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Published by , 2018-10-23 04:14:24

La Revue Du Praticien N° 08 - 2018

La Revue Du Praticien N° 08 - 2018

OCTOBRE 2018 _ TOME 68_ NUMÉRO 8

SOMMAIRE

Conditionnement d’un vaccin recombinant contre l’hépatite B, à Hyderabad en Inde. La fabrication des médicaments fait de plus
en plus souvent appel à des sous-traitants dispersés dans le monde entier, avec un risque important de rupture d’approvisionnement.
Voir article page 849.
© Volker Steger/Siemens/SPL/Phanie

815 É ditorial Tsunami870 Implant cochléaire de l’enfant 906 D evenir et pronostic des patients en
11 vaccins obligatoires : vers une Édouard Bouquillon, Marie-Suzanne burn out pris en charge tardivement
dédramatisation ? Jean Deleuze Le Gac, Benoit Godey Philippe Bouhours

819 ACTUALITÉ 874 S urdité de l’enfant : 910 B urn out des soignants
819 Thérapeutique. Éducation les 10 messages clés Richard Torrielli
Patrice Tran Ba Huy
thérapeutique des patients et des 912 S ouffrance et travail : les ressources
proches Janine-Sophie Giraudet 875 PRATIQUE MÉDICALE Marie Pezé
827 Thérapeutique. Implants dentaires 875 Quel est votre diagnostic ?
Patrick Missika, Jacques Bessade 877 Vos images. Kérion de Celse 913 B urn out : les 10 messages clés
832 En débat. Dosage du PSA : Marie Pezé
un engrenage à éviter Nassiba Zerrouki , Afaf Khouna,
Clémence Legoupil, Catherine Hill Loubab Omahsan, Siham Dikhaye, 914 ARTICLES NUMÉRIQUES : ECN
839 En débat. Dépistage organisé Nada Zizi Online on :
du cancer colorectal : un bilan 878 Vos images. Erythema ab igne
décevant qu’il faut améliorer Lara Volle-Couderc, Anaïs Bredontiot etudiants.larevuedupraticien.fr
Bernard Denis, Isabelle Gendre, 879 Vivre avec une personne atteinte
Philippe Perrin de la maladie à corps de Lewy e303 I tem 109. Dermatoses faciales.
847 Revue de presse Sébastien Rivière Réseau des aidants Maladie à corps
849 Santé & société. Tensions de Lewy Acné, rosacée, dermatite
d’approvisionnement et ruptures 881 Mise au point. Syphilis : quoi séborrhéique Antoine Badaoui,
de stock des médicaments : de nouveau ? Gentiane Monsel, Emmanuel Mahé
l’exemple de la benzathine Romain Palich, Éric Caumes e310 F ocus Item 109. Dermatoses
benzylpénicilline Alban Dhanani, 886 Mise au point. Conservation faciales en pratique Antoine
Isabelle Parent du Chatelet, des gamètes : quelles modalités ? Badaoui, Emmanuel Mahé
Said Ioughlissen, Patrick Maison Jeanne Perrin, Patricia Fauque, e311 I tem 212. Syndrome hémorragique
Marine Paci, Hanae Pons, d’origine hématologique
855 DOSSIER Florence Brugnon Anne Lienhart, Sandrine Meunier
SURDITÉ DE L’ENFANT e320 F ocus Item 212. Stratégie
891 DOSSIER diagnostique devant une anomalie
Conseiller scientifique : Pr Patrice BURN OUT du bilan de coagulation
Tran Ba Huy, Académie nationale Anne Lienhart, Sandrine Meunier
de médecine, Paris, France Conseiller scientifique : Mme Marie e321 Item 328. État de choc.
855 Surdité de l’enfant : la repérer Pezé, Réseau de consultations Principales étiologies :
le plus tôt possible « souffrance et travail », Levallois- hypovolémique, septique,
Patrice Tran Ba Huy Perret, France cardiogénique, anaphylactique
857 Épidémiologie et dépistage 892 Qu’est-ce que le burn out ? Armand Mekontso Dessap,
de la surdité de l’enfant Catherine Thiery Alexandre Bedet, François Bagate
André Chays, Marc Labrousse, 896 Signe d’alerte de burn out et e327 Item 54. L’enfant handicapé.
Xavier Dubernard diagnostic précoce Marie Pezé Orientation et prise en charge
862 Démarche diagnostique 905 Bilan neuropsychologique Joseph Toulouse, Vincent des Portes
devant une surdité de l’enfant d’un patient en burn out 915 Carrières Santé
Natacha Teissier Elsa Merle, Marie Pezé
917 DÉCOUVRIR
917 Histoire de la découverte du

système rénine-angiotensine
Pierre Corvol

Ce numéro est accompagné d’un encart « Librairie – La Revue du Praticien » sur la totalité du fichier et d’un supplément « Les items de La Revue du Praticien » destiné aux étudiants.

Vol. 68 _ Octobre 2018 817
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OCTOBRE 2018 _ TOME 68_ NUMÉRO 8

CONTENTS

Cover picture. See page 849. © Volker Steger/Siemens/SPL/Phanie

815 Editorial Tsunami 874 D eafness in children: 913 B urnout: 10 key messages
11 mandatory vaccines: towards 10 key messages P. Tran Ba Huy M. Pezé
a dedramatization? J. Deleuze
875 MEDICAL PRACTICE 914 DIGITAL ITEMS
819 ACTUALITY 875 What is your diagnosis? Online on :
819 Therapeutics. Therapeutic 877 Your images. Kerion Celsi
etudiants.larevuedupraticien.fr
education of patients and relatives N. Zerrouki , A. Khouna, L. Omahsan, e303 Item 109. Facial dermatosis.
J.-S. Giraudet S. Dikhaye, N. Zizi
827 Therapeutics. Dental implants 878 Your images. Erythema ab igne Acne, rosacea, seborrheic
P. Missika, J. Bessade L. Volle-Couderc, A. Bredontiot dermatitis A. Badaoui, E. Mahé
832 Sounding board. PSA-based 879 L iving with a person with Lewy e310 Focus Item 109. Facial
prostate cancer screening, body disease Network caregivers dermatosis in practice
a slippery slope C. Legoupil, C. Hill Lewy body disease A. Badaoui, E. Mahé
839 Sounding board. Colorectal 881 R estatement. Syphilis: e311 I tem 212. Hemorrhagic
cancer screening: a disappointing what’s new? G. Monsel, syndrome with hematologic origin
performance needs improvement R. Palich, É. Caumes A. Lienhart, S. Meunier
B. Denis, I. Gendre, P. Perrin 886 R estatement. Cryoconservation e320 Focus Item 212. Diagnostic
847 Press review S. Rivière of gametes: how to perform? strategy in patient with abnormality
849 Health & society Supply J. Perrin, P. Fauque, M. Paci, of the coagulation balance
disruptions and drug shortages: H. Pons, F. Brugnon A. Lienhart, S. Meunier
the example of benzathine e321 I tem 328. Shock. Main etiologies:
benzylpenicillin A. Dhanani, 891 DOSSIER hypovolemic, septic, cardiogenic,
I. Parent du Chatelet, S. Ioughlissen, B URN OUT anaphylactic A. Mekontso Dessap,
P. Maison 892 W hat is burnout? C. Thiery A. Bedet, F. Bagate
896 A lert sign of burnout and early e327 I tem 54. Disability in childhood:
855 DOSSIER current management J. Toulouse,
D EAFNESS IN CHILDREN diagnosis M. Pezé V. des Portes
855 Deafness in children: to be detected 905 N europsychological assessment 915 Health Careers

as soon as possible P. Tran Ba Huy of a burnout patient E. Merle, M. Pezé 917 MEDICAL RECOLLECTIONS
857 Epidemiology and newborns 906 P atients’ burnout: evolution 917 H istory of the discovery of the

universal hearing screening and prognosis in case of delayed renin-angiotensin system P. Corvol
A. Chays, M. Labrousse, X. Dubernard support P. Bouhours
862 Diagnostic approach to child 910 Healthcare professionals’ burnout
deafness N. Teissier R. Torrielli
870 Cochlear implant in children 912 S uffering and work: resources
É. Bouquillon, M.-S. Le Gac, M. Pezé
B. Godey

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818 Vol. 68 _ Octobre 2018
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THÉRAPEUTIQUE

Éducation thérapeutique des patients. C’est un acte thérapeutique,
un soin, par opposition à l’éducation pour la santé (éducation sanitaire,
promotion de la santé) qui se situe en amont de la maladie et lutte contre
un comportement à risque. Mais c’est encore trop souvent un « traitement
orphelin » en quête de reconnaissance.

Éducation thérapeutique
des patients et des proches

JANINE-SOPHIE L e concept d’éducation théra- Tsunami
GIRAUDET peutique des patients (ETP)
Centre d’éducation s’inscrit dans une véritable © BSIP / ASTIER
pour les rhumatismes politique de santé soutenue
chroniques par les pouvoirs publics, mise en une démarche personnelle active culture, ses représentations, ses
(CERC) ; service avant par la loi « Hôpital, patients, d’adaptation (« savoir être ») pour croyances, des facteurs déclenchants
de rhumatologie santé et territoires » (loi HPST). La « faire face » à la maladie (le « coping » (deuil, accident, divorce…), de son
(Pr Yannick Allanore), loi intègre, pour la première fois, dans des Anglo-Saxons – mise en place de état d’esprit du moment, de ses res-
pôle ostéo-articulaire le code de santé publique, l’éducation stratégies d’ajustement), mieux com- sources, de ses projets de vie, du
(Pr Philippe Anract) ; thérapeutique pour toute personne muniquer avec les autres (« savoir- soutien de ses proches… Certains
hôpital Cochin, atteinte de maladie chronique et jette dire »), enfin envisager un avenir avec patients ont une force psychologique
AP-HP, Paris, France. la maladie (« savoir vivre avec »).1 très importante et arrivent à se re-
janine-sophie. les bases de son développement (v. en- Deux points sont importants : construire très rapidement. D’autres,
[email protected] cadré) : cahier des charges pour les – l’éducation thérapeutique doit être plus résistants au changement, sont
L’auteur déclare différenciée de l’éducation « à la plus vulnérables et ont besoin de
des liens ponctuels programmes, compétences pour thérapeutique » trop restrictive car temps et de soutien pour « digérer »
(conférences, l’exercer, pilotage et financement centrée sur les traitements médica- la survenue de la maladie chronique ;
colloques, actions après autorisation des agences régio- menteux, l’observance. L’ETP tient – l’éducation thérapeutique doit
de formation, nales de santé (ARS), évaluation an- compte de la personne malade, de également s’adresser au proche du
de prévention) nuelle et labellisation quadriennale. ses besoins, de sa période de vie, sa patient, appelé « aidant familial » ou
avec les laboratoires L’expression « éducation thérapeu-
Roche-Chugaï, tique » semble cependant inadaptée, Vol. 68 _ Octobre 2018 819
Sanofi, Novartis car il fait peur aux patients qui y
et Pfizer. voient une nouvelle contrainte (« sco-
larité », retour sur les bancs de
l’école). Les termes « accompagne-
ment dans le soin », « apprentissage »
dans la prise en charge de la maladie
chronique seraient probablement
plus justes ! L’apprentissage concerne
en effet plusieurs domaines : les
connaissances (« savoir ») sur la
maladie, les traitements médica-
menteux et non médicamenteux ; la
capacité à réaliser certains gestes et
activités (« savoir-faire ») ; les modifi-
cations de comportement impliquant

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THÉRAPEUTIQUE
ÉDUCATION DES PATIENTS

« proche aidant » ; c’est un partenaire DÉLIVRER UNE INFORMATION médicale via les sites internet de
de soins à part entière, voire un futur Contrairement aux idées reçues, santé (si possible sélectionnés et de
patient s’il néglige sa propre santé pour l’ETP ne se résume pas à la déli- qualité).
se concentrer exclusivement sur celle vrance d’une information. En effet, Mais cette information descendante
de la personne aidée. En effet, l’aidant informer consiste à délivrer une in- est le plus souvent généraliste et
familial peut rencontrer de nom- formation à un patient « passif  » sans peu adaptée, car elle ne prend pas
breuses difficultés au quotidien (sensa- se préoccuper de ce qu’il en fait. L’in- en compte les besoins, attentes,
tion d’inefficacité face à la souffrance formation fait partie des devoirs de craintes, croyances, représentations,
du patient, caractère imprévisible de tout médecin et des droits de chaque peurs, ressources personnelles in-
la maladie chronique, répercussions patient comme le stipule la loi du ternes, externes, projets de vie à
sur la vie quotidienne, renonciation à 4 mars 2002, relative aux droits des court ou plus long terme du patient,
certains projets, et parfois isolement malades et à la qualité du système de ses facultés, sa réceptivité, ses moti-
social…), il se fait parfois plus de souci santé. Cet acte d’information est dé- vations, ses dispositions et son
que la personne malade elle-même, cisif pour le médecin : il s’agit de la consentement au changement, sans
se pose des questions sur l’avenir, ce première étape dans la relation mé- parler des informations erronées
qui est source de tensions familiales decin-malade qui permet d’obtenir véhiculées par les réseaux sociaux.
et préjudiciable pour sa santé. un consentement au soin (et si pos-
sible une adhésion, une observance) RELAYER LES INFORMATIONS
Information et éducation : et pour le patient « d’apprendre », L’information a donc tout intérêt
deux objectifs différents d’acquérir des connaissances. à être relayée par une démarche
Plusieurs moyens sont à notre dispo- éducative individuelle ou collective
L’information et l’éducation des sition pour informer : l’information car bénéficier d’informations sur la
patients sont souvent confondues orale individuelle (« colloque singu- maladie ne veut pas dire apprendre
alors qu’elles ne visent pas les mêmes lier ») ; la lecture d’une information
objectifs. écrite standardisée ; l’information à vivre avec (« Il y a loin du dire au
Tsunami faire », Cervantès).
DÉFINITION DE L’ÉDUCATION THÉRAPEUTIQUE
DU PATIENT Un patient se soigne bien s’il décou-
vre en lui le désir de bien se soigner,
D’après l’Organisation mondiale de la santé (1998)
« Transfert planifié et organisé de compétences du soignant vers le soigné et s’il prend sa « santé » en mains.
afin de l’aider à acquérir (ou maintenir) les compétences (v. infra)
dont il a besoin pour gérer au mieux sa vie avec la maladie chronique ». L’ETP aide les personnes malades
« Un processus par étapes, intégré dans la démarche de soins, comprenant un ensemble à prendre soin d’elles-mêmes, à
d’activités organisées de sensibilisation, d’information, d’apprentissage et d’aide identifier et satisfaire leurs besoins,
psychologique et sociale concernant la maladie, les traitements, les soins, l’organisation difficultés, attentes, à exercer un
et les procédures hospitalières, les comportements de santé et ceux liés à la maladie libre choix, et à mobiliser certaines
et destinés à aider le patient (et sa famille) à comprendre la maladie et les traitements, ressources pour résoudre un pro-
à collaborer aux soins, prendre en charge son état de santé et favoriser un retour aux blème… Ce processus de dévelop-
activités normales » pement personnel, de renforcement
http:/ /www.euro.who.int/__data/assets/pdf_file/0009 /145296 / E93849.pdf en capacité(s), ce sentiment qu’il
est possible d’exercer un plus grand
Quelles sont les compétences à acquérir ? contrôle sur soi et la capacité d’ac-
L’ETP vise à aider les patients à gérer au mieux leur vie avec une maladie chronique, cepter ce qui n’est pas maîtrisable,
grâce à l’acquisition de compétences : de reprise de pouvoir, aboutissent
– des compétences d’auto-soins : décisions du patient avec l’intention de modifier à une transformation personnelle
l’effet de la maladie sur sa santé, par exemple auto-injections, modifications du mode avec une autonomisation du patient
de vie (diététique, activité physique) ;
– des compétences d’adaptation : compétences psychosociales pour maîtriser-diriger qui va donner du sens au présent :
son existence et acquérir la capacité à vivre dans son environnement et à le modifier
(par exemple, savoir gérer ses émotions et maîtriser son stress). vivre une nouvelle vie, construire
https:/ /www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/etp_-_comment_
la_proposer_et_la_realiser_-_recommandations_juin_2007.pdf un avenir avec la maladie ; on parle
d’« empowerment ».

L’ETP repose donc sur une attitude

« active » d’un patient qui ques-

tionne, réagit, s’exprime, échange
avec un professionnel de santé et/ou
avec des pairs, et qui s’approprie l’in-
formation (les connaissances) pour

« changer » ses habitudes de vie.

Chaque personne est singulière,

chaque situation unique. Cet « ac-
compagnement » personnalisé et

820 Vol. 68 _ Octobre 2018

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THÉRAPEUTIQUE
ÉDUCATION DES PATIENTS

bienveillant part des préoccupations LES 4 ÉTAPES DE L’ÉDUCATION THÉRAPEUTIQUE DU PATIENT
du patient, de ses difficultés, volon- 1. Élaboration d’un diagnostic éducatif individualisé (entretien éducatif partagé, bilan éducatif partagé)
tés, facultés, l’aide à prendre des
décisions pour des soins parfois avec le patient qui permet de définir ses besoins, attentes, peurs, croyances, projets…
lourds et compliqués, afin d’amélio- 2. D éfinition d’un programme personnalisé d’ETP qui définit les « compétences » (savoir-faire)
rer sa qualité de vie et a fortiori celle
de ses proches. Il l’aide aussi à faire que le patient doit acquérir et/ou mobiliser.
des choix pour ses projets de vie, 3. P lanification et mise en œuvre des séances d’ETP qui font appel à des contenus et des méthodes
son orientation… En effet, il est né-
cessaire de tenir compte des poten- d’apprentissage.
tialités, des habiletés, du sentiment 4. Évaluation des acquis à l’issue du programme éducatif (évaluation individuelle pour faire le point
de maîtrise sur la maladie (contrôle
perçu ou locus of control) interne ou avec le patient des « compétences » d’auto-soins et d’adaptation acquises).
externe (le destin…), de l’estime de https:/ /www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/etp_-_comment_la_proposer_et_la_
soi, de la confiance (self-efficacy), du realiser_-_recommandations_juin_2007.pdf
sentiment d’efficacité personnelle https:/ /www.has-sante.fr/portail/jcms/c_1241714 /fr/education-therapeutique-du-patient-etp
perçu et/ou de découragement
(helplessness) qui façonnent les Tableau 1.
ressources du patient. Enfin, il est
nécessaire de prendre également LES 3 MODALITÉS OPÉRATIONNELLES DE L’ÉDUCATION THÉRAPEUTIQUE DU PATIENT
en compte son autodétermination En pratique, il existe 3 modalités opérationnelles :
(self-management), sa motivation – programmes d’ETP dont l’approche est médicalisée, label Haute Autorité de santé (HAS) ;
(ou sa résistance au changement), – p rogrammes d’apprentissage, ayant pour objet l’appropriation, par les patients, de gestes techniques
ses stratégies de « coping » poten-
tielles pour faire face à l’adversité, permettant l’utilisation d’un médicament ;
sa résilience pour aller de l’avant, – a ctions d’accompagnement qui ont pour objet d’apporter une assistance et un soutien aux malades,
rebondir, agir sur sa vie, sa santé.
Sans oublier, enfin, de s’appuyer ou à leur entourage, dans la prise en charge de leur maladie.
sur le soutien reçu (proches, aidants Loi HPST : https://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/etp_-_definition_finalites_-_
familiaux, proches aidants, pairs, recommandations_juin_2007.pdf
associations, collègues, soutien http:/ /esante.gouv.fr/services/reperes-juridiques/l-education-therapeutique-du-patient
social…) rarement évalué en consul- Tsunami
tation classique et pourtant précieux Tableau 2.
pour lutter contre le repli sur soi,
l’isolement (tableaux 1 et 2). au patient d’exprimer son vécu, son tation » (plutôt « adaptation-accommo-
ressenti, de comprendre ce qui lui dation-intégration ») précoce de la
Objectifs de l’ETP arrive, de « changer » son état d’es- maladie, puis une certaine mise à dis-
prit, ses habitudes, ses compor- tance, sans refus/déni, enfin une par-
L’ETP est un soin indissociable de la tements pour accepter de se soigner ticipation active aux soins proposés.
prise en charge classique d’une ma- et prendre soin de lui différemment. Cet « accompagnement global » depuis
ladie chronique qui plonge le patient Elle a pour objectif de rendre un pa- le premier instant où est évoqué le
dans une quête de « sens ». Il faut tient plus autonome en facilitant son diagnostic pour garantir l’avenir des
exister malgré la maladie chronique, adhésion aux traitements prescrits patients avec la meilleure qualité
dans une société qui magnifie jeu- et en améliorant sa qualité de vie. de vie possible repose sur l’ETP.
nesse et bonne santé… Comment Il s’agit d’une approche du « soin » L’idéal est donc de proposer une ETP
accepter cette différence sans qu’elle dans sa globalité (« care », sollicitude) très précocement, dès la consultation
prenne toute la place ? En effet, l’im- proposée par une équipe multidis- d’annonce, afin d’aider le patient à
pact de la douleur et de la maladie ciplinaire spécifiquement formée à « intégrer-accepter » sa maladie.
peut être responsable de troubles l’ETP, d’un accompagnement bien- L’ETP aide les patients et/ou l’entou-
sévères de l’image du corps (défor- veillant du patient impliqué dans rage à comprendre la maladie et les
mations…), d’un sentiment de culpa- une démarche volontaire et active. traitements, à collaborer aux soins
bilité profond (maladie génétique afin de conserver et/ou améliorer la
rare…) ou de croyances (peur du Une ETP dédiée pour qualité de vie.2
fauteuil roulant…), muets en consul- toute personne ayant L’ETP accompagne ensuite le patient
tation classique mais souvent expri- une maladie chronique à tous les stades de la maladie et tout
més en ETP collectives. L’ETP est au long du suivi. Cet accompagnement
une démarche innovante qui permet Il n’est pas possible de bien soigner bienveillant, qui cumule le « prendre
une personne souffrant de maladie soin » et le soutien dans la capacité
chronique sans qu’elle n’adhère plei- d’ajustement, doit être renforcé
nement à ses soins, ce qui suppose lors d’étapes clés, comme l’annonce
une bonne information, une « accep- d’une complication, d’une rechute, la

Vol. 68 _ Octobre 2018 821

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THÉRAPEUTIQUE
ÉDUCATION DES PATIENTS

FOCUS UN EXEMPLE : L’ÉDUCATION THÉRAPEUTIQUE
DU PATIENT EN RHUMATOLOGIE

Toutes les pathologies rhumatologiques Tsunamisecrétaires…) formée à l’ETP et coordonnée par personnel dédié ni de moyen financier) dédiée
chroniques peuvent en bénéficier un médecin formé à l’ETP. L’ETP s’organise en à l’ETP créé en 1999, l’équipe d’ETP du service
Le nombre des programmes proposés en France est collaboration avec les associations de patients, de rhumatologie de l’hôpital Cochin propose
croissant (v. tableau 3). L’ETP est principalement les patients experts (patients ressources, pairs) plusieurs programmes d’information, d’ETP
orientée vers les rhumatismes inflammatoires chro- également formés à l’ETP et parfois des bénévoles et d’accompagnement pour les patients ayant
niques (polyarthrite rhumatoïde, spondyloarthrites, engagés et motivés. Les modalités éducatives des rhumatismes chroniques (polyarthrite
rhumatisme psoriasique, syndrome de Goujerot- sont diverses et adaptées aux besoins des patients, rhumatoïde, spondyloarthrites, sclérodermie
Sjögren, lombalgies chroniques (écoles du dos), ostéo- des aidants familiaux et aux ressources locales. systémique, rhumatisme psoriasique…) et
porose (prévention des chutes), goutte, fibromyalgie... leurs aidants familiaux. Les ateliers d’ETP se
L’arthrose a peu de programmes dédiés, il s’agit plutôt L’ETP s’effectue dans le cadre des soins déroulent sur deux journées en rhumatologie,
d’informations dédiées à la pathologie (pathologie non d’hospitalisations de jour ou lors de consultations à une semaine d’intervalle. Un entretien éducatif
ALD30). Il existe également des programmes d’ETP éducatives ambulatoires (séances individuelles ou partagé (« diagnostic éducatif ») est réalisé
dédiés aux maladies rares (sclérodermie, vascularites, collectives). L’implication de la médecine libérale avant l’atelier. Il consiste à s’entretenir 45 mi-
fièvres récurrentes, ostéogenèse imparfaite, syno- est plus rare, les stations thermales proposent des nutes avec une infirmière afin d’évaluer les
vite-acné-pustulose-hyperostose-ostéite…) prises programmes d’ETP pour la fibromyalgie, pour les besoins, les attentes, les peurs, les difficultés,
en charge par les médecins experts travaillant dans les aidants… Quelle que soit la maladie chronique la réceptivité, la personnalité, les ressources du
centres de référence des maladies rares (v. tableau 3). rhumatologique, les compétences d’auto-soins patient et de définir les compétences à acquérir.
(gestion de la douleur, de l’inflammation, suivi Il permet de prendre en compte la singularité
Tous les aidants familiaux devraient également thérapeutique, prévention des complications, lutte du patient.
pouvoir bénéficier d’ETP, soit en accompagnant le contre les facteurs de risque, hygiène de vie…)
patient aux séances, soit en participant à des séances et d’adaptation (gestion du stress…) sont indivi- Ensuite, une réunion d’équipe construit
spécialement dédiées à l’aidant. dualisées au décours du diagnostic éducatif.2 la session éducative. Les patients sont alors
Une expérience hospitalière accueillis en groupe de 8 à 10 personnes (en
L’ETP est le plus souvent organisée dans les Après la création de consultations éducatives en dehors du soin classique) deux jours, à une
établissements hospitaliers et réseaux de soins par 1992, du Centre d’éducation pour les rhumatismes semaine d’intervalle : une journée pour
une équipe multiprofessionnelle et transdisciplinaire chroniques (CERC), structure « virtuelle » (pas de apprendre la maladie et les traitements
(infirmières, pharmaciennes, diététiciennes, kiné- (médicamenteux et non médicamenteux) et
sithérapeutes, assistantes sociales, psychologues, une journée pour apprendre à « vivre avec ».9

