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Published by Numérithèque, 2021-05-17 12:57:40

Un million de révolutions tranquilles

Bénédicte Manier

Kenya, en Ouganda, au Sénégal et en Tanzanie, pour transformer les résidus
agricoles en électricité12.

Cette diffusion des digesteurs montre que les pays en développement et
émergents ont eux aussi entamé leur transition énergétique, montrant même
plus de volonté que certains pays industrialisés. Ces derniers gagneraient
d’ailleurs à appliquer la même politique, surtout dans les régions où leurs
élevages intensifs produisent des masses de lisier. Cette méthanisation est
déjà largement utilisée par les agriculteurs allemands et commence à se
développer dans les régions rurales en France. Quant aux villes, ses
applications sont évidentes. La communauté urbaine de Lille alimente déjà
une partie de ses bus avec un biogaz issu du traitement des déchets ménagers.
Déchets qui servent aussi à chauffer la ville du Plessis-Gassot (Vald’Oise) :
une centrale de méthanisation alimente en effet les moteurs de la centrale
Electr’od, qui fournit eau chaude et chauffage à plus de 41 000 foyers, avec
des factures réduites de 92 %.

En France, l’éolien citoyen

La France ne fait pas partie des pays les plus engagés dans la transition
énergétique : elle a entrepris d’investir dans l’éolien offshore et l’hydrolien,
mais elle reste en retard13 sur ses voisins européens. Et c’est sans doute ce
manque d’impulsion publique qui a donné envie à certains groupes locaux de
passer à l’acte.

En 2002, Michel Leclercq, un habitant de Sainte-Marie (Ille-et-Vilaine),
réfléchit avec des amis, un couple de maraîchers, à l’implantation d’un parc
éolien près de chez eux. Le noyau initial s’élargit peu à peu à une trentaine de
personnes qui, en 2003, créent l’association Éoliennes en pays de Vilaine,
puis, en 2007, une société de capital-risque, Site à Watts. Celle-ci mobilise
les financements : ceux des membres fondateurs, complétés de l’apport de
trois clubs Cigales et d’une société d’économie mixte de Loire-Atlantique,
ainsi que, plus tard, d’une aide du réseau Énergie partagée.

Le parc de Béganne voit finalement le jour en 2014 et s’en voit adjoindre
deux autres en 2016 et 2017, à Sévérac et à Avessac, en Loire-Atlantique,
pour un investissement total de 42 millions d’euros. La production annuelle
de ces trois parcs correspond à la consommation de 26 000 foyers, et
l’électricité est injectée sur le réseau EDF avec un tarif de rachat garanti sur
quinze ans. « Quand on a créé l’association, on voulait construire un parc
éolien, faire des actions d’économie d’énergie et essaimer. On a réussi. Cette
idée utopique était réaliste et a montré que les gens peuvent se réapproprier
l’énergie », résume Michel Leclercq.

Celui-ci passe rapidement sur les années de face-à-face avec
l’administration – « Il est normal de réglementer les éoliennes : elles
modifient le paysage, font du bruit et perturbent la faune. Mais cet
encadrement extrêmement tatillon allonge beaucoup les délais » –, avant de
souligner que ce long parcours a finalement permis « de monter en
compétence, de comprendre les aspects techniques, juridiques et financiers de
l’éolien. Ce qui a généré une dynamique14, de l’emploi et de l’intelligence
collective. On est finalement devenus les référents en France ». Site à Watts a

en effet créé un bureau d’études qui partage dix emplois avec l’association
Éoliennes en pays de Vilaine et accompagne la naissance d’autres projets en
France.

Une trentaine de parcs éoliens citoyens sont ainsi en cours ou déjà ouverts,
dans les Ardennes, le Limousin, ou dans le Maine-et-Loire, où les cinq
éoliennes de Saint-Georges-des-Gardes approvisionnent 7 100 familles. Des
projets également soutenus par le fonds d’investissement solidaire du réseau
Énergie partagée15, qui accompagne techniquement les installations solaires,
éoliennes, hydroliennes et chaufferies à bois des groupes d’habitants qui
veulent changer de modèle énergétique.

Michel Leclercq est en revanche assez réservé sur les sites de financement
participatif dédiés aux projets d’EnR, car ils « soutiennent surtout des
développeurs privés, avec juste un saupoudrage de financement citoyen ». Au
contraire des projets soutenus par Site à Watts Développement et Énergie
partagée, dont « la population locale a la maîtrise totale », ceux soutenus par
ces sites ne sont pas contrôlés par les habitants : « Leur gouvernance relève
entièrement des entreprises, et les personnes qui ont souscrit en attendent
juste des dividendes. »

L’expérience d’Éoliennes en pays de Vilaine a en tout cas suscité la
naissance d’autres collectifs, comme l’association Énergies de citoyens16 à
Mulhouse, qui regroupe habitants, entrepreneurs et collectivités publiques.
Des acteurs que les centrales villageoises17 regroupent elles aussi, avec
l’objectif de mettre en place des micro-projets d’autonomie, ce qu’elles ont
déjà fait dans plusieurs parcs naturels régionaux (Vercors, Bauges, Monts
d’Ardèche, Luberon, Queyras…). L’idée est d’élaborer un modèle
reproductible à tous les territoires ruraux.

Les coopératives d’énergie

Les modèles les plus dynamiques dans ce domaine semblent cependant
être les coopératives d’énergie. Aux États-Unis, il est devenu courant de se
regrouper entre voisins pour acheter des équipements et installer des
panneaux solaires collectifs (solar gardens) ou des parcs éoliens cogérés en
coopérative18. Un modèle qui se développe aussi en Europe : en 2016, plus
de 650 000 citoyens européens cogéraient déjà plus de 1 240 coopératives
locales d’énergie dans onze pays19. En Espagne, plusieurs ont vu le jour
depuis 2011, en dépit de la crise : Som Energía à Girone, Energetica à
Valladolid, Nosa Enerxía en Galice, Goiener au Pays basque et Zencer en
Andalousie. La Belgique en compte une quarantaine20, tout comme la
Grande-Bretagne, où elles se développent rapidement. Leur croissance est
également élevée aux Pays-Bas, où le nombre d’adhérents devrait passer
de 30 000 en 2015 à 150 000 en 201821. De son côté, Énercoop, née
en 2005 en France, envisage de passer le cap des 150 000 clients en 2020.

L’exemple nordique

La taille de ces coopératives d’habitants varie de l’échelle du quartier (des
résidents qui se regroupent pour gérer un réseau de panneaux solaires sur
leurs toits) à celle de la région (pour gérer par exemple un parc éolien). Mais,
en examinant leur carte en Europe, une réalité saute aux yeux : les pays qui
en comptent la plus forte densité se trouvent au nord (Suède, Danemark,
Allemagne, Belgique, Pays-Bas). Et cette forte implication de la société civile
contribue à faire de certains d’entre eux les plus avancés en matière de
transition énergétique22.

C’est notamment vrai au Danemark, où les habitants ont été premiers à
s’organiser pour installer des équipements solaires et éoliens : dès 2001, plus
de 100 000 familles étaient déjà adhérentes de ces coopératives locales, et
celles-ci ont été à l’origine de 86 % des installations éoliennes du pays23. Le
parc offshore de Middelgrunden, implanté au large de Copenhague et qui ne
cesse de s’agrandir, est ainsi détenu pour moitié par une coopérative de

plusieurs milliers d’adhérents et pour moitié par la municipalité. La
croissance du nombre de coopérateurs est aussi soutenue par une loi danoise
qui impose que tout projet éolien soit détenu à hauteur d’au moins 20 % par
la population locale. Le pays est d’ailleurs résolument engagé dans la
transition énergétique, puisqu’il veut s’affranchir totalement des énergies
fossiles d’ici à 205024.

L’Allemagne est elle aussi avancée dans cette voie25. Déjà, en 2015, tous
modes de production confondus (solaire, biomasse, éolien…), les EnR
couvraient plus d’un tiers de la consommation d’électricité. L’engagement
des habitants y est, là encore, pour beaucoup : la moitié de la capacité
productive d’énergies renouvelables du pays est détenue par des citoyens
ordinaires26, qu’il s’agisse de panneaux photovoltaïques posés sur des
maisons, de coopératives locales d’éoliennes ou de centrales de
méthanisation installées par les agriculteurs.

Plusieurs localités allemandes ont d’ailleurs déjà atteint leur autonomie :
avec ses équipements éoliens, photovoltaïques, hydrauliques et de
méthanisation, Dardesheim (Harz), par exemple, produit quarante fois plus
d’électricité qu’elle n’en consomme et sert de modèle à une cinquantaine de
projets similaires dans le pays27. De même, la localité de Wildpoldsried
(Bavière) produit 500 % d’énergie de plus que sa consommation grâce à cinq
usines de production de biogaz, des panneaux photovoltaïques, onze
éoliennes et trois petites centrales hydroélectriques (sans compter un
chauffage urbain basé sur la biomasse et des systèmes solaires thermiques).
Des installations majoritairement cofinancées par les habitants, pour la
plupart des producteurs de lait, qui en perçoivent les bénéfices non seulement
énergétiques, mais aussi financiers, puisque la revente d’énergie fournit 80 %
des revenus de leurs exploitations28. Des dizaines d’autres localités suivent le
même exemple, et cette implication citoyenne, alliée à une impulsion
publique, contribue à faire de l’Allemagne un pays où la production
d’électricité solaire bat des records29.

Anticiper l’après-pétrole : les villes en transition

La démarche de transition envisage le passage à des sources d’énergies renouvelables et une
réduction drastique de leur consommation30. Mais penser une économie post-pétrole va au-delà
de la seule énergie pour envisager une transformation globale des modes de vie. Rob Hopkins,
concepteur des villes en transition, a ainsi identifié l’ensemble des postes de dépendance au pétrole
d’une ville31 et conçu un plan de descente énergétique qui anticipe les changements à mener pour
ne pas subir brutalement les effets du peak oil (pic pétrolier, à partir duquel la production de
pétrole ne cessera de baisser et son prix de monter) et passer en douceur à une économie post-
pétrole.

La transition impose de « repenser le fonctionnement de tout ce qui existe », explique Michel
Durand, qui coordonne les groupes de transition du Québec. L’épuisement du pétrole suppose de
réduire les transports ; or, « comme la moitié des Américains vivent en banlieue et ne vont pas
déménager, il faut changer la façon de bouger en travaillant par îlots », dit-il. On peut ainsi
redessiner toutes les interactions travail-habitat et production-consommation afin de raccourcir les
trajets et de tout rendre accessible en mobilité douce (marche, vélo, transports électriques et
partagés), l’objectif étant de sortir d’une civilisation conçue pour la voiture.

Dans la même logique, l’agriculture locale devient la principale source d’approvisionnement :
d’où une forte autoproduction des familles et la mise sur pied de productions locales, vendues en
circuits courts (Amap, marchés fermiers, petites coopératives). Il faut aussi prévoir le recyclage
total des déchets, l’utilisation de l’eau de pluie, des systèmes locaux d’échange de biens et de
services, et une monnaie locale.

Les habitants de la ville britannique de Totnes ont été les premiers à expérimenter ce scénario à
partir de 2006, suivis d’autres groupes d’habitants dans plus de 1 200 villes d’Europe, du Canada
ou des États-Unis. Le concept s’applique plus largement à tous les bassins de vie, d’habitat et de
transport : quartiers, villages, régions. Il est désormais soutenu par plusieurs pouvoirs publics
locaux, qui ont compris que l’avenir appartient aux territoires qui auront anticipé ce changement
d’ère32.

Combiner les nouvelles énergies

Comme en Allemagne, de multiples petits territoires européens ont entamé
leur transition. En France, c’est le cas de l’ancienne cité minière de Loos-en-
Gohelle, qui construit son autonomie énergétique avec la participation des
habitants. Elle a installé une centrale photovoltaïque au pied des terrils, de
multiples panneaux solaires sur les toits et un parc de six éoliennes, avant de
lancer plusieurs programmes d’éco-construction (nouveaux logements

sociaux à haute performance énergétique et rénovation thermique du bâti
ancien). La commune a aussi ouvert un centre de développement des éco-
entreprises pour promouvoir les filières innovantes dans l’économie verte33.

À l’échelle des quartiers, l’une des transitions les plus abouties est celle de
BedZED – Beddington Zero Energy Development –, situé au sud de Londres.
Cet écoquartier de logements, de bureaux et de commerces, alimenté en
électricité et en eau chaude par une centrale à biomasse, est neutre en
carbone. Chaque logement est doté de panneaux photovoltaïques et
d’équipements électriques basse consommation. Des matériaux passifs et une
isolation maximale y ont réduit le chauffage de 90 %. Les pluies sont
récupérées et les eaux usées recyclées, tandis qu’un approvisionnement
alimentaire local et des mobilités vertes (vélo, voitures électriques, auto-
partage) contribuent à la neutralité en carbone. BedZED est ainsi devenu une
référence en matière de transition énergétique34.

