotionnelle négative, qui se baladait sur la plaine

d'Alsace. Mais vraiment un conglomérat pratiquement

palpable.

ERICA Mais non personnel ?

JACQUES Pas du tout. Pas du tout lié. Une

énergie pure. Négative... Le dernier cas qu'on a connu

était un phénomène beaucoup plus insidieux que des

cris, des phénomènes de troubles de comportement,

33

voire de trouble entre couple... C'était une amie, qui
habite un peu plus loin. (...) Et qui ressentait,
personnellement, elle vivait seule, avec son chat, un
phénomène assez insidieux, comme dit, c'est pas
spectaculaire, pas du tout. Mais elle nous en a quand
même parlé. C'est comme si l'╚me d'une vieille femme
prenait de plus en plus possession d'elle-même. Elle
avait des réflexions de vieille fille, alors qu'elle est jeune
et qu'elle peut encore faire sa vie et qu'elle n'a rien de
bloqué à ce niveau-là. Elle a commencé à avoir des
réflexions de vieille femme. Elle se sentait observée,
critiquée, alors qu'elle était toute seule dans son...

SIMONE Malgré tout, elle a quand même eu un

doute sur le déplacement d'un objet. Malgré tout. Elle

n'était pas sûre, mais elle a dit : je parierai que... Elle

avait une vieille machine à coudre avec couvercle et le

couvercle a été déplacé. Elle a dit : ça fait x temps que

j'ai pas accédé...

JACQUES Seulement, elle ne mettait pas l'accent

là-dessus. Le problème était secondaire par rapport à

cette espèce d'envahissement, comme des souvenirs

qui restent accrochés aux murs ou des choses comme

ça...

SIMONE Faut dire qu'elle était en train de

refaire son appartement.

34

JACQUES Voilà. Elle dérangeait un tas de choses.

Parce qu'elle déplaçait les cloisons...

SIMONE Des meubles... Refaisait les murs...

JACQUES Bon, elle veut refaire à neuf son

appartement et tout ça. Et, c'était tellement insidieux et

puis, finalement, tellement clair, qu'elle dérangeait

quelqu'un, qui essayait de l'envahir, de prendre

possession un peu d'elle-même, de lui faire partager une

espèce de nostalgie, une espèce de, de quelque chose

qui était totalement contraire à elle. Et elle le sentait

tellement bien, bon, qu'elle s'en est ouvert à moi, et à

nous. Effectivement, il y avait un tas de choses qui

étaient à la fois liées au lieu, mais aussi, à elle. Dire, il y

avait le phénomène de projection psychologique, on

peut en parler de manière clinique, mais dans l'astral, ça

prend des formes. C'est à dire, on crée une forme

pensée ou un truc comme ça. Et elle avait quand même

un petit problème, aussi personnel, au niveau d'un

blocage et d'un travail émotionnel qui était en train de

se faire en elle, mais qui dynamisait certaines formes...

SIMONE Surtout à une époque, elle nous a dit.

Simplement, bon, je pense qu'on révèle pas un secret

puisqu'on vous donne pas le nom de la personne. Bon,

elle est mariée et son mari l'a quittée... Bon,

35

provisoirement, il n'habite plus avec elle, ça fait déjà des
années que ça dure. Et il a une copine. Et pendant un
certain moment, elle a dit : j'ai vraiment voué cette
nénette, je voulais... - la haine. Bon, voilà. Et finalement,
cette haine, qu'elle n'a plus maintenant parce qu'elle est
dégagée de ce genre de problème, a formé vraiment une
entité, ce qu'on appelle "kéliphotique", quoi, une forme
pensée, démoniaque, bon. Et effectivement, qui avait
pris possession, et qu'elle ne maîtrisait plus, qu'elle était
maintenant devenue plutôt la victime, que, bon,
finalement, l'outil, un petit peu qui était projeté, quoi.

JACQUES Mais, en même temps, ça a réveillé,

effectivement, une certaine mémoire des murs. Et c'est

ce qui lui a mis la puce à l'oreille. Elle serait restée, elle

seule, avec son problème, sa haine, son, j'allais dire, sa

volonté de nuire, ou... ça, elle connaissait. Mais, en

même temps, dans le sillage de cette émotion-force, elle

a réveillé autre chose, qui lui a mis la puce à l'oreille.