L’ÉDUCATION THÉRAPEUTIQUE EN RHUMATOLOGIE La plupart du temps, les patients ne
• Au sein du pôle ostéo-articulaire-Cochin : http://www.etp-rhumatologie.org/?p=789 connaissent pas leur maladie (même ceux qui
• L e site ETP de la Société française de rhumatologie. La section ETP créée en février 2008 en souffrent depuis de nombreuses années),
ni les objectifs des traitements. La deuxième
(présidée par C. Beauvais) réunit des médecins et des professionnels de santé : journée, « vivre avec » est dédiée à la prise
http:/ /sfr.larhumatologie.fr/sections/educationtherapeutique/edito/index.phtml en charge diététique, psychologique, sociopro-
• Les programmes d’ETP en rhumatologie : http://www.etp-rhumatologie.org/ fessionnelle, avec la participation des associa-
• L’application Hiboot, un compagnon au quotidien pour le méthotrexate et les biothérapies ! tions de patients ; elle est animée par un pair :
http:/ /hiboot.larhumatologie.fr/ patient expert en ETP ou patient ressource. Nous
• Les programmes d’ETP répertoriés par la HAS, l’ARS, l’AP-HP : nous adaptons au groupe pour animer les ses-
– HAS : https://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_1241714/fr/education-therapeutique-du-patient-etp sions et nous les faisons évoluer régulièrement.
– ARS : répertoire des programmes ETP en Île-de-France : CART’EP
http:/ /educationtherapeutique-idf.org/_front/ Pages/page.php Les patients ayant déjà effectué une ou
– AP-HP : https://www.aphp.fr/education-therapeutique-du-patient plusieurs journées d’ETP peuvent aussi par-
• Les programmes d’ETP dans les maladies rares : ticiper à des ateliers collectifs (loisirs théra-
– A lliance maladies rares : peutiques) sur rendez-vous : il s’agit de soins
http:/ /www.alliance-maladies-rares.org/sortie-du-1er-guide-complet-de-letp-par-lalliance/ de « support » (sophrologie, psychomotricité,
– Orphanet. Filières de santé maladies rares : https://etpmaladiesrares.com/par-filiere-de-sante/ atelier d’écriture, qi gong, tai chi chuan, pra-
– Éducation thérapeutique, e-santé, télémédecine, impact du numérique pour les maladies rares : tiques artistiques…) pour prendre du recul
http:/ /www.orpha.net/orphacom/cahiers/docs/ FR/ XVIforum.pdf face à la maladie. Ces ateliers coordonnés par
Tableau 3. AP-HP : Assistance publique-hôpitaux de Paris ; ARS : agences régionales de santé ; l’équipe ETP sont animés par des bénévoles
HAS : Haute Autorité de santé. qui ont signé une convention avec l’hôpital et
l’Association française de lutte antirhumatismale
(AFLAR) et une charte de confidentialité. V

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THÉRAPEUTIQUE
ÉDUCATION DES PATIENTS

ÉDUCATION THÉRAPEUTIQUE DU PATIENT : LES PRINCIPAUX MESSAGES
L’éducation thérapeutique (ETP) est un droit du patient souffrant « appendice » du soin alors qu’elle offre un véritable « soin
de maladie chronique ; elle doit être proposée au patient et à son bienveillant » (« care »), un accompagnement pour le malade
proche (« aidant familial »). (et son entourage). Il est important d’augmenter l’accessibilité
C’est un processus qui se déroule par étapes, il est intégré aux des programmes d’ETP, de créer et proposer de nouveaux outils
soins et mis en œuvre par différents professionnels de santé formés (supports numériques…).
spécifiquement. L’ETP est une activité tonifiante, stimulante, créatrice qui ouvre
L’éducation thérapeutique permet au patient de concevoir un nouveau l’esprit et nécessite un engagement dynamique et persévérant
mode de vie, de nouveaux repères, de nouveaux projets de vie pour des soignants.
mieux vivre avec la maladie et prendre soin de sa « santé », pas L’ETP, « traitement orphelin », mal-aimé, en quête de reconnaissance,
seulement de sa maladie et de son traitement, car vivre avec une devrait enfin recevoir ses lettres de noblesse, ce d’autant
maladie chronique ne réduit pas à l’état de malade. que la réduction des durées d’hospitalisation, impérative
Elle permet au patient de prendre de la distance, de la hauteur, pour les établissements de soins, ne peut se concevoir sans
du recul vis-à-vis de la maladie et de l’épreuve, de reprendre un accompagnement éducatif.
le pouvoir, de retrouver la capacité d’agir sur les déterminants Une ETP frontière dédiée (« discharge education »), sera peut-être
de sa santé (empowerment, autonomisation, capacitation), mise à l’honneur ?
de revoir ses priorités, de construire de nouvelles bases, d’acquérir Cette révolution est en réalité une évolution à petits pas, patiente,
des compétences qui aident à mieux vivre avec la maladie chronique. profonde et durable.
En France, l’éducation thérapeutique reste considérée comme un « Un voyage de mille kilomètres commence par un pas » de Lao Tseu
Tsunami
proposition de soins palliatifs… sur Internet, faire appel aux « fo- maladie des manuels, et « illness » du
Grâce à l’ETP, les patients changent rums », réseaux sociaux, et viennent malade, maladie éprouvée subjecti-
leurs habitudes de vie, acquièrent à nous parfois désemparés, gavés de vement et progressivement intégrée
de nouveaux apprentissages pour fausses informations (fake news, « in- à une histoire personnelle.
se prendre en charge différemment. fox »), par exemple régimes « sans », En effet, l’inquiétude, l’anxiété, par-
Pour les patients il y a un « avant médecines alternatives miracles, fois même l’angoisse peuvent être
l’ETP » et un « après l’ETP » : nous ou englués dans la voie des dérives très préjudiciables dans une maladie
constatons une plus grande confiance sectaires, qui profitent de leur fragi- chronique, il faut donc apprendre
en eux, et en nous, moins de souf- lité. L’ETP connectée de demain au patient (et à son proche) à prendre
france, moins de repli sur soi, moins coordonnée par des soignants et du recul : essayer d’apaiser ses peurs
d’isolement, une meilleure commu- pairs experts de la maladie sera sû- grâce à l’écoute, la parole, les échanges
nication avec les autres (famille, rement très utile pour ces patients. entre pairs, la relaxation…, d’où l’in-
proches, collègues…). térêt d’accepter d’être entouré par la
Nous sommes bien au-delà d’une Une pratique obligatoire famille, de rencontrer d’autres pa-
offre de soins fondée uniquement et fondamentale tients, de participer à des séances
sur la science et traitée par un pro- mais marginale d’ETP collectives, de contacter une
fessionnel. L’ETP permet de passer association de malades... Cela permet
du « cure » au « care ». Elle donne le L’ETP est considérée comme un de cheminer un peu plus sereinement,
sentiment d’exister, elle apprend élément indispensable de la prise d’améliorer la qualité, la continuité
une certaine autonomie. Grâce à en charge des patients souffrant des parcours de soins et de vie. Si les
l’ETP, le patient n’est plus un simple de pathologie chronique, mais reste soignants sont convaincus que l’ETP
spectateur (ou figurant), il devient une démarche aujourd’hui encore présente un vrai bénéfice pour les
acteur (auteur, co-constructeur…) tout à fait marginale dans le proces- patients et leurs aidants, nous avons
sus de soins. Cette démarche qui parfois le sentiment qu’elle reste une
de sa santé ; il va prendre sa santé emprunte à de nombreux champs activité « secondaire » qui passe tou-
des sciences humaines doit aller jours après les soins classiques, alors
(définition de l’Organisation mon- toujours plus loin dans l’ouverture qu’il s’agit d’un soin à part entière
diale de la santé [OMS]) en mains vers les patients, vers de nouveaux qui modifie profondément les pos-
(pas seulement sa maladie). professionnels de soins et vers de tures, les pratiques, l’organisation des
Le patient reste cependant libre nouveaux domaines du soin, en pré- soins, les relations soignants-patients
d’entrer (seul ou avec un proche) ventif et en aigu. En effet, qui dit et les relations entre les équipes d’ETP.
dans un programme d’ETP ou de maladie chronique dit aspects Il persiste des idées reçues, des inter-
le quitter s’il le souhaite. Tous les multidimensionnels, et l’écart est rogations sur ses possibilités réelles
patients ne sont pas volontaires grand entre « disease » des médecins, de mise en œuvre et son évaluation.
pour suivre un atelier d’ETP.
Certains préfèrent, hélas, surfer Vol. 68 _ Octobre 2018 823

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THÉRAPEUTIQUE
ÉDUCATION DES PATIENTS

Actuellement essentiellement hospi- TsunamiUne démarche multi- animant un programme d’ETP.6
talière ou proposée dans certaines et transdisciplinaire On peut définir plusieurs niveaux
maisons de santé ou lors de cures ther- de formation des professionnels
males, elle devra : se développer en L’ETP est assurée par une équipe en ETP :
ville, avec des réseaux ville-hôpital ; multi- et transdisciplinaire formée – un premier niveau qui s’adresse
le médecin traitant a un rôle important spécifiquement à l’ETP. En effet, il au professionnel désireux d’acquérir
à jouer en relais des programmes faut être formé pour pouvoir animer, la compétence de soignant éducateur
initiés à l’hôpital ;3 dans toutes les concevoir, évaluer des programmes (environ 40 heures) : enseignement
maladies chroniques fréquentes et les d’ETP. théorique et pratique dans le cadre
maladies rares ; et atteindre toutes les De multiples structures proposent de certificats, diplômes dispensés
populations de patients et d’aidants des formations à l’ETP permettant par des enseignants certifiés dans
familiaux. d’acquérir des compétences spéci- des structures publiques (université,
fiques : écoles paramédicales), privées et
Une évaluation difficile – biomédicales et de soins car l’ETP associatives, homologuées ;
implique d’abord la connaissance – un 2e niveau permettant d’exercer
Même si l’ETP a des impacts positifs, approfondie de la maladie ; les fonctions de coordinateur ou de
démontrer qu’elle est bénéfique est – relationnelles ; pour faire de l’ETP, formateur de soignants éducateurs
difficile car son évaluation fait appel il faut apprendre à se taire et à écou- acquis par des diplômes universi-
à des critères de jugement bien diffé- ter le patient (formation à l’écoute, taires : DU, DIU, mastères, au terme
rents de ceux qui permettent de juger empathie, patience, disponibilité, d’une formation théorique et pra-
le rapport bénéfice-risque d’un médi- relation d’aide…), à soutenir et en- tique (environ 100 heures) ;
cament. L’évaluation devrait, en effet, courager ses efforts, à l’accompagner – un 3e niveau réservé aux forma-
porter sur la mise en évidence des pour mobiliser ses ressources (ac- teurs des soignants éducateurs (ni-
« changements » du patient en analy- compagnement au changement), veau 3e cycle).
sant différentes dimensions, biocli- comprendre ses ressorts psycholo-
niques, psychosociales et pédago- giques… ; Une ETP pour les proches
giques, mais aussi des transformations – pédagogiques et d’animation (ex-
par ricochet de l’entourage familial pression orale, pédagogie, commu- Par proches, nous entendons l’entou-
et des soignants (médecin traitant, nication interne et externe…) ; rage au sens large. S’il s’agit de la
spécialistes, paramédicaux…). – méthodologiques et organisation- famille, on parle d’aidants fami-
Les études publiées sont très hétérogé- nelles (animation de réunions, liaux ; pour l’ensemble des personnes
nes : populations concernées, format gestion d’un groupe…), conduite et de proximité au contact des patients
des programmes (séances indivi- planification de projets. on parle de proches aidants, qui ac-
duelles ou collectives, durée des Les patients experts (patients inter- compagnent les patients et jouent
séances, type de séances ambulatoires venants, patients ressources, pairs) souvent un rôle fondamental de par-
ou en hospitalisation), structure des qui prennent part à l’ETP doivent tenaire de soins en relais à domicile.
équipes pluridisciplinaires, contenu avoir des prédispositions spéci- Le rôle des aidants familiaux est
et méthodes d’éducation (information, fiques, de grandes qualités (empa- essentiel pour soutenir les patients
accompagnement, conseils, éducation thie, qualités didactiques, bien- souffrant de maladie chronique,
proprement dite, thérapeutiques co- veillance, générosité de cœur, moti- en perte d’autonomie, ou en situation
gnitivo-comportementales).1, 4, 5 vation…) et suivent également une de handicap. Les aidants familiaux
Les outils d’évaluation de l’ETP formation dédiée afin d’assurer un sont souvent des virtuoses, talen-
restent donc à définir : connaissances rôle de facilitateur d’écoute, de tueux, autodidactes, dévoués, qui
(maladie, traitements), état de santé parole et de soutien et/ou d’accom- improvisent en permanence pour
perçu, croyances et attitudes (coping, pagnement dans les séances éduca- s’adapter à la situation ; ils sont
self-efficacy, locus of control), analyse tives. Précieux relais du soignant, parfois épuisés, stressés, isolés,
des comportements (adhésion, obser- ils doivent prendre de la distance critiqués malgré leur dévouement
vance, complications thérapeutiques, face à leur propre maladie, ce qui quotidien et parfois plus malades
gestion de la fatigue, de l’anxiété, uti- n’est pas toujours simple. Ils signent que le patient qu’ils aident.
lisation des ressources médicales, une charte de confidentialité avec les Ils s’oublient, ne se plaignent pas,
psychosociales, qualité de vie, et enfin services hospitaliers dans lesquels négligent parfois leur propre santé,
impact socio-économique (utilisation ils interviennent. assumant tout sans broncher, minés
des soins, économie de la santé…). Selon l’Organisation mondiale de la par un profond sentiment de culpa-
Certaines études suggèrent que les santé, il faut au moins une personne bilité. Ces travailleurs de l’ombre
interventions d’ETP sont des outils de niveau de formation 2 (diplôme tendent une main invisible, allant
efficaces pour réduire les coûts relatifs universitaire [DU] ou interuniver- parfois au bout de leurs forces pour
à la santé. sitaire (DIU]) dans chaque équipe aider leur proche.3

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THÉRAPEUTIQUE
ÉDUCATION DES PATIENTS

Il est donc nécessaire de prévenir, restent « virtuelles » pour les équipes.TsunamiL’ETP DE DEMAIN
repérer, orienter et prendre en Dans les services où les profession-
charge les besoins et les difficultés nels de santé sont déjà très occupés, L’ETP de demain va reposer sur
liés à cet accompagnement et de il n’est pas rare de faire passer cette différentes modalités qui émergent
proposer des parcours de soins et activité en seconde ligne. Dans le et remplaceront probablement l’ETP
des ateliers dédiés aux « aidants contexte actuel, on objecte souvent actuelle :
familiaux ». Ils s’articulent autour que la pénurie de personnel oblige à – séances à domicile par des équipes
de deux axes : informer sur les donner priorité aux activités de mobiles émanant des centres hospita-
pathologies des « aidés » mais aussi soins plus classiques. Pourtant, il liers, ou via des structures existantes ;
et surtout leur apprendre à prendre serait souhaitable de l’intégrer – ETP en exercice libéral (réseaux de
du recul, trouver des solutions de dans un projet médical global avec soins, maisons de santé…), développée
répit, lutter contre le stress chro- un budget spécifique. avec les soins ambulatoires ;
nique lié à la maladie de la personne L’ETP souffre donc d’un cruel – ETP connectée seule en complément
aidée, mieux concilier leur vie per- manque de moyens humains, maté- des séances classiques (e-ETP) :
sonnelle, professionnelle et leur rôle riels et financiers : MOOC, e-learning, web conférences
d’aidant et, enfin, s’occuper de leur – manque de temps pour la pratiquer, pour acquérir des connaissances sur
propre santé physique, psychique se former à l’ETP, l’évaluer (pas les maladies chroniques, applications
et socioprofessionnelle. d’assistant de recherche clinique ), dédiées pour tablette ou smartphone,
rédiger les dossiers des agences serious games, suivi éducatif des pa-
Des difficultés régionales de santé ; tients par téléphone, relais par SMS,
– manque de reconnaissance glo- télémédecine au service de l’ETP (web
Si l’inscription de l’ETP dans la loi bale : l’activité ETP est souvent ateliers d’ETP ; conférences interac-
HPST a marqué la volonté des pou- considérée comme un « luxe »… tives), dans le respect de l’éthique et de
voirs publics de développer l’éduca- L’ETP se heurte, en effet, à un frein la confidentialité ;
tion thérapeutique, sa reconnais- important, celui des mentalités – ETP partagée entre les différentes
sance, sa valorisation et les moyens (manque de conviction du rôle de régions de France, avec co-construc-
hospitaliers restent très insuffisants. l’ETP, doute sur son utilité, sa quali- tion de programmes spécifiques ;
Il n’y a toujours pas d’acte codifié té, son efficacité…) responsable d’un – sans évoquer l’aide aux changements
pour la prise en charge ambulatoire recrutement hasardeux et aléatoire ;7 offerte par la réalité virtuelle…
du patient qui participe à un pro- – manque de moyens financiers : Cette révolution doit s’accompagner
gramme d’ETP et les dotations finan- financement dédié non fléché (cré- d’un temps dédié à l’ETP valorisé et
çant les missions d’intérêt général dits accordés déviés pour combler d’un changement des mentalités.8 V
comblant les déficits hospitaliers les déficits hospitaliers).

Remerciements à l’équipe multidisciplinaire éducative actuelle de Cochin : J. Avouac (rhumatologue), C. Baslé, M. Bequet et B. Guipaud (infirmières),
K. Michèle (aide-soignante), M.-T. Banchi et F. Simon (cadres infirmiers), S. Ripaux (diététicienne), L. Gutermann (pharmacienne), F. Martin (secrétaire
médicale), C. Chomarat, J. Dubois et A. Zatorska (étudiantes psychomotriciennes) ; aux associations : D. Adam (Le Lien), L. Carton (AFLAR), R. Guastalli
(Andar et AJI’ado), S. Rollot-(AFPRIC), L. Schüller (ASF) ; et aux bénévoles : C. Barrère (tai chi), C. Bienvenu (réflexologue), L. Bouffette (sophrologue),
F. Danthez (sophrologue), G. Desportes (chirurgien-photographe amateur), V. Mallay (art-thérapeute et qi gong), C. Renauld (écrivain), A. Rozain (socio-
esthéticienne), B. Saint Marc (réflexologue). Mes vifs remerciements à M.-P. Becas-Garro pour sa relecture amicale.

RÉFÉRENCES analysis of the 2003-2008 literature. in patient education programs 5. G iraudet-Le Quintrec JS,
1. G iraudet-Le Quintrec JS, CosteJ, Joint Bone Spine 2010;77:405-10. in rheumatology: Current data and Mayoux-Benhamou A, Ravaud P,
3. Poivret D, Gossec L, Delannoy C, future perspectives. Rev Rhumatisme et al. Effect of a collective
Vastel L, et al. Positive effect Giraudet-Le Quintrec JS, et le 2013;80:193-6. educational program for patients
of patient education for hip surgery: sous-groupe Proxy-RIC de la section 4. Giraudet-Le Quintrec JS, Kerboull L, with RA: a prospective 12-month
a randomized trial. Clin Orthop Relat ETP de la SFR. Place des « proches » Nguyen- Vaillant MF, et al. randomized controlled trial.
Res 2003;1:112-20. dans les programmes d’éducation Consultations éducatives : évaluation J Rheumatol 2007;34:1684-91.
2. A lbano MG, Giraudet-Le Quintrec JS, thérapeutique des patients en de leur rôle éducatif à court
Crozet C, d’Ivernois JF. Characteristics rhumatologie : état des lieux et et à moyen terme. Rev Rhum
and development of therapeutic perspectives-The place of the caregiver Mal Osteoartic 1996;63:553-8.
education in rheumatoid arthritis:

Vol. 68 _ Octobre 2018 825
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THÉRAPEUTIQUE

Implants dentaires. Leurs très larges indications et le succès de leur
pose peuvent être assombris par l’apparition chez un patient sur cinq
d’une péri-implantite dont la prévention impose un suivi régulier et une bonne
hygiène buccale.

Implants dentaires

PATRICK MISSIKA* R emplacer les dents man- Tsunamien particulier à l’os. Il a nommé ce On peut alors réaliser la phase
JACQUES quantes n’est pas un acte phénomène biologique « ostéo-inté- prothétique du traitement qui
BESSADE** purement esthétique gration ». En 1965, les premiers im- consiste à prendre des empreintes,
* Université Paris-VII, mais un véritable acte plants ont été réalisés dans la bouche faire un essayage des armatures
UFR d’odontologie thérapeutique. d’un patient suédois qui les a conser- métalliques puis procéder au scelle-
Garancière, MCU-PH, Depuis de nombreuses années, la vés pendant 40 ans. Depuis les an- ment ou au vissage de la prothèse.
expert près la cour pose d’implants s’est progressive- nées 1980, cette technique a été dif- Cette phase de traitement dure
d’appel de Paris, ment imposée comme une technique fusée dans le monde entier et a fait environ 1 mois.
expert national très fiable pour remplacer des dents ses preuves par la publication de
agréé par la cour manquantes. très nombreuses études cliniques. TECHNIQUE SUISSE DITE
de Cassation, L’objectif du traitement implantaire « EN UN TEMPS »
Paris, France. est la réalisation d’une prothèse Techniques de mise Dans la technique en un temps, l’im-
** Implantologie confortable, esthétique et fonction- en place des implants plant n’est pas mis en nourrice, mais
orale, expert près nelle. Il s’agit dans la majorité des la gencive est suturée autour du col
la cour d’appel de cas d’offrir aux patients une solution TECHNIQUE SUÉDOISE de l’implant.
Paris, Paris, France. de prothèse fixe comme alternative DITE « EN DEUX TEMPS » Une vis de protection du filetage de
pmissika@ à la prothèse amovible ou à la réali- Dans la technique en deux temps, l’implant, appelée vis de couverture,
wanadoo.fr sation de bridges qui nécessitent de après avoir réalisé un examen cli- est mise en place comme pour la
Les auteurs certifient prendre appui sur des dents natu- nique et radiographique et conçu technique « en deux temps » mais
n’avoir aucun relles adjacentes saines. un projet prothétique, le praticien elle se situe au ras de la gencive et
lien d’intérêts. Les implants permettent de rempla- incise la gencive et réalise un lam- apparaît donc dans la cavité buccale.
cer les dents naturelles quand elles beau d’accès puis un forage calibré La période de cicatrisation osseuse
ont été perdues à la suite d’un acci- pour mettre en place l’implant. est la même.
dent, d’une maladie parodontale, Après avoir mis une vis de protection La phase prothétique est la même
ou de caries trop importantes. du filetage de l’implant, appelée vis que pour la technique « en deux
de couverture, il referme la gencive temps ».
Qu’est-ce qu’un implant ? et laisse l’implant en nourrice pour
permettre la cicatrisation osseuse. TECHNIQUE DITE DE MISE
L’implant est une racine artificielle La mise en nourrice dure en général EN CHARGE IMMÉDIATE
que l’on place dans l’os pour suppor- 2 à 4 mois. Au cours de cette phase Cette technique développée plus
ter une couronne et remplacer une d’attente, une prothèse provisoire récemment consiste à placer une
ou plusieurs dents naturelles. Il est est réalisée afin que le patient puisse prothèse provisoire vissée ou scellée
le plus souvent en titane mais il mener une vie sociale normale. le jour de la mise en place chirur-
existe des implants en tantale ou en Après cette phase de mise en nourrice, gicale des implants. Elle concerne
zircone. Vers 1950, le chirurgien sué- le praticien réalise le dégagement essentiellement les dents du secteur
dois Per-Ingvar Brånemark a décou- chirurgical des implants que l’on antérieur. Elle est soumise à des im-
vert que des vis en titane pouvaient nomme en France « mise en fonction » pératifs stricts de stabilité primaire
se lier directement aux tissus vivants, ou deuxième temps chirurgical. des implants et d’occlusion.

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THÉRAPEUTIQUE
IMPLANTS DENTAIRES

FOCUS CAS CLINIQUE : REMPLACEMENT UNITAIRE
D’UNE INCISIVE LATÉRALE SUPÉRIEURE

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Tsunami
34

5

Figure 1. Remplacement d’une incisive latérale supérieure. Figure 8. Second temps chirurgical ou mise en fonction.
Figure 2. Panoramique dentaire. Figure 9. Pilier de cicatrisation.
Figure 3. La tomodensitométrie permet de préciser le volume Figure 10. Transfert d’empreinte.
Figure 11. Pilier titane usiné sur modèles et travail.
osseux disponible. Figure 12. Mise en place du pilier avec le guide de
Figure 4. Implant sur tournevis d’insertion manuelle.
Figure 5. Vissage de l’implant. positionnement.
Figure 6. Implant en nourrice. Lambeau suturé. Figure 13. Couronne céramométallique à 1 an postopératoire.
Figure 7. Cicatrisation à 2 mois.