Mais, de tous les territoires, les plus prédestinés à l’autosuffisance
énergétique sont sans doute les îles, non connectées aux réseaux continentaux
et qui bénéficient de la présence constante de vent. L’île d’El Hierro aux
Canaries (Espagne) se caractérise par un système hybride : sa centrale au
fioul a été doublée d’une centrale hydro-éolienne qui peut assurer
l’autonomie des 7 000 habitants en électricité. Cette centrale est composée de
« cinq éoliennes qui pompent aussi de l’eau. Et, grâce à une forte déclinaison
entre les deux bassins de stockage d’eau, quatre hydro-turbines produisent de
l’électricité les jours où il y a peu de vent », explique l’hydrologue Alain
Gioda, qui accompagne le développement durable de l’île depuis vingt-cinq
ans35. Dès la reprise du vent, l’énergie éolienne fait remonter l’eau du bassin
inférieur vers le supérieur, et le cycle peut recommencer. Avec ce système, El
Hierro a atteint son autonomie énergétique durant plusieurs dizaines de jours
dès 2016, mettant en veille la centrale thermique, qui, à terme, n’aura plus
qu’une fonction d’appoint. L’autre caractéristique d’El Hierro est sa
gouvernance énergétique locale. « L’initiative du projet revient à des
ingénieurs locaux, qui ont été élus sur un programme d’autonomie politique
et énergétique, validé dans les urnes en 1979 », ajoute Alain Gioda. « La
centrale hydro-éolienne a généré plus de 30 emplois. Et une société

d’économie mixte d’énergie, dont l’île possède 66 % et la région des
Canaries 11 %, permet de garder sur l’île la majorité des revenus » tirés de la
vente des EnR au réseau espagnol.

De son côté, l’île danoise de Samsø a acquis son autonomie en chauffage,
en eau chaude et en électricité grâce à des parcs éoliens terrestres et offshore,
complétés de panneaux solaires et de générateurs au bois et à la biomasse.
Des sources d’énergie qui ont réduit l’empreinte écologique de l’île de près
de 140 %36. Et, là encore, la transition a été décidée et gérée par les îliens
eux-mêmes : quand le gouvernement a demandé à plusieurs îles du pays si
l’expérience des EnR les tentait, les habitants de Samsø ont tout de suite dit
oui et acheté eux-mêmes les équipements, à titre individuel ou en groupes,
avec des aides nationales et européennes. Le retour sur investissement a été
rapide, puisqu’ils produisent des surplus de plusieurs millions de
kilowattheures, vendus au reste du pays. Une bonne isolation des maisons et
la récupération des pluies complètent ce dispositif, qui fait de Samsø un
modèle d’autodétermination énergétique cité en exemple dans le monde
entier.

D’autres îles, comme celles d’Eigg et de Gigha (Hébrides) et les Orcades
en Écosse, sont elles aussi devenues indépendantes grâce à l’éolien et à
l’hydrolien. L’île britannique de Wight37, les îles d’Aran38 en Irlande,
Madère au Portugal, la Réunion, ainsi que l’archipel des Tuvalu, le Cap-Vert,
les Seychelles et Hawaï suivent la même voie. La Nouvelle-Zélande et
l’Islande sont, elles, déjà quasi indépendantes.

Un modèle énergétique décentralisé

Ces multiples transitions de proximité constituent la base d’un modèle qui
permet de penser l’après-pétrole à une échelle plus large. Aux États-Unis,
plusieurs experts pensent que le changement d’énergie passera par la
réorganisation des réseaux au profit du local, avec la prise en charge par la
population de la production et de la distribution de l’énergie (energy
crowdsourcing). L’idée n’est plus de distribuer une énergie unique à partir
d’un grand réseau national, mais de constituer des pôles locaux de production
d’énergie combinant plusieurs sources renouvelables. Des milliers de pôles
énergétiques rendraient chacun leur territoire autonome en électricité et en
chauffage39, et le réseau national ne serait plus qu’une source
d’approvisionnement secondaire, où l’on se connecterait seulement en cas de
besoin. Ce scénario a déjà fait l’objet d’un rapport du ministère américain de
l’Énergie40, qui y voit une clé pour garantir l’autonomie énergétique du pays
et décarboner l’économie.

Dans ce schéma, calqué sur l’économie collaborative, chaque pôle
distribuerait aussi ses surplus de production vers les territoires voisins, en
réseaux régionaux. Un modèle qui s’applique déjà, on l’a vu, à certaines
localités allemandes. Le micro-réseau qui a vu le jour à New York préfigure,
lui, ce qu’il pourrait être à l’échelle d’un quartier : les membres du Brooklyn
Microgrid sont producteurs d’électricité, mais aussi consommateurs-
vendeurs, puisqu’ils partagent en réseau leurs surplus de production solaire
avec d’autres résidents du quartier41. Le prospectiviste Jeremy Rifkin fait de
ce modèle la base d’une « troisième révolution industrielle42 » où des
millions d’habitants deviendraient des producteurs d’énergie et échangeraient
leurs surplus via des smart grids (réseaux intelligents).

Cette nouvelle géographie énergétique nécessitera évidemment une forte
impulsion politique, mais l’implication de la société civile sera également
déterminante pour organiser les pôles énergétiques par quartiers ou villes, et
gérer collectivement les équipements. En partie amorcé par les coopératives
citoyennes des pays industrialisés, ce modèle décentralisé pourrait aussi être

associé, dans les pays du Sud, à l’organisation en pôles de micro-équipements
de villages, comme ceux qu’installent le Barefoot College ou les entreprises
sociales.

L’économie circulaire

L’économie actuelle répond à un modèle linéaire : on produit des biens en prélevant des
ressources naturelles, on les consomme, puis on les jette. Le concept d’économie circulaire, lui,
n’exploite plus les ressources naturelles et ne jette plus de déchets : il recycle au contraire les
matériaux et les énergies. Les rejets (gazeux, liquides, solides) d’une industrie deviennent ainsi la
source d’énergie ou la matière première d’une autre usine. Et les déchets que produit cette même
usine (eaux usées, vapeur, déchets organiques…) vont alimenter une autre unité productive, et
ainsi de suite. Les flux matériels et énergétiques circulent en cercle fermé, jusqu’à ne plus produire
de résidus finaux, ou presque. Au Danemark, le site de Kalundborg a été le premier à mettre en
place une telle symbiose industrielle, qui réduit les émissions de carbone et les coûts de
production.

Cette nouvelle architecture d’échanges horizontaux reproduit les écosystèmes (rien ne se perd,
tout est réutilisé), réduit l’exploitation des ressources naturelles et crée de nouvelles activités
porteuses d’emplois. Elle est défendue par la Fondation Ellen MacArthur sous le nom d’économie
circulaire, et par Gunter Pauli, fondateur du réseau Zero Emissions Research and Initiatives
(ZERI), sous le nom de blue economy. Des pays émergents comme la Chine, l’Inde et le Brésil ont
déjà pris de l’avance dans l’organisation de tels écosystèmes énergétiques.

1 Voir l’analyse du WWF en 2016 sur www.wwf.fr/?9641/Les-signaux-de-la-transition-energetique.
2 La Chine s’est engagée à ce que 20 % de sa consommation d’énergie soit de source renouvelable d’ici
à 2030, tout comme l’Inde (40 % d’ici à 2030). Toutes deux devraient cependant rester d’importants
consommateurs de charbon, et elles misent par ailleurs fortement sur le nucléaire.
3 Le solaire, l’éolien et la méthanisation des déchets seront leurs principales sources. Certaines y
ajoutent des innovations simples : Portland insère des turbines à l’intérieur de ses grosses canalisations
d’eau pour que la force du flux produise de l’électricité (voir Mélissa Petrucci, « L’hydroélectricité in-
pipe arrive à Portland », Les-smartgrids.fr, 26 janvier 2015).
4 Les EnR ont dominé le mix électrique européen pour la première fois en 2013 : avec 28 %, elles ont
légèrement dépassé le charbon et le nucléaire.
5 En 2016, le Portugal a atteint 100 % de couverture durant quatre jours grâce au solaire, à l’éolien et à
l’hydraulique.
6 Le matériel envoyé dans les villages est financé par l’agence de coopération indienne, l’ITEC.

7 L’essentiel des frais de voyage, de formation et de livraison des équipements est financé par l’ITEC,
la fondation Ensemble et le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD).
8 En seulement six ans, de 2010 à 2016, elles ont doublé le nombre de foyers équipés, atteignant un
million (Gshakti.org).
9 L’Alternative Energy Promotion Centre (www.aepc.gov.np). Le coût des digesteurs est couvert pour
un tiers par le gouvernement, le reste étant financé par l’aide internationale, venant d’Allemagne et des
Pays-Bas notamment.
10 Navin Singh Khadka, « Nepal Pipes Biogas Expertise Abroad », BBC News, 2 décembre 2011.
11 Saleem Shaikh et Sughra Tunio, « Biogas Surge Easing Rural Life in Vietnam », Alertnet,
4 juillet 2012, http://news.trust.org//item/20120704115000-538vp/?source=spotlight.
12 Dans le cadre du programme de partenariat de biogaz en Afrique (ABPP), mené par les
gouvernements et plusieurs ONG.
13 Retard notamment dû la puissance de l’industrie nucléaire. La loi sur la transition énergétique
de 2015 prévoit de réduire la part du nucléaire de 75 à 50 % dans la production d’électricité d’ici
à 2025. Mais les ressources du pays (qui possède notamment le deuxième potentiel éolien d’Europe)
pourraient permettre une production électrique basée sur 100 % d’EnR d’ici à 2050, pour un coût
équivalent à celui du nucléaire, estime l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie
(Ademe). Dans son étude « Vers un mix électrique 100 % renouvelable en 2050 », celle-ci estime le
potentiel total, toutes sources confondues (éolien, solaire, géothermie, hydraulique, etc.), à 1 268 TWh
par an, soit trois fois la demande annuelle d’électricité prévue en 2050 (422 TWh).
14 Éoliennes en pays de Vilaine organise des sessions de sensibilisation aux EnR dans les écoles, tandis
que la mobilisation autour du parc éolien a suscité d’autres actions locales, comme la plantation
d’arbres.
15 Voir sur http://Eolien-citoyen.fr et Energie-partagee.org.
16 Voir Energie-de-citoyens.com et Fanny Barbier, « Transformer les citoyens en producteurs
d’énergie », Métis, 31 décembre 2015.
17 www.centralesvillageoises.fr.
18 Voir ces initiatives sur Solargardens.org/directory/.
19 Voir Rescoop.eu.
20 La cofondation de la moitié d’entre elles représentait déjà 100 millions d’euros d’investissement
citoyen.
21 Selon l’organisation Duurzameenergie.
22 En 2013, la part des EnR dans la consommation d’électricité était déjà de 65 % en Norvège, de 52 %
en Suède et de 27 % au Danemark (contre 14 % en France). Voir Nicolas Escach, « Le modèle
énergétique nordique n’est pas une utopie », LeMonde.fr, 3 décembre 2015.
23 Copenhagen Environment and Energy Office.
24 Le pays est déjà passé de 3 % de part d’EnR dans la production d’électricité en 1980 à 56 %
en 2016. En 2015, dans de bonnes conditions de vent, l’éolien y a battu un record du monde,
assurant 42,1 % de la consommation électrique.
25 Le pays mène une politique volontariste de sortie progressive du nucléaire. En attendant que cette
transition soit achevée, il fait cependant marcher de nombreuses centrales à charbon.
26 Ce qui représente un investissement citoyen de 100 milliards de dollars, selon le spécialiste Paul
Gipe. Voir « Citizen Power : International Community Power Conference Set for 3-5 July in Bonn,