Qu'il y a peut-être un problème aussi au niveau de

l'environnement et des murs et de là où elle habite. Et

puis lorsque j'ai réfléchi, et que j'ai analysé un peu ce

que j'ai vu, je lui ai aussi dit : il y a aussi un tas de choses

qui découlent de toi. Il n'y a pas uniquement des

"fantômes", t'as aussi créé un certain nombre de

choses...

36

SIMONE Et là aussi c'était manifeste... Moi,

c'était la première fois où je rentrai dans son

appartement, du moins j'allai dans la pièce du haut. Elle

avait changé un grenier, justement, (et un ??) (il y a un

??) petit appartement en duplex. Et elle demandait, bon,

les meubles ou des trucs comme ça. Puis, on monte dans

sa pièce du haut, et elle avait une vieille armoire, parce

que ça c'est une armoire qui ne lui appartenait pas, qui

était resté là, et qu'elle avait gardé. Puis avec une vitre,

un grand miroir. Et quand je vais en face de ce miroir,

bon, je regarde bien, mais je vois venir, à travers le

miroir, cette entité. C'est à dire le miroir était le lieu de

passage de cette force de l'au-delà. A tel point que je me

suis..., j'ai failli presque tomber, sentant cette force

venir, comme si l'autre c'était le cosmos, quoi, à partir

de derrière la vitre. Je me suis reculée, à tel point... la

force... Alors que, bon, en général, je suis assez, comme

dit, pas tellement réceptive. Je dirai pas sceptique, je

suis assez rationnelle, parce que les Vierge1, c'est quand

même... Et je suis assez difficile à sentir quelque chose,

mais quand c'est vraiment costaud, quand il y a vraiment

quelque chose, je le sens. Surtout, je le sens. Je le vois

pas, mais, c'est à dire, je le vois plus mentalement. Et je

le perçois surtout très, d'une manière très physique. Et,

là, c'était gratiné aussi. ... On l'a renvoyé. Mais comme

dit, il y a toujours des possibilités lorsque tu réactives la

force... De faire revenir...

37

JACQUES Non, mais,... Ce qui est le plus difficile,

c'est de se rendre compte de l'interdépendance entre

nous et ce monde. Et, nous, surtout au niveau de notre

subconscient. C'est à dire de nos peurs refoulées, de nos

actes inavoués, et tout ça... C'est ça le guide, la courroie

de transmission, souvent, pour un certain nombre de

phénomènes, dits parapsychologiques.

1. Signe astrologique de la Vierge.

C'est là où on trouve l'essence à mettre dans
le moteur plus ou moins inerte, et puis qui se met en
marche à certains moments. Mais, comme disaient les
anciens : ", connais-toi toi-même et tu connaîtras le
monde"... Il s'agit d'abord de, lorsqu'on aborde le
monde invisible, d'avoir une excellente connaissance de
soi-même. Et de savoir un peu s'évaluer. Parce que, une
fois qu'on est en face d'un phénomène, effectivement,
dérangeant ou physique, on oublie, on est capté par
l'aspect physique, par l'aspect humain, social, du
phénomène. Et on oublie de faire une rentrée sur soi-
même et souvent, c'est en soi-même, par des images,
des choses comme ça, qu'on trouve la solution. On
trouve là où il faut aller, et là où il faut éviter de
continuer à s'entêter de trouver des communications
avec l'au-delà. Alors que ce n'est qu'un complexe refoulé
personnel qui a trouvé moyen de s'exprimer d'une

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manière physique, quoi. Et, bon, il s'agit toujours d'être
humble dans sa démarche, assez "au ras des
pâquerettes". Et c'est là où on trouve les choses les plus
intéressantes. Puisqu'on a fait débarrasser le terrain à
nos illusions à nous... Mais l'au-delà a effectivement des
intentions vis-à-vis de nous. Et c'est celles-là qui sont les
plus intéressantes. C'est pas ce que nous on aimerait
que l'au-delà nous dise, mais c'est ce que l'au-delà veut
nous dire. Et déblayer le terrain. Bon, on parle surtout
de notre approche de la chose, vous en avez, peut-être,
certainement une autre... Mais, pour nous, il est
essentiel, n'ayant pas de moyen de contrôle technique,
comme un appareil d'enregistrement ou des choses
comme ça, tout dépend de l'appareil d'enregistrement
que nous sommes, nous. Et cet appareil est très fin. Et
finalement assez perturbable par tout : émotionnalité
non contrôlée, peur, appréhension, voire angoisse
refoulée, et tout ça. Le fil est très vite rompu. Alors, le
plus difficile, c'est d'arriver à, finalement, être honnête
avec soi-même. Et ne pas se faire d'illusions sur son
propre compte. (...)