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Tsunami THÉRAPEUTIQUE
IMPLANTS DENTAIRES

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THÉRAPEUTIQUE
IMPLANTS DENTAIRES

* Il existe également De larges indications autour de l’implant, surcharge occlu- RÉSUMÉ IMPLANTS DENTAIRES
un risque de rupture sale, corps étranger (ciment de scel- Les implants dentaires sont des racines artificielles le plus
du lien d’ostéo- Le traitement par prothèse implan- lement excessif), défaut de profil pro- souvent en titane qui permettent de remplacer les dents
intégration dans to-portée s’adresse à la grande majo- thétique mais également une addic- absentes. Toutes les situations d’édentement, de la dent
certains cas de rité des patients sous les conditions tion au tabac, à l’alcool, ou un diabète. unitaire à l’édentement total, sont des indications de pro-
parafonction comme suivantes : L’implant n’est jamais la cause de thèse sur implants sous réserve de l’état de santé général
le bruxisme. – leur état de santé ; une pathologie douleurs. Le patient ne se plaint que du patient. Il est possible de mettre en place les implants
valvulaire cardiaque avec prothèse lorsqu’il est trop tard et que l’os péri- soit en deux temps chirurgicaux (méthode suédoise) soit
ou une immunodépression sont des Tsunamiimplantaire est gravement résorbé. en un temps (méthode suisse). Les prothèses peuvent être
contre-indications formelles ; Il est donc primordial d’assurer un scellées ou vissées. Le taux de succès à long terme est
– un volume osseux suffisant ; en cas suivi régulier afin de contrôler la supérieur à 95 %. Le déficit en vitamine D et l’excès de
d’insuffisance, on peut avoir recours santé des tissus entourant l’implant. cholestérol ont une incidence sur le taux de succès en
à des greffes osseuses ou à des comble- Par ailleurs, d’autres facteurs biolo- implantologie et sur le développement de la péri-implantite.
ments de sinus mais ces chirurgies giques concernant le métabolisme
pré-implantaires allongent la durée osseux doivent être pris en compte. SUMMARY DENTAL IMPLANTS
du traitement ; En 2012, l’Institut de veille sanitaire Dental implants are artificial roots most of the time in tita-
– l’absence de maladie parodontale ; a informé le corps médical de l’état nium which allow missing teeth replacement. All clinical
– une bonne hygiène buccale. de carence chronique de la popula- situations as single missing to total missing teeth are me-
Lorsque l’indication est bien posée et tion en vitamine D. Cette carence, dical indication of prosthesis on implants under condition of
que la réalisation des implants et de la parfois profonde, a été associée à general patient health. Implants can be placed in two sur-
prothèse est conforme aux bonnes pra- certains échecs d’implants ou de gical steps (Swedish method) or in one step (Swiss method).
tiques, le taux de succès de cette tech- greffe osseuse,1-3 imposant une sup- Success rate on long term is over 95%. Vitamine D deficit
nique est supérieur à 95 % à 10 ans*. Ce plémentation systématique après and excess of cholesterol have an incidence on success rate
traitement est donc considéré comme 60 ans. in implantology and peri implantitis development.
extrêmement fiable et peut être propo- Par ailleurs, si l’hypercholestéro-
sé aux patients en toute sécurité. lémie a déjà été identifiée comme un RÉFÉRENCES
élément d’aggravation des infections 1. Choukroun E, Russe P, Khoury G, Ghanaati S.
La péri-implantite : une parodontales, elle est également
complication à prévenir mise en cause comme facteur de Dosage de la vitamine D en cabinet dentaire.
risque de la péri-implantite, en tant Lettre Stomatologie 2016;69. journal-stomato-
Le succès peut être toutefois assombri qu’inhibiteur de l’ostéo-intégration.3,4 implanto.com ou https://bit.ly/2PyMce8
par l’apparition d’une péri-implantite, Là encore, la prise en charge médi- 2. M angano F. Is low serum vitamine D associated
pathologie sournoise décrite au début cale du patient s’imposera dans les to early dental implant failure? A retrospective
des années 2010. Il s’agit d’une maladie situations à risque ou en cas d’échec evaluation on 1625 implants. Mediators Inflamm
inflammatoire qui atteint les tissus pé- initial. 2016;2016:5319718.
ri-implantaires, autrement dit la gen- L’apparition et le développement 3. Ljungqvist O, Dardai E, Allison SP. Basics
cive et l’os. Comme la parodontite, ma- de cette maladie, dont la prévalence in clinical nutrition: perioperative nutrition.
ladie altérant les tissus autour des généralement admise concerne 1 pa- Clin Nutrition Espen 2010;5:e93-6.
dents, la péri-implantite est d’origine tient sur 5 après 10 ans, peuvent être 4. Bastos AS, Graves DT, Loureiro AP, et al.
microbienne. Malheureusement, de prévenus ou limités par une hygiène Lipid peroxidation is associated with the severity
nombreux autres facteurs peuvent l’ini- buccale assidue, associée à une sur- of periodontal disease and local inflammatory
tier ou l’aggraver : hygiène buccale in- veillance odontologique régulière et markers in patients with type 2 diabetes.
suffisante, pathologie parodontale non à un contrôle régulier de l’état de J Clin Endocrinol Metab 2012;97 :E1353-62.
traitée, défaut de gencive kératinisée santé du patient. V

830 Vol. 68 _ Octobre 2018
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CLÉMENCE LEGOUPIL*, ** CATHERINE HILL*, ***
[email protected] [email protected]

EN DÉBAT

Une réanalyse des essais européens et américains aux résultats
en apparence contradictoires et un nouvel essai britannique permettent

de faire le point sur un dépistage controversé.

Dosage du PSA :
un engrenage à éviter

A vec 46 000 nouveaux cas et 8 700 décès en 2015, Tsunami* Service de Une analyse conjointe des données individuelles des
le cancer de la prostate reste le plus fréquent biostatistique deux essais2 démontre la compatibilité de leurs résultats.
des cancers chez l’homme en France malgré et d’épidémiologie, Les auteurs ont d’abord homogénéisé le suivi en le tron-
la baisse de l’incidence observée depuis 2005. institut Gustave- quant à 11 ans dans chaque essai, car l’essai américain
Le dépistage du cancer de la prostate par dosage sanguin Roussy, Villejuif, avait un suivi médian plus long que l’essai européen
de l’antigène spécifique de la prostate (PSA pour prostate France (12,5 ans vs 11 ans). L’avance du diagnostic, indicateur
specific antigen) est le sujet d’une controverse depuis plu- ** ONCOSTAT, de l’intensité du dépistage, a été estimée d’une manière
sieurs années. Défini par l’Organisation mondiale de la Inserm U1018, empirique par comparaison avec l’incidence du cancer
santé (OMS) dès 1970 comme une démarche de prévention CESP, université de la prostate en 1986 dans le registre Surveillance,
secondaire,1 le dépistage consiste à identifier parmi des Paris Sud, université Epidemiology and End Results (registre SEER) aux
sujets asymptomatiques des porteurs d’une maladie. Les Paris Saclay, États-Unis, et au moyen de trois modèles développés
critères de justification d’un dépistage sont rappelés dans Villejuif, France indépendamment par deux équipes américaines et une
le tableau 1. La controverse sur le dépistage du cancer de la *** Cancer équipe hollandaise (Seattle, Ann Arbor et Rotterdam).
prostate était entretenue par les résultats de deux essais et radiations, La figure 1 montre ces estimations qui sont concordantes :
perçus comme contradictoires, l’un réalisé en Europe (ERS- Inserm U1018, l’avance du diagnostic dans le groupe témoin est beau-
PC), l’autre aux États-Unis. Les données de ces deux essais CESP, université coup plus importante dans l’étude américaine que dans
ont été réanalysées2 et les résultats d’un troisième essai Paris Sud, université l’étude européenne. Cette avance du diagnostic dans
viennent d’être publiés.3 C’est le moment de faire le point. Paris Saclay, Villejuif, le groupe témoin est un marqueur de contamination de
France ce groupe par le dépistage.
Trois essais Les auteurs déclarent
n’avoir aucun En effet, dans l’essai européen, le dosage du PSA était
Les résultats de trois essais réalisés en Europe, aux États- lien d’intérêts. peu répandu au début de l’essai et la contamination du
Unis et en Grande-Bretagne sont disponibles. Ces essais groupe témoin est inférieure à 15 %, alors que dans l’es-
ont inclus respectivement environ 160 000, 77 000 et 410 000 sai américain, au moins 45 % des participants avaient
personnes, invitées ou non à un dépistage du cancer de eu au moins un dosage du PSA avant inclusion et les
la prostate. Leurs caractéristiques sont résumées dans participants du groupe témoin ont été dépistés en
le tableau 2. La population étudiée avait 55-69 ans, 55-74 ans moyenne 2,7 fois pendant les 6 années de l’essai, le
ou 50-69 ans selon l’essai. Hormis dans l’essai britan- groupe intervention ayant un dépistage annuel. Quand
nique dans lequel le traitement était randomisé entre on évalue la réduction de la mortalité par cancer de la
chirurgie, radiothérapie et surveillance active, la recom- prostate en ajustant sur cette avance du diagnostic, on
mandation en cas de cancer de la prostate était la pros- montre que l’absence apparente de bénéfice du dépistage
tatectomie radicale. dans l’essai américain provient de la contamination du
groupe témoin, très exposé au dépistage. Cette concilia-
Conciliation des données de l’essai tion des essais américain et européens,2 en prenant en
européen et de l’essai américain compte le poids de l’intensité du dépistage, a montré que
le dépistage diminuait la mortalité par cancer de la pros-
Les données de l’essai européen et de l’essai américain tate de 7 à 9 % par année d’avance au diagnostic, et ce
étaient considérées comme contradictoires car l’essai quel que soit le bras de l’essai américain. D’après cette
américain ne montrait pas de réduction significative analyse, les deux essais vont donc dans le sens d’une
de la mortalité par cancer de la prostate contrairement amélioration du pronostic par le dépistage.
à l’essai européen.

832 Vol. 68 _ Octobre 2018

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EN DÉBAT

CRITÈRES DE JUSTIFICATION D’UN DÉPISTAGE DE WILSON ET JUNGNER Tsunamicertains résultats sur l’essai entier. Le tableau 3 et la figure 2
La maladie dépistée doit constituer une menace grave pour la santé publique montrent la réduction de la mortalité par cancer de la
prostate dans le groupe dépistage comparé au groupe
Elle doit être accessible à un traitement efficace témoin, indicateur du bénéfice du dépistage, en fonction
de la différence d’incidence du cancer de la prostate entre
Les moyens de diagnostic et de traitement doivent être disponibles les deux groupes. La différence d’incidence entre les deux
groupes, lue à la lumière de la réduction de la mortalité,
Il doit exister une période préclinique au cours de laquelle la maladie peut être décelée peut être utilisée comme indicateur de surdiagnostic. Le
surdiagnostic est le fait de diagnostiquer un cancer asymp-
L’histoire naturelle de la maladie, notamment son évolution de la phase préclinique tomatique (principe du dépistage), qui n’évoluera jamais
à la phase symptomatique, doit être connue vers une forme symptomatique pendant la vie du patient
Un test diagnostique efficace doit exister et qui ne sera pas responsable de la mort du patient. Le
surdiagnostic est principalement observé dans les cancers
Ce test doit être acceptable pour la population à évolution très lente lorsque le décès est alors secondaire
à une autre cause. La figure 2 montre que les différents
Le choix des sujets qui recevront un traitement doit s’opérer selon des critères préétablis centres ont eu des intensités de dépistage très variables
comme indiqué par la variabilité de l’effet du dépistage
Le coût de la recherche des cas, y compris les frais de diagnostic et de traitement sur l’incidence du cancer de la prostate. Les indicateurs
des sujets reconnus malades, ne doit pas être disproportionné par rapport au coût de surdiagnostic et de bénéfices sont très variables d’un
global des soins médicaux pays à l’autre. La réduction de la mortalité est générale-
ment plus grande quand la différence d’incidence est plus
Il faut assurer une continuité dans la recherche des cas et non la considérer comme grande. Les auteurs de cette analyse par centre concluent
exécutée une fois pour toutes en insistant sur l’importance d’évaluer la balance béné-
Tableau 1. D’après l’Organisation mondiale de la santé, réf. 1. fice-risque dans toute décision de dépistage du cancer de
la prostate.4 Dans Nature en 2015,5 un autre auteur résu-
Résultats de l’essai européen mait efficacement le dilemme du dépistage, tel que vu dans
en fonction des centres la figure 3. Pour 1 000 hommes dépistés, on attend 100 à
120 faux positifs, 50 complications liées au traitement
Les données de l’essai européen ont été présentées par et on évite au mieux un décès par cancer de la prostate.
centre de façon synthétique.4 Cette analyse permet de
mettre en évidence une grande hétérogénéité des résultats Données de l’essai britannique
ainsi que des méthodes en fonction des pays. Ces diffé-
rences concernent aussi bien le seuil du PSA choisi, l’in- Les résultats du très grand essai britannique sont main-
tervalle entre les dépistages, et la sélection des parti- tenant disponibles. L’organisation de l’essai est décrite
cipants, rendant caduque l’interprétation globale de

Figure 1. Estimation des avances moyennes du diagnostic dans les groupes intervention et témoin des essais européen et américain
comparés à l’absence de dépistage (avance moyenne = 0), par 4 méthodes. Les avances du diagnostic sont représentées de droite à gauche
pour illustrer le déplacement du diagnostic de cancer de la prostate induit par le dépistage et par des procédures diagnostiques plus intenses.

Vol. 68 _ Octobre 2018 833

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dans la figure 4, les principaux résultats dans le tableau 4 et Figure 2. Résultats de l’essai en Europe par pays. La surface des symboles est
la figure 5 et l’analyse dans le tableau 5. L’essai s’appuie sur proportionnelle au nombre total de décès par cancer de la prostate. D’après la réf. 4.
l’organisation du système de santé du Royaume-Uni, dans
lequel chaque personne est prise en charge par un cabinet pas statistiquement significatif (RR : 0,93 ; IC à 95 % : 0,67-
médical de référence, responsable de la population d’une 1,29] après un suivi médian de 10 ans. Ainsi cet essai très
zone géographique définie. On évite ainsi en partie la bien fait montre que le dépistage du cancer de la prostate
contamination du groupe témoin par des dosages de PSA avance son diagnostic mais ne diminue pas sa mortalité.
non programmés liés notamment au nomadisme médical ;
de plus, le recrutement se faisait lors d’une consultation Position de l’AFU
de routine, ce qui réduit le biais lié au volontariat des par-
ticipants. L’invitation unique peut expliquer le faible taux L’Association française d’urologie (AFU) « plaide pour
de participation (36 % des patients du groupe intervention une information des hommes dès 45 ans et un premier dosage
ont réalisé un dosage du PSA) tandis que la contamination vers 45 ans pour les patients à risque, et 50 ans pour les
dans le groupe témoin était estimée entre 10 et 15 %. Ce autres. En fonction du résultat de ce premier dosage et de
taux de contamination faible est appuyé par la détection Tsunami
de cancers de grades plus élevés dans le groupe témoin.
Cet essai présente la comparaison de la mortalité par can-
cer de la prostate en tenant compte de l’observance. Cela
se fait en considérant la randomisation comme variable
instrumentale, c’est-à-dire en étudiant dans quelle mesure
la randomisation prédit la participation au dépistage et
prédit la mortalité par cancer de la prostate, et en utilisant
ensuite ces informations pour comprendre comment le
dépistage prédit la mortalité par cancer de la prostate.
L’essai montre un nombre de cancers de la prostate dia-
gnostiqués plus important dans le groupe intervention
que dans le groupe témoin (8 054 vs 7 856, soit 4,3 % vs 3,6 % ;
risque relatif [RR] : 1,19 ; intervalle de confiance [IC] à
95 % : 1,14-1,25). Cependant le risque relatif de mortalité
par cancer de la prostate ajusté sur l’observance n’était

ORGANISATION DES TROIS ESSAIS DE DÉPISTAGE DU CANCER DE LA PROSTATE

Caractéristiques Essai en Europe Essai aux États-Unis Essai au Royaume-Uni
ERSPC PLCO CAP

Âge 55-69 ans* 55-74 ans 50-69 ans

Tirage au sort Individuel Individuel Cabinet médical

Participants Tirés au sort dans registre Volontaires Tous les hommes des cabinets
de population** médicaux sélectionnés

Seuil du PSA 3,0 ou 4,0 ng/mL selon le centre 4,0 ng/mL 3,0 ng/mL

Intervalle entre les dépistages 4 ans en général, 1 ou 2 ans dans 1 an pendant 6 ans Un seul dépistage
certains centres

Pourcentage avec PSA augmenté 7-15 % selon le centre 16 % 11 %

Cancers détectés pour 1 000 hommes 11-42 selon le centre Non disponible 12
dépistés
Traitement dans le groupe dépisté Variable, pratique usuelle (traitement Variable, pratique usuelle (traitement Tiré au sort entre chirurgie,
radical recommandé) radical recommandé) radiothérapie et surveillance active

Tableau 2. * Pour l’essentiel, inclusion de quelques hommes de 50 à 54 ans et de 70 à 74 ans. ** Pour l’essentiel, inclusion de quelques volontaires.
D’après la réf. 3. CAP : Cluster Randomized Trial of PSA Testing for Prostate Cancer ; ERSPC : European Randomized Study of Screening for Prostate Cancer ;
PLCO : Prostate, Lung, Colorectal, and Ovarian ; PSA : prostate specific antigen.

834 Vol. 68 _ Octobre 2018

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ESSAI EN EUROPE, RÉSULTATS PAR PAYS

Incidence cumulée du Différence Indicateur Mortalité cumulée par Rapport
cancer de la prostate (%) d’incidence du risque de cancer de la prostate (%) Réduction Indicateur du bénéfice-risque
cumulée (%) surdiagnostic de la mortalité bénéfice
Pays Groupe Groupe Groupe Groupe (%) (%)** (Is-Ic)/
(Is-Ic) (%)* dépistage témoin Mc 1/(Mc-Ms) (Mc-Ms)
dépistage, Is témoin, Ic 1/(Is-Ic) (Mc-Ms)
Ms

Finlande 9,4 7,5 2,0 51 0,53 0,59 0,05 1 821 (631-ND) 37
Hollande 12,5 6,2 6,3 16 0,49 0,72 0,24 422 (253-1 381) 27
Italie 5,5 4,0 1,5 69 0,36 0,44 0,08 1 198 (349-ND) 29
Suède 12,5 7,9 4,6 22 0,64 1,04 0,40 252 (140–1 534) 12
Suisse 11,6 6,0 5,6 18 0,32 0,28 -0,04 ND ND
Belgique 9,7 7,5 2,1 47 0,42 0,54 0,12 816 (243-ND) 18
Espagne 8,2 4,6 3,7 28 0,19 0,35 0,16 621 (419-ND) 23

Tableau 3. * Nombre de personnes à inviter pour un cas de surdiagnostic. ** Nombre de personnes à inviter pour éviter un décès par cancer de la prostate.
I : incidence ; M : mortalité ; ND : non déterminé

Tsunami

Figure 3. Le dépistage du cancer de la prostate par dosage du PSA conduit à un ensemble de résultats possibles qu’il faut prendre en compte.
Pour 1 000 hommes de 55 à 69 ans dépistés tous les 1 à 4 ans pendant 10 ans, on attend : D’après la réf. 5.

l’appartenance ou non à un groupe à risque, l’urologue et à risque de complications (impuissance, incontinence
proposera soit de cesser pour un temps les PSA, soit d’en urinaire, sténose urétrale, cystite ou rectite radique…) ».7
refaire un tous les 2 ans, soit enfin de suivre de manière
plus régulière (une fois par an) l’évolution du PSA ».6 L’AFU Mais la surveillance active n’est proposée qu’aux
continue donc à recommander un dépistage quasi systé- patients à faible risque, et ces hommes reviennent tous
matique, mais cherche à en réduire les inconvénients : « Il les ans pour un nouveau dosage et éventuellement des
est ainsi apparu évident qu’un grand nombre de patients biopsies, ce qui est traumatisant. Les urologues annoncent
ne nécessitaient pas de traitement et que certains patients souvent avec satisfaction que les cancers métastatiques
décéderaient d’une autre cause que leur cancer de la pros- sont devenus plus rares, c’est négliger les rôles de l’avance
tate. La surveillance active est ainsi née de cette constatation du diagnostic et du surdiagnostic. En effet, la fréquence
que le dépistage pouvait aboutir à un surdiagnostic de des métastases osseuses au diagnostic est automatique-
cancers indolents, chez lesquels un traitement invasif ment diminuée par le dépistage par avance du diagnostic ;
par prostatectomie ou radiothérapie externe était inutile de plus, le surdiagnostic induit par le dépistage entraîne
une augmentation du nombre de cancers non métasta-

Vol. 68 _ Octobre 2018 835

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Cabinets de médecine générale dans 8 régions du Royaume-Uni
Tirage au sort dans des groupes de 10-12 cabinets voisins

Groupe intervention, hommes de 50 à 69 ans Groupe témoin,
invités pour un dosage du PSA hommes de 50 à 69 ans

Acceptent N’acceptent pas
l’invitation l'invitation
Essai ProtectT :
chir/rad/surv Prise en charge
usuelle
Tsunami Prise en charge
usuelle

Critère de jugement principal : mortalité par cancer de la prostate après 10 ans de suivi

Figure 4. Organisation de l’essai au Royaume-Uni. D’après la réf. 3. PSA : prostate specific antigen. Essai CAP, Martin. et al. JAMA 2018.

tiques, donc une diminution de la fraction des cancers PRINCIPAUX RÉSULTATS DE L’ESSAI AU ROYAUME-UNI
métastatiques dans l’ensemble des cancers dépistés. En
effet, la plupart des cancers destinés à rester latents ne Groupe intervention Groupe témoin
sont pas métastatiques. Cela ne démontre pas l’efficacité
du dépistage. Si l’avance du diagnostic réduisait beaucoup Caractéristique Venu pour dosage Pas venu 220 000
le risque ultérieur de métastases, la mortalité ultérieure
par cancer de la prostate serait diminuée par le dépistage, Cancers de la prostate (%) du PSA 80 000 110 000 7 900
or les essais ne démontrent pas cette réduction. Personnes-années de suivi 2 100 000
Incidence pour 1 000 personnes-années 4 700 3 400
Position des collèges de médecine Années entre tirage et diagnostic 3,8
générale Gleason enregistré, n (%) 700 000 1 100 000 6,2
<6 6,2 3,2 6 900, 88 %
En juin 2011, le Collège national des généralistes ensei- 7 1,2 6,2 1,1 %
gnants (CNGE) indiquait déjà qu’« il n’existait aucun >8 1,3 %
argument pour recommander un dépistage systématique Stade du cancer enregistré, n (%) 4 400, 94 % 2 900, 86 % 0,7 %
du cancer de la prostate par le toucher rectal et/ou le dosage T1 ou T2 3,0 % 0,8 % 7 000, 89 %
du PSA et qu’en dehors de situations particulières à risque T3 2,0 % 1,0 % 1,9 %
ou de demande individuelle de patients bien informés au T4, N1, ou M1 0,7 % 0,6 % 0,7 %
préalable, le CNGE recommandait aux médecins géné- 0,6 %
ralistes de ne pas pratiquer de dépistage systématique ».8 4 300, 92 % 2 900, 86 %
De même, en 2011, le Collège de la médecine générale
(CMG) considérait qu’« assimiler les cellules cancéreuses 4,4 % 1,4 %
prostatiques à un cancer maladie est un abus de langage 0,9 % 0,6 %
qui explique la difficulté à communiquer sur ce sujet 0,4 % 0,6 %
difficile ».9 Le CMG invite les médecins généralistes
Tableau 4. PSA : prostate specific antigen.
836 Vol. 68 _ Octobre 2018

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Figure 5. Résultats de l’essai au Royaume-Uni. IC : intervalle de confiance.Tsunami

ANALYSE DES RÉSULTATS DE L’ESSAI BRITANNIQUE

Groupe Groupe témoin Risque relatif Différence
I/T (IC à 95 %) (IC à 95 %)
intervention (I) (T) p (1)-(2) p

Hommes 190 000 220 000 < 0,001
Personnes-années 0,50
Cancers de prostate 1 900 000 2 100 000

Cancer Gleason < 6 8 100 7 900 1,19 (1,14-1,25) < 0,001
Décès par cancer 4,3 % 3,6 %
de la prostate
Décès toutes causes 3 300 2 400 6,11 pour 1 000 (5,38-6,84)
1,7 % 1,1 %

549 647 0,96 (0,85-1,08) 0,50 -0,013 pour (-0,047-0,022)
0,030 % 0,031 % 0,93 (0,67-1,29) 0,66 1 000
25 000 28 000 0,99 (0,94-1,03) 0,49
1,374 % 1,351 % 1,07 (0,93-1,23) 0,35

Tableau 5. En gras : risque ajusté sur l’observance. IC : intervalle de confiance.