Germany », 5 janvier 2012 (www.windworks.org). Paul Gipe est l’auteur du Grand Livre de l’éolien,
Le Moniteur, 2007.
27 Marlies Uken, « Die Harzer Stromrebellen », Die Zeit, 30 octobre 2007.
28 Amandine Perrault, « Wildpoldsried, la petite ville allemande qui produit un surplus d’énergie
de 500 % », Les-smartgrids.fr, 13 novembre 2014.
29 Les 25 et 26 mai 2012, la production d’énergie solaire a atteint le record mondial de 22 gigawatts-
heures, l’équivalent de vingt centrales nucléaires, et a permis de répondre à presque la moitié des
besoins électriques du pays.
30 Le concept de puissance économisée grâce aux changements de mode de vie ou de technologie
s’appelle le « négawatt » (voir Negawatt.org).
31 Voir le blog de Rob Hopkins : https://transitionnetwork.org/blogs/rob-hopkins, son Manuel de
transition (Le Souffle d’Or, 2010), ainsi que le site Transitionfrance.fr.
32 Voir notamment le film In Transition 2.0 (www.intransitionmovie.com/fr/).
33 Voir www.loos-en-gohelle.fr.
34 Voir notamment http://www.energy-cities.eu/db/sutton_579_fr.pdf.
35 Voir Climat’O, le blog d’Alain Gioda, sur http://blogs.futura-sciences.com/gioda.
36 Voir Robin McKie, « Isle of Plenty », The Observer, 21 septembre 2008.
37 Wight veut associer l’indépendance énergétique – grâce à l’éolien, à l’hydraulique, au solaire, aux
pompes à chaleur et au biogaz – à une autarcie en matière d’alimentation, d’eau et de recyclage des
déchets. Voir Tom Forster, « Isle of Wight : a Model of Self-Sufficiency », Green Futures Magazine,
1er mars 2012.
38 Qui prévoient leur indépendance énergétique en 2022 grâce à une coopérative locale.
39 Chris Nelder, « Crowdsourcing the Energy Revolution », Smart Planet, 16 novembre 2011,
www.smartplanet.com/blog/energy-futurist/crowdsourcing-the-energy-revolution/192.
40 N. Carlisle, J. Elling, T. Penney, « A Renewable Energy Community. Key Elements », National
Renewable Energy Laboratory, US Department of Energy, 2008,
http://www.nrel.gov/docs/fy08osti/42774.pdf.
41 Voir Fanny Le Jeune, « Brooklyn : un microgrid permet aux habitants de partager de l’énergie
renouvelable entre eux », Les-smartgrids.fr, 21 mars 2016.
42 Jeremy Rifkin, La Troisième Révolution industrielle. Comment le pouvoir latéral va transformer
l’énergie, l’économie et le monde, Les Liens qui libèrent, 2012.

Le modèle coopératif

Le travail n’est pas une marchandise.
Déclaration du sommet de Philadelphie (1944), signée par 182 États

membres de l’Organisation internationale du travail

Coopératives. À l’heure de l’économie high-tech, ce concept, né
en 1844 dans la ville minière anglaise de Rochdale, pourrait paraître désuet. Il
n’a pourtant rien perdu de sa pertinence. Cette forme d’organisation du travail
tournée vers l’intérêt collectif – c’est d’ailleurs à ce titre que l’Onu la
défend – fait même preuve d’un dynamisme, de capacités entrepreneuriales,
d’une solidité et d’une modernité qui en font un modèle économique crédible,
qui gagne aujourd’hui du terrain.

Une coopérative est une structure de production de biens ou de services
dans laquelle les salariés sont copropriétaires du capital, co-décisionnaires
(un membre, une voix) et co-électeurs des dirigeants, ces derniers étant
responsables devant eux. Une partie des bénéfices est obligatoirement
réinvestie dans le développement de l’entreprise et une autre distribuée aux
salariés-sociétaires sous forme de bénéfices sociaux. Avec l’accord des
membres, la coopérative soutient des activités extérieures, dans un esprit
d’engagement envers la communauté.

Dans le monde, 2,5 millions de coopératives emploient
aujourd’hui 250 millions de personnes1, dans des structures qui vont de la
PME au groupe international. Un milliard d’humains sont aussi membres
d’une coopérative en tant que salariés, consommateurs, propriétaires,
locataires ou épargnants. En Grande-Bretagne, 17,5 millions de personnes
faisaient partie d’une coopérative en 2015, un nombre record (+2,3 millions

en cinq ans). Aux États-Unis, 30 000 coopératives salarient deux millions de
personnes. Parmi elles, 900 coopératives de distribution électrique desservent
plus de 42 millions de clients, tandis que 100 millions d’Américains ont
adhéré à une credit union, une coopérative citoyenne d’épargne. En France,
21 000 coopératives salarient un million de personnes, à peu près autant que
les 41 500 coopératives italiennes. Au Japon, plusieurs centaines de
coopératives fournissent assurances, soins et logements aux étudiants. Par son
importance et ses valeurs, ce modèle vaut donc la peine d’être examiné.

Les empresas recuperadas d’Argentine

Buenos Aires. L’air d’avril est tiède en ce début d’automne de
l’hémisphère Sud. Dans le quartier de Pompeya, les portes de l’imprimerie
Chilavert Artes Gráficas sont grandes ouvertes sur la rue et l’intérieur de
l’atelier ressemble à une ruche. Deux rotatives tournent à plein régime, une
machine assemble les pages d’un livre avec un cliquetis métallique régulier et
des ouvriers chargent des cartons dans un camion. L’endroit sent l’encre, le
papier, la graisse des machines. Il y a quelques années pourtant, l’atelier était
en état de siège et l’odeur qui emplissait la rue était celle des gaz
lacrymogènes lancés par la police.

En 2002, l’Argentine subit une violente crise financière. Surendetté, en
récession, le pays vit sous perfusion du FMI, qui impose ses conditions.
Depuis 1999, sept plans d’austérité ont déjà réduit les dépenses publiques et
flexibilisé le marché du travail, puis les structures sociales sont démantelées,
les services publics privatisés et plus de 100 000 fonctionnaires licenciés.
Malgré la brutalité du traitement, le FMI refuse pourtant de nouveaux prêts à
l’Argentine, et celle-ci doit se déclarer en faillite. Les salaires ne sont plus
payés, 53 % de la population bascule sous le seuil de pauvreté, le chômage
atteint 25 % des actifs et l’inflation réduit le pouvoir d’achat de moitié. Sans
emploi, ouvriers ou professeurs deviennent cartoneros (chiffonniers) pour
survivre. La colère contre la classe politique éclate en grèves générales, en
cacerolazos (concerts de casseroles dans les rues) et en émeutes. Les
Argentins pillent les supermarchés pour manger. Dans un climat
insurrectionnel, l’état de siège est proclamé.

« C’était le chaos général et il fallait d’abord survivre », explique Ernesto
Gonzalez, l’un des salariés de Chilavert. Des milliers de salariés voient leur
entreprise fermer, découvrant parfois un matin que le patron a plié bagage et
vidé l’usine durant la nuit. Les employés de Chilavert sont de ceux-là. Après
plusieurs dizaines de licenciements, les huit ouvriers restants apprennent que
le patron veut vendre les rotatives et tout liquider. Alors, pour garder leur
outil de travail, ils occupent les locaux. Dans l’imprimerie, comme dans des

centaines d’autres entreprises, le mot d’ordre de ce printemps 2002 est :
« occupar, resistir, producir » (occuper, résister, produire). Mais la
répression s’abat : l’eau et l’électricité sont coupées dans la plupart d’entre
elles et la police tente d’en déloger les ouvriers. Ceux de Chilavert
barricadent les portes : « Pendant huit mois, on est entrés et sortis de l’atelier
par un trou creusé dans le mur, là, sur le côté », sourit Ernesto en désignant
une ancienne brèche dans le mur, aujourd’hui rebouchée.

La vague d’occupations d’entreprises suscite dans le pays un élan de
solidarité. À Pompeya, voisins, retraités et étudiants tiennent des assemblées
populaires pour soutenir les salariés de Chilavert. Leurs familles survivent
grâce à l’entraide. « Dans cette effervescence sociale, la clé a vraiment été le
soutien du quartier et des autres ouvriers », se souvient Ernesto.

Fin 2002, ils obtiennent l’autorisation légale de reprendre l’imprimerie en
coopérative. « Il a alors fallu tout faire nous-mêmes : trouver des clients,
gérer les commandes et la comptabilité. On calculait les coûts, on se trompait,
on corrigeait. L’argent rentrait petit à petit, mais au moins on était payés et on
gagnait tous la même chose », raconte Ernesto, tout en jonglant avec deux
téléphones qui sonnent sans arrêt. « Ce qui a été révolutionnaire pour les
ouvriers des recuperadas a justement été d’acquérir cette estime de soi et
cette indépendance. Et d’être traités à égalité, quels que soient l’âge ou
l’ancienneté », résume Luis Alberto Caro, un avocat qui a appuyé le
sauvetage de 120 entreprises et préside une de leurs fédérations2.

Chilavert a ensuite pu passer de huit à douze socios (salariés-sociétaires),
et leur coopérative est aujourd’hui doublée d’un centre culturel qui organise
débats, projections de films et animations, maintenant ainsi le lien avec la
communauté qui les a soutenus. Comme elle, 35 % des recuperadas
argentines ont des activités culturelles tournées vers leur environnement
social3. Et Chilavert reçoit toute l’année étudiants, journalistes et chercheurs,
car elle garde les archives du mouvement national de sauvetage des
entreprises.

Les recuperadas ne représentent qu’une petite fraction du mouvement
coopératif du pays4, mais elles « ont apporté leur contribution à la
reconstruction de l’économie », estime Daniel Lopez, qui dirige l’entreprise

Ghelco, la première recuperada légale de Buenos Aires. La crise de 2008 a
ensuite entraîné une autre vague de reprises d’entreprises, et les recuperadas
sont maintenant présentes dans tous les secteurs : pharmacies, hôpitaux,
écoles, boulangeries, médias, supermarchés, usines textiles, métallurgiques
ou chimiques. Certaines restent fragiles et ont dû recevoir une aide de l’État,
mais la plupart marchent bien. Un palace de Buenos Aires, le Bauen, repris
en coopérative en 2003, a embauché 150 personnes et ouvert un café branché.
Et une entreprise métallurgique comme Union Y Fuerza a « doublé ses
effectifs », note Luis Alberto Caro.

La leçon tirée en Argentine de ce sursaut collectif, c’est que, même dans
une économie en débâcle, des milliers de personnes peuvent reprendre leur
vie en main. Les recuperadas ont montré que « des entreprises jugées
irrécupérables sont viables si elles sont gérées autrement : on peut mieux
répartir la richesse et construire une économie tournée vers les besoins de la
population », ajoute Luis Alberto Caro.

Au Brésil, plusieurs centaines d’entreprises ont aussi été reprises en
coopératives par leurs salariés dans les années 1990 et, depuis 1994, leur
association nationale5 soutient la relance de sociétés en faillite et la création
de petites coopératives dans les quartiers défavorisés.

Un secteur dynamique

Contrairement aux idées reçues, la nature cogestionnaire des coopératives
n’entrave pas leur réactivité. « Elles sont, comme les autres, soumises aux
contraintes du marché, mais la différence, c’est l’implication des salariés dans
la réussite de l’entreprise : ils se sentent concernés et la prise de décision est
plus rapide », relève Pascal Coste-Chareyre, le directeur général de Ceralep,
une entreprise de Saint-Vallier (Drôme) condamnée à la liquidation par un
fonds de pension et reprise en Scop (sociétés coopératives de production)
en 2004 par ses cinquante-deux employés, qui l’ont ensuite développée.

En France, seule une petite partie des Scop et des Scic (sociétés
coopératives d’intérêt collectif) sont des entreprises en faillite relancées de
cette façon, les autres étant des créations ex nihilo ou des sociétés transmises
aux salariés par leur fondateur. Mais leur rythme de création progresse plus
vite que celui des autres sociétés6. Leur paysage très divers – qui va du BTP à
la production de films ou de jeux vidéo – est d’ailleurs jalonné de succès,
comme celui du groupe Chèque Déjeuner, présent dans neuf pays, ou du
Relais, leader français du recyclage de textiles.

Cela dit, tout n’est pas idyllique dans le monde coopératif. Il est même
devenu difficile de distinguer les banques et supermarchés coopératifs de
leurs équivalents commerciaux7, et la démocratie interne y est souvent
réduite, car les assemblées générales attirent peu de sociétaires. La croissance
peut aussi diluer les principes fondateurs. Mondragon, le plus grand groupe
coopératif au monde, créé au Pays basque espagnol en 1955, garde certes des
missions sociales (coopérative de crédit, sécurité sociale), mais il est devenu
une holding internationale de 289 sociétés dont seule la moitié garde le statut
coopératif. Et si la moitié des 80 000 salariés restent sociétaires, ceux des
nombreuses usines délocalisées (Pologne, Roumanie, Inde, Chine…) ne le
sont pas.

Toutefois, bien des exemples inverses montrent qu’il est possible
d’atteindre une taille importante sans perdre son intégrité coopérative. Le
premier groupe financier coopératif du Canada, le groupe Desjardins

(banques, crédit, assurances), fondé en 1900, revendique toujours « le mieux-
être économique et social » de ses 5,6 millions de membres. Chaque année, il
verse une partie des bénéfices (plusieurs millions de dollars canadiens) à ses
sociétaires, à des associations humanitaires, culturelles et écologiques, à
d’autres coopératives, à des étudiants boursiers et à des programmes
éducatifs.