Fin de l'entretien.

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Interview MARIANNE

22.03.89 à 18h45

Marianne est étudiante en Histoire de l'Art. 19
ans.

M = Marianne ; N = Michel ; E = Erica

N Voilà, alors t'as une maison hantée là ?

M Oui, j'ai une maison hantée. Enfin je sais pas
où c'est ! Alors, c'est un copain qui m'a raconté que sa
sœur avait dormi un soir chez une copine, et elle... enfin
c'était une maison qui soi-disant, euh, où il se passait des
choses, mais sa sœur de toutes façons elle traine dans le
milieu, enfin elle a fait du spiritisme, elle a fait plein de
choses. Ils sont tous un petit peu, dans la famille, tous
pris là-dedans. Même, ils ont des amis à qui il est arrivé
des pépins. Donc cette sœur, va un soir dormir chez une
copine, elle se couche, et dans la chambre, enfin dans la
chambre, elle est réveillée en pleine nuit, et elle voit la...
la, - rien que d'en parler, ça me glace, moi -. Et elle voit
la poignée de la porte qui s'ouvre. Alors elle croyait que
c'était son petit copain qui venait la voir, elle dit bon ben
allez, euh, rentres... Me fait pas ça, vas-y rentres, ça y
est, maintenant je sais que c'est toi, je sais que c'est toi.
Et puis rien. Alors, elle se lève, elle ouvre, elle regarde et

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puis elle entend des pas qui courent. Qui partent,
Jusqu'au grenier. Elle a entendu après au-dessus, des
pas. Bon, elle se lève, elle le dit à ses amis, eux y disent
rien, ils ont rien dit. Et le lendemain soir, rebelote, mais
alors là, elle a eu une trouille !, elle était collée au fond
de son lit, elle a plus bougé jusqu'au petit matin, parce
qu'elle a carrément eu la porte, enfin la porte qui s'est
poussée, quoi. Comme un corps qui s'enfonce dans la
porte. Qui essayait de pousser.

E Quoi, la porte ! Le bois de la porte qui était
déformé ?!

M Ouais, qui s'est déformé, en la poussant.
Avec la poignée - rien que d'en parler, moi ça me - avec
la poignée qui tapait comme ça. Avec la porte qui
pousse. Et le lendemain, bon comme elle a hurlé, tout le
monde s'est levé, est venu voir... bon, elle a expliqué ça
et les gens lui ont dit ben effectivement, régulièrement,
il se passe quelque chose. Régulièrement, il y a quelque
chose qui se passe. Et rebelote les pas là-haut, et quand
ils y sont allés, écoute, alors là je ne me souviens plus
très bien, mais il y a eu une histoire aussi au grenier, il y
avait de la poussière, et ils étaient au grenier, et il a des
pas qui se sont inscrits dans - je sais pas si ça arrive
souvent, si c'est connu, mais enfin il y a des pas qui se
sont inscrits dans la poussière tout autour d'eux, alors là,
euh... (geste de la fuite) cassons.

41

E Ah, pendant qu'ils étaient là, tout autour
d'eux ?!

M Ouais, ils ont pas traînés, ils ont pas traînés
trois jours là-haut, hein !

E Ils sont toujours dans la bicoque ?

M Alors, moi, je me serais barrée vite. Les
autres, ça faisait 10 ans qu'ils y habitaient ! Ça faisait 10
ans qu'ils y habitaient avec ça. Ça allait, apparemment,
ça les gênait pas trop, m'enfin, à chaque fois qu'ils
invitaient quelqu'un... Et encore là... c'est une fille, en
plus, bon, qui vraiment connaissait ça bien. Ça lui faisait
pas, ça lui foutait pas vraiment la trouille, parce que
sinon, elle l'aurait pas fait. Moi, je fais pas ce genre de
trucs ! Et, bon, apparemment, elle s'en est bien remise.
Mais enfin, ça doit faire un choc... Et alors, lui là, le
copain qui me racontait ça, il en a fait beaucoup avec des
copains, quand il était gosse, et il leur est arrivé un truc
pas possible, ils ont fait une table tournante pendant
assez longtemps. Et ils avaient réussi à rentrer en
contact avec quelqu'un, et ce quelqu'un, à un moment,
leur a inscrit, sur la table : "vous allez entendre mon
cœur". Alors là, ils commençaient à baliser, ça faisait
quand même pas mal de temps qu'ils étaient en contact
avec la personne. Ça a duré, euh, presque un an, sur un

