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Récits symboliques, les mythes relèvent d'une relation équivoque avec la réalité. [...] L’art s’est emparé depuis leurs origines de ces systèmes de représentations constitutifs de toute culture, et n'a eu de cesse de les éprouver. [...] Les mythes sont peuplés de monstres combattus sans relâche qui font naître les héros; l'histoire de l'art, reprenant la figure héroïque, a engendré un système qui est une réponse universelle à la magie de la création de l’image. Ainsi, depuis la querelle antique entre Zeuxis et Parrhasios, de curieuses coïncidences relient les biographies d'artistes. [...] La figure de l’artiste héroïsé, née avec Giotto, culmine à la Renaissance. Aujourd'hui, avec l'éloignement relatif des conflits et des dictatures, le mythe du héros s'estompe. Dans les années 70, les artistes, ont créé leurs mythologies personnelles (Boltanski, Le Gac, Calle). Le récit “à la première personne” se transmuait en mythe quand leurs œuvres interrogeaient notre propre perception du monde. D'autres comme Kiefer ont revisité constamment la façon dont un pouvoir a pu dévoyer les mythes fondateurs d'une nation. Pour lui, rejouer le salut nazi était une catharsis salutaire (série Besetzungen (Occupations), 1969).

Les mythes, issus des croyances, touchent au sacré, et si la mythologie s’apparente à une religion, qu'en est-il quand l'art moderne revendique son autonomie face aux systèmes de pensée et de pouvoir ? Dans un monde sécularisé, l'art continue de témoigner d'une nécessité irrépressible d'élévation. [...] Alors que, longtemps, le rituel a précédé l’œuvre (je pense d'abord à l'art pariétal), dans la performance contemporaine le phénomène s'inverse. [...] À l'heure de l'hyper connexion (Internet et smartphones), l'humain cherche à faire revivre le passé, l'authentique, le sauvage.

Bertrand Charles

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Published by interface.art, 2018-12-03 08:50:46

horsd'oeuvre n°42 - un numéro mythique

Récits symboliques, les mythes relèvent d'une relation équivoque avec la réalité. [...] L’art s’est emparé depuis leurs origines de ces systèmes de représentations constitutifs de toute culture, et n'a eu de cesse de les éprouver. [...] Les mythes sont peuplés de monstres combattus sans relâche qui font naître les héros; l'histoire de l'art, reprenant la figure héroïque, a engendré un système qui est une réponse universelle à la magie de la création de l’image. Ainsi, depuis la querelle antique entre Zeuxis et Parrhasios, de curieuses coïncidences relient les biographies d'artistes. [...] La figure de l’artiste héroïsé, née avec Giotto, culmine à la Renaissance. Aujourd'hui, avec l'éloignement relatif des conflits et des dictatures, le mythe du héros s'estompe. Dans les années 70, les artistes, ont créé leurs mythologies personnelles (Boltanski, Le Gac, Calle). Le récit “à la première personne” se transmuait en mythe quand leurs œuvres interrogeaient notre propre perception du monde. D'autres comme Kiefer ont revisité constamment la façon dont un pouvoir a pu dévoyer les mythes fondateurs d'une nation. Pour lui, rejouer le salut nazi était une catharsis salutaire (série Besetzungen (Occupations), 1969).

Les mythes, issus des croyances, touchent au sacré, et si la mythologie s’apparente à une religion, qu'en est-il quand l'art moderne revendique son autonomie face aux systèmes de pensée et de pouvoir ? Dans un monde sécularisé, l'art continue de témoigner d'une nécessité irrépressible d'élévation. [...] Alors que, longtemps, le rituel a précédé l’œuvre (je pense d'abord à l'art pariétal), dans la performance contemporaine le phénomène s'inverse. [...] À l'heure de l'hyper connexion (Internet et smartphones), l'humain cherche à faire revivre le passé, l'authentique, le sauvage.

Bertrand Charles

Keywords: nathalie talec,régis perray,aurore-caroline marty,aurélie belair,coraline de chiara,felicia atkinson,lola gonzalez,charlotte heninger,remi voche,nationale 7,clément cogitore

www.interface-horsdoeuvre.com le journal de l’art contemporain, déc. 2018 - mai 2019
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n 42° un numéro mythique !

1
Régis Perray, Le dumper et les pierres de la cathédrale de Chartres, 2009 - collection privée

éprouver et réconcilier

le mythe du héros s’estompe. Dans les années 70 les artistes ont créé leurs
mythologies personnelles (Boltanski, Le Gac, Calle). Le récit à la première personne
se transmuait en mythe quand leurs œuvres interrogeaient notre propre perception
du monde. D’autres comme Kiefer ont revisité constamment la façon dont un pouvoir
a pu dévoyer les mythes fondateurs d’une nation. Pour lui, rejouer le salut nazi était
une catharsis salutaire (série Besetzungen (Occupations), 1969).

Clément Cogitore, Les Indes galantes, 2017, vidéo, 6’, édition 3/5, Collection Frac Auvergne Les mythes, issus des croyances, touchent au sacré, et si la mythologie s’apparente
à une religion, qu’en est-il quand l’art moderne revendique son autonomie face aux
Récits symboliques, les mythes relèvent d’une relation équivoque avec la réalité. systèmes de pensée et de pouvoir  ? Dans un monde sécularisé, l’art continue de
Alors qu’ils se situent entre fiction et vérité sacrée, ils doivent être tenus pour témoigner d’une nécessité irrépressible d’élévation. Si une idée du sacré perdure
vrais pour fonctionner. L’art s’est emparé depuis leurs origines de ces systèmes de dans le champ contemporain, on se gardera bien de tout concevoir par le mythe et
représentations constitutifs de toute culture, et n’a eu de cesse de les éprouver. en cela le «  petit couplet  positiviste  » d’Hubert Besacier éclairera le gnostique en
Représentée par Botticelli, Vénus est devenue un motif déconstruit par Orlan, les mal de croyance. Alors que, longtemps, le rituel a précédé l’œuvre (je pense d’abord
exemples de réinterprétations foisonnent. Les mythes sont peuplés de monstres à l’art pariétal), dans la performance contemporaine le phénomène s’inverse. L’art
combattus sans relâche qui font naître les héros; l’histoire de l’art, reprenant la crée ses propres rituels. D’aucuns parleraient d’un retour d’archaïsme, salvateur
figure héroïque, a engendré un système qui est une réponse universelle à la magie ou non. À l’heure de l’hyper connexion (Internet et smartphones), l’humain cherche
de la création de l’image. Ainsi, depuis la querelle antique entre Zeuxis et Parrhasios, à faire revivre le passé, l’authentique, le sauvage. Robert McLiam Wilson écrit à
de curieuses coïncidences relient les biographies d’artistes. Transcendance de sa propos des Wilder Mann de Charles Fréger 1  : « Souvent, cet être mythique, cet
condition, force, abnégation, gloire, tout ce qui constitue le héros sert à dresser imago, à la fois loin de nous et en nous, est un condensé de traits et de défauts
le portrait de l’artiste. La figure de l’artiste héroïsé, née avec Giotto, culmine à la collectifs. Une personnification de nos péchés, désirs et peurs. Il permet de mettre
Renaissance. Aujourd’hui, avec l’éloignement relatif des conflits et des dictatures, en scène collectivement notre propre altérité...  » 2. C’est peut-être dans ce type
de réflexion qu’il faut chercher la contemporanéité des mythes et des rites qui s’y
rattachent. Ainsi Clément Cogitore convoque l’être «  primitif  » en faisant évoluer
des danseurs de Krump sur la musique de «  la danse du calumet de la paix », un
des volets de l’opéra baroque Les Indes galantes (1735) de Jean-Philippe Rameau,
comme pour réconcilier les époques et les cultures.
Bertrand CHARLES