L’enjeu pour les coopératives est donc de se développer en restant fidèles à
leurs valeurs. Car c’est justement face aux dérives du système économique
que leurs principes font la différence, surtout en temps de crise.
Historiquement, elles ont d’ailleurs toujours connu un regain durant les
périodes de turbulences économiques, comme les années 1840 en Grande-
Bretagne, la Grande Dépression de 1929, la crise argentine des années 2000.
Durant une période de chômage élevé au début des années 1990, la Finlande
a aussi soutenu la création de 1 200 coopératives pour créer des emplois. Et,
dans une Espagne durement frappée par la crise de 2008, 950 coopératives se
sont créées en 2013 (+23 % en un an), car ce cadre était jugé plus sûr pour se
lancer.

Les coopératives survivent en effet mieux aux crises : leur taux de survie
dans les premières années est meilleur8 que celui des autres entreprises et
« leur longévité est impressionnante », constate l’Organisation internationale
du travail (OIT)9. D’abord en raison de la répartition horizontale du capital et
d’une gestion axée sur le long terme. Et aussi parce que les gains ne
s’évaporent pas dans les salaires élevés de dirigeants ou la rémunération
d’actionnaires extérieurs, mais sont réinvestis dans l’entreprise. Une échelle
des salaires plus resserrée qu’ailleurs libère également du capital pour
investir, et le capital des sociétaires peut être mobilisé au lieu d’emprunter
aux banques. Enfin, l’esprit d’engagement social du secteur le fait agir pour
« la création d’emplois, la reprise d’employés et les sauvetages »
d’entreprises, souligne l’OIT10.

En finir avec la pauvreté

S’il est une coopérative qui illustre parfaitement cette mission sociale, c’est
bien Lijjat. Pour comprendre son histoire, il faut se rendre à Bombay
(Mumbai), la capitale financière de l’Inde, où les résidences des nouveaux
millionnaires ne peuvent faire oublier les perdants du développement : 78 %
des habitants vivent dans des bidonvilles.

En 1959, sept femmes pauvres se disent qu’elles pourraient nourrir leur
famille en vendant des papads (fines galettes de farine de lentilles) au
marché. Elles sont si démunies qu’elles doivent emprunter de l’argent à des
proches pour acheter la farine. Mais les papads se vendent bien et leur
premier bénéfice leur permet d’acheter plus de farine le lendemain. Au fil des
mois, elles augmentent leur production, fidélisent leur clientèle et sont
rejointes par d’autres femmes. Puis elles adoptent le statut de coopérative et
se jurent que, si leur affaire marche, elles n’embaucheront que des femmes
pauvres.

Aujourd’hui, Lijjat est la plus grande coopérative féminine au monde,
avec 44 000 salariées. Son siège social à Bombay, connaît une activité
bourdonnante, avec plusieurs centaines de salariées réparties entre bureaux et
salles de stockage. Mais l’entreprise a gardé le même objectif depuis sa
fondation : fournir une activité aux femmes pauvres et générer du progrès
social. De Gandhi, dont le portrait trône dans la grande salle de réunion, les
fondatrices ont aussi retenu le refus des inégalités et des différences de caste :
toutes les salariées s’appellent « sœurs » pour se sentir « membres d’une
même communauté », explique Irene Almeida, une des administratrices.
Toutes disposent aussi d’un droit de vote et de veto sur les comptes et
adhèrent aux règles internes, qui imposent de résoudre les problèmes
ensemble, par le dialogue. Les 21 femmes qui dirigent la coopérative à tour
de rôle sont élues, mais ne peuvent diriger si elles n’ont pas commencé à la
base, en cuisinant des papads.

La production est décentralisée, pour maintenir l’emploi dans les villages.
Les femmes travaillent chez elles et leur salaire est versé chaque soir, quand

leurs papads sont collectés à domicile : elles ont ainsi de l’argent en
permanence, sans dépendre de leur mari. Elles gagnent au minimum 120
roupies par jour, soit six fois plus que le seuil de pauvreté, et, de plus, en tant
qu’associées, perçoivent des dividendes annuels souvent supérieurs à deux
mois de salaire. Toutes bénéficient de cours d’alphabétisation, de bourses
scolaires pour leurs enfants, de soins médicaux et de prêts personnels en cas
de besoin. Une éthique qui a valu à Lijjat plusieurs récompenses nationales et
une image sociale très forte chez les consommateurs, qui connaissent son
slogan : « Lijjat, symbole de la force des femmes ».

La coopérative est florissante, avec des bénéfices et des recrutements en
hausse chaque année. Elle possède 85 branches en Inde et exporte dans le
monde entier, mais elle préserve ses principes, refusant les sous-traitances,
les franchises et les partenariats industriels : « Nous travaillons dans la
simplicité et nous ne voulons pas adopter l’esprit des multinationales »,
résume la présidente, Swati R. Paradkar. Ce qui n’empêche pas Lijjat de
démontrer qu’une entreprise peut être rentable tout en procurant des bénéfices
sociaux inimaginables dans le secteur commercial : quelle structure, en
dehors d’une coopérative, donnerait un emploi à 44 000 femmes illettrées en
acceptant qu’elles participent à la gestion ?

Un outil d’indépendance

Au Maroc, les 130 coopératives féminines de fabrication d’huile d’argan
ont réussi, elles aussi, à sortir les femmes de la pauvreté, mais en doublant
cette mission sociale d’une réussite écologique : elles ont contribué à stopper
la déforestation et à relancer la culture de l’arganier11.

Tissaliwine, basée à Agadir, est une des coopératives d’un réseau qui fait
vivre 1 300 productrices12. « Dans les années 1990, les femmes allaient
récolter les noix dans la montagne à 5 heures du matin, mais c’étaient les
hommes qui vendaient l’huile au souk et gardaient l’argent », raconte Jamila
Idbourrous, une de ses responsables. « Aujourd’hui, elles récoltent toujours
les noix et les transforment en huile bio, mais elles sont indépendantes et
utilisent l’argent pour elles et leurs enfants. » À raison de 200 dirhams
(18 euros) le litre, « il leur suffit de produire onze litres par mois pour gagner
le Smic marocain », mais la plupart produisent jusqu’à cinquante litres par
mois, dit-elle.

Au Maroc, les coopératives de femmes ne couvrent que 20 % de la
production d’huile d’argan, mais elles fournissent à celles-ci l’essentiel : un
revenu sûr. « Quand elles produisaient individuellement, elles vivaient dans
la pauvreté. Sans le regroupement en coopératives, jamais elles n’auraient pu
conclure de contrats avec l’étranger, principal débouché de l’huile », explique
Jamila. Les trois tonnes produites chaque mois par Tissaliwine, certifiées
Ecocert, sont en effet exportées à 80 % vers l’Europe et le Canada. Le salaire
de ces femmes, ainsi que le dividende annuel qu’elles perçoivent, font vivre
dignement « un millier de familles dans les douars (villages), où il n’y a pas
beaucoup d’emplois. Beaucoup de productrices sont aussi des femmes seules
et des veuves » qui, sans ce revenu, ne pourraient pas scolariser leurs enfants.

Les coopératives ne peuvent à elles seules réduire toutes les inégalités
d’une société, mais elles restent, en particulier pour les femmes, qui
représentent 70 % des pauvres de la planète, un moyen sûr de gagner leur
indépendance. Au Nicaragua, des femmes de Ciudad Sandino ont quitté les
usines textiles qui les exploitaient et créé une coopérative de confection,

Nueva Vida, qui exporte des vêtements en coton bio via une filière équitable.
De tels exemples d’empowerment abondent dans le monde, allant des
coopératives d’artisanat des femmes zouloues d’Afrique du Sud aux
coopératives de café ou de beurre de karité d’Afrique subsaharienne, qui
procurent aux femmes un revenu et des cours d’alphabétisation.

Dans toute l’Afrique, le secteur coopératif est d’ailleurs devenu un solide
vecteur de création d’emplois. Au Kenya, il fournit 45 % du PIB,
emploie 255 000 personnes et représente 31 % de l’épargne du pays, 70 % du
marché du café et 95 % de celui du coton13. Sur tout le continent, il procure
aux familles assez de revenus pour scolariser les enfants, il irrigue l’économie
réelle de crédits à faibles taux, organise la distribution alimentaire et renforce
les filières de commerce équitable : autant de leviers pour réduire la
pauvreté14. En Inde, ce sont aussi les coopératives qui ont fait du pays le
premier producteur mondial de lait. L’une d’elles, Amul, fondée
en 1946 pour libérer les paysans des intermédiaires, fait vivre décemment
trois millions de petits fermiers.

L’extension du domaine coopératif

Depuis quelques décennies, et surtout depuis la crise économique de 2008,
les coopératives connaissent un regain d’intérêt qui se traduit par une double
évolution : d’un côté, elles s’étendent à de nouveaux domaines d’activité ; de
l’autre, elles font naître des écosystèmes coopératifs.

Déjà nombreuses dans leurs secteurs d’origine (agriculture, banque,
assurance, distribution), les coopératives se multiplient en effet dans d’autres
domaines, comme l’habitat15, le tourisme ou les transports. Dans les énergies
renouvelables, de plus en plus de consommateurs britanniques et américains
de solaire et d’éolien se regroupent en coopératives. Le nombre de
coopératives engagées dans l’agriculture bio dans le monde ne cesse
également de croître, et toutes ne sont pas de grandes structures ; certaines
sont des fermes locales, comme la GartenCoop de Fribourg (Allemagne),
gérée en coopérative par 290 fermiers et consommateurs16. Côté santé, les
pays qui se dotent d’assurances santé les privilégient aussi pour la qualité de
leurs prestations sociales17, et des hôpitaux coopératifs se sont ouverts aux
États-Unis, au Canada, en Inde, au Népal ou en Australie18, tous dotés d’une
valeur commune : le patient est considéré comme un acteur de sa santé.

En Grande-Bretagne, l’éducation est devenue le domaine où les
coopératives se développent le plus vite : en seulement trois ans (2012-2015),
le nombre d’écoles et de collèges coopératifs est passé de 150 à 834, et ceux
qui ont adopté leurs méthodes ont connu une nette amélioration des résultats
aux examens. Un succès qui repose sur leurs valeurs de pédagogie, de
démocratie (enseignants et élèves, parents et toute la communauté locale
s’impliquent dans la vie des établissements), ainsi que sur leur capacité à
intégrer les enfants des minorités ethniques. La tendance est comparable aux
États-Unis et au Canada. À New York, Brooklyn compte maintenant
plusieurs écoles et jardins d’enfants coopératifs, fondés par des parents qui
voulaient un enseignement épanouissant et collaboratif pour leurs enfants19.
Mais, comme pour les recuperadas d’Argentine, l’esprit coopératif ne
s’arrête pas aux murs de l’établissement : il reflète la mobilisation plus large

d’une communauté qui souhaite changer de modèle, que ce soit dans le
travail, l’énergie ou l’éducation. Et il arrive que l’expérience aille plus loin.
En Corée du Sud, une école coopérative s’est même trouvée au cœur du
changement de tout un quartier.

En 1994, un collectif local d’habitants de Mapo – un gu (district) de la
capitale Séoul – se mobilise avec succès contre le déboisement d’une colline.
Dans la foulée, ses membres décident d’ouvrir ensemble un jardin d’enfants
coopératif. Puis ces familles plutôt critiques du système scolaire finissent par
créer, en 2004, la première école alternative de Séoul. Dans l’école de
Sungmisan, les élèves apprennent autant les maths que l’agriculture bio,
l’habitat écologique et la musique, avec des classes pratiques où toute une
communauté – fermiers, maçons, musiciens – s’implique. Cette village
school, où la pédagogie est élaborée en commun, marche si bien qu’elle a été
reproduite ailleurs en Corée20. Mais l’aventure ne s’est pas arrêtée là. Au fil
des ans, le quartier est devenu un « village urbain », une communauté
solidaire d’habitants, qui ont créé une coopérative d’achat de produits bio, un
restaurant bio et un café, quatre crèches et une caisse d’épargne locale
coopératives, ainsi que des co-habitats et des services aux personnes âgées. Et
l’esprit Sungmisan a essaimé ailleurs dans Séoul : la capitale compte
maintenant plus d’une vingtaine de ces villages urbains et la mairie a créé une
agence pour dialoguer avec ces mouvements de quartier, qui changent la vie
de milliers d’habitants.