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an, quelque chose comme ça. Et là, il est écrit vous allez
entendre mon cœur. Bon là, ils ont dit c'est fini, on
arrête tout, on arrête tout. Et puis ils ont mis la radio,
histoire, enfin une cassette, histoire de se changer les
idées...

E Et pourquoi ils avaient peur d'entendre le
cœur ?

M Ben, ils commençaient à baliser un petit peu,
quoi. Et puis la cassette s'est arrêtée et ça a fait : papahh,
papahh, papahh. Comme ça.

E La cassette de quoi ?

M La cassette qu'ils avaient mise dans le
magnétophone. Qui s'est arrêtée, la cassette s'est
arrêtée... ç'aurait été la radio, encore on aurait pu dire
interférence, mais là la cassette s'est arrêtée et il y a eu
le bruit du cœur et puis après, la cassette a repris. Alors,
là aussi, euh... Lui, il a tout arrêté de suite, hein ! Là
depuis...

E Ça ça m'aurait pas fait peur, tu vois.

M Mais il est arrivé aussi un truc, alors lui il
m'en a raconté, c'est pour ça, qu'après, j'ai pas dormi.
Un truc sur une copine à lui, qui était coincée par un

43

guéridon, contre le mur, au cou, comme ça ; ils étaient à
trois hommes à tirer sur le guéridon, et le guéridon a
lâché quand il a voulu.

E Et ce mec, il est là, à Strasbourg ?

M Non, non. Mais je sais pas, j'ai perdu... je l'ai
rencontré en Allemagne, c'était un belge qui faisait son
service militaire là-bas. J'ai plus du tout de contact.
M'enfin, vraiment lui euh, eh ben il en avait des
morceaux à raconter, hein. Il en avait fait pas mal. Puis,
c'était vraiment un truc familial. Ça m'a glacé, vraiment.
Voilà.

E Et, à part ça, t'as pas d'autres souvenirs de
choses qui touchent à ce domaine, ou de conversations,
ou de phénomènes ou de machins comme ça ?

M On en parle beaucoup, mais, euh, j'oublie. Je
me dépêche d'oublier. En général, je me dépêche
d'oublier. C'est pas vraiment le genre de truc qui me...
(...)

Fin de l'interview.

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Interview CHRISTELLE

22.03.89 à 14h40

Christelle est étudiante en Sociologie. 20 ans.

M = Michel ; C = Christelle

M Ouais, c'est envoyé. Alors tu vas me parler
des maisons hantées, comment tu ressens une maison
hantée, pour toi, qu'est-ce que c'est... la maison hantée
?

C La maison hantée... Ben, en général, on
conçoit la maison hantée, hantée par un esprit, un
esprit... Non. Je préfèrerai d'abord te parler de l'au-delà
avant de parler directement d'une maison hantée.

M D'accord. C'est quoi l'au-delà ?

C C'est carrément un monde séparé du
monde... euh... du monde où nous... dans lequel nous
vivons. C'est le monde de l'au-delà. Et moi je trouve
justement que c'est le monde irrationnel, c'est le
monde... un monde un peu flou, vague. Et je crois qu'en
général, les gens admettent plus ou moins l'existence
d'un tel monde. Enfin, l'admettent, le, je ne sais pas

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comment expliquer ça. C'est à dire... l'admettent mais
n'y croient pas. Une position assez bizarre.

M C'est aussi la tienne ?

C C'est aussi la mienne.

M Donc, toi tu acceptes, mais tu n'y crois pas ?