1. À travers la série de photographies Wilder Mann, work in progress depuis 2010, Charles Fréger
recense des pratiques de fêtes ancestrales de différents pays au cours desquelles des hommes se
transforment temporairement en sauvages à l’aide de peaux de bêtes et de végétaux
2. Robert McLiam Wilson, « La bête humaine » (préface), in Charles Fréger, Wilder Mann ou la figure
du sauvage, Thames & Hudson, 2012

Quand le dumper croise Bruegel et Sisyphe
Entretien avec Régis Perray

Bertrand Charles : Lors de ta résidence à Chartres ouvriers, ma genèse a à voir avec Sisyphe et son Pieter Bruegel l’Ancien, La chute d’Icare, c. 1558 (œuvre originale, perdue),
en 2009, la Cathédrale est en plein chantier de absurde condition de toujours recommencer le même huile sur panneau transposée sur toile, 73,5 x 112 cm, Musées royaux des
restauration. Tu récupères alors des pierres et de geste. Cet univers m’a construit. Attiré un temps par Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles
la poussière de la voûte. Tu décides de disposer des les pratiques répétitives et obsessionnelles comme celle
pierres sur un modèle réduit de camion-benne. N’est- d’Opalka qui peignait la suite des nombres, j’ai décidé par la construction d’un monde, d’une œuvre la
ce pas un peu trivial et enfantin ? de m’en émanciper. Le monde est trop vaste, trop de plus cohérente possible. Et c’est cette pratique qui
Régis Perray  : Ces pierres chargées sur un choses à y faire. Je laisse donc le dumper déplacer ces me rend attentif au monde, loin de m’enfermer. 
dumper au 1/50e sont évidemment plus grosses à pierres à ma place, comme pour l’éternité. B.C. : Sisyphe se réalise dans son obligation absurde.
proportionnellement que celles contenues par un vrai B.C.  : Et c’est bien pour cela que tu as choisi cette Camus écrivait : «  Sisyphe enseigne la fidélité
dumper qui ne pourrait supporter pareille charge, ni œuvre pour la couverture de ce « numéro mythique ! » supérieure qui nie les dieux et soulève les rochers » 1.
la transporter sans danger. C’est donc bien un jeu puisqu’elle exerce ce rapport avec le mythe de Sisyphe. Sisyphe s’affranchit des dieux et devient libre de vivre la
d’échelle que j’établis. Ici tout est possible, comme dans Déplacer une charge trop lourde, inlassablement, sans destinée qu’il s’est choisie.
un rêve éveillé. Il y a toujours chez moi une dimension fin. Ici le jeu d’échelle fait ressentir un poids difficile voire R.P. : Camus envisage Sisyphe comme un héros qui, au
liée à l’enfance et aux rêves, au souhait que tout est impossible à déplacer. De là, une métaphore possible lieu de maudire les dieux, décide de vivre son châtiment,
possible, comme dans les contes, comme au cinéma de notre existence... Or, dire qu’il n’y pas de finalité en toute conscience. Il ne subit pas, il est libre.
un peu aussi. Ces mises en scènes de matériaux et dans tes efforts et dans ton œuvre serait mal la saisir.  B.C.  : Il trouve sa liberté dans une redondance qui
d’engins de transports (dumper, pelleteuse, rouleau R.P.  : En effet, j’ai pu dans mes premières actions s’apparente à un rituel. De ce point de vue, ton œuvre,
compresseur…) sont comme les petites saynètes à mettre en œuvre des efforts parfois considérables ou Tourner en rond, la piste à patiner (2015), ne place
la Bruegel. Quand j’ai découvert ses œuvres de visu proposer des actions qui paraissent vaines. Mais mon pas le spectateur dans une position de soumission et,
lors de mon premier voyage en 1995 à Bruxelles, activité au Confort Moderne (Centre d’entraînement pour autant, l’œuvre n’invite pas non plus à la passivité.
j’ai été immédiatement fasciné par ce qui s’y passe. pour retourner au Pilat et à Saqqara, 2001) était C’est une invitation à choisir librement.
Dans  La chute d’Icare, le titre du tableau décrit une aussi une préparation physique et mentale à retourner R.P.  : Tourner en rond, la piste à patiner, que j’ai
infime partie du tableau, autour il y a un paysage, la en Égypte pour participer, aux côtés des équipes de réalisée avec les Ateliers de la Chapelle, à l’Abbaye de
vie, des activités. Le dumper, gros camion de transport déblayeurs égyptiens, à l’enlèvement du sable de tel ou Maubuisson, est une sculpture qui tient du dispositif. Le
de sable, de cailloux, de charbon, est aussi pour moi tel site à fouiller. L’égyptologue fait déplacer des milliers titre, la forme circulaire, la disposition autour d’un pilier
un clin d’œil aux œuvres du land art américain – Spiral de m 3 de sable pour trouver des trésors. Peut-être y-a- dans l’ancienne salle du parloir de l’Abbaye, les patins
Jetty (1970) de Robert Smithson ou Double Negative  t-il là une certaine vanité. Depuis cette expérience, je instaurent un rituel dans lequel chacun peut se sentir
(1969-1970) de Michael Heizer – réalisées avec de sais où est le vrai trésor : il est bien de se construire libre : patiner pour s’amuser, patiner pour entretenir le
gros engins de travaux publics. J’évoquais déjà leur patiemment comme homme et comme artiste, une belle bois marqueté, patiner pour méditer.
manière de travailler en 3 ème année à l’École des Beaux- vie à créer un ensemble le plus cohérent possible d’abord
Arts de Nantes, par fascination et contraste, alors que pour soi, et un peu pour les autres quand on expose.  1. Albert Camus, Le mythe de Sysiphe, 1942 , Gallimard
je passais presque 9 mois à poncer à la main le sol de B.C. : À l’inverse des hommes qui, chez Bruegel, ne se
mon atelier. Là où ils utilisaient des engins énormes préoccupent absolument pas d’un homme qui se noie.
pour  travailler, tailler le paysage, je n’avais que du Son regard distancié et ironique les montre enfermés
papier de verre pour poncer chaque jour un  espace dans un rituel du quotidien – le labeur pour le laboureur
beaucoup plus petit. ou la quête spirituelle pour le berger regardant le ciel –
B.C. : Bruegel peint le mythe d’Icare par le truchement qui les empêche de s’ouvrir au monde. Ils incarnent en
de la scène de genre. Un genre qui fait la part belle aux quelque sorte les contradictions de l’homme pris entre
gestes des travailleurs manuels et dont ton univers est les contingences matérielles et la recherche d’un idéal.
empreint. Je pense aux Raboteurs de parquet  (1875) R.P.  : Si l’artiste est bien ancré dans la société
de Caillebotte ou aux  Cribleuses de blé  (1854) de aujourd’hui, il a également besoin de temps. Je suis
Courbet, ici au Musée d’Arts de Nantes. Mais là, avec croyant et cela fait partie de ma vie comme ma vocation
ce dumper, le geste s’efface, comme gommé par la artistique. Je parle simplement de mes croyances sans
puissance de la machine. que ce soit un sujet théorique important dans
R.P. : Oui, absence de geste ici et puisque l’on évoque l’évolution de mes recherches. Je suis un chrétien
les genres, ici ce serait l’autoportrait. Je suis issu de du quotidien, si je puis dire. Je ne suis pas là pour
la classe laborieuse où la répétition de la tâche est penser. Le plus important est de faire, de se réaliser
un mode de vie subi. Grands-parents paysans, parents