De leur côté, les États-Unis voient une jeune génération se saisir du statut
coopératif pour ouvrir des boulangeries, des supérettes bio, des cafés, des
restaurants, des espaces de coworking et même des services de babysitting et
de nettoyage à domicile, dans de très nombreuses villes (Minneapolis,
Seattle, New York, Portland…). Leur caractère collaboratif et égalitaire
séduit les jeunes entrepreneurs et des incubateurs de coopératives
apparaissent un peu partout21. Et plusieurs municipalités suivent : Madison a
consacré 5 millions de dollars au soutien du secteur coopératif en 2015 et
New York 1,2 million de dollars, du jamais vu.

En Europe, de jeunes chefs d’entreprise font maintenant appel aux
coopératives de travail pour soutenir leurs débuts. C’est le cas de Coopaname

en France, où plusieurs centaines d’entrepreneurs free-lance (photographes,
paysagistes, journalistes, informaticiens…) bénéficient d’un
accompagnement professionnel, d’un statut d’entrepreneur salarié, d’une
prise en charge des tâches administratives et d’une protection sociale, en
contrepartie d’une cotisation (11,5 % de leur marge brute). Coopaname, qui a
ouvert plusieurs centres dans l’Hexagone, n’est pas une simple couveuse
d’entreprises, mais « une mutuelle de travail » qui « réduit les risques de
l’auto-entrepreneuriat et fournit un équilibre global, qui comprend un suivi
individuel, des ateliers de formation toute l’année, un partage de matériel, des
groupes de travail en commun et une prise de décision collective », explique
Raffaella Toncelli, une de ses chargées de mission.

« Depuis la crise de 2008, les coopératives de travail se développent très
vite22 », observe-t-elle. Comme le groupe mutualiste SMart, basé en
Belgique, un regroupement solidaire de 60000 artistes et professionnels du
spectacle en Europe. Aux États-Unis – où les entrepreneurs free-lance sont
déjà 53 millions et constitueront la moitié des actifs en 2020 –, leur union
syndicale, la Freelancers Union, joue un peu le même rôle23, en leur
fournissant un accompagnement et une protection sociale commune. Et c’est
pour promouvoir ces formes d’organisation, qui allient les avantages du
salariat et du travail indépendant, que Coopaname s’est associée avec
d’autres coopératives (Oxalis, Grands Ensemble, Vecteur Activités et
SMartFr, filiale française du groupe SMart) pour donner naissance à la
première mutuelle de travail associé, appelée Bigre !, une communauté
de 7 000 coopérateurs en France24.

Cette organisation en écosystèmes est d’ailleurs le second axe de
développement du secteur coopératif aujourd’hui. On connaissait déjà
l’intégration de coopératives en filières commerciales, comme Mondragon en
Espagne ou The Cooperative Group en Angleterre (fermes, supermarchés,
pharmacies, agences de voyage…). Mais cette fois, il s’agit de créer de
nouvelles synergies entre coopératives pour construire une intelligence
collective, en système. À l’image, par exemple, du réseau Le Mat25, présent
en Italie et en Suède : il regroupe 18 coopératives sociales qui développent
des structures de voyages différents, en slow travel, au fil de chambres chez

l’habitant et d’activités de proximité, et cette synergie lui a déjà permis de
créer 3 000 emplois, y compris pour des personnes en voie d’exclusion ou
souffrant de handicaps.

Les coopératives intégrales (CI) constituent un autre type d’écosystème,
qui veut accélérer « la transition vers une société post-capitaliste ». Elles
visent à créer un modèle économique indépendant, écologique et décroissant,
en faisant fonctionner ensemble toutes les alternatives de production et
d’échange (circuits courts et coopératives, systèmes d’échanges locaux,
financement participatif, troc et monnaie locale…). La première à avoir vu le
jour a été la Coopérative intégrale catalane (CIC) de Barcelone, une
communauté autogérée qui chapeaute l’action de plusieurs coopératives –
notamment la Cooperativa Habitatge Social (logement à bas prix), un centre
de soins, un système d’autofinancement en réseau (la Casx), une école
alternative, une centrale d’approvisionnement de groupes d’habitants et
d’épiceries sociales en produits locaux, et le Macus, à la fois un fab-lab et un
atelier de réparation. La CIC a aussi aidé un réseau d’artisans à développer
leur activité en dehors de l’économie classique26. En tout, plusieurs milliers
de personnes ont ainsi pris leur autonomie en Catalogne, l’idée étant de
multiplier les secteurs d’autosuffisance jusqu’à émancipation totale des
secteurs public et privé, ce que la CIC appelle la « révolution intégrale »27.
Des coopératives intégrales ont aussi vu le jour ailleurs en Espagne (Valence,
Madrid, etc.)28 et en France (Toulouse)29.

Le levier d’une autre économie

Dans l’optique néolibérale, le modèle coopératif est irréaliste : des
entreprises qui embauchent des salariés peu qualifiés, dotés d’un salaire
décent et d’un pouvoir de décision, ne peuvent être compétitives. Et la
distribution d’avantages sociaux les empêchera toujours d’être rentables.
Pourtant, ce modèle fonctionne. Ces lieux de production solidaires montrent
qu’on peut partager décisions, risques et bénéfices tout en étant rentable et
même plus efficace que les autres entreprises30. Ils montrent aussi qu’une
entreprise peut être un outil de redistribution sociale et de progrès collectif
tout en résistant mieux aux crises que les autres. Les coopératives restent
minoritaires dans le système économique mondial, mais elles constituent un
secteur stratégique qui crée des emplois et innove. L’Organisation
internationale du travail (OIT), qui les soutient, y voit ce qui ressemble le
plus à une « mondialisation juste » et à une économie à visage humain.

1 C’est plus de sept fois le nombre de salariés des multinationales américaines dans le monde
(34,5 millions en 2011). Cette estimation de l’Alliance coopérative internationale a été revue à la
hausse : elle était de 100 millions en 2012 (www.ica.coop).
2 Movimiento Nacional de Fabricas Recuperadas (www.fabricasrecuperadas.org.ar).
3 « Informe del tercer relevamiento de empresas recuperadas por sus trabajadores » (ERT), Faculdad de
Filosofía y Letras, Programa Faculdad Abierta, université de Buenos Aires, 2010.
4 En 2013, elles étaient 350 (25 000 salariés). Le pays compte plus de 12 600 coopératives
employant 233 000 personnes.
5 Associação Nacional de Trabalhadores e Empresas de Autogestão.
6 +6 % de 2014 à 2015, contre +4 % pour les autres sociétés. Le nombre de Scop et de Scic a doublé en
quinze ans, passant de 1 426 en 2000 à 2 855 en 2015, et le nombre de salariés est passé
de 32 247 à 51 000.
7 Philippe Frémeaux, La Nouvelle Alternative ? Enquête sur l’économie sociale et solidaire, Les Petits
Matins, 2011.
8 En France, le taux de survie d’une Scop est de 74 % au bout de trois ans, contre 66 % pour une
entreprise classique.
9 Johnston Birchall, Lou Hammond Ketilson, « Resilience of the Cooperative Business Model in Times
of Crisis », OIT, 2009 (http://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---ed_emp/---
emp_ent/documents/publication/wcms_108416.pdf).
10 Ibid.

11 Entre Taroudant et Essaouira, les arganeraies couvrent environ 870 000 hectares et sont aujourd’hui
protégées pour leurs bénéfices écologiques, car l’arganier, avec ses racines profondes, entretient un
écosystème unique.
12 L’Union coopérative des femmes pour la production et la commercialisation de l’huile d’argan
(UCFA, 26 coopératives).
13 Selon l’Alliance coopérative internationale.
14 P. Develtere, I. Pollet, F. Wanyama, « Cooperaring Out of Poverty. The Renaissance of the African
Cooperative Movement », OIT, 2008.
15 Voir le chapitre qui y est consacré.
16 « GartenCoop, une ferme solidaire, autogérée par les agriculteurs et les consommateurs »,
Bastamag.net, 7 novembre 2014.
17 Au moins 81 millions de personnes sont membres de plus de 4 900 coopératives de santé
dans 43 pays (carte mondiale sur http://ihco.coop/2015/02/03/map-of-health-and-social-care-
cooperatives-worldwide/).
18 www.cooperativehospital.com/ et www.cooperativehospital.in/ en Inde,
www.rhodeislandhospital.org, www.ecchc.org/ ou www.ghc.org/ aux États-Unis,
www.coophealth.com/ au Canada, www.nhc.coop/ en Australie, etc.
19 http://thecoopschool.org/, http://oldfirstnurseryschool.org/, www.brooklynfreespace.org/home.html,
etc.
20 www.sungmisan.net. Voir You Chang-bok, « The Story of Sungmisan Village Offers Lessons on
Community Life », Koreana, vol. 26, juin 2012, et Wilfrid Duval, « Le village urbain Sungmisan à
Séoul », UrbaParis, 19 novembre 2015.
21 Bronx Cooperative Development Initiative à New York, Arizmendi Bakery à San Francisco,
Cooperation Texas à Austin, Prospera à Oakland, etc.
22 En France, elles sont regroupées dans le réseau http://www.cooperer.coop/.
23 Avec un statut sans but lucratif, mais non coopératif.
24 Coopaname et Oxalis ont aussi créé la Manufacture coopérative, une structure de recherche-action
qui accompagne la transformation en coopératives de tous types de collectifs (entreprises, groupes
d’usagers et de citoyens, associations…).
25 http://www.lemat.it et www.lemat.se.www.lemat.se. Le Mat fait partie de la Route européenne de la
culture coopérative : http://www.cooproute.coop.
26 Emmanuel Daniel, « Ni capitalisme ni État – la Coopérative intégrale s’épanouit à Barcelone »,
Reporterre, 18 mai 2015.
27 Dans un esprit proche, réseaux de coopératives et centres sociaux autogérés travaillent en Espagne,
dans une Fondation des communs, à élaborer un projet de société fondé sur l’autogouvernance et la
mise en commun des ressources (Fundaciondeloscomunes.net).
28 Elles échangent à l’intérieur du réseau Integrajkooperativoj.net.
29 Voir Emmanuel Daniel, « À Toulouse, une coopérative intégrale prépare l’après-capitalisme »,
Reporterre, 7 octobre 2013.
30 Selon l’étude de Virginie Pérotin, « What do we really know about worker co-operatives ? », Leeds
University Business School, 2015.

Habiter ensemble, autrement

Quelle est l’utilité d’une maison si vous ne pouvez pas l’installer sur
une planète vivable ?

Henry David Thoreau

L’essor des coopératives d’habitants

En 1977, à Montréal, une douzaine de mères célibataires, mal logées,
repèrent sur le Plateau-Mont-Royal une école désaffectée où l’une d’elles
avait autrefois étudié. Le grand bâtiment, plus que centenaire, est abandonné
depuis plusieurs années, mais encore en bon état. « Elles n’avaient pas un
sou, raconte Cécile Arcand, de l’Association des groupes de ressources
techniques du Québec (AGRTQ), mais elles ont décidé de la transformer en
logements pour s’y installer ». Après des années passées à obtenir les
autorisations et à trouver des financements, ces femmes vivent aujourd’hui
avec leurs enfants dans les 31 logements de l’ancienne école, devenue la
coopérative Le Plateau. Car le modèle coopératif sert aussi à créer une autre
façon de vivre ensemble qui, au Québec, est aujourd’hui celle de milliers
d’habitants.

Le plus souvent, leurs projets naissent spontanément : « Ça commence par
une ou deux personnes qui essaient de former un groupe, par le bouche-à-
oreille. Ce sont des familles à bas ou moyens revenus, qui cherchent un
appartement pas trop coûteux et qui veulent s’impliquer dans un mode de vie
convivial », explique Cécile Arcand dans son bureau de la rue Sherbrooke à
Montréal.

Et ces familles ne sont pas seules : les groupes de ressources techniques
(GRT) sont là pour les aider. Ces groupes de spécialistes (architectes,
travailleurs sociaux, gestionnaires de coopératives), sont une pure création de
la société civile : ils sont issus de la réaction des Québécois à la spéculation
foncière des années 1970, quand des milliers de locataires, dans plusieurs
villes, se sont opposés à une vague d’expulsions et à la démolition de vieux
quartiers. Ils ont alors organisé des groupes techniques pour rénover leurs
propres logements, devenus ensuite « des organismes de terrain, qui ont pour
mission de développer les territoires solidairement », résume Marcellin
Hudon, de l’association des GRT du Québec. « Les GRT repèrent des sites ou
des immeubles intéressants, puis mettent en contact toutes les parties
prenantes : futurs locataires, architectes, entreprises de bâtiment, banques,

programmes d’aides publiques », explique-t-il. Puis ils se chargent du
montage financier1, pendant que les futurs résidents conçoivent les plans avec
leurs architectes.