« à informer clairement les hommes de plus de 50 ans à la passé de l’état d’homme bien portant à l’état de patient
fois sur les avantages espérés et les inconvénients potentiels atteint d’un cancer. Croire avoir résolu le problème du
du toucher rectal et du dosage du PSA dans le sang, tant que surdiagnostic parce qu’une partie des patients chez qui
persisteront des inconnues sur le rapport bénéfices-risques le dépistage a conduit à découvrir un cancer échappent
d’un dépistage systématique du cancer de la prostate ».9, 10 au traitement dans l’immédiat est une erreur. De plus, si
Le CMG rappelait dans ses recommandations l’un des le surtraitement est délétère, le surdiagnostic en lui-même
fondements du serment d’Hippocrate : « Primum non expose également à des troubles, notamment psycholo-
nocere » (« avant tout, ne pas nuire »). giques. Dans un éditorial du JAMA,11, Michael Barry a
écrit : « In a biological sense, of course, screening does
PAS DE DÉPISTAGE SYSTÉMATIQUE not cause prostate cancer, but in a practical sense, it
does », autrement dit « Dans un sens biologique, bien sûr,
Une fois le dosage du PSA réalisé et le diagnostic posé, le dépistage ne cause pas le cancer de la prostate, mais
le patient est entré dans l’engrenage du dépistage. Il est
Vol. 68 _ Octobre 2018 837

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dans un sens pratique, il le fait ». C’est exactement le de manière exploratoire dans les cancers dépistés par
problème du dépistage du cancer de la prostate par dosage la méthode clinico-biologique, il faut rappeler que le
du PSA. dépistage systématique du cancer de la prostate n’est
recommandé par aucune autorité de santé, ni en France
Alors que l’heure est au questionnement sur la place ni ailleurs. Il ne faut pas proposer un dosage du PSA à
et le coût de l’imagerie par résonance magnétique dans le un homme sans symptômes ni facteurs de risque. V
diagnostic du cancer de la prostate, aujourd’hui utilisée

RÉFÉRENCES cancer mortality. JAMA 2018;319:883-95. https:/ /bit.ly/2M FxyjN www.sfmg.org ou https://bit.ly/2KFNfa8
1. W ilson JMG, Jungner G. Principes et 4. A uvinen A, Moss SM, Tammela TLJ, 7. D ariane C. Surveillance active du cancer 10. H aute Autorité de santé, Assurance maladie,

pratique du dépistage des maladies. Genève : et al. Absolute effect of prostate cancer de la prostate. Prog Urol 2015;25:884-7. Collège de la médecine générale, Institut
Organisation mondiale de la santé, 1970. screening: balance of benefits and www.urofrance.org ou national du cancer. Éléments d’information
2. Tsodikov A, Gulati R, Heijnsdijk EAM, harms by center within the European https:/ /bit.ly/2Nkoz8E destinés aux médecins concernant
et al. Reconciling the effects of screening randomized study of prostate cancer 8. Collège national des généralistes la première prescription du PSA chez
on prostate cancer mortality screening. Clin Cancer Res 2016;22:243-9. enseignants. Communique de presse l’homme asymptomatique, mars 2016.
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Ann Intern Med 2017;167:449-55. Nature 2015;528:S120-2. ou https://bit.ly/2MKFBfg https:/ /bit.ly/1SO09yG
3. Martin RM, Donovan JL, Turner EL, et al.; 6. Association française d’urologie. 9. Collège de la médecine générale. 11. B arry M. Screening for prostate
CAP trial group. Effect of a low-intensity Communiqué de presse du 5 décembre 2016. Vous avez dit « prostate ! », comme c’est cancer. Is the third trial the charm?
PSA-based screening intervention on prostate www.urofrance.org ou bizarre… Communiqué du 1er février 2011. JAMA 2018;319:868-9.

Tsunami

838 Vol. 68 _ Octobre 2018
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BERNARD DENIS PHILIPPE PERRIN
[email protected] [email protected]

ISABELLE GENDRE
[email protected]

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Alors que le cancer colorectal est la deuxième cause de mortalité par cancer en France,
son dépistage – le plus performant de tous les dépistages de cancer – est un échec.

Dépistage organisé du cancer
colorectal : un bilan décevant

qu’il faut améliorer

S’ il n’était qu’un cancer à dépister, ce serait TsunamiAssociation pour leLes vrais chiffres de la mortalité
le cancer colorectal ! Il est parmi les cancers dépistage du cancer évitable mis en perspective
dépistables le plus fréquent, le plus grave, colorectal en Alsace
celui qui concerne le plus grand nombre, (ADECA Alsace), Certains ont estimé le nombre de décès annuels évités en
qui dispose d’une très longue phase précancéreuse, dont Colmar, France. France par le programme de dépistage organisé du cancer
l’efficacité du dépistage repose sur le meilleur niveau de Les auteurs déclarent colorectal à environ 2 500 avec le test Hemoccult et 5 400
preuve (4 essais contrôlés randomisés), dont le dépistage être salariés d’ADECA avec le test immunologique.9 Ces chiffres sont très suré-
n’expose pratiquement pas au sur-diagnostic, dont le trai- Alsace. valués. Le chiffre de 2 500 correspond à une réduction
tement des formes précoces est parfaitement codifié et de 15 % appliquée aux 17 000 décès par cancer colorectal
non mutilant, et dont les rapports bénéfice-risque et annuels observés en France en 2012.1,10 Cependant, le pro-
coût-efficacité sont les meilleurs. Pourtant, le dépistage gramme ne s’adresse qu’à la population de 50 à 74 ans
du cancer colorectal est le moins prescrit des dépistages à risque moyen de cancer colorectal, soit environ 80 % de
des cancers en France (tableau 1).1-6 L’Assurance maladie a cette population. Si l’on considère que le bénéfice du
estimé que près de 50 % des personnes âgées de 50 à 74 ans dépistage organisé perdure jusqu’à 84 ans, la réduction
avaient bénéficié d’un dépistage du cancer colorectal ou de mortalité de 15 % s’applique à 80 % des 12 000 décès
d’une coloscopie de diagnostic en 2012 (56,2 % en Alsace observés dans la tranche d’âge 50-84 ans, soit 1 440 décès
en 2016-2017). Il est paradoxal que le dépistage du cancer annuels. Cependant, la réduction de 15 % est le gain ob-
de la prostate, non recommandé, bénéficie du meilleur servé dans les essais avec des taux de participation de
taux de couverture (71 %). 53 à 67 % en premières campagnes.10 Ces résultats n’ont
à ce jour jamais été reproduits en population générale. Le
Avec 43 000 nouveaux cas et 18 000 décès en 2015 en programme pilote écossais n’a observé qu’une réduction
France, le cancer colorectal est le 3e cancer le plus fréquent de mortalité de 10 % malgré une participation dépassant
et la 2e cause de mortalité par cancer.7 Dans notre pays, la 60 %.11 Le taux de participation du programme français
mortalité par cancer colorectal diminue de plus de 1 % par est nettement inférieur, situé entre 30 et 35 %. En consé-
an depuis les années 1980, principalement du fait des pro- quence, la réduction de mortalité devrait être notablement
grès thérapeutiques, et son incidence reste globalement inférieure aux 15 % des essais et se limiter à 7 %, voire
stable malgré une ébauche de diminution de 0,3 % par an moins.12 Si l’on applique une réduction de 7 % aux 9 600 dé-
depuis 2005.7 Bon nombre de ces décès et de ces nouveaux cès observés en 2012 chez les personnes à risque moyen
cas pourraient être évités. Plusieurs essais contrôlés des tranches d’âge 50-84 ans, le nombre de décès annuels
randomisés ont démontré que le dépistage périodique évités grâce au dépistage organisé du cancer colorectal
par recherche de sang occulte dans les selles et par recto- par Hemoccult est estimé à 700 (672 exactement). Il n’y a
sigmoïdoscopie permettait de diminuer la mortalité par pas de données permettant de chiffrer le nombre de décès
cancer colorectal, voire son incidence.8 Quatre essais évités avec le test immunologique. Avec une participation
contrôlés randomisés évaluant le dépistage par coloscopie inchangée, comme c’est le cas à ce jour, ce nombre ne de-
sont en cours. vrait pas dépasser le double de celui obtenu avec Hemoc-
cult, soit 1 400 par an. Ce nombre de décès évités, inférieur
Cet article a pour objectif d’analyser les raisons pour aux prévisions, reste considérable. Il est moindre que
lesquelles le dépistage du cancer colorectal est, à l’heure celui des décès pouvant être évités par une réduction des
actuelle, un échec en France et de proposer quelques pistes comportements à risque tels que tabagisme, alcoolisme
d’amélioration.
Vol. 68 _ Octobre 2018 839

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DÉPISTAGE

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et conduites routières dangereuses (mortalité évitable liée Tsunami* Une néoplasieUne participation bien trop faible
aux pratiques de prévention primaire), mais supérieur avancée est un
au nombre de décès évités par cancers pour lesquels un cancer ou un La réduction de la mortalité induite par un programme
dépistage est recommandé (tableau 1). Le Centre internatio- adénome avancé est fonction du taux de participation.12 Les instances eu-
nal de recherche sur le cancer vient d’estimer que près de (adénome de taille ropéennes ont recommandé un minimum de 45 % pour
la moitié (48,6 %) des cancers colorectaux étaient attri- ≥ 10 mm, ou à qu’un programme soit efficient. Avec le test Hemoccult,
buables au mode de vie et à l’environnement en France contingent villeux la participation plafonnait à 32 % en 2010-2011. Avec le test
métropolitaine en 2015, soit 19 280 cancers potentiellement ou tubulo-villeux, immunologique, elle était de 33,5 % en 2016-2017, la meil-
évitables : principalement en relation avec l’alimentation ou en dysplasie leure acceptabilité du test venant compenser l’abandon
(8 839), la consommation d’alcool (6 654), le surpoids et l’obé- de haut grade, de l’envoi postal du test à domicile.15 Ces taux cachent une
sité (4 436) et le tabagisme (2 608). De plus, la prise régulière carcinome grande disparité de participation entre les départements
d’aspirine a permis d’éviter 1 743 nouveaux cas de cancer in situ inclus). (de 14,2 % à 50,6 % en 2016-2017). Ils sont parmi les plus
colorectal (http://gco.iarc.fr/resources/paf-france_fr.php). faibles d’Europe : 61 % en Écosse et 68 % en Finlande
(Hemoccult), 70 % en Hollande (test immunologique).
Une efficacité modeste du Même d’autres pays latins font mieux : 47,1 % en Italie,
dépistage par recherche 64,3 % au Pays basque espagnol.
de sang occulte dans les selles
Un nombre de coloscopies à la fois
Le dépistage biennal par test au gaïac (Hemoccult) avait excessif et insuffisant
une efficacité modeste : à condition d’une participation
suffisante, il permettait de réduire de 15 % le risque de Il est démontré, à l’étranger comme en France, que le
décéder d’un cancer colorectal dans la population invitée, nombre de coloscopies est excessif pour la population
sans effet sur son incidence.10 Le test immunologique à risque faible ou moyen de cancer colorectal. Dans le
quantitatif (OC-Sensor) [fig. 1], qui a remplacé le test programme de dépistage organisé du Haut-Rhin, une
au gaïac depuis 2015, serait plus efficace. Il permettrait personne sur 7 ayant une coloscopie normale bénéficiait
de réduire la mortalité par cancer colorectal de 13 à 52 % d’une surveillance coloscopique abusive, et un quart des
selon les études et de diminuer son incidence de 22 %.13 personnes ayant une lésion cancéreuse ou adénomateuse
Lors du passage du test au gaïac au test immunologique, avaient une surveillance coloscopique trop précoce par
le taux de positivité a doublé (4,6 %) et le rendement rapport aux recommandations.14
des coloscopies a augmenté significativement. La valeur
prédictive positive du test OC-Sensor au seuil de 30 μg/g A contrario, avec les taux de participation au pro-
est de 40 % pour une néoplasie avancée* (6 % pour un gramme de dépistage organisé observés en France à
cancer invasif et 34% pour un adénome avancé, carcinome ce jour, le nombre de coloscopies est trop faible pour en-
in situ inclus). À participation égale, le nouveau test gendrer un effet mesurable sur la mortalité par cancer
devrait permettre de dépister 2,5 fois plus de cancers colorectal (et a fortiori sur son incidence) : environ
et 3,7 fois plus d’adénomes avancés que l’ancien test, 70 000 coloscopies en 2012 dans le programme Hemoccult,
au prix de 2,4 fois plus de coloscopies.14 soit 5,5 % des 1,3 million de coloscopies annuelles ; un peu
moins de 10 % des coloscopies nationales en 2016 avec
le test immunologique. Toutes indications confondues,

MORTALITÉ,1 MORTALITÉ ÉVITABLE ET TAUX DE COUVERTURE2, 3 (DÉPISTAGE ORGANISÉ ET DÉPISTAGE INDIVIDUEL) POUR LES PRINCIPAUX
CANCERS DÉPISTABLES. COMPARAISON AVEC D’AUTRES CAUSES IMPORTANTES DE MORTALITÉ ÉVITABLE.

Dépistages des cancers Nombre de décès par an Taux de couverture du dépistage Mortalité évitée

Colorectal 18 000 ~ 50 % 700 (gaïac)
1 400 (test immunologique)

Sein 12 000 ~ 62 % 800 – 1100 *

Col utérus 1 100 61-63 % 100 ** (passage au dépistage organisé)

Prévention des expositions Nombre de décès par an Objectif ou action envisagée Mortalité évitée
Tabac 73 000 Baisse de 10 % de la consommation
Alcool 49 000 Baisse de 10 % de la consommation 7 300
Accidents de la route 3500 80 km/h routes secondaires 4 900
300-400***

Tableau 1. D’après les réf. 1 à 6. * Réduction de 15 à 21 % appliquée aux 5 200 décès par cancer du sein observés en 2012 dans la tranche d’âge 50-74 ans.1, 4
** Réduction de 13,5 % appliquée aux 710 décès par cancer du col de l’utérus observés en 2012 dans la tranche d’âge 25-74 ans.1, 5 *** Limitation à 80 km/h
sur les routes secondaires à double sens sans séparateur central.6

840 Vol. 68 _ Octobre 2018

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le taux de coloscopies était de 19,2 pour 1 000 habitants en Figure 1. Test
France en 2012, nettement moindre qu’en Allemagne de dépistage
(30,3). En Allemagne, un dépistage opportuniste par colos- du cancer
copie est recommandé depuis fin 2002, et la mortalité colorectal.
par cancer colorectal a diminué de plus de 20 % entre 2003
et 2012 et son incidence de 14 %. Aux États-Unis, où 65 % Tsunami convaincu fera toujours mieux qu’un simple envoi postal,
de la population est actuellement dépistée, principalement © VOISIN/PHANIEce que confirment les bons résultats de participation en
par coloscopie opportuniste, la mortalité et l’incidence Alsace, région à forte densité médicale. Malheureusement,
du cancer colorectal ont diminué de plus de 40 % entre 1975 l’évolution de la démographie médicale donne toute raison
et 2011. En France, 10 ans après son démarrage, il n’y a pas d’être pessimiste à l’échelon national.
d’effet mesurable du programme de dépistage organisé,
ni sur la mortalité ni sur l’incidence du cancer colorectal.16 Si l’implication des médecins généralistes doit rester
Il ne s’agit en aucun cas d’un plaidoyer pour le dépistage au cœur du dispositif de dépistage organisé des cancers,
par coloscopie. Le taux de coloscopies normales d’un tout doit être fait pour leur faciliter la tâche, ce qui est loin
programme de dépistage par coloscopie est prohibitif d’être le cas aujourd’hui.
en termes de rapports bénéfice-risque et coût-efficacité
en regard de notre capacité de soins (coloscopies) et de Une étude nantaise a montré que transmettre au
financement (tableau 2). L’expérience de l’Allemagne et des médecin traitant la liste de ses patients non dépistés
États-Unis démontre qu’il faut probablement un taux augmentait de 4,2 % le taux de participation à 1 an.18 De
minimal de coloscopies de haute qualité pour engendrer plus, dans la plupart des études, la signature du courrier
un effet mesurable sur la mortalité et l’incidence du d’invitation par le médecin traitant permet d’augmenter
cancer colorectal, taux non atteint en France à ce jour. l’adhésion des personnes invitées. L’arrêté du 23 mars 2018
relatif aux programmes de dépistage des cancers inclut
Au total, le nombre de coloscopies réalisées en France la transmission de l’identité du médecin traitant par les
hors dépistage organisé est probablement excessif, celui caisses d’assurance maladie aux centres de coordination
des coloscopies du programme de dépistage organisé des dépistages des cancers (interdite jusque-là par la
insuffisant. Caisse nationale). Ces centres vont donc tous pouvoir
aider les médecins généralistes à être plus systématiques
Les médecins généralistes et exhaustifs en leur transmettant périodiquement la liste
à la fois force et faiblesse de leurs patients non dépistés.
du programme français
L’instauration d’une consultation spécifique de pré-
L’implication des médecins généralistes dans le pro- vention, préconisée dès 2009 par le Haut Conseil de la san-
gramme de dépistage organisé du cancer colorectal est té publique, pourrait aussi être l’occasion pour l’Assu-
une exception française. Les autres pays emploient exclu- rance maladie de reconnaître l’importance accordée à la
sivement l’envoi postal du test. Malgré cela, notre taux prévention dans les nouvelles orientations et priorités
de participation est l’un des plus faibles. L’épisode mal- sanitaires nationales.
heureux de l’abandon de l’envoi postal du test (repris cou-
rant 2018 pour les personnes ayant participé à au moins Enfin, l’organisation du dépistage du cancer colorec-
l’une des 3 précédentes campagnes) a confirmé les limites tal en France est trop complexe (deux modalités parallèles
d’une organisation reposant exclusivement sur les géné- de dépistage, organisé et opportuniste, et trois niveaux de
ralistes, le taux de participation national plafonnant à risque) et doit être simplifiée : un seul dépistage organisé
33,5 %.15Une telle organisation n’est pas équitable vis-à-vis pour toute la population de 50 à 74 ans et deux modalités
des personnes qui ne consultent pas (jeunes en bonne san- de dépistage, test immunologique ou coloscopie (v. infra).
té), ont des difficultés pour consulter (déserts médicaux)
ou dont le médecin traitant ne préconise pas le dépistage Le dépistage organisé doit être étendu
(pas convaincu, pas motivé, surchargé…). Plusieurs à tous les 50-74 ans
études ont montré qu’en France il fallait la conjonction
du médecin généraliste et de l’envoi postal du test pour Le programme de dépistage organisé du cancer colorectal
obtenir une participation suffisante.17 exclut 20 % de la population française ; il ne concerne que
les 50-74 ans à risque moyen. Au maximum, un petit tiers
L’implication des généralistes est, et doit rester, un des cancers colorectaux sont dépistables par le pro-
atout pour nos programmes de dépistage organisé des gramme, et, paradoxalement, les personnes les plus à
cancers. Leur rôle est essentiel pour évaluer le niveau de
risque de cancer de leurs patients, leur expliquer le mode Vol. 68 _ Octobre 2018 841
de dépistage le mieux adapté à leur situation, les convaincre
de s’y prêter, et, le cas échéant, les aider à faire un choix
éclairé en cas d’alternative. Il est démontré que la recom-
mandation d’un professionnel de santé est le moyen le plus
efficace pour obtenir l’adhésion d’un patient. Un médecin

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SCÉNARIOS AVEC TROIS TESTS DE DÉPISTAGE POUR LE PROGRAMME FRANÇAIS

Test Coloscopies / Néoplasies avancées°° Nombre de coloscopies Coloscopies inutiles°
pour détecter une néoplasie
100 000 dépistés n (%) n (%)
n avancée°°

Hemoccult* 2 400 700 (29 %) 3,5 1 370 (57 %)

OC-Sensor** 4 800 1 920 (40 %) 2,5 2 060 (43 %)

Coloscopie*** 100 000 7 300 (7,3 %) 14 78 000 (78 %)

Tableau 2. ° Les coloscopies qualifiées d’inutiles sont celles sans lésion cancéreuse ni adénomateuse. °° Une néoplasie avancée est un cancer ou un adénome
avancé (adénome de taille ≥ 10 mm, ou à contingent villeux ou tubulo-villeux, ou en dysplasie de haut grade, carcinome in situ inclus) * Région Alsace : 18 465
coloscopies 2003-2015. ** Région Grand Est : 6 000 coloscopies 2015-2016 (seuil d’hémoglobine fécale : 30 µg/g). *** Programme allemand.

risque de cancer colorectal en sont exclues. Il faut que Tsunami ou d’adénomes posent problème. Les gastroentérologues
toute la population de 50 à 74 ans soit invitée à se faire français restent très (trop) attachés au dépistage par
dépister pour le cancer colorectal, soit par test immuno- coloscopie dans ce cas. Pourtant, les seuils recommandés
logique, soit par coloscopie. Cela suppose que les missions (antécédent familial avant 60 ou 65 ans, adénome > 10 mm)
des centres de coordination des dépistages des cancers ne sont ni consensuels, ni connus, ni respectés (Haute
évoluent et qu’ils prennent en charge les invitations et Autorité de santé, arrêté du 19 mars 2018). De plus, seule
les relances pour les coloscopies de dépistage et de sur- une minorité (de 31 à 47 %) de parents au 1er degré d’une
veillance. Une telle organisation est en cours d’évaluation personne atteinte de cancer colorectal est effectivement
dans le département du Rhône. Nous avions montré que dépistée par coloscopie.19 Enfin et surtout, il est démontré
parmi les patients ayant des lésions cancéreuses ou que le dépistage par test immunologique est équivalent
adénomateuses dépistées par le programme de dépistage au dépistage par coloscopie chez les personnes ayant
organisé du cancer colorectal du Haut-Rhin, un quart un antécédent familial de cancer colorectal.20 Une étude
étaient surveillés par coloscopie trop tôt, un quart correc- médico-économique française à paraître confirme l’effi-
tement, un quart trop tard, et un quart échappaient à cience du dépistage par test immunologique chez les
toute surveillance.14 Une relance postale par le centre de personnes à risque élevé. Le programme français est un
coordination des dépistages permettrait d’améliorer la des rares à exclure les personnes ayant des antécédents
surveillance par coloscopie de bon nombre de patients. familiaux de cancers. Les programmes britannique et
Il faut de plus que toute la population relevant théorique- hollandais, pragmatiques et exemplaires, ne tiennent
ment d’un dépistage par coloscopie mais non dépistée soit pas compte des antécédents familiaux de cancers pour
invitée par défaut pour un dépistage par test immunolo- inviter au dépistage organisé par recherche de sang dans
gique. Mieux vaut un dépistage par test immunologique les selles (de même en Australie, Finlande et Suède).
que pas de dépistage du tout. Il n’y a pas de frontière nette entre les groupes à risque
moyen et élevé de cancer colorectal qui permette de
Les trois niveaux de risque trancher entre dépistage par test immunologique et par
de cancer colorectal actuels sont coloscopie. Il existe un continuum de niveaux de risque
caducs et doivent être simplifiés fonction de plusieurs variables dont seule une minorité
est prise en compte à ce jour (antécédents personnels
La partition de la population générale en trois groupes et familiaux), les autres ne l’étant pas (sexe, âge, indice
de risque de cancer colorectal, moyen, élevé et très élevé, de masse corporelle, tabac, alcool, diabète, activité
est caricaturale, caduque et source de complexité et de physique, prise de salicylés, etc.) [fig. 2].
confusion. La définition du risque moyen (celui de la
population générale, soit un risque cumulé vie entière Les recommandations de dépistage fondées sur trois
de 3 à 4 %) et du risque très élevé (cumulé vie entière de groupes de risque doivent être simplifiées, de sorte que
40 à 100 %) est précise, et permet des recommandations les médecins généralistes n’aient plus dans leur patientèle
claires de dépistage, test immunologique pour les pre- que deux groupes : ceux à qui ils doivent proposer une
miers, coloscopie et consultation d’oncogénétique pour coloscopie périodique du fait d’antécédents personnels
les seconds. Au contraire, celle du risque élevé (cumulé (cancer colorectal, adénome, MICI) ou d’un risque très
vie entière de 4 à 10 %) est floue, et les recommandations élevé (syndrome de Lynch, polypose) ; et tous les autres,
de dépistage sont hétérogènes et non consensuelles. qui peuvent relever d’un dépistage par test immunolo-
Autant il est clair que des antécédents personnels de can- gique. Il faut changer de paradigme : il n’y a pas de test de
cer colorectal, d’adénome et de maladie inflammatoire dépistage qui soit meilleur qu’un autre, le meilleur test
chronique intestinale (MICI) relèvent d’un suivi par de dépistage est celui qui est effectivement réalisé, adapté
coloscopie, autant les antécédents familiaux de cancers au souhait de la personne, et ce quel que soit le niveau de

842 Vol. 68 _ Octobre 2018

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risque (ou presque). Il n’y a pas de risque à faire réaliserTsunamiFigure 2. Niveaux de risque de cancer colorectal vie entière dans les groupes
un test immunologique à la quasi-totalité de sa patientèle à risque moyen et élevé et facteurs déterminant ce risque. Hb : hémoglobine ;
(sauf syndrome de Lynch, polypose et MICI). Presque tous MICI : maladie inflammatoire chronique de l’intestin.
relèvent d’un choix éclairé, test immunologique au mini-
mum, ou coloscopie dans certaines situations : souhait interprété à visée diagnostique.13 Un taux d’hémoglobine
du patient, risque aggravé lié à des facteurs personnels indétectable, inférieur à 50 ng/mL (soit 10 µg/g), permet
(obésité, sédentarité, diabète, tabac, alcool, etc.) ou d’éliminer de façon quasi absolue l’hypothèse d’un cancer
familiaux (antécédents familiaux de cancer colorectal colorectal (valeur prédictive négative de 99,4 à 100 % selon
ou d’adénome). Des scores de risque seront bientôt dispo- les séries) et d’éviter la réalisation d’une coloscopie chez
nibles permettant de guider le choix, les meilleurs scores 75 à 80 % des patients symptomatiques.22 Ce taux inférieur
incluant le taux quantitatif d’hémoglobine fécale.21 à 50 ng/mL est observé chez 90 % de la population de 50 à
74 ans. Attention, l’interprétation du résultat quantitatif
Au total, les personnes ayant des antécédents du test immunologique à des fins diagnostiques chez un
familiaux de cancer colorectal ou d’adénome pourraient patient symptomatique est réservée à certains symptômes
relever d’un dépistage par test immunologique ou par digestifs aspécifiques (douleurs abdominales, modifica-
coloscopie selon leur préférence (choix éclairé). Toute tion du transit, constipation, diarrhée, altération de l’état
personne ayant des antécédents familiaux et non dépistée général…) et est totalement prohibée en cas de symptômes
par coloscopie serait invitée à un dépistage par test aigus, de saignement digestif extériorisé (rectorragies
immunologique tous les deux ans. et méléna), d’anémie ferriprive et de masse palpable,
qui doivent impérativement conduire à la réalisation
Réhabiliter la recto-sigmoïdoscopie d’examens endoscopiques et/ou morphologiques adaptés.