2

(Ré)inventer les mythes

Dans le désert prennent corps des images, & A forest (Petrifies), exposition sous forme de Charlotte Heninger, Cénote, 2018, verre, eau, décoction Gaëlle Choisne, Peau blanche et masque noir (détail),
l’espace du presque rien devient le lieu de prélude et promesse d’un roman futur. Dans le de noyau d’avocat, 82 x 56 x 56 cm 2016, céramique, plâtre, pigments, dans l’installation
tous les possibles. Des promeneuses égarées cas inverse, c’est au public de faire ce travail © Photos : Mathieu Faluomi N.E.V.A.Q.N.A.L.A. (Nous étions les victimes alors que
marchent à bout de souffle et d’eau, leur esprit narratif, comme un lien inédit envers le monde nous avions été les auteurs) © Photos : Cyril Boixel
et le nôtre jouent des tours, et des mirages et qui génère de nouvelles mythologies. de projeter dans le monde une antinomie qui
alors apparaissent, l’espace d’un instant. lui est coexistante. » 3 C’est cette antinomie Les œuvres de Charlotte Heninger proposent
Dès l’évocation du désert des contes se Si l’envoûtement propre au travail de Félicia des sociétés modernes que laisse entrevoir ainsi des futurs possibles, mettant l’accent sur
racontent. C’est dans des zones arides Atkinson fonctionne avec des souvenirs le travail pictural de Coraline de Chiara. Sa l’arrivée à un certain point de non-retour,
et hostiles, où la poésie apparaît plus actualisés et rejoués, une accumulation de réponse est alors de composer ses propres un chemin pris qui se doit de bifurquer.
facilement que la vie, que nous amène formes et de manières de s’exprimer, chez histoires et d’inventer une mythologie née de C’est dans cette bifurcation que se situe par
Félicia Atkinson. Une voix chuchote dans Coraline de Chiara, la poésie naît du manque. l’individualité de l’artiste, comme une quête ailleurs la narration, l’histoire des espèces qui
nos oreilles, des cliquetis suggèrent les pas L’artiste se nourrit de livres d’Histoire et d’Art, face aux absurdités du monde contemporain. s’hybrident ici. Le végétal s’empare de ruines
et les chutes du promeneur, des bruissements de Géologie, dans lesquels elle découpe et du minéral, une fragile structure de verre
font soudainement apparaître des créatures des morceaux qu’elle s’accapare et qu’elle De ce monde, sont arrachés et déterrés des prend vie par la sève qui l’anime, des pattes
zoologiques ou fantomatiques, un coyote 1 assemble, peint et retravaille. Cette pluralité fragments qui servent à la réécriture des de canidé deviennent les fondements d’une
ou autre être mythique surgit à nos côtés. Au des sources, des inspirations et des manières mémoires dans toute leur multiplicité, et cette forme volcanique ponctuée d’une orchidée,
Temps du rêve, les ancêtres ne créent-ils pas de s’approprier les images est représentative diversité est sacrée. divers éléments lévitent et s’équilibrent au
le monde par le son de leur voix ? 2 d’une certaine boulimie du monde qu’elle sein d’un écosystème subtil, fragile mais
L’homme est petit face à cette nature retransmise nous donne à voir et à envisager. Ici, « L’homme est un OUi vibrant aux énergies empreint d’une certaine logique ou finalité.
ou évoquée, immense et mystique : l’artiste, l’absence apparaît surtout dans l’addition : cosmiques » 4, écrit Frantz Fanon dans Peau Dans l’agencement des volumes, des êtres
dont l’atelier paraît être l’extérieur et le monde des images sont scotchées sur d’autres, des noire, masques blancs. Gaëlle Choisne, qui a et des matières, le sauvage refait surface,
sauvage, renoue avec les romantiques dont formes noires ou des déchirements sont peints, réalisé la pièce Peau blanche et masque noir symbolisant la fin d’une ère et l’inéluctable
l’âme et les œuvres sont exaltées, sensibles et des labyrinthes apparaissent sans fin et des (2016), paraît prendre cette formule à bras le recommencement. Charlotte Heninger tisse
rêveuses à la fois. Félicia Atkinson convoque surimpressions font basculer les sujets. On ne corps en fabriquant des autels sacrés, comme les mythes des plausibles destinées du monde.
des ambiances et crée des installations sait plus qui cache quoi, ce qui est enlevé et ce récemment le « TEMPLE OF LOVE » 5 qui met Comme chez Coraline de Chiara, la figure du
sonores et visuelles qui permettent à chacun qui est ajouté : ce jeu participe d’une certaine en exergue certaines dualités. Ici, l’amour volcan est récurrente : c’est la montagne qui
de se raconter ses propres histoires : objets ironie dans l’appropriation que l’artiste fait est indispensable, il s’écrit et se crie dans détruit tout, qui rend visible à nos yeux les
construits, matières enchevêtrées, formes des représentations, et par delà, de l’Histoire. une grande violence, il invoque des dieux à déplacements des plaques géologiques, qui
épousées – souvent de manière hasardeuse –, Via ses fragments repeints, collés, coupés, réinventer dans un contexte de sociétés en participe de la forme de la Terre et qui, après
cailloux, tissus, bambous, rubans, argiles, pliés, doublés, agencés, Coraline de Chiara perdition – perte de sens, des différences, destruction, engendre de nouveau la vie.
peintures suggestives, vidéos contemplatives propose une lecture nouvelle des lieux et de d’humanité et du vivre ensemble. Frantz Fanon
et danses des œuvres et des corps, d’un tout la mémoire collective. Elle rejoue les chefs- introduit alors les fantômes du colonialisme Coraline de Chiara, Ex-voto, 2016
mélangé. Les installations s’appréhendent d’œuvre, expérimente les manières de figurer, qui hantent un travail ponctué d’images sérigraphie tirée à 25 exemplaires, 50 x 65 cm
dans un état second, elles demandent au invente un patrimoine, repense les dieux et d’archives, de références et d’objets choisis
public de s’y plonger tout entier, d’entrer dans nous raconte finalement sa propre histoire dans la claire intention de rendre plus visibles
l’intense méditation qu’elles génèrent. Alors, fantasque du monde. L’ironie du manque qu’elles ne le sont les Histoires des opprimés,
l’univers développé ferme ses portes dans un qui prend forme dans le collage des images des minorités, des oubliés. Gaëlle Choisne
frémissement et des histoires apparaissent. et des formes n’est-elle pas une manière de convoque et invoque des mythes en puisant
Celle de l’artiste, au travail intimiste, et les donner à voir une négation même qui se joue dans des légendes préexistantes et archives
nôtres qui s’écrivent, prennent corps dans chez l’humain ? Ainsi, pour Frantz Fanon, diversifiées du monde entier. L’information
cette poésie protéiforme, de chaque objet, « Arraché, dispersé, confondu, condamné à mondialisée et effrénée côtoie une douce
chaque matière, chaque instant. Les fictions voir se dissoudre les unes après les autres les spiritualité, suspendue dans le temps. Les
peuvent être en cours d’écriture, comme dans vérités par lui élaborées, [l’homme] doit cesser mythologies recyclées ou attendues sont tout
autant un fantasme qu’une proposition de
mutation du monde contemporain, d’un pas
révolutionnaire vers une nouvelle ère. Dans
le sacré, l’artiste puise des énergies qu’elle
réinterprète dans le recyclage des matières,
l’agencement des objets et la mise en forme
d’installations presque architecturales et
pleinement immersives.