Depuis 1976, le réseau des GRT du Québec a réalisé plus
de 35 000 logements coopératifs pour des familles, des jeunes, des personnes
seules, âgées ou handicapées. Un tiers sont installés dans des immeubles
rénovés, comme d’anciens bâtiments publics ou industriels, avec de belles
réussites architecturales et sociales à la clé : dans la rue Parthenais à
Montréal, par exemple, une usine textile abandonnée est devenue une
coopérative de trente-trois logements habités par des artistes qui en ont fait un
lieu de création, d’expositions et d’animations2.

L’esprit d’une coopérative d’habitation est d’intégrer tous les résidents
dans un cadre de vie solidaire, avec une mixité ethnique, sociale et
générationnelle. « On mélange des familles avec enfants et des personnes
handicapées et âgées, qui sont autonomes grâce à la solidarité des voisins et à
l’intervention de services d’aide à domicile », explique Cécile Arcand.
Chaque immeuble compte au moins une salle communautaire où ont lieu des
repas, des jeux collectifs ou des ateliers d’aide aux devoirs pour les enfants.

Les logements sont détenus par une coopérative à but non lucratif dont les
locataires deviennent sociétaires. Ils ont alors une sécurité d’occupation sur le
long terme : si un membre quitte son appartement, celui-ci reste dans la
propriété collective et le bail peut être transmis à ses enfants. Les loyers sont
inférieurs à ceux du marché privé et ne dépassent pas le quart des revenus des
familles. Les logements ne peuvent être revendus sur le marché, mais
seulement à une autre coopérative, ce qui les garde hors des circuits
spéculatifs. Enfin, les résidents partagent les tâches d’administration et de
maintenance des immeubles, ce qui réduit leurs charges, et achètent en
commun assurances, équipements et électroménager. Les GRT les aident
aussi à réduire les coûts énergétiques en travaillant « avec des architectes
sensibles à la gestion de l’eau et des énergies, dans une optique d’engagement
écologique », précise Marcellin Hudon.

Dans tout le Canada, près de 92 000 personnes vivent dans
quelque 2 200 coopératives, organisées en fédérations pour s’entraider dans

la gestion des immeubles et peser davantage auprès des élus. La majorité se
situe au Québec (plus de 1 300 coopératives d’habitation et 60000 résidents3),
où la plus grande, le Village Cloverdale, près de Montréal,
abrite 4 000 habitants de 57 nationalités différentes. Et, en dépit de la baisse
des aides publiques, le modèle « progresse toujours, parce qu’il y a un
engouement pour les valeurs de convivialité et une demande de logements
peu chers4 », observe Marcellin Hudon. Ce qui attire les résidents est aussi
leur mission sociale, qui est de permettre à « des gens qui habitaient autrefois
des logements insalubres de vivre maintenant dans un habitat dynamique, qui
contribue à l’ouverture de jardins partagés ou de crèches collectives », ajoute-
t-il.

Au Québec, l’expérience réussie du petit village de Saint-Camille a
contribué à populariser ce mode de vie convivial et solidaire. En 2001, pour
lutter contre l’exode rural, cette localité de 500 habitants lance une réflexion
collective qui débouche sur une nouvelle dynamique dans l’habitat. Les
habitants convertissent l’ancien presbytère en coopérative de logements pour
les aînés et confient l’animation de la vie locale à un centre communautaire,
le P’tit Bonheur, qui organise spectacles, projets sociaux et repas collectifs.
La population se cotise aussi pour constituer un fonds éthique dédié au
développement local. Celui-ci finance notamment une coopérative5 qui
diversifie l’agriculture locale en produisant et transformant des légumes bio.
« Les habitants de Saint-Camille se sont définis comme une vraie
communauté rurale. Ils ont décidé de ce qu’ils voulaient et ne voulaient pas,
et privilégié une qualité de vie collective. En cinq ans, la population a
d’ailleurs augmenté de 17 %, avec l’arrivée de jeunes attirés par ces
valeurs », résume Jocelyne Béïque, auteure d’un livre sur la métamorphose
du village6.

Ces transformations locales entrent dans un mouvement plus large. Les
coopératives d’habitation, qui s’étaient développées au XIXe siècle en France
et aux États-Unis grâce au syndicalisme ouvrier7, connaissent un nouvel essor
depuis deux décennies, notamment en raison du coût croissant de
l’immobilier. Elles ne cessent de s’étendre au Japon (un million de résidents),
en Allemagne (trois millions), en Pologne (2,5 millions), en Suède (un

million), en Autriche, en Suisse, en Norvège, en République tchèque, en
Estonie et au Royaume-Uni, où certaines, comme celle de Sanford à Londres,
sont devenues des pionnières en matière d’énergies renouvelables.

Elles se développent aussi en Espagne (1,43 million de logements), en
Italie, au Portugal, en Hongrie, en Turquie (1,6 million), en Égypte, en Inde
(2,5 millions8), en Afrique du Sud et en Australie. Les États-Unis comptent
plus de 1,2 million de logements coopératifs, notamment à New York,
Washington, Chicago, Détroit et San Francisco9. L’Amérique latine connaît
un mouvement identique10 : au Brésil, par exemple, des groupes d’habitants
de São Paulo ont construit eux-mêmes des immeubles dans un esprit d’aide
mutuelle (mutirão), avec l’aide du collectif d’architectes Usina11. Ces
résidences autogérées abritent plusieurs milliers de familles et bénéficient de
services communautaires (boulangeries, crèches, bibliothèques, formations
professionnelles, etc.).

Un peu partout, la crise de 2008 a aussi dopé les récupérations collectives
d’immeubles. En Espagne, dans la foulée du mouvement des Indignés, des
groupes de citoyens expulsés, de sans-abri, d’artistes et d’architectes se sont
emparés d’immeubles inoccupés à Madrid ou Barcelone12 et les ont
réhabilités. Barcelone, en particulier, a vu la naissance de plusieurs de ces
coopératives, comme La Borda, qui a récupéré l’ancienne usine textile de
Can Batlló, ou l’immeuble autogéré Roig21, ouvert par la coopérative
intégrale catalane.

L’habitat coopératif effectue même une percée en France, malgré une forte
culture individualiste, avec des initiatives comme La Jeune Pousse à
Toulouse ou le Village vertical à Villeurbanne. Ce dernier, ouvert
en 2013 avec le soutien du réseau Habicoop, regroupe plusieurs familles, qui
contribuent en fonction de leurs ressources et mutualisent des espaces (jardin,
chambres d’amis) ainsi que des services (livraison de paniers de légumes bio,
gardes d’enfants, prêt de matériel, etc.). L’Hexagone compte plusieurs
centaines de projets citoyens de ce type, qui mettent en œuvre les mêmes
valeurs : logements abordables, gestion démocratique, solidarité entre
habitants, bâtiments écologiques et adaptés au handicap. Dans un domaine où
élus et urbanistes ont souvent échoué, cette conception renouvelée du vivre-

ensemble reçoit maintenant une écoute favorable de la part de plusieurs
collectivités urbaines.

Le co-habitat en propriété partagée

Cet habitat convivial est aussi le choix qu’a fait Guillaume Pinson,
professeur de littérature à l’université du Québec. Avec d’autres familles, il a
acquis un terrain dans la ville de Québec et co-construit un groupe
d’immeubles en bois local13, chauffé par la géothermie et doté d’une isolation
ultra-performante. Géré en propriété partagée, ce village urbain comporte une
maison commune qui offre salle à manger, salle de jeux et de sport,
buanderie, atelier de bricolage, chambres d’amis… Pour favoriser les
transports écologiques, il dispose d’un garage pour 120 vélos, mais de très
peu de places pour les voitures. « Le fait d’être en centre-ville nous permet
d’aller travailler et d’amener les enfants à l’école à pied. Et puis on veut
renoncer à la voiture individuelle et favoriser le covoiturage », précise
Guillaume. Modèle aussitôt imité par une dizaine d’autres immeubles au
Canada14. Guillaume voit d’ailleurs « une vraie demande émerger dans un
pays qui a pourtant une culture de l’habitat individuel : vu le succès que notre
projet a eu dans les médias, on se dit qu’on a façonné un modèle
reproductible ailleurs ».

Se regrouper pour concevoir des copropriétés participatives est également
fréquent aux États-Unis et en Europe du Nord. À Oslo, 40 % des logements
sont déjà participatifs. En Allemagne, les Baugruppen (groupes de co-
constructeurs) se multiplient dans des villes comme Berlin, Tübingen,
Hambourg ou Fribourg-en-Brisgau (surtout dans l’écoquartier Vauban,
construit à partir de 1996), où ils érigent des immeubles aux normes
environnementales élevées, souvent avec jardin et espaces partagés. En
Suède, les « kollektivhus », gérées par des associations ou des coopératives,
représentent plus de 700 000 logements (17 % du parc immobilier). En
France, une des plus anciennes copropriétés participatives est le Lavoir du
Buisson Saint-Louis, à Paris, ouvert en 1983, mais le modèle fait de
nombreux émules depuis une décennie, à l’image de Diwan, un habitat
groupé ouvert en 2008 à Montreuil, ou des Voisins du Quai à Lille15.

Vieillir ensemble

Au sein de ces nouveaux habitats participatifs, qu’ils soient en location ou
en copropriété, une tendance se distingue : celle des logements conçus par
des personnes âgées qui veulent une vieillesse dynamique et solidaire. Car le
co-habitat est une réponse intelligente au défi du vieillissement. Au Québec,
un immeuble coopératif conçu à New Richmond (Gaspésie) pour favoriser
l’autonomie de personnes âgées a suscité tellement de demandes qu’il a fallu
l’agrandir16. Des réalisations similaires ont vu le jour dans plusieurs autres
villes, souvent avec l’intention de mêler actifs et retraités.

En France, la pionnière a été la Maison des Babayagas, initiée par Thérèse
Clerc, une militante féministe de Montreuil. C’est en devenant septuagénaire
que Thérèse a pris conscience de l’absence d’accompagnement du grand âge
en France, et réalisé qu’elle ne voulait pas finir ses jours dans un lieu sinistre
et infantilisant . « Je voulais vivre une vieillesse autonome, à l’image de ma
vie. Alors, j’ai imaginé une anti-maison de retraite, une résidence innovante
où des femmes se prendraient elles-mêmes en charge et s’entraideraient pour
bien vieillir, tout en restant actives17. »

Avec deux autres femmes, elle crée une association baptisée les
Babayagas, ces sorcières des contes russes qui habitent des maisons de pain
d’épices. Elles cherchent partenaires et financements, tiennent bon face aux
obstacles (leur projet n’entre dans aucune case administrative), convainquent
peu à peu leurs interlocuteurs18 et après plus de dix ans de démarches, la
première pierre de la Maison des Babayagas est enfin posée, le 15 octobre
2011. Cet immeuble « autogéré, solidaire, écologique et citoyen » abrite vingt
et un logements à loyers modérés pour personnes âgées et jeunes de moins de
trente ans, avec des espaces et des moments communs, comme des
rencontres-débats avec des associations. Pour Thérèse, la Maison des
Babayagas est ainsi bien plus qu’un hébergement innovant : « c’est un projet
politique » qui veut modifier le regard porté sur la vieillesse, et un « pied de
nez » à une vision économique qui réduit les seniors à une charge pour la
société.

Plusieurs projets comparables sont nés à sa suite, comme à Saint-Priest
(Rhône), Saint-Julien-de-Lampon (Dordogne), Toulouse, Palaiseau ou Vaulx-
en-Velin. La cohabitation de plusieurs générations se développe aussi au sein
de projets comme l’écovillage du Hameau des Buis, fondé par Sophie Rabhi,
la fille de Pierre Rabhi, ou Ecoravie, dans la Drôme. Sur le même modèle de
solidarité active, l’association Simon de Cyrène crée des logements partagés
entre personnes handicapées et valides, comme à Vanves, Rungis ou Nantes.
Ces co-habitats restent toutefois moins nombreux en France qu’aux États-
Unis19, où ils sont fréquents, ainsi qu’en Suède, aux Pays-Bas (où se
développent les « Woongroepen », logements intergénérationnels autogérés),
au Danemark, en Allemagne (avec notamment les Oldies Leben Gemeinsam
Aktiv – Olga – de Nuremberg), en Belgique (avec la transformation
d’anciens bâtiments de type béguinage), en Espagne (avec l’association
Jubilares) ou en Italie (avec CoAbitare).