La recto-sigmoïdoscopie est avec le test Hemoccult le seul Dans le même registre, il n’y a pas/plus d’indication
examen dont l’efficacité a été démontrée par cinq essais à prescrire la recherche de sang occulte dans les selles en
contrôlés randomisés.8 Elle permet de diminuer de 28 % laboratoire d’analyses biomédicales. Les tests utilisés sont
la mortalité par cancer colorectal et de 18 % son incidence très hétérogènes et leurs performances diagnostiques
chez les personnes invitées (et de 44 % et 28 % respecti- inconnues des prescripteurs, voire des biologistes eux-
vement chez les personnes effectivement dépistées).8 mêmes. En pratique courante, ils sont prescrits à tort et
Son efficience a été confirmée par une étude française à à travers, et leurs résultats ne conduisent pas, loin s’en
paraître. Un programme pilote a débuté en 2013 en An- faut, aux explorations adaptées. À notre avis, ils ne
gleterre, avec un taux de participation de 43 %. Nous devraient plus être remboursés. Quitte à prescrire une
avions obtenu un taux de 21 % en Alsace.16 La tolérance recherche de sang dans les selles, autant donner un test
était excellente grâce à l’emploi d’un gastroscope, et immunologique quantitatif dans le cadre du programme
pourrait être encore améliorée par l’utilisation d’un mé- de dépistage organisé du cancer colorectal.
lange équimolaire oxygène-protoxyde d’azote (MEOPA)
et par une délégation de tâches à des infirmières formées. La deuxième situation qui peut conduire à une inter-
Outre son efficacité et son efficience, l’avantage principal prétation du résultat quantitatif du test immunologique
de cet examen est qu’il permet d’explorer le côlon distal est celle d’un patient dont le taux d’hémoglobine fécale est
en ambulatoire en quelques minutes après préparation situé juste au-dessous du seuil de positivité adopté pour
à domicile par un simple lavement évacuateur. Son seul le programme français de dépistage organisé (150 ng/mL)
inconvénient est son caractère peu lucratif, sans compter
son côté quelque peu « rétrograde ». Il pourrait être pro- Vol. 68 _ Octobre 2018 843
posé par le médecin traitant comme modalité alternative
et efficace de dépistage opportuniste aux personnes ré-
ticentes à un dépistage par test fécal et par coloscopie.
Il s’adresse préférentiellement aux personnes de 55 à
65 ans, âge où son rendement est maximal.

Apprendre à lire et à interpréter
le taux quantitatif d’hémoglobine fécale

Les médecins traitants doivent apprendre à lire et inter-
préter le taux quantitatif d’hémoglobine fécale et ne pas
se contenter du résultat positif ou négatif transmis par
le laboratoire d’analyse centralisée.

Le test immunologique quantitatif est un net progrès
à double titre : sa sensibilité a nettement augmenté,
atteignant 60 à 65 % pour le cancer au seuil d’hémoglo-
bine de 30 µg/g (vs 35 % pour Hemoccult) et 50 % pour
l’adénome avancé, et son résultat quantitatif peut être

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Tsunami
Figure 3. Taux de détection des adénomes de 71 endoscopistes alsaciens calculé sur leurs coloscopies pour test immunologique positif avec leurs
intervalles de confiance à 95 %. Les doubles flèches indiquent les standards minimal (45 % en rouge), souhaitable (60 % en vert) et idéal (65 % en bleu).

et progressivement croissant. Il est démontré que ce taux avant la date du prochain examen de surveillance recom-
est appelé à dépasser le seuil à court ou moyen terme mandé. C’est la hantise de l’endoscopiste, le plus souvent
et est prédictif de la survenue ultérieure d’une lésion can- évitable. Il est la conséquence de lésions manquées lors
céreuse ou adénomateuse avancée.23 Il ne serait pas cho- de la coloscopie initiale dans plus de la moitié des cas et
quant de lui proposer la réalisation d’une coloscopie avant plus rarement (10 à 20 %) de lésions mal réséquées.24 Il est
le franchissement du seuil fatidique lors d’une consulta- démontré que le risque de cancer colorectal d’intervalle
tion l’informant du rapport bénéfice-risque attendu. est inversement corrélé au rendement de l’endoscopiste,
tel qu’évalué par le taux de détection des adénomes
Une minorité d’endoscopistes (nombre de coloscopies avec au moins un adénome rappor-
offrent une qualité suboptimale té au nombre total de coloscopies). La corrélation est
de coloscopies « dose-dépendante », sans véritable seuil, chaque augmen-
tation de 1 % du taux de détection étant associée à une di-
La coloscopie est un examen opérateur-dépendant. minution de 3 % du risque de cancer colorectal d’intervalle
La qualité des coloscopies est très hétérogène, source et de 5 % du risque de décès par cancer colorectal d’inter-
d’inégalités dans un programme de dépistage organisé valle.24 Le taux de détection des adénomes s’avère l’indica-
supposé offrir à toute la population invitée une équité teur le plus synthétique permettant d’évaluer la qualité
d’accès à des examens de qualité. Une qualité suboptimale des coloscopies d’un endoscopiste. Dans le programme de
de coloscopie fait courir au patient deux risques prin- dépistage organisé utilisant le test immunologique, le taux
cipaux, celui de cancer d’intervalle après coloscopie et de détection des adénomes variait de 7 à 94 % selon l’en-
celui de chirurgie abusive. doscopiste dans la région Grand Est.24 Nous avons proposé
pour ce taux un seuil de 45 % (55 % chez l’homme, 35 % chez
La coloscopie n’est pas « l’arme absolue » contre le can- la femme), en dessous duquel l’endoscopiste fait courir un
cer colorectal : 2 à 9 % des patients chez lesquels on diag- risque prohibitif de cancer colorectal d’intervalle à ses
nostique un cancer colorectal ont eu une coloscopie dans patients. En Alsace, 10 % des endoscopistes ont un taux
les trois années précédentes.24 Le cancer colorectal d’inter-
valle après coloscopie est un cancer invasif diagnostiqué

844 Vol. 68 _ Octobre 2018

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inférieur à ce seuil (fig. 3). C’est une réelle perte de chanceTsunamil’utérus sont gérés par les mêmes centres de coordination
pour leurs patients. Ces constatations ont conduit toutes des dépistages des cancers. Dans la plupart des autres
les sociétés savantes à recommander un seuil minimal de pays, ces programmes sont séparés, les métiers étant
taux de détection des adénomes adapté à leur programme différents. Cela suffit-il à expliquer nos mauvais résultats ?
national de dépistage : 25 % pour le dépistage par colosco- Un élément de réponse est peut-être à rechercher dans
pie aux États-Unis et en Pologne, 35 % pour le dépistage les taux de participation observés en Alsace, parmi les
par Hemoccult en Angleterre. Le programme français est meilleurs de France, seule région où les trois dépistages
le seul à ce jour à ne pas proposer de référentiel qualité sont gérés par trois structures différentes.
pour ses coloscopies. Un tel référentiel devrait être publié
en 2018, qui devrait fixer à 45 % le seuil minimal en dessous Le pilotage national des dépistages organisés des
duquel le risque de cancer colorectal d’intervalle est inac- cancers est multicéphale, partagé entre la Direction géné-
ceptable et à 60 % l’objectif à atteindre (correspondant rale de la santé, l’Assurance maladie, l’Institut national
à la médiane des endoscopistes du Grand Est). Dans du cancer, et Santé publique France. Il est pyramidal, cloi-
un deuxième temps, ce référentiel devrait conduire à une sonné et illisible. Le mélange des genres entre payeur,
labellisation des endoscopistes. organisateur et évaluateur n’est pas sain. Les conflits
d’intérêts ne sont pas loin lorsque radiologues et gastroen-
Avec les progrès de l’endoscopie interventionnelle, térologues participent aux orientations stratégiques.
la résection endoscopique des gros polypes est devenue
la règle, la résection chirurgicale l’exception. Une méta- La déclinaison régionale du pilotage n’est pas non
analyse récente de 50 séries évaluait à 3,5 % le taux de plus dénuée de critiques, très hétérogène selon les bonnes
résection chirurgicale des polypes bénins ≥ 20 mm, 3 % volontés locales (communication aux structures de
pour échec endoscopique et 0,5 % pour complication.25En gestion des médecins traitants déclarés, des personnes
fait, dans le programme alsacien de dépistage organisé ayant bénéficié d’une coloscopie).
par test immunologique, 20 % des personnes ayant un(des)
polype(s) bénin(s) ≥ 20 mm étaient opérées.14 Ce constat Les programmes français de dépistage organisé des
n’est pas anodin dès lors que la morbi-mortalité chirurgi- cancers manquent d’un pilote ayant une véritable vision
cale était très significativement plus élevée que la mor- de santé publique, des moyens à la mesure d’une politique
bi-mortalité endoscopique (14,4 vs 4,6 % ; p = 0,001). Seules ambitieuse de prévention, un pouvoir de coordination des
7 % des personnes étaient adressées à un endoscopiste différents acteurs et une réelle écoute du terrain, faute
« expert » dont le taux de succès de résection endoscopique de quoi la réduction de la mortalité et de l’incidence des
était de 100 %. Trois endoscopistes sur quatre n’adres- cancers observée dans les essais ne sera jamais observée
saient jamais de patients à un endoscopiste « expert » et en population française.
préféraient les adresser à un chirurgien. Plus de la moitié
des résections chirurgicales étaient abusives et auraient UN BILAN TRÈS DÉCEVANT
pu être évitées grâce au recours à un endoscopiste « ex-
pert ». Ce constat n’est pas spécifique à la France. Il sera Alors que la France est un des meilleurs pays d’Europe
intéressant de suivre les mesures correctrices proposées pour la mortalité évitable liée au système de soins, elle est
par les sociétés savantes et professionnelles françaises. un des pires pour la mortalité évitable liée aux pratiques
de prévention primaire.26 Eu égard à l’argent investi,
Les pratiques suboptimales sont le fait d’une minorité le bilan du programme français de dépistage organisé
d’endoscopistes. Dans l’attente d’une future labellisation du cancer colorectal est très décevant. Tout doit être fait
des endoscopistes, le médecin généraliste a probablement pour que l’implication des médecins traitants, force
un rôle à jouer dans l’amélioration de la qualité et de la de notre programme, soit facilitée et maximisée. Pour
sécurité des coloscopies du programme français de dépis- ce faire, il faut impérativement leur communiquer pério-
tage organisé du cancer colorectal en choisissant un diquement la liste de leurs patients non dépistés et sim-
« bon » correspondant gastroentérologue. Un « bon » gas- plifier l’organisation actuelle en élargissant la population
troentérologue utilise systématiquement une préparation cible à toute la population de 50 à 74 ans, sans exception,
colique fractionnée, a l’immense majorité de ses patients et en supprimant les trois niveaux de risque actuels, ob-
bien préparés, a un taux de détection des adénomes ≥ 60 % solètes, pour les remplacer par une offre de dépistage
et n’envoie pas ou très peu (< 5 %) de patients ayant de gros simple, test immunologique ou coloscopie. L’instauration
polypes bénins au chirurgien, soit qu’il les résèque lui- d’une consultation spécifique de prévention est, elle aus-
même, soit qu’il les adresse à un endoscopiste « expert » si, impérative. De plus, une minorité d’endoscopistes
(ce qui n’a rien de dévalorisant). grèvent la qualité des performances de la coloscopie pour
dépister et prévenir le cancer colorectal. Ces endosco-
Y a-t-il un pilote dans l’avion ? pistes doivent améliorer significativement leurs pratiques
ou être exclus du programme de dépistage organisé. De
Comment évoquer le programme français de dépistage gros progrès doivent être faits dans notre programme,
organisé du cancer colorectal sans aborder son pilotage ? à tous niveaux. L’avenir nous dira si la réorganisation
Encore une exception française, les dépistages organisés en grandes régions des centres de coordination des
des cancers colorectaux, du sein, et bientôt du col de dépistages des cancers, imposée à grands frais pour 2019,
permettra d’améliorer la situation… nous en doutons. V

Vol. 68 _ Octobre 2018 845

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DÉPISTAGE

EN DÉBAT

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d’épargner tous les ans entre 14. h ttp://www.adeca-alsace.fr/

846 Vol. 68 _ Octobre 2018
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Médicaments. Les ruptures de stock de médicaments se multiplient,
avec des conséquences qui peuvent être majeures. Quelles solutions pour
y faire face ?

Tensions d’approvisionnement
et ruptures de stock : l’exemple
de la benzathine benzylpénicilline

ALBAN DHANANI, L espénuriesdemédicaments Tsunamifragilise le système. La pression stock en 2017 en France étaient les
ISABELLE PARENT se sont multipliées ces der- économique conduit l’industrie médicaments anti-infectieux (admi-
DU CHÂTELET, nières années et constituent pharmaceutique à rechercher les nistrés par voie générale), les médi-
SAID IOUGHLISSEN, un problème majeur de san- fournisseurs les moins chers pour caments du système nerveux et les
PATRICK MAISON té publique. Il peut s’agir de tensions les différents composants du médi- médicaments anticancéreux. Elles
Agence nationale d’approvisionnement lorsque des cament. Cette rationalisation des totalisaient à elles seules plus de la
de sécurité médicaments sont disponibles mais coûts de fabrication a incité les labo- moitié de l’ensemble des ruptures
du médicament en quantité insuffisante pour répon- ratoires à délocaliser leurs sites de de médicaments d’intérêt thérapeu-
et des produits dre aux besoins. Dans certains cas, production à l’étranger et à produire tique majeur déclarées à l’ANSM en
de santé (ANSM), le laboratoire est dans l’impossibi- leurs médicaments à flux tendu. À ce 2017 (fig. 2). Parmi les anti-infectieux,
Saint-Denis, France. lité de fabriquer un médicament, jour, 80 % des principes actifs entrant on trouvait principalement des anti-
alban.dhanani@ entraînant une rupture d’approvi- dans la composition des médica- biotiques injectables ainsi que des
ansm.sante.fr sionnement des pharmacies de ville ments vendus en Europe sont fabri- vaccins, médicaments relevant d’une
Les auteurs déclarent ou hospitalières qui sont dans l’in- qués en dehors du territoire euro- fabrication longue et complexe.
n’avoir aucun capacité de dispenser ce médica- péen, principalement en Chine et en
lien d’intérêts. ment à un patient. On parle alors de Inde contre 20 % il y a trente ans.1 La Rôle de l’ANSM et des
rupture de stock. moindre défaillance d’un des acteurs laboratoires dans la
Remerciements à intervenant dans le processus de gestion des pénuries
Madame Isabelle Pénurie de médicaments : fabrication du médicament peut
Pellanne (ANSM) bilan des signalements créer une rupture de stock, avec une Actuellement, il n’existe pas de sys-
pour sa contribution et origine des ruptures possible répercussion internatio- tème centralisé de gestion des pénu-
sur ce dossier. nale. On observe donc comme causes ries au niveau européen : chaque
Le nombre de signalements de rup- principales de ruptures de stock des pays est responsable de la gestion
tures et risques de rupture de stock problèmes liés à l’outil de production des ruptures de stock sur son terri-
des médicaments d’intérêt thérapeu- et aux difficultés d’approvisionne- toire. En France, elle s’appuie sur
ment en matières premières. En une réglementation nationale qui a
tique majeur (v. encadré), à l’Agence effet, pour certaines matières pre- permis la mise en place d’un dispo-
mières, il est constaté une raréfaction sitif de prévention des ruptures à
nationale de sécurité du médicament des sites de production, voire l’exis- partir de 20122 et qui a été renforcé
et des produits de santé (ANSM), a tence d’un seul site au niveau mon- en 2016.3 En cas de rupture ou risque
été multiplié par 10 entre 2008 et 2013, dial. Des défauts de qualité surve- de rupture, l’ANSM définit et coor-
s’est stabilisé jusqu’en 2016 (400 par nant au cours de la fabrication ou donne les actions appropriées en lien
an), puis a augmenté de 30 % en 2017 une augmentation de la demande avec le laboratoire pharmaceutique
avec 538 signalements (fig. 1). Les mondiale en médicaments, en parti- concerné qui en assure la mise en
causes des ruptures de stock sont culier des pays émergents, sont œuvre. En pratique, l’ANSM cherche
multifactorielles. Cependant, elles d’autres causes fréquemment rap- à sécuriser l’approvisionnement
sont principalement liées à la mon- portées. Enfin, des ruptures de stock des médicaments d’intérêt thérapeu-
dialisation de la production des mé- peuvent être également consécutives tique majeur. Elle peut également
dicaments, qui induit une fragmen- à des arrêts de commercialisation. effectuer des contrôles sur les procé-
tation et une complexification de Les trois classes thérapeutiques les dures de gestion des ruptures mises
la chaîne de fabrication et de distri- plus impactées par ces ruptures de en place par les laboratoires et
bution (nombreux prestataires dispose d’un pouvoir de sanctions
et sous-traitants, répartis sur toute
la planète) et qui par conséquent Vol. 68 _ Octobre 2018 849

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MÉDICAMENTS

QU’EST-CE QU’UN MÉDICAMENT D’INTÉRÊT d’intérêt thérapeutique majeur ne
THÉRAPEUTIQUE MAJEUR ? sera plus disponible à court terme,
une course contre la montre s’engage
Les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur* sont des médicaments ou des classes afin de préserver les stocks dispo-
de médicaments pour lesquels une interruption de traitement est susceptible de mettre nibles et envisager le plus rapidement
en jeu le pronostic vital des patients à court ou moyen terme, ou représente une perte possible le recours à des alternatives.
de chance importante pour les patients au regard de la gravité ou du potentiel évolutif
de la maladie. Complexité du problème :
* Article L. 5111-4 du code de la santé publique. l’exemple des ruptures
de stock de la benzathine
financières en cas de manquements Tsunamicœur de leur responsabilité. Ils ont, benzylpénicilline
à leurs obligations (par exemple en entre autres, l’obligation de garantir
cas de non-respect de l’obligation un approvisionnement approprié La benzathine benzylpénicilline,
d’information d’un risque de rupture et continu du marché national, de antibiotique injectable de la famille
ou d’une rupture, ou de non-respect manière à couvrir les besoins des des bêtalactamines (groupe des péni-
de l’obligation de mettre en place des patients en France. Pour y parvenir, cillines de type G à action retard), est
solutions alternatives ou des mesures les laboratoires doivent élaborer des un antibiotique de référence dans
prévues dans les plans de gestion des plans de gestion des pénuries pour les le traitement de la syphilis et dans
pénuries). Enfin, elle est chargée d’in- médicaments d’intérêt thérapeutique la prévention des rechutes du rhuma-
former les professionnels de santé et majeur en fonction de certains cri- tisme articulaire aigu. Il est égale-
les patients sur les ruptures effectives tères : existence ou non d’alternatives ment utilisé dans la prophylaxie de
ou à venir ainsi que sur les alterna- thérapeutiques, fragilité et complexi- l’érysipèle récidivant.
tives disponibles. té des opérations de fabrication et
Cependant, l’ANSM ne peut se subs- distribution. Par ailleurs, ils ont RUPTURE DE STOCK
tituer aux laboratoires pharma- l’obligation d’informer sans délai D’EXTENCILLINE
ceutiques en ce qui concerne la l’ANSM de toute rupture ou risque de Jusqu’en février 2014, Extencilline
production des médicaments. Le rupture sur un médicament d’intérêt était le seul médicament à base de
renforcement de la réglementation thérapeutique majeur. L’anticipation benzathine benzylpénicilline dispo-
intervenu en 2016 vise à replacer les devient la règle : dès lors que l’ANSM nible en France. Commercialisé
laboratoires pharmaceutiques au a connaissance qu’un médicament depuis 1954 par le laboratoire Sanofi
et administré par voie intramus-
Figure 1. Nombre de signalements de rupture et risque de rupture. culaire, Extencilline existait sous
trois dosages : 0,6, 1,2 et 2,4 MUI. Bien
850 Vol. 68 _ Octobre 2018 que Sanofi fût titulaire des autorisa-
tions de mise sur le marché (AMM)
en France, il sous-traitait la produc-
tion de cet antibiotique au labora-
toire Sandoz. Lorsque ce dernier n’a
plus été en mesure de fabriquer cer-
tains excipients entrant dans la
composition d’Extencilline à la suite
de la fermeture d’une de ses usines,
Sanofi a informé l’ANSM courant
2013 d’une future rupture de stock
consécutive à la décision prise d’ar-
rêter la commercialisation de ce
médicament de faible rentabilité dont
le coût pour un flacon était alors de
4,38 euros. La recherche d’une alter-
native devenait la priorité, et de nom-
breux laboratoires commercialisant
un médicament similaire ont été
contactés en Europe et dans le reste
du monde. La solution est venue
d’Italie : le laboratoire Biopharma
commercialisait la spécialité Sigma-
cillina 1,2 MUI (à base de benzathine
benzylpénicilline), permettant d’en-

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visager une importation en France
à partir de février 2014 après distri-
bution des dernières doses d’Exten-
cilline. Si l’importation de ce médica-
ment permettait de pallier de manière
provisoire l’arrêt de commerciali-
sation d’Extencilline, la situation
n’était pas satisfaisante (un seul do-
sage disponible, médicament acces-
sible uniquement à l’hôpital et dans
les centres d’information, de dépis-
tage et de diagnostic des infections
sexuellement transmissibles [IST]) et
restait fragile au regard des besoins.
C’est dans ce contexte que l’ANSM a
poursuivi ses investigations afin de
réintroduire en France des médica-
ments disposant d’une AMM.

AUTORISATION EN FRANCE Tsunami
DE LA BENZATHINE Figure 2. Répartition des signalements par classe thérapeutique en 2017.
BENZYLPÉNICILLINE SANDOZ
La piste du laboratoire Sandoz est RUPTURE DE STOCK inter-associatif traitements et re-
apparue comme la plus robuste, DE LA BENZATHINE cherche thérapeutique (TRT-5). Afin
celui-ci commercialisant dans plu- BENZYLPÉNICILLINE SANDOZ de préserver les stocks disponibles
sieurs États européens un médica- À la suite de problèmes de production et dans l’attente des nouveaux appro-
ment appelé Retarpen contenant le survenus chez l’un de ses sous-trai- visionnements, les premières me-
même principe actif qu’Extencilline tants, le laboratoire Sandoz informait sures ont été prises : suivi hebdoma-
mais avec une composition différente l’ANSM fin octobre 2017 d’une rup- daire des consommations ; mise en
en excipients. En novembre 2014, ture de stock pour la spécialité Ben- place d’un contingentement par le
l’ANSM a octroyé des AMM aux spé- zathine benzylpénicilline Sandoz laboratoire Sandoz ; mise à disposi-
cialités de Sandoz (trois dosages) 2,4 MUI à compter de décembre pour tion restreinte en milieu hospitalier
sous la dénomination Benzathine une durée d’au moins six mois. De- et dans les centres gratuits d’infor-
benzylpénicilline Sandoz. Ces médi- vant cette situation critique, l’ANSM mation, de dépistage et de diagnostic
caments ont bénéficié d’une revalo- a déployé un plan d’action, qui se des infections par le VIH, des hépa-
risation du prix à 11 euros (1 flacon) décline en trois axes : informer, tites virales et des IST (CeGIDD) et
lors de l’examen du dossier par le prendre les mesures urgentes qui création d’un stock de sécurité pour
Comité économique des produits de s’imposent, et identifier d’autres les demandes de dépannage d’ur-
santé (CEPS). Cependant, les médicaments similaires disponibles gence. Des lettres d’information ont
contraintes liées aux capacités de à l’étranger. Comme en 2014, la Socié- été envoyées par le laboratoire aux
production allaient différer leur té de pathologie infectieuse de langue professionnels de santé, et l’ANSM
commercialisation qui n’est interve- française (SPILF), le Groupe de pa- a publié plusieurs points d’informa-
nue en France qu’en avril 2016 (uni- thologie infectieuse pédiatrique tion sur son site internet.4 La SPILF
quement pour deux dosages : 1,2 et (GPIP) de la Société française de pé- a actualisé son communiqué relatif
2,4 MUI) mettant fin à l’importation diatrie (SFP) et la Société française aux alternatives pour le traitement
de Sigmacillina 1,2 MUI. La situation de dermatologie (SFD) ont été infor- des syphilis non neurologiques5 en
était à nouveau similaire à celle qui mées rapidement des nouvelles diffi- tenant compte des informations du
existait avec Extencilline, à savoir cultés rencontrées ainsi que les asso- Centre national de référence (CNR)
une situation de monopole : la dispo- ciations de patients, comme le Groupe de la syphilis sur le niveau élevé de
nibilité de la benzathine benzylpéni-
cilline était totalement dépendante Vol. 68 _ Octobre 2018 851
d’une seule source d’approvisionne-
ment. Par conséquent, tout problème
survenant dans la chaîne de fabri-
cation de cet antibiotique était sus-
ceptible de provoquer une nouvelle
rupture de stock.