« Oui à la vie. Oui à l’amour. En voulant les préserver, les musées ont en
Oui à la générosité. » 6 un sens anéanti des mythes en les amputant
de leurs contextes et de leurs rites : c’est
Puiser des énergies, réinterpréter des vestiges cette aura qui se rejoue différemment dans
archéologiques et alors proposer des histoires les travaux de Félicia Atkinson, Coraline
alternatives du monde, c’est comprendre d’où de Chiara, Gaëlle Choisne et Charlotte
l’on vient pour être sûr d’où l’on va. Heninger. Les quatre artistes convoquent
des strates du temps passé, des manières de
Félicia Atkinson, capture d’écran du clip Adaptation Assez Facile, 2017, Shelter Press faire et de voir suspendues dans le temps, à
l’aune de leurs propres perceptions intimes et
Depuis que Gilbert Garcin est à la retraite, son des interprétations individuelles d’autrui, du
double, Mister G., réalise à sa place les exploits public. Elles développent ainsi des manières
les plus fous, par le biais du photomontage. alternatives d’appréhender le monde, cette
Équipé d’une des machines volantes de Léonard compréhension étant obligatoire en vue d’un
de Vinci, il semble ici vouloir rejouer l’évasion avenir souhaitable où la nature est toujours
d’Icare du labyrinthe construit par son père, immense et nous dépasse.
Dédale. Mais il est relié à son épouse par une
sorte de fil d’Ariane. Cela suffira-t-il à l’empêcher Gilbert Garcin, L’envol d’Icare (d’après L. de Vinci), 2005 Nous sommes tous, mais différemment (et cette
de se brûler les ailes ? différence est précieuse), cette promeneuse
égarée au milieu du désert.
Siloé PÉTILLAT
Laëtitia TOULOUT

1. Coyotes est le titre d’un EP de Félicia Atkinson paru
au printemps 2018. C’est, en outre, un animal non sans
signification dans l’Histoire de l’art (Joseph Beuys, I like
America and America likes me, 1974)
2. Mythe aborigène australien selon lequel les premiers
êtres, dans un passé lointain nommé Le Temps du Rêve,
ont créé les choses en les nommant lorsqu’ils les croisaient
3. Frantz Fanon, Peau noire, masques blancs, 1952
4. ibid.
5. Gaëlle Choisne,  TEMPLE OF LOVE, exposition à
Bétonsalon, Paris, jusqu’au 15 décembre 2018
6. Frantz Fanon, Peau noire, masques blancs, 1952

3

4

5

Nathalie Talec, HEAVEN’S DOOR #7, 2016 © édition interface, dijon - 2018

Maurice Gremeret, Station-service du Pont de Paris, 1960. Olivier Mosset, Pont de Paris II, (détail), 2014 - © Photo : Florian Bourgeois

La RN6 d’Olivier Mosset

La première intervention d’Olivier Mosset sur le parcours de la RN6 fut d’installer un grand tondo monochrome rouge dans la
salle de projection du cinéma l’Étoile à Saulieu 4. Une référence directe au film Le Cercle rouge de Jean-Pierre Melville 5, dont
deux scènes avaient été tournées le long de la RN6, à Saint-Loup-de-Varennes devant le monument consacré à Nicéphore
Niépce et au Relairoute de La Rochepot, le célèbre restaurant routier du plateau de Bel-Air. De manière plus allusive, il
s’agit peut-être aussi d’un rappel de la fameuse opération de communication qui avait été orchestrée par les agences Havas
et Synergie à l’occasion du lancement de la marque pétrolière ELF (Essence et Lubrifiants de France) : au printemps 1967
une première série d’affiches énigmatiques avait envahi la France avec pour slogan « Les ronds rouges arrivent ». D’autres
messages publicitaires aux mystérieux ronds rouges avaient ensuite été diffusés sur les ondes radios et dans les journaux
pendant plusieurs semaines. Le suspens s’était achevé au matin du 28 avril. Dans la nuit, 1250 stations-service Caltex, Avia,
et d’autres petites sociétés de distribution, avaient changé de nom et avaient été repeintes aux couleurs de la nouvelle marque
ELF, arborant toutes sur leurs façades un immense disque monochrome rouge, faisant office de logo. S’exposant parfois du
sol jusqu’au toit de chaque station essence rebaptisée, ce signe graphique sommaire s’était imposé par sa puissance visuelle
et sa facilité de réalisation, à l’aide d’un clou, d’une ficelle et d’un crayon. De manière presque concomitante avec cette
campagne publicitaire ELF, Olivier Mosset avait lui aussi choisi en 1966 la forme circulaire pour motif unique sur toutes ses
toiles jusqu’en 1972. La neutralité de ces simples cercles noirs de 15,5 cm de diamètre et de 3,25 cm d’épaisseur, peints au
centre de carrés de 100 × 100 cm, tendaient à les rendre anonymes. En fusionnant cette fois le fond et la forme, le châssis
de la toile étant lui-même circulaire, le tondo de Saulieu poursuit l’interrogation de Mosset sur le statut d’auteur et sa remise
en question du mythe de l’artiste-génie détenteur d’un savoir-faire inégalable 6.

La Route Nationale 6 est la route vintage symbolique des En 2004, un atelier, relevant du repérage cinématographique à la recherche des vestiges encore présents le long de la RN6,
Trente Glorieuses, qui nous renvoie aux années 1950 et fut conduit par Olivier Mosset accompagné d’Hubert Besacier 7et d’un groupe de quinze étudiants de l’École Nationale
1960, au road trip à la française. Indissociable de sa presque Supérieure d’Art de Dijon. Les photographies réalisées, souvenirs de la RN6, furent réunies dans un livre – Route Nationale 6 8 –
jumelle RN7, c’est la route des vacances, celle qui traverse inventoriant une cinquantaine de bâtiments et de publicités peintes entre Avallon et Chagny. Plusieurs fresques ont par la
la Bourgogne avec ses quelques traces encore visibles de suite été restaurées dans leurs couleurs d’origines, sous la direction de Mosset et du programme Nouveaux Commanditaires :
publicités peintes et les vestiges de garages et de stations- St Raphaël sur la façade de l’Auberge du Pont de Paris à Corpeau, Mobiloil sur un mur du garage Saint-Christophe à
services qui témoignent d’une splendeur passée, alors Chagny, Azur à Saulieu et Kodak à Ivry-en-Montagne.
qu’elle était l’axe le plus fréquenté de France. L’achèvement Le point d’orgue du parcours est situé sur la commune de Corpeau, juste avant d’entrer dans Chagny, avec la réhabilitation
des mille kilomètres d’autoroute ininterrompue entre Lille dans son état originel de l’ancienne Station-service du Pont de Paris, construite par l’architecte Maurice Gremeret en 1960 et
et Marseille en 1970 entraînera son inéluctable disgrâce et inscrite au patrimoine culturel du XX ème siècle en Bourgogne. Mosset y a adjoint, de l’autre côté de la route, Pont de Paris II 9, une
divisera sa fréquentation par dix. Son déclassement en routes sculpture monumentale en acier laqué constituée d’un mât en escalier de 13 m de haut et d’un bandeau courbe de 25 m,
départementales en 2006 l’a définitivement gommée des répliques du mât d’enseigne et du bandeau de béton qui surmonte le toit de la station et accentue sa silhouette élancée.
cartes routières mais a considérablement renforcé le mythe. Ces interventions relèvent presque de l’esthétique de la ruine, dans la mesure où elles renvoient le voyageur / spectateur à un
Au début des années 2000, c’est Olivier Mosset qui passé grandiose et mythique; tout comme les ruines étaient propices aux méditations des peintres et écrivains romantiques.
a été choisi, dans le cadre de la procédure Nouveaux Olivier Mosset emploie d’ailleurs volontiers le terme de monuments (monumentum : faire se souvenir) pour évoquer les ruines
Commanditaires initiée par la Fondation de France, pour des restoroutes et stations-services bordant la RN6. Il s’affirme ainsi en « historien des formes », et particulièrement de formes
mener un projet de revalorisation de la RN6 d’Avallon à gorgées d’histoires, comme le note Catherine Perret, qui précise « qu’il ne s’agit pas à proprement parler de faire, mais
Chagny 1. Passionné par la route et la moto, « Momosse », plutôt de méditer des formes déjà faites ou du moins prévisibles, d’interroger ce qu’elles furent, ce qu’elles sont devenues, et
comme le surnommaient alors ses amis bikers, avait quitté sa de les rejouer dans d’autres contextes. Il s’agit de les refaire pour y repenser. 10» Ainsi, à travers ces bâtiments restaurés, ces
Suisse natale pour s’installer à Paris en 1965, et accueillait publicités repeintes, et ces autres œuvres faisant référence à la route, Mosset ne tente pas de ressusciter une époque révolue,
régulièrement les premiers clubs de motards dans son atelier mais porte un regard qui fait retour sur ce passé tout en lui donnant une valeur esthétique au présent.
d’artiste de la rue de Lappe. Il quitta l’Europe en 1977, pour
s’installer d’abord à New York, puis à Tucson en Arizona Florian BOURGEOIS
au milieu des années 1990. Il y expérimenta le programme
de préservation 2 de la mythique Route 66, qui aujourd’hui 1. Les commanditaires de ce projet étaient notamment l’Association des communes de la RN 6, le Sivom d’Arnay-le-Duc et le Syndicat de Pays Auxois Morvan.
n’existe plus officiellement puisqu’elle aussi fut déclassée en 2. Le Route 66 Corridor Preservation Program, adopté par le Congrès en 1999, a permis de préserver et restaurer les sites historiques les plus significatifs et les plus
1985. Lorsque Xavier Douroux l’a sollicité pour développer représentatifs liés à la période d’importance de cette route (1926-1985).
ce projet de revalorisation de la RN6 en Bourgogne, Mosset 3. Interview de Xavier Douroux, à l’époque médiateur de l’action Nouveaux commanditaires pour la Zone Est, dans un reportage de France 3 Bourgogne
a proposé au préalable de considérer les anciens garages Franche-Comté réalisé par Damien Boutillet et Jean-François Guilmard, publié le 04 octobre 2014 : https://france3-regions.francetvinfo.fr/bourgogne-franche-
et stations essence comme des sculptures et les publicités comte/2014/10/04/route-nationale-6-la-seconde-vie-de-la-station-service-du-pont-de-paris-corpeau-564848.html
comme des peintures 3. De 2004 à 2014, il s’est attelé à 4. Olivier Mosset, Route Nationale 6 - Le Cercle rouge et l’Étoile, Saulieu, 2004. Œuvre réalisée dans le cadre de l’action Nouveaux commanditaires de la
la requalification des traces de la grande époque de cette Fondation de France. Commanditaire : Actes Association (gérant du cinéma L’Étoile), médiateur : Xavier Douroux. Outre le tondo monochrome dans la salle de
route au travers de ses bâtiments, sites et peintures murales. projection, Olivier Mosset a aussi disposé dans la rosace de la façade du cinéma une gigantesque étoile en zinc patiné.
5. Le Cercle rouge est un film franco-italien écrit et réalisé par Jean-Pierre Melville, sorti en 1970.
6. C’était également le cas en 2017, à l’occasion de l’exposition Olt à l’Espace de l’Art Concret de Mouans-Sartoux, lorsque Olivier Mosset accompagné de Jean-
Baptiste Sauvage avaient repeint le rond rouge sur la façade d’une ancienne station ELF située à Peyrus, dans la Drôme.
7. Hubert Besacier est critique d’art, organisateur d’expositions et a été professeur à l’École Nationale Supérieure d’Art de Dijon jusqu’en 2011.
8. Olivier Mosset, Route Nationale 6, Les presses du réel, collection Livres & éditions d’artistes, Dijon, 2004.
9. Olivier Mosset, Pont de Paris II, 2014, acier laqué, 13 x 25 m
10. Catherine Perret, Olivier Mosset : la peinture, même, Ides et Calendes, collection Polychrome, 2004, p. 170