Quels que soient ses habitants, le co-habitat, conçu au Danemark en 1972,
ne cesse en tout cas de gagner du terrain en Europe (Suède, Allemagne,
Royaume-Uni, France, Belgique…), en Asie (Inde, Japon, Philippines…) et
en Amérique latine (Costa Rica, Mexique, Brésil… )20. Aux États-Unis, des
centaines de milliers d’Américains vivent en intentional communities, des co-
habitats regroupant des personnes aux intérêts communs (retraités, familles
monoparentales, écologistes, membres d’une même religion, artistes, etc.). Ce
secteur très organisé a d’ailleurs ses architectes spécialisés, ses sites Web, ses
blogs, ses magazines et ses livres. Structurés en quartiers de maisons
individuelles ou en immeubles, ces co-habitats se définissent plutôt comme
des neighbourhoods (communautés de voisins) et affichent plusieurs
principes : solidarité, mixité ethnique, tolérance, respect des règles communes
et impact écologique minimal. Ils reposent sur des structures non lucratives et
la prise de décision y est collective.

Les écovillages

L’une des formes les plus abouties de cet habitat groupé est l’écovillage,
pionnier de l’éco-construction, avec des maisons alimentées en énergies
renouvelables et équipées d’un recyclage total des eaux usées. Les
écovillages se multiplient partout : Argentine, Espagne, Allemagne,
Australie, États-Unis, Canada, Mexique, Sri Lanka, Inde, Chili, Brésil, Costa
Rica, Ghana21… Le Sénégal a créé une agence nationale pour transformer,
d’ici à 2020, quelque 14 000 villages en communautés écologiques,
socialement et économiquement soutenables. Le pays compte déjà une
centaine d’écovillages qui ont modélisé la souveraineté alimentaire et le
respect de l’écosystème local, dessinant là une voie d’avenir pour le Sud.

Aux États-Unis, parmi la centaine d’écovillages déjà construits, l’un des
plus connus est celui d’Ithaca. Cette ville située au nord de l’État de New
York et qui abrite l’université Cornell est une cité verte entourée de bois. Il
n’est pas rare, le soir, de voir passer des daims au fond des jardins. En
arrivant dans l’écovillage, construit sur 70 hectares sur les hauteurs de la
ville, la première impression est la paix qui y règne. Ici, pas de voitures, pas
de bruit, mais partout de la verdure, de grandes pelouses, des arbres. Dans la
chaleur de cet après-midi de juin, quelques habitants lisent, installés sous des
parasols, devant les maisons de bois d’architecture traditionnelle américaine,
bâties au bord d’un petit lac où des enfants se baignent. On n’entend que les
oiseaux, le clapotis de l’eau et, au loin, une conversation entre voisins.

« À peu près 160 personnes vivent ici », m’explique la fondatrice, Liz
Walker, en m’invitant à m’asseoir sur l’une des terrasses qui donnent sur le
lac. « Il y a des enseignants de l’université, des informaticiens, des retraités,
des écrivains, un avocat, des agriculteurs, des mères de famille. Tous
différents, mais liés par un vrai sens de la communauté et un engagement en
faveur d’une vie écologiquement saine. »

« Quand j’ai acheté ce terrain en 1992, avec un petit groupe de quinze à
vingt personnes, je voulais surtout offrir des maisons abordables d’un point
de vue financier et bâties dans une démarche écologique », ajoute cette

femme souriante, devenue une icône de l’habitat écologique aux États-Unis.
Les maisons sont pour la plupart orientées vers le sud et dotées de panneaux
solaires. Une isolation optimale réduit les déperditions de chaleur, si bien,
ajoute-t-elle, que « notre empreinte énergétique est de 40 à 60 % plus basse
que celle de la moyenne des maisons américaines. Mais nous améliorons
toujours ce modèle : les maisons du troisième lot ont un système de recyclage
de l’eau et sont énergétiquement passives ».

« Au début, les grandes banques ont évidemment été réticentes à nous
financer. Finalement, c’est une banque locale, qui connaissait l’un de nous,
qui a marché », enchaîne Steve Gaarder, un informaticien aux yeux bleus
rieurs qui fait partie du groupe de fondateurs. La forme juridique choisie a été
celle d’une coopérative à but non lucratif, qui est propriétaire du terrain et des
maisons. C’est donc en achetant des parts de cette coopérative que les futurs
habitants ont acquis leurs habitations. « J’ai acheté ma part 112 000 dollars
et, aujourd’hui, je ne paie pas de loyer pour ma maison, seulement les
charges pour l’eau, l’entretien des parties communes et Internet. »

Les maisons sont entourées de jardins, accessibles aux handicapés et
étudiées pour garantir « un bon équilibre entre la vie privée et la vie
collective, avec des cuisines donnant sur la rue et des parties plus privées côté
jardin », explique Steve. On se côtoie donc quand on veut et on respecte la
vie de chacun, même si, sourit-il, les maisons sont rarement fermées à clé.
Des dîners collectifs et des sessions de musique ont aussi lieu plusieurs fois
par semaine dans la grande salle de la maison commune, qui comprend des
espaces de jeux et des chambres pour les visiteurs. L’alimentation est le plus
possible bio et locale. « Beaucoup de résidents cultivent eux-mêmes des
légumes et les fermes bio des alentours nous fournissent le reste. Les
habitants participent d’ailleurs aux récoltes dans ces fermes », précise Liz.
Les résidents ont aussi organisé un service de covoiturage et implanté des
éoliennes sur le site.

« Au fond, résume Liz, les écovillages n’ont rien inventé. Ils ne font
qu’offrir un espace qui réunit les meilleures pratiques d’habitat écologique,
de préservation des terres, d’alimentation bio, d’énergies renouvelables et de
tous les aspects de la vie en commun. Nous y apprenons comment prendre

des décisions ensemble, résoudre les conflits ensemble, faire la fête ensemble
et nous soutenir les uns les autres. Et nous essayons d’intégrer la sagesse des
modes de vie traditionnels à l’usage des dernières technologies. Ce modèle,
nous l’avons créé pour montrer qu’il était possible de mettre en place une
culture humaine plus durable. »

Un modèle qui semble séduire de plus en plus : « Des journalistes et des
chercheurs viennent voir comment on vit, ajoute Liz. On vient de recevoir
des visiteurs du Japon et de Corée du Sud qui veulent reproduire ce mode de
vie chez eux. Et, aux États-Unis, les habitats de ce type se multiplient dans
des endroits comme New York, Seattle, San Francisco, Portland, Madison, ou
des États comme le Vermont. Tellement de gens veulent vivre autrement,
maintenant : ce n’est plus un mouvement marginal. »

Les éco-hameaux

L’idée d’un éco-habitat convivial gagne aussi du terrain en France. À
Saint-Antoine-l’Abbaye (Isère), village classé parmi les plus beaux de
France, quatorze familles ont construit l’éco-hameau de Chabeaudière.
« L’idée est née entre amis, membres d’une même Amap, qui voulaient
mettre leur mode de vie en cohérence avec leurs convictions écologiques, et
avec des valeurs d’entraide et de solidarité », explique Cyrille Lemaître,
directeur d’une PME de produits bio. Les propriétaires ont choisi des
agromatériaux locaux (terre pour le pisé, paille pour l’isolation et bois pour
l’ossature) qui donnent des maisons bioclimatiques, naturellement fraîches
l’été et chaudes l’hiver, qui demandent moins de chauffage et de ventilation.

Chaque famille a construit son logement, certaines se faisant aider par un
architecte, une entreprise, des amis ou des volontaires d’éco-chantiers. Ce qui
représente une forte économie : « En autoconstruction, les maisons
reviennent à 500 euros le mètre carré, alors que l’indice du coût de la
construction est de 1 470 euros le mètre carré construit », précise Cyrille. Les
maisons individuelles et les deux maisons communes – qui abritent chambres
d’amis, salles de réunion, ateliers et buanderies – sont complétées d’un
espace d’animation pour des rencontres et la livraison de paniers bio – Cyrille
soulignant la parenté du site avec « l’esprit des Colibris » de Pierre Rabhi22.

À l’image de Chabeaudière, plusieurs centaines d’écolieux23 (habitats
alternatifs, écologiques ou autogérés) sont aujourd’hui construits ou en
chantier en France. Pour les aider à voir le jour, François Plassard, un militant
au parcours éclectique (il est ingénieur en agriculture et docteur en
économie), a monté la structure AES (Auto-éco-constructeurs de l’économie
solidaire24) en 2004 à Toulouse. Cette équipe d’architectes et d’artisans joue
auprès des projets d’éco-hameaux le rôle des groupes de ressources
techniques au Québec : « On apporte une cohérence administrative,
architecturale, écologique, technique », explique-t-il. Conçu comme un
réseau d’entraide, AES élabore le projet d’habitat avec les futurs habitants et
les communes, « en ayant en tête la vision d’un bien commun, qui combine

espaces privés et espaces collectifs sans voitures, avec en périphérie un
parking, des vergers et des jardins ».

Construire soi-même, et construire petit

L’autoconstruction, encore très présente dans les pays en développement, a décliné dans les
pays industrialisés, jusqu’à ce que la hausse des prix immobiliers, le déficit de logements, la
précarité et les enjeux écologiques la relancent. L’une des initiatives les plus intéressantes dans ce
domaine vient des États-Unis : c’est un programme d’aide mutuelle à la construction (mutual self
help housing), hérité du temps où les pionniers s’entraidaient pour bâtir des villages25.
Subventionné par le gouvernement, il est mis en œuvre par une centaine d’organisations à but non
lucratif, qui fournissent une aide technique aux familles s’entraidant à construire leur maison.
Cette coopération réduit les coûts et tisse des liens qui améliorent la vie dans les quartiers
construits. Le programme met aujourd’hui l’accent sur les logements à très bas coût énergétique.
En France, on retrouve cet esprit de solidarité chez les Castors26, ces volontaires qui aident des
familles à construire des maisons sur des éco-chantiers27. Au Royaume-Uni, plusieurs agences et
fondations soutiennent les coopératives d’habitations auto-construites en matériaux écologiques28.
Ce secteur bénéficie de la multiplication des modèles en open source, disponibles sur des sites
comme The Small House29 ou Wikihouse.

Des pays comme Cuba, le Mexique, le Nigeria ou le Bangladesh se sont par ailleurs dotés
d’ateliers ruraux d’autofabrication d’éco-matériaux (terre crue, bois), simples d’utilisation,
résistants aux catastrophes (séismes, cyclones…) et de faible coût. Dans l’auto-construction, ils
sont souvent combinés à des éléments de récupération (pneus, bouteilles en plastique compactées
en briques…). Les formes les plus abouties de ces maisons en éléments recyclés sont les
earthships30, nés aux États-Unis : ces habitats, passifs grâce au solaire et à l’éolien, sont aussi
dotés d’une isolation hors pair et équipés de collecteurs de pluie. Leur édification, qui ne coûte
presque rien, repose sur le travail d’équipe. Ils s’étendent aujourd’hui en Europe et en Afrique.
Des earthships à base de pneus ont aussi été construits en Haïti après le tremblement de terre
de 2010 pour leurs qualités antisismiques et leur faible coût31.

En parallèle, la réduction de la taille des familles, la crainte de l’endettement et le choix de la
simplicité volontaire dopent, dans une partie des classes moyennes, la vogue des tiny houses. Ces
petites habitations minimalistes, écologiques et pratiques, qui ont déjà séduit plusieurs milliers
d’Américains, arrivent en Europe32. Elles se situent au centre d’un mouvement très créatif33 qui
associe citoyens, architectes et ONG. Certaines sont montées sur roues pour permettre le voyage,
et d’autres, notamment aux États-Unis, sont utilisées pour donner un toit aux sans-abri.

Les sociétés en propriété collective

Ces habitats groupés sont parfois bâtis sur des terrains dont la propriété est
aussi socialisée : c’est le cas des community land trusts (CLT), ces sociétés
foncières collectives nées dans les régions rurales américaines34 et qui ont
ensuite gagné les immeubles d’habitation des villes. Ces structures à but non
lucratif ont permis à des milliers d’Américains d’accéder à des logements
abordables35, pour la plupart dans les années 2000, une période de hausse des
prix immobiliers. Certains sont plus anciens, comme le Burlington
Community Land Trust (BCLT), fondé en 1984 à Burlington (Vermont) avec
la participation de la municipalité. Celui-ci a offert 650 logements aux
habitants de la ville sous forme de coopératives d’habitations, d’appartements
vendus à prix modéré, d’appartements thérapeutiques et de logements
d’urgence pour les sans-abri. Le Burlington Community Land Trust a ensuite
fusionné avec un autre CLT, la Lake Champlain Housing Development
Corporation, pour former la plus importante structure à but non lucratif de
logements sociaux aux États-Unis, le Champlain Housing Trust36.