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Fin octobre 2017 Déclaration de rupture de stock de la
Début novembre 2017 Benzathine benzylpénicilline Sandoz 2,4 M UI

Information des professionnels de santé
et associations de patients

Mise en place d’un contingentement
et stock de sécurité

Mi-novembre 2017 Consultation des experts et organisations Recherche
3e semaine professionnelles concernant les alternatives de pistes
d’importation
novembre 2017 et circuit de distribution
Circuit de mise à disposition restreint

aux hôpitaux et CeGIDD
Point d’information – ANSM
Lettres aux professionnels de santé – Sandoz
Mise à jour du communiqué
sur les alternatives pour le traitement
des syphilis non neurologiques (SPILF)
Tsunami
Mi-janvier 2018 Importation de Retarpen 2,4 MUI
Mi-mars 2018 (en provenance de la République tchèque) Autre piste
Retour sur le marché d’Extencilline 2,4 MUI

Fin de la rupture de stock

Figure 3. Actions menées dans le cadre de la rupture de stock de la Benzathine benzylpénicilline Sandoz 2,4 MUI.
ANSM : Agence de sécurité du médicament et des produits de santé ; CeGIDD : Centre gratuit d’informations, de dépistage et de diagnostic ;
SPILF : Société de pathologie infectieuse de langue française.

résistance des souches de tréponème publique tchèque qui pouvait être sage à 1,2 MUI, imposant deux injec-
à l’azithromycine, antibiotique qui mobilisé pour le marché français. En tions pour obtenir l’équivalent d’une
n’est donc plus recommandé comme janvier 2018, l’ANSM autorisait l’im- injection à 2,4 MUI pour le traitement
alternative. En parallèle, l’ANSM a portation de Retarpen 2,4 MUI per- de la syphilis de l’adulte. En raison de
engagé des démarches auprès de mettant, en complément des mesures l’enjeu de santé publique engendré
Sandoz et d’autres laboratoires afin déjà prises, de repousser de deux par cette situation critique d’épisodes
d’importer des spécialités similaires mois et demi la rupture totale du récurrents de ruptures de stock, la
disponibles à l’étranger. Sandoz dis- dosage à 2,4 MUI qui interviendra le remise sur le marché des spécialités
posait d’un stock d’une spécialité 12 février 2018. À partir de cette date, Extencilline a fait partie des pistes
identique (Retarpen 2,4 MUI) en Ré- il ne restait plus en France que le do- envisagées par l’ANSM pour mettre

852 Vol. 68 _ Octobre 2018

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à disposition de façon pérenne Une faible rentabilité pourrait expli- Tsunami une tension d’approvisionnement,
d’autres spécialités de benzathine quer le désengagement des labora- voire une rupture sur ces alterna-
benzylpénicilline en France (fig. 3). toires pharmaceutiques conduisant à tives. Le circuit de mise à disposition
la disparition progressive de certaines des médicaments a également une
RETOUR D’EXTENCILLINE molécules. Ce phénomène rejoint les influence sur l’impact des pénuries.
En 2016, le laboratoire Delbert a problématiques générales décrites Alors qu’en ville les officines peuvent
racheté les dossiers d’AMM d’Ex- sur la mondialisation de la produc- se procurer auprès des grossistes-
tencilline au laboratoire Sanofi, avec tion des médicaments. En outre, les répartiteurs un médicament simi-
l’objectif de relancer rapidement répercussions des ruptures de stock laire d’un autre laboratoire pharma-
la production de cet antibiotique. Ce- peuvent être néfastes sur les stratégies ceutique, la situation apparaît plus
pendant, la mise à jour des dossiers de bon usage des médicaments. Elles complexe à l’hôpital en raison du
d’AMM incluant de nouveaux sites peuvent entraîner une modification code des marchés publics. Pour un
de production qui doivent être auto- de la prescription vers une alternative médicament donné, l’hôpital, via le
risés par l’ANSM est une procédure pouvant ne pas correspondre aux pré- système des appels d’offres, est appro-
longue et complexe. Mi-mars 2018, conisations thérapeutiques de prise visionné généralement par un seul
Extencilline 2,4 MUI fait son retour en charge en vigueur d’une pathologie laboratoire qui s’engage par contrat
sur le marché français en ville et à donnée. Cela est particulièrement à honorer les commandes. Afin de
l’hôpital, suivi des deux autres do- redouté pour les antibiotiques dans remporter les marchés publics, un
sages fin avril, mettant ainsi fin à la la mesure où la pénurie du traitement laboratoire peut proposer des prix
situation de rupture de stock. Le prix de référence peut imposer le report lui permettant d’obtenir un quasi-
obtenu par le nouveau titulaire de vers un autre antibiotique à plus monopole auprès des hôpitaux. En
l’AMM pour les trois dosages d’Exten- large spectre et/ou particulièrement cas de rupture de stock de ce médica-
cilline est identique au prix revalori- générateur de résistances bacté- ment, il est difficile pour la pharma-
sé accordé à Sandoz en 2016 pour ses riennes. Ainsi, la situation engendrée cie hospitalière de pouvoir recourir
spécialités, à savoir 11 euros (ce prix par des ruptures de stock peut aller à un médicament similaire pourtant
fixé par le CEPS est à distinguer du à l’encontre de l’exigence requise disponible auprès d’un autre labora-
prix négocié par les hôpitaux dans le pour une utilisation raisonnée toire, car ce dernier, compte tenu de
cadre des appels d’offres). Il est à no- d’antibiotiques alors qu’aujourd’hui ses volumes de vente plus faibles,
ter que les différents sites de produc- l’ensemble des politiques nationales ne va pas pouvoir répondre à la de-
tion d’Extencilline sont tous localisés et internationales fonde leurs recom- mande. En outre, ce laboratoire va
en Europe et que le dosage à 0,6 MUI, mandations sur un usage maîtrisé approvisionner préférentiellement
notamment adapté à la population des antibiotiques pour combattre la les hôpitaux avec lesquels il a obtenu
pédiatrique pour la prophylaxie du résistance aux antimicrobiens. le marché public et, de ce fait, est ré-
rhumatisme articulaire aigu, qui De plus, par « effet domino », le report ticent à dépanner les autres hôpitaux
n’était plus disponible depuis la rup- vers des alternatives peut provoquer pour ne pas lui-même se retrouver en
ture intervenue en 2014, est fabriqué
sur les nouveaux sites autorisés. LA COOPÉRATION EUROPÉENNE
SE MET EN PLACE
Discussion
Les tensions d’approvisionnement et à la fois les médicaments humains
Les ruptures de stock constituent les ruptures de stock des médicaments et vétérinaires, quelle que soit leur voie
des enjeux de santé publique dans la constituent un problème croissant, d’autorisation (européenne ou nationale).
mesure où elles peuvent être à l’ori- et l’Europe reconnaît que c’est un sujet Ce groupe européen a récemment
gine de perturbations majeures dans de grande préoccupation pour l’ensemble publié son programme de travail pour
l’organisation des soins et la prise en des acteurs concernés. L’Agence les deux prochaines années. Les actions
charge des patients. Des situations européenne des médicaments (EMA) proposées s’articulent autour de trois
rencontrées avec certains antibio- et le réseau des directeurs des Agences axes : faciliter l’autorisation de nouveaux
tiques en sont une illustration. La nationales ont donc créé un groupe médicaments et réduire les délais
problématique posée par les pénuries de travail chargé de fournir un soutien d’instruction, faciliter la surveillance
de « vieux » antibiotiques est majeure stratégique ainsi que d'élaborer des des ruptures de stock en Europe,
car, bien qu’ils occupent une place im- recommandations pour faire face aux améliorer la communication interne
portante dans l’arsenal thérapeutique tensions d’approvisionnement/ruptures entre les autorités et les industriels
et permettent une diversité pharma- des médicaments et garantir leur ainsi que la communication externe
cologique indispensable dans la lutte disponibilité. Le périmètre couvre vers le public.
contre l’antibiorésistance, leur prix
est généralement très faible et leur
coût de production plus élevé lors-
qu’il s’agit de produits injectables.

Vol. 68 _ Octobre 2018 853

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difficulté. En effet, le laboratoire défail- de distribution représentent des tence, est particulièrement engagée
lant devra supporter les coûts majorés éléments importants de fragilité et dans l’ensemble du dispositif de
pour la pharmacie en raison de l’achat d’instabilité à l’origine de la majorité gestion des ruptures. Cependant, les
d’un médicament similaire auprès des pénuries de médicaments. stratégies déployées à l’échelon na-
d’un autre laboratoire. Par conséquent, L’exemple de la benzathine benzyl- tional pour limiter les conséquences
pour sécuriser leur approvisionne- pénicilline est illustratif des problé- de l’indisponibilité du médicament
ment, les hôpitaux doivent envisager matiques industrielles rencontrées pour le patient ne peuvent apporter
la possibilité de recourir à plusieurs dans le milieu pharmaceutique et des que des solutions partielles à ce pro-
fournisseurs pour un même médica- diverses actions menées par les ac- blème. Du fait de la complexité et de
ment d’intérêt thérapeutique majeur. teurs concernés pour garantir l’accès l’impact international du phéno-
au traitement. Les « vieux » antibio- mène, il ne pourra y avoir de réponse
UNE COOPÉRATION EUROPÉENNE tiques (principalement injectables) efficace sans un plan stratégique dé-
INDISPENSABLE sont particulièrement exposés aux
risques de rupture, voire d’arrêt de cidé au niveau européen (v. encadré)
Les difficultés d’approvisionnement commercialisation. Dans un contexte
deviennent récurrentes et, si elles de carence d’antibiotiques innovants qui devrait prévoir un outil de sur-
touchent aujourd’hui de façon cri- et de menace croissante de bactéries veillance permettant de mettre en
tique les antibiotiques, d’autres mé- résistantes, il est donc indispensable place une organisation centralisée
dicaments comme les anticancéreux de conserver notre « patrimoine anti- des ruptures de stock. Cette collabo-
ou les médicaments du système ner- biotique » composé pour l’essentiel ration entre les pays européens est
veux sont eux aussi particulièrement de vieilles molécules. L’ANSM, dans indispensable si l’on veut assurer une
impactés. La mondialisation et la la limite de son champ de compé- meilleure sécurisation de la produc-
complexité croissante des circuits tion de médicaments et de l’approvi-
Tsunami sionnement en matières premières. V

RÉSUMÉ TENSIONS tures soient multiples, elles sont principa- lutter efficacement contre les pénuries de ruptures are multiple, they are mainly re-
D’APPROVISIONNEMENT ET lement liées aux effets de la mondialisation médicaments. lated to the effects of globalisation and
RUPTURES DE STOCK DES et des stratégies industrielles de rationali- industrial strategies of rationalisation of
MÉDICAMENTS : L’EXEMPLE sation des coûts de production. La rupture SUMMARY SUPPLY production costs. The shortage of benza-
DE LA BENZATHINE de la benzathine benzylpénicilline illustre DISRUPTIONS AND DRUG thine benzylpenicillin illustrates the action
BENZYLPÉNICILLINE l’action de l’Agence nationale de sécurité SHORTAGES: THE EXAMPLE of the French Medicines Agency (ANSM),
Malgré une mobilisation collective, les du médicament et des produits de santé et OF BENZATHINE and the various actors to guarantee access
ruptures de stock des médicaments se sont des différents acteurs pour garantir l’accès BENZYLPENICILLIN to care and limit the consequences for the
multipliées ces dernières années, créant un aux soins et limiter les conséquences pour Despite collective mobilisation, drug shor- patient. Beyond measures taken at national
fort retentissement en matière de santé le patient. Au-delà des mesures prises au tages have increased in recent years, level by the regulatory authorities in
publique. Les médicaments anti-infectieux, plan national par les autorités sanitaires en creating a strong impact on public health. connection with the pharmaceutical com-
principalement les antibiotiques injectables, lien avec les laboratoires pharmaceutiques, Anti-infective drugs, mainly injectable an- panies, it is necessary to set up a concerted
sont particulièrement impactés par ces il est nécessaire de mettre en place une tibiotics, are particularly affected by these action at European level to fight effectively
pénuries. Bien que les causes de ces rup- action concertée au niveau européen pour shortages. Although the causes of these against drug shortages.

RÉFÉRENCES
1. Académie nationale de pharmacie. Médicaments : ruptures de stock, ruptures d’approvisionnement. Recommandations de l’Académie nationale de pharmacie, avril 2013.
2. Décret n° 2012-1096 du 28 septembre 2012 relatif à l’approvisionnement en médicaments à usage humain.
3. Décret n° 2016-993 du 20 juillet 2016 relatif à la lutte contre les ruptures d’approvisionnement de médicaments.
4. A gence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé. Difficultés d’approvisionnement en benzathine benzylpénicilline. Point d’information ANSM, novembre 2017.
5. Société de pathologie infectieuse de langue française. Alternatives pour le traitement des syphilis non neurologiques dans un contexte de rupture de stock de benzathine

pénicilline. Communiqué de la SILF, novembre 2017.

854 Vol. 68 _ Octobre 2018
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DOSSIERTsunami
© BSIP
SURDITÉ DE L'ENFANT
SOMMAIRE
DOSSIER ÉLABORÉ
SELON LES CONSEILS
DU Pr PATRICE
TRAN BA HUY
Académie nationale
de médecine, Paris,
France
patrice.tran-ba-huy
@aphp.fr
L'auteur déclare
n’avoir aucun lien
d’intérêts.

Surdité de l’enfant : la repérer le plus tôt possible

A u cours de ces dernières années, le paysage de la surdité de l’enfant s’est
profondément modifié. Grâce, tout d’abord, à une prise de conscience des sérieuses
conséquences que peut avoir, à terme, un déficit auditif bilatéral marqué. En pratique,
tout enfant distrait, inattentif, a fortiori s’il manifeste un retard de langage, doit faire l’objet
au plus vite d’un examen oto-rhino-laryngé permettant d’identifier la surdité et de mettre
en route une prise en charge adaptée. En effet, négligée dans le tout jeune âge, c’est-à-dire
au stade dit prélingual, une surdité expose à des difficultés de communication, une
inadaptation scolaire, des troubles du comportement, voire à une véritable désinsertion >>>

f P. 857 Épidémiologie et dépistage f P. 862 Démarche diagnostique f P. 870 Implants cochléaires
f P. 874 Messages clés

Vol. 68 _ Octobre 2018 855
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SURDITÉ DE L'ENFANT

sociale. C’est la raison pour laquelle le dépistage systématique d’une surdité est désormais
obligatoire en France à la naissance. Mais cette obligation légale n’est pas sans poser
de multiples problèmes d’ordre organisationnel, technique, financier, voire politique.

Grâce, ensuite, au raffinement des techniques d’audiologie et à l’irruption de la génétique
dans notre arsenal diagnostique. Oto-émissions acoustiques, potentiels évoqués auditifs,
au besoin ASSR (auditory steady state response) valident et précisent les résultats
des tests comportementaux toujours incontournables malgré la difficulté à les réaliser
selon l’âge et l’attitude de l’enfant et de sa famille. Ils permettent aujourd’hui d’objectiver
la perte auditive, de la quantifier et d’en localiser le siège lésionnel. Quant aux tests
génétiques, ils contribuent très significativement à démembrer et à enrichir la liste des
causes. Pour autant, l’examen clinique reste essentiel dans l’approche diagnostique.
La simple analyse des symptômes et signes, les données de l’otoscopie, la recherche
de malformations associées et d’antécédents infectieux suffisent souvent en effet à
orienter l’enquête étiologique. C’est dire que le médecin traitant garde un rôle essentiel
face à un enfant déficient auditif ayant échappé au dépistage systématique ou ayant
une surdité acquise post-natale.
Tsunami

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Grâce, enfin, à l’implantation cochléaire. Certes, la chirurgie reste souvent la première
option thérapeutique pour les atteintes transmissionnelles, c’est-à-dire de l’oreille moyenne.
Certes, l’appareillage prothétique se montre efficace dans les surdités moyennes ou
sévères et doit d’ailleurs être proposé rapidement dès le diagnostic posé. Mais c’est bien
l’implant cochléaire qui a révolutionné le pronostic des surdités de perception bilatérales,
profondes ou totales. En restaurant dans la plupart des cas une audition utile, il autorise
le retour de l’enfant à une vie socio-éducative quasi normale. À une condition toutefois,
celle d’être posé le plus précocement possible ; ce qui, répétons-le, justifie s’il en était
besoin le dépistage systématique d’une surdité à la naissance…

Ainsi que le présent numéro. Patrice Tran Ba Huy

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SURDITÉ DE L'ENFANT

Épidémiologie et dépistage de la surdité de l’enfant

Dépister à la naissance pour
préserver le futur de l’enfant

U n enfant sur 1 000 naît malentendant. En l’ab- ou mixte, et en la réhabilitation prothétique, convention- ANDRÉ CHAYS,
sence de dépistage systématique à la nais- nelle ou implantée chirurgicalement. MARC LABROUSSE,
sance, le diagnostic de surdité n’est porté que XAVIER DUBERNARD
vers l’âge de 24 mois, trop tardivement pour Le dépistage de la surdité à la naissance est donc par- Service ORL
pouvoir offrir au jeune patient la totalité de l’arsenal faitement justifié. Il est d’ailleurs surprenant de consta- et chirurgie
thérapeutique considérablement amélioré et diversifié ter que les dépistages de la phénylcétonurie (1972), de maxillofaciale,
au cours des 30 dernières années. Pour tenter de rattraper l’hypothyroïdie congénitale (1978), de l’hyperplasie des hôpital Robert-Debré,
son retard en matière de dépistage à la naissance par surrénales (1995), de la drépanocytose (1989 outre-mer et CHU de Reims,
rapport à de nombreux autres pays européens, la France 1995 en métropole) et de la mucoviscidose (2002) ont lar- Reims, France
l’a rendu obligatoire sur le territoire national en avril gement devancé en temps celui de la surdité à la nais- achays
2012 par le biais d’un arrêté laissant aux agences régio- sance alors que cette dernière survient à une fréquence @chu-reims.fr
nales de santé (ARS) le soin de l’organiser dans un délai beaucoup plus élevée.
de 2 ans… Six ans après cet arrêté, où en est-on ? Les auteurs
Enfin, outre son caractère « justifié », dépister la sur- déclarent n’avoir
Pourquoi dépister à la naissance ? dité à la naissance est éthique vis-à-vis du nouveau-né aucun lien d’intérêts.
puisque cet acte de santé publique préserve le futur en-
Selon l’Organisation mondiale de la santé,1 un dépistage fant, lui permettant l’accès à une insertion socio-éduca-
systématique est justifié devant toute maladie remplis- tive optimale : ne pas le dépister serait le priver de cette
sant les quatre critères suivants : liberté d’accès.
– critère 1 : elle constitue une menace grave pour la santé Tsunami
publique, et c’est bien le cas pour l’audition puisque les Que dit la loi ?
enfants atteints de surdité prélinguale ne pourront
acquérir le langage oral, entraînant d’importantes diffi- Par un arrêté du 23 avril 2012, le législateur a rendu obli-
cultés de communication, d’apprentissage et d’insertion ; gatoire le dépistage néonatal et en a confié l’organisation
– critère 2 : la maladie doit être décelable pendant sa phase aux ARS en leur accordant un délai de mise en place,
de latence avant son expression clinique ; or en l’absence conformément à un cahier des charges national mis en
de dépistage systématique, le diagnostic ne sera posé en œuvre par les ministres chargés de la Santé et de la Pro-
moyenne que vers l’âge de 24 mois devant des troubles tection sociale, publié par arrêté le 3 novembre 2014. Cette
d’acquisition du langage ou du comportement, voire délégation régionale fut un choix intelligent car il a per-
beaucoup plus tard devant des difficultés scolaires ou mis d’abord de préserver les méthodes de dépistage exis-
d’apprentissage. Au décours des années de « déprivation tantes dans les territoires où il était déjà fonctionnel,
sensorielle », des modifications corticales irréversibles ensuite de tenir compte pour son organisation des modes
seront apparues, et il ne sera plus possible de pallier leurs de fonctionnement de chacune des régions.
séquelles ;2, 3
– critère 3 : on doit disposer d’un test efficace et acceptable Le financement a été acquis en 2013 (circulaire
pour la population générale, ce qui est le cas par le biais DGOS-R1 n° 2013-144 du 29 mars 2013).
de la détection des otoémissions acoustiques ou l’enre-
gistrement de potentiels évoqués auditifs automatisés, Dépister tous les enfants
tests tous deux indolores et non invasifs ; à la naissance !
– critère 4 : un diagnostic fiable et un traitement doivent
être disponibles pour les enfants dépistés positifs ; le diag­ Le dépistage ne peut être que systématique et à la nais-
nostic positif est porté, après le dépistage, dans des sance. De nombreuses équipes, par souci d’économie de
centres référents utilisant différents tests électrophysio- temps et de moyens, ont tenté de ne dépister que les en-
logiques et toujours associés à l’audiométrie comporte- fants à risque : elles ont toutes démontré l’insuffisance
mentale. Le traitement consiste en l’apprentissage et la de la méthode car procéder ainsi aboutit à « laisser passer
rééducation spécialisés du langage, qu’il soit oral, signé un enfant sur deux ». En effet, si on analyse rétrospecti-
vement la population d’enfants diagnostiqués malenten-
dants après un dépistage systématique, on constate qu’un
enfant sur deux n’avait aucun facteur de risque.

Vol. 68 _ Octobre 2018 857

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SURDITÉ DE L'ENFANT

Premier test en maternité < J3 (OEA) détection des otoémissions dans le méat acoustique ex-
terne et l’enregistrement, à la surface du crâne, des po-
tentiels évoqués auditifs (PEA) après stimulation acous-
tique dans ce même méat.

OEA OEA Otoémissions acoustiques provoquées
–/– +/– ou +/+ Les otoémissions sont des sons de très faible intensité
Information émis par la cochlée et provenant de la contraction active
Deuxième test – praticien référent des parents des cellules ciliées externes en réponse à une stimulation
< J15 (OEA ou PEA) sonore.7 En pratique, les appareils sont automatisés et
fournissent une réponse binaire :
OEA ou PEA OEA ou PEA – les otoémissions sont présentes : on peut alors affirmer
–/– –/+ ou +/+ que l’audition du côté testé est normale ou subnormale
(seuil auditif meilleur que 35 dB) sur une gamme de fré-
Phase Tsunami quence allant de 1 000 à 4 000 Hz et permettant l’acquisi-
diagnostique tion du langage oral ;
– les otoémissions sont absentes ou le résultat est douteux,
GROUPE AUDITION – CHU ce qui signifie, à ce stade, qu’en l’absence de détection
des « signes de l’audition », un contrôle doit être impéra-
Figure 1. Organisation du dépistage de la surdité en Champagne-Ardenne depuis tivement organisé et réalisé dans les 15 jours qui suivent
janvier 2004. Le plus souvent, sans y être obligé, le personnel des maternités propose spontanément la sortie de la maternité.
un deuxième test avant la sortie de la maternité. CHU : centre hospitalier universitaire ; OEA :
oto-émissions acoustiques ; PEA : potentiels évoqués auditifs. Cette technique de dépistage par otoémissions est de
réalisation rapide – quelques minutes seulement –, très
D’autres équipes ont tenté d’organiser un dépistage peu coûteuse en consommables et indolore, avec une sen-
un peu plus tardif, vers l’âge de 3 mois : sans mesure sibilité estimée dans la littérature de 95 à 100 % et une
« coercitive », sanction financière par exemple, on spécificité de 80 à 99 %. Le test peut cependant être mis
constate qu’une famille sur deux ne consulte pas, à cette en défaut puisqu’il n’affirme le bon fonctionnement des
date, comme cela lui avait été vivement recommandé à voies auditives que de l’entrée du méat acoustique ex-
la sortie de la maternité et malgré les relances. terne jusqu’à la cochlée comprise : il ne détecte donc pas
les surdités rétrocochléaires, voire certaines très rares
On peut donc affirmer que le dépistage n’est efficient surdités endocochléaires. Mais la prévalence de ces sur-
que s’il est pratiqué systématiquement et dès la nais- dités est très faible, la plupart des enfants atteints étant
sance, avant la sortie de la maternité. Enfin, une telle hospitalisés en réanimation médicale où le dépistage
démarche précoce a l’avantage de sensibiliser les parents utilise la méthode des PEA, le très faible risque d’un faux
et leur famille aux potentielles pathologies de l’audition : négatif dû à l’utilisation de cette méthode est accepté par
au moment du dépistage, en effet, un petit livret leur est toutes les équipes.
remis expliquant schématiquement les grandes étapes
chronologiques d’acquisition du langage et la nécessité Potentiels évoqués auditifs
d’une consultation en cas de doute.3, 4 Les PEA sont des courants électriques recueillis à la
surface de la peau après stimulation acoustique brève
Comment dépister ? et répétée du système auditif. Les appareils sont là aussi
automatisés : la machine analyse elle-même la repro-
Deux méthodes5, 6 sont utilisées, qui recherchent en fait ductibilité des ondes et donne une réponse binaire pour
les signes témoignant d’une audition normale ou sub- un seuil donné.8 L’analyse complète, quantitative et
normale permettant l’acquisition d’un langage oral : la qualitative, des PEA du tronc cérébral est, elle, réservée
au diagnostic positif et non au dépistage. La méthode
858 Vol. 68 _ Octobre 2018 des PEA automatisés partage la sensibilité et la spéci-
ficité de celles énoncées pour les otoé­ missions (v. supra),
la rendant ainsi parfaitement valide pour le dépistage.
Son intérêt principal, comparée à la détection des otoé-
missions, est qu’elle permet le dépistage des atteintes
rétrocochléaires comme les neuropathies auditives,
mais au prix d’un temps accru pour la réaliser ainsi
qu’un surcoût dû aux consommables (électrodes de sur-
face). En réanimation médicale, où la « disponibilité »
de l’enfant est plus longue, on utilise exclusivement
cette méthode.