Rémi Voche : Le corps sacré

Jeudi 13 septembre 2018 à la galerie Ceysson & Szeemann distingue au sein de la mythologie individuelle Rémi Voche, Cité Jardin, 2016, performance à l’atelier Madoura, Vallauris
Bénétière, au milieu d’une exposition de David Raffini, un courant allemand, représenté par des artistes © Photo : Mengzhi Zheng
Rémi Voche maintient le suspens. Au son d’une musique comme Joseph Beuys ou Lothar Baumgarten et leurs
arménienne, il scande le rythme d’un pas lourd autour œuvres « baignées de spiritualisme naturaliste et d’un à Gustav Metzger, qu’il décline selon les endroits. Après
d’un tas recouvert d’un drap blanc. Libérant la tension individualisme postromantique. » 4 une panne de voiture, un homme semble s’enduire
qui s’était installée, il piétine le raisin qui se trouve en Les photographies et vidéos, traces des actions, de pétrole (vaseline teintée) puis de terre qu’il sort de
dessous du linge, provocant des taches de jus et de « tableaux » et performances de Rémi Voche, sont son attaché case, produisant un être informe, forme
graphite et la fuite de grappes. Comme un écho au largement dominés par le rapport au corps et à la de retour à un état primitif. Par le corps recouvert, il
titre de l’exposition, Matières primaires 1, Rémi Voche nature. Même s’il capture au quotidien de nombreuses opère également de nombreux renvois à la condition des
réinvente au moment des vendanges un rituel, entre images qui nourrissent son imaginaire, son travail travailleurs comme les mineurs, ou bien à la colonisation,
chrétien et païen 2. De cette performance à ses débuts photographique principal consiste dans la mise en scène s’inscrivant dans l’histoire des lieux où il se trouve. Dans
à la Villa Arson de Nice, se tissent à la fois un fil de soi au sein d’un environnement 5, le plus souvent sa performance Cité Jardin (2016), à Vallauris, pour
conducteur et une toile d’araignée au maillage complexe. naturel, d’où s’échappent parfois une certaine magie, un l’atelier de poterie Madoura, il s’enterre sous des morceaux
Un rythme continu, celui d’un corps, matériau principal certain flou. Il réinterprète l’usage du rite, par la création de terre cuite et de pin d’Alep collectés sur le lieu, rendant
qu’il met à l’épreuve au sein de ses mises en scènes de masques et de costumes, de chaussures-échasses, hommage à la condition ouvrière 6. La force de cette action
et performances. Rythme éclaté, celui d’un esprit en et par la fabrication d’objets symboliques. Au sein de ses réside dans l’exploit de rester immobile et enseveli, à
fusion constante qui s’abreuve de sources différentes performances, la musique, qu’il mixe lui-même à partir l’image de la dureté des conditions de vie et de travail.
(anthropologie, ethnologie, photographie amateur...) et de morceaux ou paroles en lien avec son thème, occupe Rémi Voche navigue entre les références au passé et le
les digère pour les réutiliser ensuite dans la recréation d’un une grande importance. Elle participe à la référence au monde actuel, où s’entremêlent les formes symboliques
récit. Au quotidien, ce système de pensée se concrétise rituel, liée au rythme du corps et à la répétition. pour la création de rituels sortis d’un imaginaire nourri
par la collection compulsive de quantité d’objets et Davantage qu’une œuvre sur soi, l’individu se fait ici des écrits de Jean Rouch ou Claude Lévi-Strauss. La
d’images trouvés au gré de ses pérégrinations, servant matériau pour atteindre l’universel et transmettre un réinvention d’une mythologie vient comme une tentative
à la confection de totems à l’inquiétante étrangeté qu’il message politique. Celui, dominant, de l’écologie, pour de réponse à l’existence pour essayer de sortir de
intègre dans ses œuvres. Ainsi se forment les ingrédients lequel il crée des images et performances, confrontant
de ce qui sous-tend la pratique de Rémi Voche, à savoir son corps à des matériaux issus de la nature (herbe,
la construction, à travers l’invention de rituels, d’une paille, fruits et légumes…), mettant souvent au
certaine mythologie individuelle. Dans le contexte de son centre les quatre éléments (eau, feu, terre, air).
œuvre, ce concept peut être lu à la lumière de l’analyse L’engagement se fait d’abord par le corps, qu’il peut
qu’en donne Magali Nachtergael 3 à propos d’une des malmener, amener à une transcendance par l’épreuve
influences d’Harald Szeemann qui utilise ce terme pour physique : l’épuisement par la course, l’enfermement,
le titre d’une section de la 5 ème Documenta de Cassel en les contorsions des membres… Rémi Voche en appelle
1972. En effet, partant d’une « matrice théorique » allant également aux références à d’autres artistes engagés.
du côté du primitivisme et de l’anthropologie, Harald Ainsi il créé Terreseline, une performance en hommage