En France, un organisme fonctionne dans un esprit assez proche des CLT :
Habitat et Humanisme, une fédération d’associations créée à Lyon par un
promoteur immobilier devenu prêtre, Bernard Devert37. Elle gère un parc de
logements qu’elle construit, achète ou rénove pour les louer à bas prix à des
personnes en difficulté (familles monoparentales, personnes âgées…). Elle a
aussi créé une société foncière qui recueille l’épargne des particuliers pour
financer ces habitats solidaires. Un autre organisme, la coopérative d’intérêt
collectif Habitats solidaires38, créée en 2003 par quatre associations et deux
clubs citoyens d’investissement (Garrigue et Cigales), développe de l’habitat
très social pour les personnes démunies et de l’habitat coopératif. Les
particuliers peuvent soutenir ces projets en devenant sociétaires de la
coopérative.

Des éco-logements de qualité pour les plus démunis

Et si ces logements accessibles aux plus démunis étaient, en plus,
écologiques ? Et s’ils permettaient de créer des emplois ? C’est ce double pari
qu’a tenté – et réussi – Chênelet, un groupe d’entreprises d’insertion situé
dans le Pas-de-Calais.

Chênelet est la solution d’une équation à plusieurs inconnues. D’un côté,
une forte demande de logements sociaux, un chômage élevé chez les moins
qualifiés et de nombreux emplois non pourvus dans le bâtiment. De l’autre,
une région offrant de nombreuses ressources locales (bois, argile, paille…)
utilisables dans l’habitat écologique, mais largement inexploitées. Cette
équation, c’est un entrepreneur social, François Marty, qui l’a résolue : il
construit des logements sociaux qui créent des emplois qualifiés, tout en
valorisant les ressources écologiques locales. L’idée lui est venue en voyant
que les employés de son entreprise d’insertion n’arrivaient pas à se loger. Et
cet entrepreneur militant, imprégné de catholicisme social, rejette
viscéralement le cliché selon lequel les plus démunis devraient se contenter
de logements médiocres. « Je voulais faire une maison écologique comme
pour les bobos, mais pour les plus pauvres. Pour les gens qui vivent
avec 70 % du Smic », dit-il.

Le résultat, ce sont des maisons bioclimatiques de grande qualité, bâties en
éco-matériaux (bois abattu sur place, briques crues en argile locale, fibres de
chanvre cultivé dans la région). Ces habitations bien pensées, confortables et
solides, avec leurs murs qui accumulent la chaleur, sont chauffées par un
poêle suédois à forte inertie et équipées de panneaux solaires et de
récupérateurs d’eau. Même l’acoustique a été conçue pour améliorer la
qualité de vie : ces maisons sont le contre-modèle des HLM mal isolées,
bruyantes et énergivores. Et elles se vendent bien : François propose aux
maires des communes de fournir un terrain « avec un bail emphytéotique, et,
nous, on réalise le chantier avec notre équipe », dit-il. Les futurs habitants
sont consultés et formés à l’usage de ces maisons écologiques.

François a aussi créé une société foncière en 2009 pour financer l’achat de
terrains destinés à des logements sociaux, dont le capital est abondé par
l’épargne solidaire. En lien avec le groupe, d’anciens salariés du Chênelet ont
par ailleurs créé des jardins d’insertion bio, les Anges Gardins (« jardins » en
ch’ti), une structure de vente de légumes bio39, un service de traiteur et des
hébergements en éco-gîtes dans le parc naturel des Caps et Marais d’Opale.

Cette réussite, François la doit sans doute à son parcours atypique. « J’ai
d’abord été un gamin de banlieue parisienne en difficulté. Ce qui veut dire
qu’avant de créer de l’insertion, j’ai consommé de l’insertion », sourit-il. Il
découvre l’écologie à dix-sept ans, puis devient chauffeur routier, part fonder
une communauté d’accueil de jeunes chômeurs et de réfugiés à Arras et,
en 1986, une petite scierie d’insertion. Et passe un Executive MBA à HEC
pour mettre les méthodes de l’entrepreneuriat au service de l’économie
solidaire40.

Aujourd’hui, il prédit un grand avenir à l’éco-construction à but social,
dont la demande augmente sans cesse. Mais il privilégie un modèle de
« croissance lente » tourné vers l’emploi. Le groupe Chênelet41, qui a formé
plusieurs milliers de salariés et créé dix-sept unités d’insertion en France,
veut en effet construire une économie ancrée dans le local, tournée vers le
bien commun. « Alors que l’économie classique laisse des territoires en
déshérence, l’économie solidaire, elle, innove avec leurs ressources »,
résume-t-il.

Partout autour du globe, les réalisations de ce type sont innombrables. La
coopérative d’architectes britanniques Cave, par exemple, a construit
l’écovillage de Landirani, au Malawi, en utilisant les techniques locales et les
matériaux tirés du sol42. Dans le même esprit, un maçon français, Thomas
Granier, aide les populations rurales de cinq pays du Sahel (Burkina Faso,
Bénin, Mali, Ghana, Sénégal) à se réapproprier la technique des briques de
terre crue, développée en Nubie il y a 3 500 ans. Son association, la Voûte
nubienne43, forme des jeunes à édifier, avec les habitants, des maisons peu
coûteuses, écologiques et d’une grande efficacité thermique. Au Rwanda, la
coopérative Nyabimata Environmental Protection, créée par le jeune
Alphonse Hakizimana, a construit plusieurs milliers de maisons à base

d’argile et forme elle aussi des jeunes à ce métier. En Inde, le Centre pour
une architecture vernaculaire44 est une coopérative à but non lucratif
d’architectes, d’ingénieurs et d’artisans. Elle construit des maisons, des
bureaux, des musées et des écoles à base d’écomatériaux et de procédés
adaptés au climat, des réalisations célébrées dans les magazines pour leur
beauté architecturale et leurs performances écologiques.

L’habitat connaît ainsi une profusion de réalisations écologiques et
participatives, à une échelle dont ce seul chapitre ne peut rendre compte.
Comme le résume Steve Gaarder, de l’écovillage d’Ithaca : « Les gens
prennent maintenant conscience de leur besoin de liens », et « les habitats
groupés et écologiques représentent de vraies alternatives » à des modes de
vie qui ont par le passé dégradé le tissu social et l’environnement. L’habitat
individuel en béton, conçu dans un contexte de croissance forte et sans
limites écologiques, montre en effet ses limites, par son coût financier et
énergétique et l’isolement social qu’il génère. Les classes moyennes
d’Amérique et d’Europe veulent aujourd’hui un habitat qui réponde à leurs
besoins en énergies renouvelables, en jardins, en services collectifs, et
redécouvrent des matériaux non polluants, peu coûteux et énergétiquement
performants. Nos sociétés ébranlées dans leurs certitudes recherchent aussi
des lieux de vie moins déshumanisants, offrant solidarité et entraide. Avec
ces nouveaux modèles, socialement rassurants et écologiquement durables, la
société civile est en train d’inventer l’habitat du futur.

1 En général, la moitié du financement vient d’aides publiques, 35 % de prêts bancaires et 15 %
d’apports de collectivités locales ou de dons.
2 Coopérative Lezarts : www.cooplezarts.org.
3 Source : Confédération des coopératives du Québec.
4 La moitié des résidents sont d’ailleurs des femmes seules et des familles monoparentales, selon la
Fédération de l’habitation coopérative du Canada.
5 Cette coopérative, La Clé des champs (www.cle-des-champs.qc.ca), soutient aussi des fédérations
paysannes du Mali.
6 Jocelyne Béïque, Saint-Camille, le pari de la convivialité, Écosociété, 2011, et Bernard Cassen,
« Longue vie à Saint-Camille ! », Le Monde diplomatique, août 2006.

7 Ces coopératives d’habitants ont permis l’accession à la propriété d’ouvriers et d’employés en France
aux XIXe et XXe siècles (voir la Fédération nationale des sociétés coopératives d’HLM). Elles se sont
ensuite confondues avec l’histoire du mouvement HLM. Le statut d’habitat coopératif, supprimé
en 1971, a été rétabli par la loi Alur en 2014.
8 Source pour ces chiffres : Sylvie Moreau, consultante à l’ICA Housing, branche Logement de
l’Alliance coopérative internationale (www.ica.coop/al-housing/categories/ICA-Housing).
9 Selon la National Association of Housing Cooperatives.
10 En Uruguay, par exemple, l’importante Fédération de coopératives d’habitation et d’aide mutuelle
(Federación de cooperativas de vivienda y ayuda mutual, Fucvam) regroupe 490 coopératives de
logement et 25 000 familles.
11 Usina, Centro de Trabalhos para o Ambiente Habitado (lauréat du prix World Habitat des Nations
unies).
12 Voir par exemple Emmanuelle Haddad, « En Espagne, les Indignés « libèrent » des immeubles pour
les familles à la rue », Bastamag.net, 3 janvier 2012, et Ana Luz Muñoz Maya et Marine Leduc,
« Quand des mal-logés rénovent immeubles et maisons abandonnés pour y recréer des espaces de
solidarité », Bastamag.net, 3 février 2015.
13 www.cohabitat.ca/.
14 Voir le Canada Cohousing Network (www.cohousing.ca).
15 Les sites www.ecohabitatgroupe.fr/ et http://www.habitatparticipatif.net/ en répertorient un grand
nombre.
16 Source : Association des groupes de ressources techniques du Québec.
17 Entretien réalisé en 2012. Thérèse Clerc est décédée en 2016. Sa biographie a été écrite par Danielle
Michel-Chich : Thérèse Clerc, Antigone aux cheveux blancs, Éditions des Femmes, 2007.
18 L’Office HLM de Montreuil, qui gère aujourd’hui l’immeuble, la municipalité, l’État, la région, le
conseil général et la Caisse des dépôts.
19 http://seniorcohousing.com.
20 http://directory.ic.org/iclist/geo.php.
21 Voir le Global Ecovillage Network (http://gen.ecovillage.org/) et la Red Iberica de Ecoaldeas
(www.ecoaldeas.org/).
22 www.colibris-lemouvement.org/agir/guide-tnt/comment-monter-un-habitat-groupe.
23 http://ecolieuxdefrance.free.fr.
24 http://portail.eco.free.fr/AES.html.
25 Concept présent dans la mémoire collective américaine sous le nom de barn raising, moment où les
pionniers unissaient leurs forces pour élever les murs de bois d’une grange ou d’une maison.
26 Mouvement coopératif d’autoconstruction né en France après 1945 et qui a permis à des milliers de
ménages modestes de se loger. Il compte 50 000 adhérents répartis en associations régionales.
27 Voir les sites http://chantiersparticipatifs.xooit.fr/index.php et http://fr.twiza.org/.
28 www.communityselfbuildagency.org.uk.
29 www.thesmallhousecatalog.com.
30 Voir quelques exemples sur http://themindunleashed.org/2013/12/10-reasons-earthships-fing-
awesome.html.
31 De nombreuses descriptions d’earthships sont visibles sur Youtube.

32 En France, voir notamment Latinyhouse.com ou MaPetiteMaison.com, et les sites Tinyhouse-
baluchon.fr/ ou Tinyhousefrance.org/.
33 www.resourcesforlife.com/small-house-society ; www.ecolivingcenter.com ; le livre de Sarah
Susanka, The Not So Big House (Taunton Press, 1997), a sans doute marqué le début de ce mouvement
(www.notsobighouse.com).
34 Voir le chapitre sur l’agriculture.
35 National Community Land Trust Network (www.cltnetwork.org). Audrey Golluccio, « Coopératives
d’habitation à l’étranger », Habicoop, février 2011.
36 Cet organisme, fort de 1 500 logements et bureaux, a reçu le prix de l’habitat des Nations unies
en 2008.
37 www.habitat-humanisme.org/national/chiffres-cles.
38 www.habitats-solidaires.fr.
39 Terre d’Opale : http://terredopale.fr.
40 De 2000 à 2002, il a aussi été le chef de cabinet de Guy Hascoët au secrétariat d’État à l’Économie
solidaire, où il a rédigé les lois sur l’épargne solidaire et les sociétés coopératives d’intérêt collectif.
Ces Scic (les-scic.coop) associent salariés, bénévoles, collectivités, entreprises, associations et citoyens
dans la production de biens ou de services répondant à des besoins collectifs. Elles sont proches des
entreprises à but social (EBS) de Belgique.
41 Leader en France sur son marché, il est composé d’une entreprise du bâtiment, d’un centre de
formation à l’écoconstruction (Chênelet développement) et d’une coopérative d’insertion (Scieries et
Palettes du littoral). Les femmes y sont autant payées que les hommes, et François a le même salaire
que ses cadres.
42 www.cave.coop/projects/community-projects/malawi-landirani-eco-village.
43 www.lavoutenubienne.org.
44 Center for Vernacular Architecture (www.vernarch.com).

Une démocratie plus citoyenne

Je ne connais pas de dépositaire plus fiable des pouvoirs suprêmes de la
société que le peuple lui-même.

Thomas Jefferson


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