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Qui dépiste ? Tsunamiéventuelle surdité ne sera porté avec certitude que plus
tard, dans les mois qui suivent la sortie de la maternité ;
Il est d’abord nécessaire de rassembler, sous l’autorité – les mots « surdité », « sourd », « malentendants » sont, de
des ARS et donc par région, tous les acteurs privés et ce fait, à bannir et ne doivent jamais être prononcés en
publics, tant médecins que paramédicaux concernés par maternité ; en fait, « on recherche des signes de l’audition
la démarche et désireux d’y adhérer et de constituer ain- qu’éventuellement on ne détecte pas le jour du test » ;
si un centre référent sur le territoire géographique pré- – en cas de doute sur la présence de ces signes, un deu-
alablement défini : il est le « nœud d’information » vers xième test est proposé, si possible avant la sortie de la
lequel convergeront et seront traitées en direct les don- maternité, au plus dans les 15 jours qui la suivent ;
nées en provenance des diverses maternités ; il sera aus- – il est infiniment plus grave – et les séquelles psycholo-
si l’interlocuteur des autorités de tutelle. giques en sont définitives – d’annoncer à tort une surdi-
té qui n’existe pas que de retarder de quelques semaines
Les maternités et réanimations médicales sont en- voire quelques mois le diagnostic d’une surdité réelle ;
suite équipées des outils nécessaires au dépistage, le per- – le nombre d’enfants sortant de la maternité alors que
sonnel est formé, la centralisation des informations une persiste un doute doit être réduit au minimum ; de l’ordre
fois le dépistage effectué est organisée ainsi que le « pis- de 1 % dans les centres compétents, il ne doit jamais dé-
tage » des enfants douteux, afin d’éviter tout « perdu de passer les 3 % au risque de saturer le circuit d’aval et
vue » après la sortie de la maternité et faire en sorte qu’il laisser les parents dans une intolérable, angoissante et
soit obligatoirement pris en charge par le centre référent. insupportable incertitude ;
– le nombre de « perdus de vue » parmi les enfants douteux
Selon les régions, le référent médical est le plus sou- quant à la présence des signes de l’audition doit être de
vent un médecin oto-rhino-laryngologiste (ORL), un pé- l’ordre de 0 car, dans cette population sortant de la mater-
diatre ou un gynéco-obstétricien ; en maternité, le dépis- nité, se trouvent d’authentiques enfants malentendants.
tage est réalisé par les sages-femmes, les puéricultrices,
le personnel infirmier, les orthophonistes voire tout per- Dépister, pour quels résultats ?
sonnel médical ou paramédical volontaire et formé. Pour
exemple, la fig. 1 rapporte la démarche retenue en Cham- À un niveau régional et pour exemple, sont rapportés
pagne-Ardenne, premier dépistage systématique ayant dans la fig. 3 les résultats obtenus en Champagne-Ardenne
été organisé à l’échelon d’une région dès janvier 2004. au cours des 10 premières années de dépistage, et les
quatre points suivants sont à retenir :9-11
Les moyens de transmission des résultats des tests, des – le dépistage est réellement systématique depuis 2004 à
maternités et réanimations médicales vers les centres ré- l’échelon de la région ;
férents sont ensuite arrêtés. Le plus souvent, on ajoute au – seules 1 % des familles quittant les maternités cham-
carton de Guthrie les résultats binaires, « + » ou « - », des pardennaises ne sont pas « rassurées » par le test, mais
tests obtenus par otoémissions et/ou PEA ainsi que elles sont prises en charge dans les 15 jours pour un
l’autorisation parentale de les avoir effectués (fig. 2). nouveau test ;
– 165 000 nouveau-nés ont été à ce jour dépistés, ce qui a
Le centre, une fois informé, doit ensuite et impérati- permis aussi de sensibiliser au problème de l’audition
vement « pister » les enfants « -/- »* afin qu’ils soient pris leurs parents et grands-parents, soit 700 000 personnes au
en charge dans les 15 jours par un praticien le plus sou- total, ce qui représente 75 % de la population régionale ;
vent ORL, ailleurs pédiatre, les faisant ainsi sortir de la – secondairement, 116 diagnostics de surdité bilatérale
phase de dépistage pour entrer dans celle du diagnostic moyenne à profonde ont été portés en moyenne à 3,5 mois
et de la prise en charge. d’âge, représentant un taux de 0,08 % des enfants nés sur
le territoire régional ;
La formation des équipes est indispensable au succès
d’un dépistage réussi et non délétère, en particulier sans
traumatisme psychologique chez les parents, en insistant
sur les points suivants :
– le dépistage en maternité a pour but de rechercher les
nouveau-nés suspects de surdité ; le diagnostic d’une

Figure 2. Résultats des tests * -/- : - oreille droite
de détection des otoémissions / - oreille gauche.
et d’enregistrement des potentiels
évoqués auditifs. L’opérateur inscrit
« + » si les signes d’audition sont détectés,
« – » dans le cas contraire. La fiche est
adressée au centre référent. OD : oreille droite ;
OG : oreille gauche ; OE : otoémissions ;
PEA : potentiels évoqués auditifs.

Vol. 68 _ Octobre 2018 859

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SURDITÉ DE L'ENFANT

160 196 nouveau-nés 2 % pour 7 d’entre elles, 3 % pour 2 régions et enfin supé-
rieurs à 5 % pour 3 régions ;
158 666 tests réalisés et envoyés au centre référent – le suivi des enfants après la sortie de la maternité n’est
excellent que dans 6 régions où 99 % des enfants sont
99,04 % des nouveau-nés ont été dépistés suivis jusqu’au diagnostic alors que 5 régions ont des
résultats inférieurs à 96 %. Par ailleurs, dans 1 région
143 987 + 13 083 +/– 1 596 –/– sur 2, les enfants non testés avant la sortie de la maternité
(90,75 %) (8,25 %) (1 %) ne sont ni reconvoqués ni comptabilisés comme perdus
de vue ; le taux de perdus de vue est donc bien supérieur
Figure 3. Résultats du dépistage de la surdité à la naissance en Champagne-ArdenneTsunami à celui affiché ;
du 15 janvier 2004 au 15 janvier 2014. – l’incidence de la surdité bilatérale moyenne à profonde
Le dépistage est bien systématique puisque plus de 99 % des enfants nés sur le territoire régional ont dans les 17 régions qui ont pu fournir un résultat est
été dépistés. À la sortie de la maternité, seuls 1 % des enfants nés sont suspects de surdité bilatérale, anormalement faible pour 2 régions sur 3 : entre 0,03 et
c’est-à-dire qu’aucune otoémission et aucun potentiel évoqué auditif n’ont pu être recueillis, et ce de 0,07 % dans 11 régions et seulement le résultat attendu
façon bilatérale. Le faible nombre de ces enfants permet leur prise en charge par le praticien référent d’environ 0,1 % dans 6 régions.
de la clinique dans un délai raisonnable de 15 jours. Parmi les 1 596 enfants suspects à la sortie de la
maternité, 116 diagnostics de surdité seront portés dans les 3 mois qui suivent, soit un taux de 0,073 % LE MÉDECIN GÉNÉRALISTE A UN RÔLE CLÉ
parmi les enfants nés.
Indiscutablement, la France avait un sérieux retard en
– en 10 ans d’expérience, mis à part les exceptionnels matière de dépistage de la surdité à la naissance compa-
« refus du dépistage », aucune famille n’a exprimé ou rativement à de très nombreux autres pays. Cela était dû,
manifesté un quelconque mécontentement vis-à-vis du en partie, à la confusion trop longtemps faite par les mé-
dépistage. dias ou diaboliquement utilisée par les politiques, entre
l’action de dépistage et celle de la prise en charge théra-
Au niveau national, une analyse vient d’être réalisée peutique.
au CHU de Rouen, organisateur du dépistage en Haute-
Normandie, auprès des 21 centres des anciennes régions Par la loi du 4 mai 2012 obligeant l’organisation du
administratives métropolitaines françaises. Les résultats dépistage à l’échelon national et sous la responsabilité
présentés en septembre 2017 devant la Société française des ARS, la France s’est dotée des moyens légaux de
d’audiologie sont les suivants :12 rattraper son retard.
– parmi les 21 régions, l’une n’a pas répondu ni fourni de
résultats et une autre n’a aucune traçabilité de son Si pour l’heure, ce dépistage est quasiment effectué
dépistage ; sur l’ensemble de notre territoire, il n’y est pas encore
– le dépistage est systématique depuis plus de 10 ans dans systématique et il reste imparfait dans bon nombre de
3 régions : la Champagne-Ardenne, la Haute-Normandie régions. Si les étapes sont effectuées de façon satisfai-
et l’Alsace. Dans 4 régions, il est effectué depuis 4 ans au sante sur les plans qualitatif et quantitatif en maternité
moins. Enfin, dans 7 régions, il est n’effectif que depuis grâce à l’enthousiasme et à la bonne volonté de la plupart
2015 et pour 6 autres que depuis 2016 ; du personnel de santé, d’importants problèmes de suivi
– dans 19 régions, pour 700 000 naissances recensées, des nouveau-nés et de leurs parents surgissent dès la
17 parviennent à dépister au moins 96 % des enfants nés sortie : difficultés à trouver des spécialistes et du person-
sur leur territoire, mais pour l’une seulement 92 % et nel pour effectuer l’étape diagnostique, nombreux en-
pour la dernière moins de 90 % ; fants perdus de vue et, ainsi, nombreux parents laissés
– lors du retour à domicile, les pourcentages d’enfants à leurs angoisses et incertitudes. Quinze régions fran-
suspects sont inférieurs à 1 % pour 6 régions, entre 1 et çaises sur 21 ont une traçabilité insatisfaisante voire
inexistante après la sortie de la maternité…
860 Vol. 68 _ Octobre 2018
Par ailleurs, la fusion administrative d’un certain
nombre de régions pourrait compliquer la donne sans
compter que le financement du personnel impliqué dans
les réseaux de dépistage de certaines régions n’est pas
pérenne.

Et pourtant, aucune région française ne fait état
d’une quelconque opposition à la réalisation du dépistage
en maternité, ni, dans l’immense majorité, aucun parent.

Le médecin traitant a donc un rôle clé au cœur de ce
dispositif pour s’assurer que le dépistage a bien été
effectué chez tous les nouveau-nés dont il a la charge et
aider les « perdus de vue » et leurs parents en les guidant
vers les structures habilitées à effectuer la démarche
diagnostique ou au moins en les orientant vers son ORL
ou son pédiatre correspondant. V

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SURDITÉ DE L'ENFANT

RÉSUMÉ ÉPIDÉMIOLOGIE ET DÉPISTAGE TsunamiRÉFÉRENCES
DE LA SURDITÉ DE L’ENFANT
1. Wilson JMG, Jungner G. Principles and practice of screening for disease.
L’intérêt d’un dépistage systématique de la surdité à la naissance n’est plus discuté ; World Health Organization 1968:1-163.
1 enfant sur 1 000 naît malentendant. La France, en retard dans ce domaine, a rendu
ce dépistage obligatoire en avril 2012, confiant aux agences régionales de santé le 2. Thompson DC, McPhillips H, Davis RL, Lieu TL, Homer CJ, Helfand
soin de l’organiser dans un délai de deux ans. Théoriquement donc, dans toutes les M. Universal newborn hearing screening: summary of evidence. JAMA
maternités françaises, des signes de l’audition sont recherchés chez tous les nouveau- 2001;286:2000-10.
nés à l’aide de la détection des otoémissions acoustiques ou de l’enregistrement des
potentiels évoqués auditifs. Les enfants suspects sont alors adressés rapidement au 3. Chays A. Éthique et surdité de l’enfant. In : Éthique et recherche
centre référent de la maternité, centre chargé de confirmer l’éventuelle surdité, puis biomédicale. Rapport 2008 du Comité consultatif national d’éthique
de la qualifier et de la quantifier. L’article fait le point quant à l’organisation de ce 2008:107-28.
dépistage et ses résultats sur le territoire national en 2018, et rappelle le rôle primordial
du médecin traitant prenant en charge les nourrissons et en mesure de vérifier si ce 4. Levêque M, Schmidt P, Leroux B, et al. Universal newborn hearing
dépistage a bien été effectué. screening: a 27- month experience in the French region of Champagne-
Ardenne. Acta Paediatrica 2007;96:1150-4.
SUMMARY EPIDEMIOLOGY AND NEWBORNS
UNIVERSAL HEARING SCREENING 5. Schmidt P, Levêque M, Danvin JB, Leroux B, Chays A. Dépistage auditif
néonatal systématique en région Champagne-Ardenne : à propos de
The value and benefits of newborns’ systematic hearing screening is no longer debated; 30 500 naissances en deux années d’expérience. Ann Otolaryngol Chir
one in a thousand children is born deaf. France, being behind in this field, made this Cervicofac 2007;124:157-65.
screening mandatory in April 2012, giving to the Regional Health Agencies the duty
and care to organise this screening within a period of two years. Therefore, theoretically, 6. Kolski C, Le Driant B, Lorenzo P, Vendromme L, Strunski V. Early hearing
in all French maternities, hearing signs are sought in all newborns using the detection screening: what is the best strategy? Int J Pediatr Otorhinolaryngol
of otoacoustic emissions or the recording of auditory evoked potentials. Suspected 2007;71:1055-60.
children are then sent promptly to the referring center of the maternity, which will be
responsible for confirming the possible deafness and, subsequently, qualifying and 7. Lutman ME. Reliable identification of click-evoked otoacoustic emissions
quantifying it. The article takes stock of the organisation of this screening process and using signal-processing techniques. Br J Audiol 1993;27:103-8.
its results in France in 2018. It is, especially, a reminder of the key role of the general
practitioner who is taking care of infants and who is also able to verify if this screening 8. Herrmann BS, Thornton AR, Joseph JM. Automated infant hearing screening
has been performed. using the ABR: development and validation. Am J Audiol 1995;4:6-14.

MOTS-CLÉS 9. Langagne T, Schmidt P, Levêque M, Chays A. Dépistage auditif
surdité, dépistage, nouveau-nés. systématique en région Champagne-Ardenne : résultats et réflexion à
propos des 55 000 enfants nés entre janvier 2004 et juin 2007. Rev
KEYWORDS Laryngol Otol Rhinol 2008;129:153-8.
newborns hearing screening, deafness, children.
10. Langagne T, Levêque M, Schmidt P, Chays A. Universal newborn hearing
screening in the Champagne-Ardenne region: a 4-year follow-up after
early diagnosis of hearing impairment. Int J Pediatr Otorhinolaryngol
2010;74:1164-70.

11. Chays A, Labrousse M, Makeieff M. Dépistage systématique de la surdité
à la naissance : résultats et enseignements au terme de 10 ans de
pratique en Champagne-Ardenne. Bull Acad Natl Med 2014;198:781-96.

12. Caluraud S, Marcolla-Bouchetemblé A, de Barros A, Lerosey Y. Newborn
hearing screening: analysis and outcomes after 100.000 births in Upper-
Normandy French region. Int J Pediatr Otorhinolaryngol 2015;79:829-33.

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SURDITÉ DE L'ENFANT

Démarche diagnostique devant une surdité de l’enfant

La priorité doit être donnée
au développement du langage

NATACHA TEISSIER Différentes circonstances peuvent conduire à la À plus de 5 ans, l’examen se déroule comme chez
Service de chirurgie découverte d’une surdité chez l’enfant : dépis- l’adulte au casque en conduction aérienne et à l’aide d’un
ORL et cervicofaciale, tage néonatal, doute parental, suivi scolaire, vibrateur mastoïdien pour tester en conduction osseuse.
hôpital Robert-Debré, examen systématique… Une fois établie, il faut La différence entre le seuil auditif en conduction osseuse
Paris, France en évaluer la sévérité, la caractériser en tant que surdité et aérienne définit la surdité de transmission. La baisse
natacha.teissier de transmission (correspondant à une pathologie de du seuil auditif en conduction osseuse définit la surdité
@aphp.fr l’oreille externe ou moyenne) ou surdité de perception (at- de perception.
teinte neurosensorielle de l’oreille interne) puis identifier
N. Tessier déclare sa cause, laquelle conditionne la suite de la prise en charge Audiométrie vocale
avoir été prise en tant au plan oto-rhino-laryngé (ORL) que général. L’enfant doit répéter des phonèmes (syllabes, mots ou
charge lors de congrès phrases) émis par l’opérateur ou par un CD et transmis
par Advanced Bionics La surdité de l’enfant est ainsi un vaste sujet que nous à différentes intensités au casque ou en champ libre
et Nucleus. ne pouvons aborder ici que schématiquement. selon l’âge.
Test d’intelligibilité : l’enfant doit répéter une liste de
Évaluation de la perte auditive 10 mots. On établit ainsi les seuils de discrimination
(100 % des mots corrects) et d’intelligibilité (50 %).
Audiométrie subjective Test d’images : l’enfant doit désigner une série d’images
Tonale ou vocale, elle doit être adaptée à l’âge, au compor- Test phonétique de Lafon : l’enfant doit répéter une
tement et à d’éventuels troubles neurologiques associés. liste de mots de 3 phonèmes chacun, émis à un niveau de
Tsunami voix faible (40 dB), moyen (55 dB) ou fort (70 dB). Ce test
Audiométrie tonale est plus fin que le test d’intelligibilité, car il permet d’ap-
précier plus finement les confusions phonétiques.
Avant 1 an, on ne peut qu’étudier les réactions de l’enfant
Audiométrie objective
vis-à-vis de sons purs ou complexes tels que les jouets Les techniques d’audiométrie objective permettent
d’évaluer le seuil auditif quand le jeune âge ou l’état
calibrés de Moatti, les clochettes, les cymbales... neurologique de l’enfant ne lui permet pas de participer.
Les otoémissions acoustiques constituent un bon test
De 1 à 3 ans, on utilise le réflexe d’orientation condi- de dépistage mais ne peuvent constituer un test de
certitude. Elles permettent, quand elles sont présentes,
tionnée (ROC). L’enfant est conditionné à orienter sa tête d’affirmer que le seuil auditif est inférieur à 30-35 dB
mais, absentes, ne préjugent pas d’une éventuelle at-
vers une source sonore placée près d’une niche contenant teinte neurosensorielle.
Les potentiels évoqués auditifs évaluent le seuil auditif
un objet ludique (peluche, etc.) que l’on illumine simul- sur les fréquences aiguës (2 000-4 000 Hz) mais nécessitent
du temps et un enfant calme, voire endormi.
tanément à l’envoi d’un son. Cet éclairage devient alors
Depuis quelques années, les ASSR (auditory steady
une récompense. En utilisant des stimulations de fré- state response) permettent d’effectuer un audiogramme
objectif, fréquence par fréquence, mais sont encore peu
quences différentes et d’intensités de plus en plus faibles, diffusés.

on recherche la réaction synchrone et répétée au stimu- Au terme de ce bilan, le seuil auditif est défini soit
directement, tel que le seuil obtenu pour les potentiels
lus. Ce test est fait sans évoqués auditifs, soit par le calcul de la moyenne des
seuils obtenus sur les fréquences 500, 1 000, 2 000 et 4 000
CLASSIFICATION DE LA SURDITÉ EN FONCTION casque permettant de tes- Hz à l’audiogramme. Cela permet ensuite de classer la
DE L’IMPORTANCE DE LA PERTE AUDITIVE ter les oreilles séparément, surdité en fonction de sa sévérité (tableau 1).
il ne teste donc que la meil-

Audition normale 0-20 dB leure oreille.
Entre 3 et 5 ans, l’enfant

Surdité légère 20-40 dB est testé par un « peep-show »
(en champ libre par haut-

Surdité moyenne 40-70 dB parleur ou au casque).
Quand il entend le signal,

Surdité sévère 70-90 dB il appuie sur une touche
qui déclenche une récom-

Surdité profonde > 90 dB pense telle que la mise en
Tableau 1. route d’un train électrique
ou d’une vidéo.

862 Vol. 68 _ Octobre 2018

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SURDITÉ DE L'ENFANT

Identifier une cause (fig. 1). La surdité peut atteindre 60-70 dB. Cette mal­
formation peut être isolée ou entrer dans le cadre d’un
Orientée par les résultats audiométriques qui permettent syndrome malformatif dont les trois principaux sont :
de définir s’il s’agit d’une surdité de transmission ou – le syndrome otomandibulaire avec hypoplasie mandi-
d’une surdité de perception, l’enquête étiologique com- bulaire ;
prend un examen clinique du pavillon et du tympan puis – le syndrome de Franceschetti ou Treacher-Collins
crânio-facial. En fonction des éléments recueillis, le bilan (1 nouveau-né sur 50 000 [www.orpha.net]), associant de
paraclinique fait appel à des examens d’imagerie, un façon bilatérale hypoplasie des branches montantes
électrocardiogramme (ECG), des tests urinaires ou en- mandibulaires et des os malaires, obliquité des fentes
core un avis génétique (tableaux 2 et 3). palpébrales, colobome palpébral inférieur, parfois fente
vélopalatine ;
En cas de surdité de transmission – le syndrome de Goldenhar ou dysplasie facio-auriculo-
Une surdité de transmission peut être la conséquence d’une vertébrale associant hypoplasie mandibulaire, macro­
malformation du pavillon, du conduit auditif externe, stomie, malformation vertébrale, kyste épibulbaire,
d’une pathologie du tympan et/ou de l’oreille moyenne. paralysie du voile, paralysie faciale.

Malformation du pavillon de l’oreille Devant une malformation du pavillon, il faut donc
Une malformation du pavillon évoque une aplasie ma- effectuer un examen ophtalmologique, une radiographie
jeure associant dans sa forme complète une agénésie du du rachis cervical, un ECG et une échographie cardiaque,
conduit auditif externe et une malformation des osselets et une échographie rénale.

BILAN COMPLÉMENTAIRE DEVANT UNE SURDITÉ Tsunami ÉLÉMENTS D’INTERROGATOIRE ET CLINIQUES
DE PERCEPTION DE LA CONSULTATION INITIALE DEVANT UNE SURDITÉ DE PERCEPTION

Oto-rhino- ❚ Audiogramme (± famille, fratrie) Antécédents personnels
laryngé ❚ PEA/ASSR
❚ Otoémissions acoustiques ❚ Terme, poids de naissance
❚ Examen vestibulaire ❚ Incident en période néonatale (hypoxie, hyperbilirubinémie, séjour en réanimation, CEC)
❚ Traumatismes crâniens, fracture du rocher, fracture de la base du crâne, contusion
Radiologique ❚ Tomodensitométrie des rochers sévère ; traitements ototoxiques
❚ IRM cérébrales, du tronc cérébral ❚ Infections materno-fœtales (toxoplasmose, rubéole, CMV, syphilis), infections
et du paquet cochléo-vestibulaire postnatales associées à des surdités (méningite, herpès, varicelle), VIH
❚ Chimiothérapie
Ophtalmologie ❚ Examen ophtalmologique avec fond d’œil ❚ Évocateurs d’une atteinte génétique syndromique : yeux, thyroïde, rein, cœur, fente
❚ Électrorétinogramme vélopalatine…
❚ Évocateurs d’une surdité mitochondriale : myopathie, neuropathie, cardiomyopathie,
Cardiologique ❚ Électrocardiogramme dégénérescence rétinienne, diabète sucré et surdité

Néphrologique ❚ Bandelette urinaire (protéinurie, Antécédents familiaux de surdité avant 40 ans
hématurie)
❚ Autre anomalie héréditaire (syndrome)
Génétique ❚ Consultation ❚ Arbre généalogique
❚ Consanguinité
Anté-/périnatal ❚ Cytomégalovirus (Guthrie)
Âge de la marche
Orthophoniste
❚ > 2 ans : atteinte vestibulaire
Psychologue
Examen ORL
Prise en charge ❚ Pose d’aérateurs transtympaniques
❚ Appareillage auditif ❚ Éliminer une otite séreuse à l’otoscopie
❚ Implantation cochléaire
❚ Vaccination (pneumocoque, Examen général
Haemophilus)
❚ Dyschromie des yeux, de la peau ou des phanères, fistule ou enchondrome cervical,
Tableau 2. PEA : potentiels évoqués auditifs ; ASSR : auditory steady anomalie des pavillons de l’oreille, malformation des extrémités…
state response ; IRM : imagerie par résonance magnétique.
Tableau 3. D’après la réf. 14. CEC : circulation extracorporelle ; CMV : cytomégalovirus ;
ORL : oto-rhino-laryngé ; VIH : virus de l’immunodéficience humaine.

Vol. 68 _ Octobre 2018 863

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SURDITÉ DE L'ENFANT

Surdité de causes extrinsèques
Elles concernent 20 à 30 % des surdités de perception et
peuvent être congénitales ou acquises.