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Petit couplet Philippe Cazal, NI DIEU NI MAîTRE, 2013
Pochoir, feuille pvc souple, couleur noire, découpe au laser, surface poncée manuellement

au papier de verre (traces bien visibles sur la face), fixation par vis et rondelles
800 x 800 x 1,2 mm, certificat daté et signé

positiviste

Quand je taillais dans le contreplaqué avec ma scie, On est en droit de s’interroger sur les raisons qui informulés que contient cette idée, sa part diffuse.
je pouvais entendre, sous le hurlement assourdissant, amènent le critique ou le spectateur à interpréter une Côté spectateur, la polysémie ouverte, inhérente à toute
un « non » brut et tonique renvoyé par les quatre murs. œuvre dans un sens que l’artiste lui-même récuse. œuvre réussie, laisse place à des interprétations que
Non à la transcendance et aux valeurs spirituelles, Elles sont nombreuses, de différents ordres et de l’artiste peut à son tour admettre comme appartenant à
aux échelles héroïques, aux décisions angoissées, aux diverses origines. son projet, à condition qu’on ne soit pas dans le contresens.
récits historisants, aux objets de valeur, aux structures Nous laissons là évidemment de côté des artistes qui se Dans ce cas-là, les mailles de l’œuvre sont trop lâches ou
intelligentes, aux expériences visuelles intéressantes. réclament d’une conviction métaphysique ou religieuse. le lecteur est aveuglé par ses obsédantes convictions.
Robert Morris Il n’est nullement question de prétendre que le champ D’autre part, pour le critique comme pour le spectateur,
de l’art contemporain n’appartient qu’aux agnostiques, moins une œuvre est imageante, plus il est facile de se
(Robert Morris, The Mind/Body Problem, 1994) ou de nier que la visée de certaines œuvres soit fondée laisser aller aux interprétations les plus diverses. En art,
sur des valeurs extra-mondaines. la simplicité objective est difficile à admettre. Le peu
L’Histoire n’a cessé d’inventer des histoires, de forger Il faut d’abord constater que l’air du temps s’y prête, suscite un discours foisonnant. Ce qu’exprime François
des mythes. L’histoire de l’art n’échappe pas à cette loi. marqué par le retour aux croyances et aux religions. Morellet lorsqu’il dit qu’il fait le vide pour que chacun
Dans l’histoire de l’art, l’héroïsation de l’artiste est un Nous connaissons là un phénomène générationnel. puisse y apporter son pique-nique.
fait constant. L’enseignant et l’étudiant en art mythifient Réagissant contre les origines spiritualistes ou L’œuvre n’est pas pour autant une auberge espagnole,
leurs modèles. Plus l’enseignement se fait en dehors théosophiques de l’abstraction moderniste (Malevitch, comme il le prétend avec humour. Y placer ses propres
des ateliers, à travers les images, les catalogues ou Mondrian, Kandinsky), l’art concret inventait des mythes au mépris du dessein de l’artiste relève de la
encore par le biais de ces temples mythiques que sont méthodes mathématiques, des protocoles. Les années méconnaissance, de l’obscurantisme, voire de la trahison.
les musées, plus l’artiste devient un être à part, un héros. 60/70 s’étaient efforcées de bannir l’aura. Avec les Là où certains artistes s’expriment, laissant leur
Le phénomène est amplifié par les manœuvres du marché. discours du post-modernisme on a vu revenir au galop subconscient prendre possession de leurs gestes,
Le commerce de l’art a besoin de stars et d’idoles. tout ce qui s’était prudemment tenu à distance pendant d’autres conçoivent des protocoles qui leur permettent
Un destin tragique, une vie scandaleuse, une mort les décennies qui ont suivi le temps des avant-gardes. d’engager un processus qui suit son cours, mettant
prématurée, facilitent grandement la consécration. Mais trop souvent, la croyance mythique ou mystique qui ainsi leur subjectivité à distance.
L’oreille de Van Gogh, l’overdose de Basquiat, le l’emporte sur la raison, n’accepte pas son contraire. Pour Au lieu de faire jouer mes tripes, ma sensibilité, j’enclenche
calvaire de Frida... On bascule très vite dans la logique les croyants, l’incroyance est impossible, impensable. un système qui produit tout seul et que j’emmène jusqu’au
d’entreprise des produits dérivés. C’est une posture, donc une imposture que l’on doit bout, même sans voir d’avance ce que ça va donner. Les
Mais tout ceci a le mérite d’être évident, et, comme démasquer en instillant constamment le soupçon. La génies, les gens en transe, les gens qui ont des messages,
dans les domaines de la musique populaire ou de foi implique des certitudes auxquelles on ne saurait ça m’agace et ça me fatigue... Le mérite de l’artiste est
l’industrie cinématographique, se joue au grand jour. renoncer. Prosélyte, elle est portée à tout accommoder d’avoir trouvé un système qui déclenche quelque chose
Ce qui est plus particulier au monde de l’art, c’est à ses propres croyances. d’intéressant. François Morellet, Entretien avec Laurent
l’argument spécieux de la transcendance. Des trois protagonistes que sont l’artiste, l’exégète et Laz, in François Morellet L’esprit de suite. Musée des
Invité par le musée d’Art Contemporain de Zagreb à le spectateur, chacun joue sa partie. Beaux-Arts de Caen, édition Fage, 2015.
prononcer une conférence sur le travail de Julije Knifer, j’ai Il est certains artistes qui se plaisent à entretenir le doute, Comme François Morellet, Julije Knifer travaille à partir
eu la surprise d’être confronté à des questions qui tiraient qui se donnent une apparence d’élu, se construisent une d’un processus enclenché par un protocole. J’ai résolu
l’artiste du côté d’une sorte de spiritualité transcendantale, stature de chamane ou de gourou, qui affirment créer sous très simplement le problème technique de l’application
au prétexte que l’exécution de ses dessins pouvait être l’impulsion d’une idée supérieure et se font pourvoyeurs du graphite. Encore une fois, par la méthode même du
assimilée à des rites nocturnes, mais aussi en raison de spiritualité, qui se donnent la mission d’apporter au processus de travail. Le travail est toujours pour moi
de son recours constant à l’opposition du noir et du commun des mortels un supplément d’âme. un processus, mais au sens le plus simple du terme.
blanc et de la qualité profonde de ses noirs. Dans l’Ancien Régime, tout cela était spontanément Jusqu’à l’extrême, et jusqu’à pour ainsi dire l’absurde.
Or, s’il est un artiste dont toute l’existence et tout le travail admis. En témoigne la fameuse anecdote de Joseph (réponse à un questionnaire soumis par Pascal Pique
se sont fondés sur le refus des croyances, c’est bien Julije Haydn disant en levant le doigt au ciel : « Ce n’est pas à l’occasion de l’exposition Gorgona, in catal Gorgona,
Knifer. Depuis sa participation au groupe Gorgona jusqu’à de moi que vient cette musique – c’est de là-haut ! » Art Plus, Université de Dijon, 3 mars au 15 avril 1989,
sa mort, Knifer n’a cessé, par ses écrits, d’affirmer sa À chacun son mythe. On finit par y croire, parce qu’on a Frac Bourgogne, Atheneum, Dijon).