C Et moi je suis quand même dans une position
où... Je m'y intéresse quand même. Il y a des gens qui...
C'est à dire, la division est faite dès le départ. Le fait que
les gens divisent le monde ici-bas et le monde de l'au-
delà, c'est que déjà il y a une certaine... rien que le fait
de reconnaitre... il y a une certaine crédibilité. Mais on
n'y adhère pas complètement. Moi, bon, j'ai cette
position, mais je pense que je suis déjà un petit peu
plus... C'est à dire j'y crois mais ça me fait peur. Donc, du
fait que ça me fait peur, je ne veux pas y croire. Parce
que c'est irrationnel. Et que je me dis qu'à partir du
moment où il y a de l'irrationnel dans notre vie
quotidienne, qui est déjà assez branlante, quoi... si en
plus il y a des éléments de l'au-delà qui y entrent qui sont
complètement incompréhensibles comme, en tant qu'...
évènements (rires)... Moi... franchement, je... J'ai fait du
spiritisme. Alors, ça je te l'ai déjà dit. Bon, rien que le fait
que je le pratiquais c'est que j'y croyais quand même.
Mais tout ce qui pouvait s'y dérouler et qui paraissait

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complètement fantastique. Parce que tout de suite on
applique des mots fantastiques, merveilleux,
incroyables... Bon, il y avait des trucs qui étaient
crédibles. Bon, l'esprit avec qui on parlait, parle de notre
passé et puis toutes ces choses qui se sont réellement
déroulées. Prévoyait l'avenir et nous donnait des
conseils... Mais je me disais : non, ce n'est pas possible ;
il y a une autre explication ; c'est notre inconscient qui
réalisait des... je ne sais pas, une hallucination collective,
dans ce genre-là. Mais j'essayais toujours de ramener
ces expériences qui, justement, étaient en relation avec
un autre monde, à des expériences rationnelles,
d'expliquer ça d'une façon mathématique, quoi, ou
psychologique, des trucs scientifiques, quoi. Et je pense
qu'en général les gens, ils s'accrochent au monde
quotidien qui soi-disant est rationnel, soi-disant, hein,
c'est ce qu'on veut bien se dire, c'est pour se rassurer.
Et... en n'y croyant pas à 100% puisqu'ils reconnaissent
qu'il y a un autre monde. C'est une situation toujours un
peu ambigüe et qui peut en fait se retourner à chaque
moment. Quand on se retrouve, je pense, dans le cas
d'une maison hantée où on vit ça, on se retrouve un peu
désemparé, à mon avis. Puisque je n'ai jamais vécu cette
situation. J'ai vécu la situation dans mon appartement,
où il m'est arrivé un truc un peu bizarre, quoi. Il faut que
je te raconte l'histoire du truc ? ...

M Oui, oui. Justement, c'est intéressant.

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C Donc, euh, j'ai emménagé dans un nouvel
appartement. C'est une copine qui me l'avait filé. Donc
je ne m'étais pas méfié, ni rien. Et, bon, un soir, je me
suis installée sur mon lit, une cigarette qui est tombée
dans le lit, je ne me suis pas inquiétée tout de suite, j'ai
voulu la rechercher et je n'ai plus jamais retrouvé cette
cigarette. Et peu de temps après on m'a dit : écoute, de
toute façon, ce n'est pas étonnant, cet appartement (on
ne m'a pas dit qu'il était hanté), on m'a dit : m'enfin, il y
a une femme qui est (je ne sais même plus si elle s'est
suicidée ou si... Si, elle s'est suicidée, je crois). Enfin, c'est
une overdose de médicaments. Donc, qui était morte
dans cet appartement et... la fille qui m'avait dit : ça,
c'est pas étonnant, si t'as des trucs comme ça parce qu'il
y a sûrement des influences du fait qu'il y ait cette
femme qui soit morte là-dedans. Et à partir de ce
moment-là, alors il s'est passé des trucs bizarres. Je
sentais quelque chose, quoi. La nuit, je voyais des trucs
bizarres. Alors, je ne savais pas si c'était moi qui
fantasmais là-dessus, qui avais, du fait que j'avais eu des
explications, j'imaginais des tas de trucs, c'est mon
imagination qui était débordante. Ou si réellement, il y
avait des choses qui s'y passaient. Mais bon, bien sûr, je
me suis toujours défendue avec l'histoire que c'était moi
qui rêvais. Mais il y avait des, ce n'est même pas des
évènements, ce n'est même pas des trucs qui
tombaient, ni rien, mais je sentais quelque chose

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