Figure 1. Aplasie majeure chez une jeune fille. TsunamiLes surdités congénitales virales ou bactériennes
Cytomégalovirus. L’infection congénitale par le cyto­
Pathologies du tympan et/ou de l’oreille moyenne mégalovirus (CMV) concerne de 0,5 à 1 % des grossesses
L’otoscopie permet d’identifier aisément une otite séreuse, et serait responsable de 1 surdité sur 2 000 naissances.
une perforation du tympan, une tympanosclérose, une L’expression et le profil évolutif de la surdité sont corrélés
poche de rétraction tympanique, voire un cholestéatome. à la charge virale et au mode de présentation, sympto-
matique (retard de croissance, microcéphalie, ictère
Si le tympan est normal, il faut évoquer une aplasie néonatal, pétéchies, lésions intracérébrales ou diges-
mineure correspondant à une malformation ou à une tives – le risque de surdité y est de 33 %) ou asymptoma-
lyse ossiculaire consécutive à une otite chronique, ce que tique (le risque de surdité est de 10 %).
confirme une tomodensitométrie des rochers. Devant
une opacité de l’oreille moyenne à la tomodensitométrie L’immunisation préalable de la mère contre le CMV
et un hypersignal sur l’imagerie par résonance magné- ne confère pas une protection efficace contre le virus. En
tique (IRM) avec séquence de diffusion, on évoque un effet, faute d’immunité croisée, la mère peut être en
cholestéatome. contact avec un nouveau sérotype en cours de grossesse
ou présenter une réactivation virale.
En cas de surdité de perception
Trois grandes causes doivent être recherchées (tableaux 2, La responsabilité du CMV ne peut s'affirmer unique-
3 et fig. 2). ment sur la sérologie ; celle-ci n'a de valeur que si négative
pour infirmer son rôle. Elle repose alors habituellement
Surdités génétiques sur la recherche du virus par polymerase chain reaction
Cinquante à 60 % des surdités de perception de l’enfant (PCR) (tableau 6) :
seraient d’origine génétique. On en distingue trois types. – chez l’enfant de moins de 3 semaines, dans les urines,
Les surdités non syndromiques isolées. La mutation de la salive ou le sang, elle confirme la nature congénitale
la connexine 26 (gène GJB2), responsable de 50 % des sur- de l'infection ;
dités non syndromiques récessives et de 30-40 % des surdi- – entre 3 semaines et 2 ans, si la recherche de CMV dans
tés de perception génétiques entraîne une surdité congéni- la salive ou les urines1 est positive ou si l’on possède
tale, peu ou pas progressive ; l’imagerie est normale. des arguments en faveur de la responsabilité du virus,
D’autres connexines peuvent être incriminées 30, 31. La mu- la recherche du CMV sur Guthrie peut être demandée
tation de l’otoferline (gène OTOF) est responsable d’une pour rechercher la présence du virus dans les premiers
surdité de perception isolée par neuropathie auditive. jours confirmant ainsi l'infection anténatale. Cet exa-
Les surdités non syndromiques avec malformation de men peut cependant être pris en défaut chez les enfants
l’oreille interne. Le syndrome de « surdité mixte liée à l’X asymptomatiques à la naissance et/ou de faible charge
avec geyser-labyrinthe » associe une surdité, moyenne à virale ;:
sévère, une ectasie du conduit auditif interne et une mal- – au-delà de 2 ans, il est souvent impossible d’imputer
formation cochléaire. Le gène responsable de cette forme la responsabilité d’une surdité de perception au CMV.
rare de surdité a été identifié, facteur de transcription Rubéole. Depuis la vaccination systématique des jeunes
POU3F4. D’autres malformations d’origine toxique (thali- filles en France, l’incidence de cette infection virale en
domide, vitamine A) consistent en une dilatation de l’aque- cours de grossesse a fortement chuté. Il convient d’évo-
duc du vestibule, ou une hypoplasie/dilatation cochléaire quer cette cause lorsque coexistent cardiopathie, at-
et/ou vestibulaire comme dans la dysplasie de Mondini. Il teintes ophtalmologiques, microcéphalies, anomalies
peut ici exister une communication anormale entre les li- dentaires, retards de croissance ou mental.
quides périlymphatique et cérébrospinal, justifiant une
vaccination anti-Haemophilus et anti-pneumococcique. Une étude a montré que la surdité de perception qui
en résulte ne touche pas de fréquence préférentielle, elle
Les surdités syndromiques dont les principales peut être bilatérale, parfois asymétrique et est habituel-
causes et les atteintes du principal autre organe cible lement stable dans le temps.3
sont décrites dans les tableaux 4 et 5. Herpès simplex virus 1 et 2 (HSV). Contrairement à
la forte incidence des infections maternelles (les anti-
corps sont retrouvés positifs chez 30 % des femmes en-
ceintes), l’infection in utero et néonatale, le plus souvent
par HSV2, reste peu fréquente. Elle est associée à un
risque de surdité de perception congénitale perma-
nente, de survenue secondaire ou progressive4 et serait
davantage la conséquence de la prématurité ou de
l’asphyxie/hypoxie que du virus lui-même.

864 Vol. 68 _ Octobre 2018

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SURDITÉ DE L'ENFANT

50 % TsunamiPrématurité, ictère néonatal Pigmentation :
environnementale Méningite syndrome de Waardenburg
Tête, cou : syndrome BOR, syndrome
Surdité de Infection congénitale
perception (cytomégalovirus, rubéole) de Treacher-Collins
Ototoxicité, traumatisme Rein : syndrome d'Alport,
50 %
génétique 30 % syndromique syndrome BOR
Yeux :
70 % isolée
syndrome d'Usher
Cœur :

syndrome de Jervell et Lange-Nielsen
Thyroïde :

syndrome de Pendred
80 % autosomique récessive :

DFNB1-DFNB30
15 % autosomique dominante :

DFNA2, DFNA9
1 % liée à l'X

Mitochondriale

Figure 2. Répartition des principales causes de surdité de perception. BOR : branchio-oto-rénal.

Vol. 68 _ Octobre 2018 865

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SURDITÉ DE L'ENFANT

Toxoplasmose. En France, l’incidence de la séroconver- Tsunamiailleurs, la rougeole est responsable d’une forte inci-
sion à la bactérie Toxoplasma gondii en cours de gros- dence d’otites moyennes aiguës responsables d’une
sesse est estimée à 1,9/1 000 femmes.5 Le risque de passage surdité de transmission surajoutée. Dans la majorité
transplacentaire précoce est estimé entre 30 et 50 %. La des pays développés, la surdité a quasiment disparu :
surdité peut concerner 28 % des enfants infectés non 0,9 cas/100 000 dans les pays où la couverture vaccinale
traités, alors qu’elle peut être évitée si le traitement est est d’au moins 90 %.7
pris de manière rigoureuse pendant 1 an. Varicelle et zona. Le virus habituellement quiescent
Syphilis. Le passage transplacentaire du Treponema au sein des nerfs peut se réactiver à l’occasion d’une im-
pallidum est d’autant plus fréquent que la syphilis est munodépression. Lorsque celle-ci survient au sein du
primaire ou secondaire précoce mais n’est possible qu’à ganglion géniculé, provoquant une éruption de la zone
partir du 5e mois de grossesse. L’atteinte congénitale peut de Ramsay-Hunt et une paralysie faciale, il peut exister
être parlante (pemphigus palmo-plantaire, syphilides une diffusion virale vers le nerf cochléo-vestibulaire à
érythémato-pultacées, ostéochondrite des coudes, etc.), l’origine d’un vertige ou d’une surdité de perception
se caractériser par la classique triade de Hutchinson brusque, légère à modérée. La récupération auditive est
(kératite interstitielle, anomalies dentaires et surdité) souvent meilleure que la récupération faciale sous trai-
ou ne se traduire que par la surdité. Un traitement pré- tement antiviral et corticoïdes. La perte auditive des
coce peut prévenir l’installation d’une surdité. Excep- fréquences conversationnelles est de mauvais pronostic
tionnellement chez l’enfant, la syphilis peut être acquise. alors que la perte des hautes fréquences est souvent as-
sociée à une récupération complète.8
Les surdités acquises post-natales Virus de l’immunodéficience humaine (VIH). La sur-
Plusieurs causes peuvent être incriminées. dité peut revêtir tous les aspects : unilatérale ou bilatérale,
progressive ou brusque, de transmission, de perception
Causes périnatales ou mixte. De plus, elle peut être liée au virus lui-même ou
De nombreux facteurs de risque sont établis : séjour de plus aux atteintes opportunistes (CMV, syphilis, tuberculose,
de 5 jours en réanimation néonatale en particulier chez les méningite à cryptocoques) ou à leur traitement oto-
enfants ayant un poids inférieur 1 500 g, une asphyxie néo- toxique : il est donc parfois difficile d’identifier le facteur
natale ou un score d’APGAR à 5 minutes inférieur à 4 ou causal de la surdité. Il semble que les atteintes cochléo-
sous ventilation mécanique prolongée à haute fréquence ; vestibulaires augmentent avec la durée d’infection par le
traitements ototoxiques ou par diurétiques de l’anse, en- VIH, le taux bas de lymphocytes CD4 et la charge virale ;
céphalopathie hypoxique, échange transfusionnel pour la prévention de la surdité passe par un contrôle de la
hyperbilirubinémie (la surdité est de type neuropathie au- maladie par un traitement antiviral.
ditive, la photothérapie intensive diminue les séquelles).
Causes bactériennes
Causes virales Méningites. La surdité est une complication reconnue
Oreillons. Après une incubation de 18 à 21 jours, le des méningites bactériennes (pneumocoque, Haemophi-
paramyxovirus ourlien se manifeste cliniquement par lus influenzae, méningocoque). Elle est consécutive soit
une phase de prodromes (céphalées, fatigue, myalgies et à une labyrinthite séreuse ou toxique, soit à une throm-
fièvre) suivie par une parotidite uni- ou bilatérale précé- bophlébite, à un embole des vaisseaux labyrinthiques ou
dée d’otalgie, plus rarement par une orchite (2 ‰) ou une encore à une hypoxie/anoxie du nerf cochléo-vestibu-
pancréatite (0,4 ‰) ; cependant, l’infection peut passer laire et des voies auditives centrales.7 La surdité survient
inaperçue dans 20 à 30 % des cas. en moyenne dans les 3 mois qui suivent la méningite10
justifiant une surveillance de l’audition rapprochée du-
L’incidence de la surdité de perception après oreil- rant cette période. La particularité de cette cause est
lons est estimée entre 1/1 000 et 1/30 000.6 Elle est habi- qu’elle entraîne une ossification de la cochlée dans un
tuellement unilatérale et réversible mais peut être sévère délai de 4 à 8 semaines. Devant l’apparition d’une surdi-
et permanente. Son incidence a diminué depuis la vacci- té de perception post-méningitique, une imagerie de
nation systématique des nourrissons. l’oreille interne doit donc être effectuée par tomodensi-
Rougeole. La rougeole est liée elle aussi à un pa- tométrie pour montrer une éventuelle ossification mais
ramyxovirus à simple brin d’ARN encapsulé. L’infec- idéalement par une IRM recherchant une disparition du
tion se caractérise par un syndrome pseudogrippal de signal liquidien en séquences T2 évoquant une fibrose
3 à 4 jours. Deux semaines plus tard débute une éruption débutante. L’IRM permet aussi d’évaluer les éventuelles
cutanée maculopapuleuse d’une dizaine de jours ; le atteintes centrales consécutives à la méningite. Ces deux
signe de Koplik au niveau de la muqueuse buccale est examens sont donc complémentaires. Une surdité de
pathognomonique. La surdité de perception est une perception sévère ou profonde bilatérale constitue ac-
complication classique de la rougeole : elle correspon- tuellement une indication reconnue d’implantation bi-
dait à 5 à 10 % des surdités profondes avant la vacci­ latérale rapide, compte tenu du risque d’évolution vers
nation, était alors souvent bilatérale, modérée à pro- une labyrinthite ossifiante.
fonde, et pouvait faire suite à une encéphalite. Par

866 Vol. 68 _ Octobre 2018

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SURDITÉ DE L'ENFANT

PRINCIPAUX SYNDROMES ASSOCIANT UNE SURDITÉ ET UNE ATTEINTE D’UN ORGANE CIBLE PARTICULIER

Organe* Syndrome Atteintes associées Anomalie génétique

Œil Usher ❚ SP profonde congénitale ou moyenne/sévère progressive Type 1 (MYO7A, USH1C, CDH23, PCDH15, USH1G)
❚ Troubles de l’équilibre Type 2 (USH2A, GPR98, DFNB31)
❚ Rétinite pigmentaire (évolution progressive vers cécité dans type 1) Type 3 (CLRN1)

Rein Alport ❚ SP progressive Transmission dominante liée à l’X
❚ Glomérulopathie (protéinurie) (dans 4 cas sur 5)

Peau Waardenburg ❚ Mèches blanches, cheveux blancs précoces PAX3 (transmission autosomique dominante
❚ Yeux vairons ou très bleus à pénétrance variable)
❚ Taches cutanées ou rétiniennes
❚ Dystopie canthale

Cœur Jervell ❚ SP congénitale KVLQT1/IsK (autosomique récessive)
et Lange-Nielsen ❚ Troubles de l’équilibre
❚ Troubles du rythme cardiaque (QT long)

Peau Neurofibromatose ❚ Taches cutanées café au lait NF2 (autosomique dominante)
de type II ❚ Neurofibromes cutanés

❚ SP par neurinomes de l’acoustique (souvent bilatéraux)
❚ Tumeurs cérébrales (astrocytomes, méningiomes)Tsunami
❚ Cataracte juvénile

Thyroïde Pendred ❚ SP progressive (malformation cochléaire, dilatation de l’aqueduc Pendrine (SLC26A4)
vestibulaire)
❚ Troubles vestibulaires
❚ Goitre hypothyroïdien, anionique, pendrine

Tableau 4. * En dehors de la surdité de perception (SP).

Maladie de Lyme. Dans cette infection par la bactérie Médicaments ototoxiques. De nombreux médicaments
Borrelia burgdorferi, la survenue d’une surdité est rare peuvent entraîner une atteinte des cellules ciliées
et se manifeste plutôt par une surdité de perception brus- externes : les aminosides, les dérivés du cisplatine, l’éry-
que.11 Le contexte, une éventuelle paralysie faciale asso- thromycine, la vancomycine, le furosémide (diurétiques
ciée justifient la pratique d’une sérologie. de l’anse), la quinine, l’aspirine. Une susceptibilité géné-
Otite moyenne aiguë. Une surdité de perception per- tique aux aminosides liée à la mutation A1555G de l’ADN
manente et irréversible peut être observée dans le cadre mitochondrial a été identifiée : la surdité qui en résulte
d’une labyrinthite aiguë purulente associée ou non à un est de sévérité variable et d’évolution progressive. Par
cholestéatome. ailleurs, il faut être particulièrement vigilant sur un
tympan ouvert et proscrire l’utilisation de gouttes oto-
Traumatismes et toxicité toxiques contentant des aminosides.
Fracture du rocher. Les enfants sont particulièrement
exposés à des fractures des rochers suite à des accidents Surdités auto-immunes et inflammatoires
de la voie publique, de vélo, de skate, ou encore de chute de Cette cause, peu fréquente chez l’enfant, peut être
lits superposés. Selon le siège du trait de fracture, on peut évoquée lorsque la surdité de perception s’inscrit dans
observer une surdité de perception ou de transmission.12 le cadre d’affections telles que le syndrome de Cogan
Traumatisme acoustique. Les jeunes sont particuliè- (kératite interstitielle, surdité, atteinte vestibulaire,
rement exposés à des bruits intenses en raison de l’utili- positivité des anticorps anti-Cogan ou anti-HSP70),
sation de dispositifs musicaux avec écouteurs et des la sarcoïdose, ou la granulomatose de Wegener.
concerts (le volume de sortie qui peut atteindre 120 dB !).
Ces traumatismes sonores sont majorés par l’adminis- La surdité de perception est progressive, bilatérale,
tration d’aminosides, de chimiothérapies, une prédispo- souvent associée à des signes vestibulaires. On constate
sition génétique… La surdité de perception qui en résulte souvent une bonne sensibilité au traitement corticoïde.
affecte les hautes fréquences, réalisant le classique sco- Différents anticorps peuvent être recherchés : anti-
tome sur la fréquence 4 000 Hz. Cogan, anti-connexine 26, anti-DEPA/CD148, anti-
reovirus.13

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SURDITÉ DE L'ENFANT

PRINCIPAUX SYNDROMES ASSOCIANT UNE SURDITÉ ET DES SIGNES CLINIQUES MULTIPLES

Syndrome Signes cliniques Type de surdité Anomalie génétique

Branchio- ❚ Fistules pré-hélicéennes bilatérales ❚ ST 20 % des cas EYA 1
oto-rénal ❚ Fistules cervicales ❚ ST 30 % des cas
(BOR) ❚ Anomalies rénales (hypoplasie, dysplasie ou agénésie rénale ou anomalies de ❚ Mixte 50 % des cas
l’arbre urinaire)

CHARGE ❚ Atrésie choanale bilatérale ❚ SP CHD7
❚ Anomalies oculaires (colobomes) ❚ ou mixte
❚ Anomalies cardiaques (tétralogie de Fallot, persistance du canal artériel, dans 82 % des cas
communication intraventriculaire)
❚ Retard de croissance
❚ Anomalies génitales
❚ Anomalie des nerfs crâniens (VII, VIII)
❚ Malformation des oreilles internes (cochlées, canaux semi-circulaires)
❚ Retard mental

Down ❚ Visage aplati, nuque plate ❚ SP Trisomie 21
❚ Fentes palpébrales obliques ❚ ST (fréquente
❚ Macroglossie otite séreuse,
❚ Mains trapues, pli horizontal de la paume de la mainTsunami conduits étroits)
❚ Anomalies cardiaques : communications interauriculaires, interventriculaires ou ❚ Surdité mixte
auriculoventriculaires
❚ Anomalies oculaires : cataracte ou glaucome congénitaux
❚ Sténose duodénale, maladie de Hirschsprung

Turner ❚ Dysfonctionnement des trompes d’Eustache et vélopalatin ❚ SP X0,45,X/46,XX, 46,Xi(Xq),
❚ Insuffisance aortique ❚ ST XrX
❚ Reins en fer à cheval ❚ Surdité mixte
❚ Pterygium colli

CATCH 22 ❚ Anomalie cardiaque ❚ ST (otite séreuse) Microdélétion 22q11
(Di George) ❚ Dysmorphie faciale ❚ SP (parfois)
❚ Hypoplasie thymique
❚ Fente vélopalatine
❚ Hypoparathyroïdie
❚ Retard mental

Stickler ❚ Syndrome de Pierre-Robin (fente vélopalatine, micrognathie et glossoptose) ❚ ST (otite OL2A1 (12q13.11-q13.2)
❚ Forte myopie séromuqueuse) COL11A1 (1p21)
COL11A2 (6p21.3)

Tableau 5. SP : surdité de perception. ST : surdité de transmission.

EXAMENS PERMETTANT DE DÉPISTER ET DE CONFIRMER UNE INFECTION CONGÉNITALE PAR LE CMV
EN FONCTION DES DIFFÉRENTES TRANCHES D’ÂGE

Naissance (< 3 semaines) De 3 semaines à 2 ans > 2 ans

Dépistage ❚ CMV urines/salive ❚ CMV salivaire jusqu’à 1 an ❚ Sérologie CMV :
❚ CMV urinaire jusqu’à 2 ans si IgG - ➙ diagnostic exclu
Si négatives ➙ diagnostic exclu si IgG + ➙ infection congénitale possible

Confirmation ❚ Charge virale dans le sang PCR CMV sur Guthrie –

Tableau 6. D’après la réf. 15. CMV : cytomégalovirus ; IgG : immunoglobulines de type G ; PCR : polymerase chain reaction.

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SURDITÉ DE L'ENFANT

PRIORITÉ AU DÉVELOPPEMENT DU LANGAGE RÉSUMÉ DÉMARCHE DIAGNOSTIQUE
DEVANT UNE SURDITÉ DE L’ENFANT
L’annonce d’une surdité permanente chez un enfant peut
être perçue comme un traumatisme. Il faut donc être très La découverte d’une surdité chez un enfant doit amener le praticien à entreprendre deux
prudent dans les termes utilisés, savoir renouveler les démarches : d’une part, il doit caractériser celle-ci en tant que surdité de transmission
entretiens et être à l’écoute des parents. Un accompagne- ou de perception, et en apprécier sa sévérité ; d’autre part, il doit essayer d’en établir
ment psychologique peut aider à l’acceptation du diagnos- l’origine, car la prise en charge peut en dépendre. La recherche étiologique repose sur
tic et de ses répercussions. La prise en charge de la perte un examen clinique minutieux et des examens complémentaires orientés en fonction
auditive repose sur la mise en place d’un appareillage, une de celui-ci, de l’histoire clinique et des antécédents non seulement personnels mais
chirurgie ou un implant cochléaire et le soutien orthopho- aussi anténataux. Certes, les causes génétiques sont majoritaires parmi les surdités de
nique. La priorité doit être mise sur le développement du perception, mais il ne faut pas sous-estimer les causes acquises, en particulier la suite
langage, qu’il soit parlé ou signé, et l’insertion dans un d’une infection bactérienne ou virale. Les bilans étiologiques ne doivent cependant pas
projet éducatif adapté. L’identification de la cause peut ralentir la prise en charge qui repose le plus souvent sur un appareillage ou une
permettre de rassurer les parents, donner des éléments chirurgie et un accompagnement orthophonique si nécessaire.
pronostiques tant sur l’évolution que sur la prise en
charge, évaluer le risque de récurrence dans la fratrie et SUMMARY DIAGNOSTIC APPROACH
aider aux choix thérapeutiques. Cependant, les bilans TO CHILD DEAFNESS
étiologiques ne doivent pas ralentir la prise encharge,en
particulierpourlessurditésdeperception; en effet, les tests The identification of a hearing loss in a child must lead the practitioner to take two
génétiques peuvent nécessiter du temps. V initiatives: first, he must characterize it as a conductive or perceptive hearing loss, and
assess its severity; secondly, he must try to establish its origin because the management
MOTS-CLÉS can depend on it. The etiological search relies on a careful physical examination and
surdité de perception, surdité de transmission, enfant, démarche diagnostique. complementary tests oriented on the findings of the latter, the clinical history and not
only personal but also prenatal medical history. Admittedly, genetic causes are
KEYWORDS majoritarian among perception deafness, but acquired causes should not be
conductive hearing loss, perceptive hearing loss, perception deafness, children, underestimated, especially those due to bacterial or viral infections. Etiological
diagnostic approach. assessments should not, however, slow down the management of the hearing loss, which
is often based on hearing aids or surgery and speech therapy when necessary.
Tsunami
RÉFÉRENCES

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SURDITÉ DE L'ENFANT

Implant cochléaire de l’enfant

Sa réussite est indissociable du
travail de rééducation orthophonique

ÉDOUARD L e développement de la communication orale 22  Processeur externe
BOUQUILLON*, chez l’enfant nécessite la perception d’informa- 33 2 Antenne
MARIE-SUZANNE tions auditives pertinentes. À partir de la nais- 3 Implant : partie interne
LE GAC**, sance, les voies auditives centrales s’organisent 1 (aimant + processeur)
BENOIT GODEY*** par des connexions synaptiques qui sont possibles grâce 4 Électrode intra-cochléaire
* Service ORL, aux stimulations venant des organes sensoriels auditifs. Tsunami
CHU de Caen, Ces connexions sont maximales dans les premières an- 44
Caen, France nées de vie grâce à la plasticité cérébrale, qui décroît
** Centre d’action ensuite progressivement. Chez l’enfant sourd, l’absence Figure 1. Schéma de l’implant cochléaire.
médico-social précoce, ou le retard de la réhabilitation auditive compromet cette
Guipavas, France organisation et le développement de la communication La partie implantée n’a pas de source d’énergie
*** Service ORL, orale. Lorsque la surdité est partielle, la réhabilitation propre, elle est activée par la partie externe. Elle com-
CHU de Rennes, auditive repose sur les prothèses auditives dont l’effica- porte un aimant qui permet la connexion avec la partie
France. cité dépend de la capacité de l’oreille à coder les informa- externe, un processeur qui reçoit le signal et le trans-
benoit.godey tions sonores amplifiées. Lorsque la surdité est impor- forme en impulsions électriques. Ces impulsions sont
@chu-rennes.fr tante, l’amplification acoustique n’est plus suffisante, et délivrées à un réseau linéaire d’électrodes placées dans
la réhabilitation auditive par implant cochléaire est la cochlée. Le réseau comporte selon le type d’implant
É. Bouquillon envisagée. Ce dispositif comporte un faisceau d’électro- entre 12 et 22 électrodes qui stimulent les neurones du
et M.-S. Le Gac des placé dans la cochlée et qui stimule les voies audi- ganglion spiral dont les axones forment le nerf cochléaire.
déclarent n'avoir tives. Chaque électrode délivre une stimulation correspondant
aucun lien d'intérêts. à une bande fréquentielle qui a été déterminée par le
B. Godey déclare avoir La première stimulation électrique de la cochlée a processeur externe et qui respecte la tonotopie fréquen-
été pris en charge été réalisée à Paris en 1957, et les implantations sont de- tielle naturelle de la cochlée, les fréquences aiguës étant
lors de congrès par venues de pratique courante depuis les années 1990.1 codées à la base de la cochlée, et les fréquences graves à
MEd-EL. L’expérience clinique montre que l’implant cochléaire l’apex.
permet de délivrer une information suffisamment perti-
nente pour qu’un enfant naissant avec une surdité pro- Quel bilan avant l’implantation ?
fonde congénitale puisse développer une communication
orale satisfaisante. Il est réalisé par l’équipe d’implantation pluridisciplinaire :
– le médecin oto-rhino-laryngologiste (ORL) mesure l’au-
Qu’est-ce qu’un implant cochléaire ? dition et entreprend le bilan étiologique de la surdité,
qui comprend une tomodensitométrie des rochers pour
Il s’agit d’une prothèse implantable captant les informa- éliminer une malformation de l’oreille interne, et une
tions sonores qui sont converties en micro-impulsions imagerie par résonance magnétique (IRM) cérébrale
électriques délivrées dans la cochlée. L’implant pour visualiser des nerfs cochléo-vestibulaires ;
cochléaire est composé d’une partie externe amovible et
d’une partie implantée.

La partie externe comprend un compartiment pour
piles ou batteries rechargeables, un microphone et un
processeur électronique. Le processeur réalise le codage
numérique des informations en découpant le signal en
bandes fréquentielles, chaque bande correspondant au
signal qui est délivré à chaque plot de stimulation placé
dans la cochlée. Il transmet le signal codé à une antenne
aimantée qui envoie le signal sonore et l’énergie à travers
la peau à la partie interne sous forme d’impulsions élec-
tromagnétiques (fig. 1).

870 Vol. 68 _ Octobre 2018

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