position libertaire, refusant toute chronologie, donc envie d’y croire et c’est le propre du mythe que de n’y pas S’en tenant à la forme infinie du méandre et au noir et
toute téléologie, revendiquant la monotonie et l’absurde. croire vraiment tout en y croyant (Joseph Beuys a-t-il cru blanc, il accumule les couches d’acrylique ou de graphite
Chez Julije Knifer, comme chez son ami François au mythe biographique qu’il s’était forgé ?). Dans quelle pour neutraliser la trace de son geste. Son travail
Morellet, la création n’a rien d’un accomplissement mesure se fond-on dans son propre mythe ? d’élaboration relève d’une monotonie occupationnelle
sacrificiel, l’artiste n’a rien d’héroïque, il revendique la Le caractère ambigu de la croyance, très bien explicité revendiquée. Mais cette réitération implique un rythme et
condition d’un homme ordinaire, la conscience aiguë par Paul Veyne (Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ? le rythme, exercé pendant de grandes plages de temps
d’être au monde sans être dupe et d’assumer cette Seuil, 1983), nous permet de comprendre comment nocturne, peut vite être interprété comme un rite qui peut
inanité existentielle en toute simplicité. le mythe peut aider à la création sans que cela ne conduire à l’oubli de soi, voire à la transe. Voilà une brèche
L’élément le plus important dans mon travail est la conscience nécessite une conviction profonde et irréversible. où l’on peut s’engouffrer en ignorant le sens de l’œuvre.
totale, mais aussi une liberté spirituelle extrême. Pour moi Cependant, il faut bien reconnaître que la comédie de Enfin, en dépit de sa volonté d’enfouir son geste jusqu’à
l’absurde est une composante très importante de mon la transcendance se joue souvent a posteriori, pour obtenir une surface neutre, les effets argentés du
activité. L’absurde est une forme de la liberté, (Julije donner de la profondeur à ce qui n’est qu’un artefact graphite ou de la mine de plomb, la profondeur sensitive
Knifer - Correspondance avec François Morellet, Lettre porté par une idée plus ou moins heureuse et bienvenue. et sensuelle du noir sur le grain du papier amènent à
du 12 août 1993, in catal. Galerie Verney-Carron, Julije L’exégète joue également un rôle primordial dans ce retour interpréter ce travail sous l’angle de la dualité entre
Knifer/François Morellet, Villeurbanne, 1993). à la transcendance. D’abord en profitant de l’élasticité lumière et ténèbres. Et là nous touchons à la question
des termes qui nous font passer insidieusement du fondamentale de l’expérience esthétique et à l’épineuse
Rémi Voche, Rapace, 2016, performance profane au sacré. L’ambivalence de concepts triturés notion de sublime. Le ravissement esthétique peut être
par des générations et des générations de philosophes, assimilé à une expérience du sublime qui n’est pas sans
l’aliénation du quotidien, par le passage de la ville à autorise tous les glissements vers un spiritualisme qui analogie avec l’expérience mystique.
la nature. Être insaisissable qui, à travers le flot de trahit les intentions, l’esprit et la pratique de l’artiste. Ce point demanderait à son tour un développement
paroles et de mouvements, tente de créer un exutoire. La réintroduction du spiritualisme avance masquée. On ne substantiel. Contentons-nous de deux remarques : susciter
Sortir de son corps en invoquant le sacré et donner un se risque pas aujourd’hui sur ce terrain de façon tout à fait une expérience esthétique qui relève de l’ineffable peut
sens politique au dépassement. ouverte (ou décomplexée selon le nouveau terme à la mode). être une motivation fondamentale de l’artiste, cela
Gabrielle de la SELLE À partir de l’idée d’illumination profane de Walter n’implique pas pour autant quoi que ce soit de mystique.
Benjamin, on attribue aux artistes des révélations L’artiste n’a pas besoin d’invoquer une quelconque
1. Exposition de David Raffini, 13 septembre-20 octobre 2018, Galerie soudaines. À chacun son chemin de Damas. Ou, comme accointance avec un ciel quelconque pour parvenir à un
Ceysson et Bénétière, Saint-Étienne Jean-Jacques Rousseau, sa route de Vincennes. Ce qui résultat esthétique qui nous transporte, nous procure
2. Vidéo de la performance La bénédiction du raisin visible sur Youtube : remet en selle toutes les élucubrations sur l’inspiration. On de la jouissance, nous donne à penser, nous permet de
https://www.youtube.com/watch?v=PcxLSnfl5a0 donne à voir l’avènement de l’idée créatrice non comme fusionner avec l’altérité, nous permet d’éprouver le sublime.
3. Maîtresse de conférences en littérature et arts contemporains, le cheminement d’une réflexion plus ou moins consciente, Laissons encore une fois la parole à François Morellet :
Université Paris 13 mûrie au fil du temps, mais comme un surgissement Je ne crois pas en dieu, je ne crois pas en moi. Tout cela
4. Magali Nachtergael. L’émergence des mythologies individuelles, du brut au qui tient encore (ou de nouveau) du prodige. Gratifié n’est pas sérieux. Je ne suis pas sérieux, je ne prends pas
contemporain. Anne Boissière, Christophe Boulanger et Savine Faupin. Les d’un don, touché par le doigt d’un dieu ou porté par le l’art au sérieux. Ni le mien ni celui des autres. Je ne crois
Mythologies individuelles : la nouvelle culture du moi, Apr 2012, Lille, France. souffle des muses, le génie est d’essence supérieure. en rien ! Un de mes maîtres à penser est Cioran qui disait
Septentrion, Lille, 2014, Esthétique et sciences de l’art. <halshs00975924> Sa situation transcende la condition humaine. que quand il y a une croyance, il faut faire gaffe. S’il y a
5. Sa page Instagram (à son nom, Rémi Voche) illustre bien ce lien entre son Pour reprendre un mot de Rainer Rochlitz, le critique une croyance et de l’enthousiasme, il faut foutre le camp,
travail de mise en scène photographique et les autres « captures » d’images. s’apparente alors à un crypto théologien. ce sont des millions de morts prévisibles. (op. cit.)
6. Voir le texte d’Yves Peltier à ce propos, accompagnant la vidéo de la Pour mieux comprendre par où s’infiltre l’interprétation Hubert BESACIER
performance sur Youtube ou bien sur la page de l’évènement Facebook : spiritualiste, il faut examiner le processus de la création.
«  Cité Jardin : Une Performance de Rémi Voche  » organisé par Si nous suivons Didier Anzieu (Le corps de l’œuvre, Essais
Circonstance Galerie (Nice). psychanalytiques sur le travail créateur, Connaissance
de l’inconscient, NRF, Gallimard, 1981), il est une
phase de la création au cours de laquelle se produit
une déprise de soi. Le projet échappe momentanément
au contrôle absolu de son créateur. C’est le moment
où la conception initiale laisse place à la découverte,
ce que l’artiste accueille ou rejette lorsqu’il reprend la
main sur ce qu’il a laissé filer. Cette phase débouche
sur un résultat plus ouvert et plus large que l’idée de
départ, ou, du moins, elle révèle les aspects encore

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Aurore-Caroline Marty, Drame exotique, 2018, bois, tissu, frites de piscine,
vase, masque africain, cheveux d’anges. 200 x 210 x 40 cm

Our stories du Monde, qui pleure des larmes scintillantes et manufacturées. Le Drame exotique, c’est le
drame de l’exotisme, et par conséquent le second degré lucide qui anime l’œuvre d’Aurore-
S’approprier le monde en s’attachant à ce qui arrête le regard, ce qui surprend, ce qui Caroline Marty.
permet un renvoi plus ou moins conscient à un autre monde; comme tout un chacun, l’artiste C’est à ce carrefour que l’on peut comparer la démarche d’Aurore-Caroline Marty à la
évolue dans une société globalisée et doit choisir les éléments de sa création parmi le relation entretenue par les artistes surréalistes aux objets dits primitifs. Au cours d’un entretien
flot de l’existant. Aussi le cheminement artistique d’Aurore-Caroline Marty s’inscrit dans un André Breton affirme que « L’artiste européen, au XX ème siècle, n’a de chance de parer au
mouvement de réappropriation. Dans l’usage répété des références, on pourrait déceler un dessèchement des sources d’inspiration entraîné par le rationalisme et l’utilitarisme qu’en
désir de fuite, pourtant Aurore-Caroline Marty construit des volumes. Certes, l’artiste opère renouant avec la vision dite primitive, synthèse de perception sensorielle et de représentation
souvent avec des matières qui ne sont pas pérennes, mais son geste n’est pas celui de mentale 1 ». Si les surréalistes voyaient dans les œuvres d’ailleurs un renouvellement esthétique
l’absorption passive, de la noyade dans une réalité parallèle. Il y a construction, élaboration par la confrontation à de nouvelles grammaires formelles, ils entendaient également entrer
d’un volume qui est en réalité un dispositif, puisque son travail oscille sans cesse entre en dialogue avec l’autre homme, ou encore l’autre dans l’homme, c’est-à-dire les figures du
sculpture et installation. Ce qui est construit est ici un monde en soi, nourri de multiples renvois noir, de l’enfant ou encore du fou, trois figures de l’irrationnel, de la primitivité, venant faire
aux divers univers attachés à chacun des éléments utilisés pour composer l’œuvre. Certains rupture avec le sujet rationnel cartésien incarné par la masculinité occidentale. André Breton
mythes servent à Aurore-Caroline Marty de référence, mais c’est plus spécifiquement la n’a-t-il pas fait collection de masques et objets africains et océaniens, mais aussi de dessins
référence qui a ici valeur de mythe, dans le sens où le mythe est un récit collectif nourrissant d’enfants, les considérant tous comme autant de portes inspirantes vers l’inconscient et donc
l’inconscient d’une culture et cherchant sans cesse à refaire surface. Ainsi l’Orient, l’Afrique vers la créativité ? Le primitivisme surréaliste s’il existe notamment chez Breton, figure de proue
au même titre que le passage de l’Odyssée d’Homère dans lequel Ulysse se trouve sur du mouvement, a quelque chose de romantique, parce qu’il est question de toujours situer la
l’île des lotophages, ont valeur de mythe dans la pratique d’Aurore-Caroline Marty. Ce vérité hors de son propre monde, ou du moins en deçà de ce qui compose l’ordinaire des
trait marquant du travail de l’artiste semble s’accentuer avec le temps et participe de sa jours. Or la réappropriation d’Aurore-Caroline Marty n’est pas romantique, il ne s’agit pas
singularité. Faire monde avec le monde, passe notamment par l’usage des titres qui signalent de chercher la vérité ailleurs mais bien de devenir sujet au sein d’un monde saturé. Il n’est
presque systématiquement un emprunt à une sphère culturelle éloignée dans le temps ou pas question d’inconscient, d’illusion à dissiper, d’existence quotidienne qui ferait fausse route,
l’espace. Aurore-Caroline Marty convoque ainsi l’Antiquité gréco-romaine et les mythes qui mais plutôt de chemin à trouver, de cartographie à connaître et à créer. Souvent les objets
s’y attachent, avec notamment Lotos (2017), Césaréa (2016), Gala (2016), Vénus (2014), manufacturés utilisés par Aurore-Caroline Marty dans ses pièces sont des éléments ambigus,
Apollo (2015), Circus (2016). Ses références sont aussi celles de cultures non-occidentales des objets qui parodient d’autres objets, presque des simulacres. Les bananes de Brahmâ sont
comme pour les pièces Totem (2015), ou encore Brahmâ (2017). Enfin, les titres en anglais en plastique. Aurore-Caroline Marty aurait pu aisément choisir des fruits réels, pourtant les
renvoient souvent à des éléments de la culture américaine globalisée et donc populaire, ce bananes en plastique renvoient à autre chose, on se demande d’ailleurs comment elles auraient
sont : Atomic moon (2011), The Last gate (2015), Genesis (2012), The Island (2012), Lily pu être utilisées si elles n’avaient pas intégré l’installation de l’artiste. Auraient-elles servi à la
(2013), etc. Bien sûr, Aurore-Caroline Marty intègre systématiquement des matériaux cheap au décoration d’un bar pseudo exotique ou bien au décor d’une petite fête négrophobe ?
sein de ses œuvres faisant ainsi rupture avec les matériaux nobles de la sculpture qu’elle utilise Contrairement à celles de Breton, la Collection d’Aurore-Caroline Marty s’inspire tant
comme la pierre de Comblanchien, de Lens, de Corton, ou encore le marbre, notamment dans de l’imagerie antique que de la mode actuelle. Les vases sont brisés et recollés avec des
ses pièces les plus récentes : Les Lèvres de l’horizon et Collection, toutes deux datées de 2018. paillettes, signifiant à nouveau la nécessité de se réapproprier cette forêt de symboles
On peut alors considérer également que l’artiste manipule un imaginaire relatif à la société de engendrée par la mondialisation et la saturation des flux d’images et d’informations. Parodie
consommation et à l’histoire du capitalisme industriel. Le linoléum, le polystyrène, le carton, et réinvention se mêlent. Les vases brisés dont on a recollé les morceaux ont changé de
les frites de piscine, les pampilles en plastique brillant renvoient peut-être à diverses pratiques sens, d’ailleurs ils ont perdu toute fonctionnalité et sont composés de volumes complexes.
socialement identifiées comme relevant d’un vécu populaire. Le symbole étymologiquement est un tesson de poterie dont on cherche l’autre fragment
Le réel mondialisé est un patrimoine labyrinthique où demeurent d’immenses zones en guise de système de reconnaissance. Tout symbole lie donc deux choses entre elles,
ombragées. Les esprits encyclopédiques étant morts avec l’immensité de l’univers et les souvent la matière à l’idée, comme ici où chaque vase semble plutôt être la version en trois
ambitions humanistes de la Renaissance, tout œil, à partir de ce qu’il voit et de ce qu’il ignore, dimensions d’une représentation de vase, où chaque pièce est un appel d’air immense à
crée ses propres fictions, dans une perspective herméneutique infinie. Arrêter des éléments, cette imagerie de vestiges antiques que le spectateur porte en lui. La colle pailletée est un
les choisir, les assembler, construire avec et autour d’eux, les inscrire dans une forme nouvelle éclair rappelant l’œil à l’actualité de notre culture, parce qu’elle est un élément esthétique
est un dispositif où l’artiste s’affirme en tant que sujet. La réappropriation culturelle n’est pas renvoyant à la tendance dans toutes les sphères du design.
un geste sournois venant humilier ou désarmer d’autres groupes culturels auxquels Aurore- L’œuvre d’Aurore-Caroline Marty témoigne d’un désir de construire un monde à partir des
Caroline Marty n’appartient pas. Ce geste de l’artiste est conscient, il fait partie de l’œuvre éléments du monde rencontrés et retenus, et deux éléments interrogent cet aspect du travail :
en tant que discours visible. Dans le cas de Drame exotique (2018), le masque africain voit ce sont la « kitschothèque » et le compte Instagram. La « kitschothèque » est le rassemblement
ses orbites traversées de cheveux d’anges métallisés, la figure pleure des larmes brillantes, d’objets hétéroclites collectés par l’artiste au fil de la vie quotidienne entre le supermarché
kitsch et pop. Le drame est autant la vision onirique et cauchemardesque qui se tisse sous et les voyages lointains. Cet ensemble en évolution constante est entreposé à l’atelier et
nos yeux en technicolor que le symbole fallacieux d’une Afrique reconstituée. Le masque est constitue une collection venant alimenter les œuvres à venir. De même Aurore-Caroline Marty
un faux masque, il n’est pas un objet précieux ramené d’une lointaine contrée lors d’une tient un compte Instagram actuellement ouvert au public où l’on trouve des images de son
expédition ethnologique, il est la copie de ces objets-là devenus objets de décoration des travail, parfois encore en construction, mais aussi des images inspirantes. L’ensemble forme
salons et commerces occidentaux contemporains alimentant à demi consciemment le mythe un tableau de recherche tant visuel que symbolique, un mood board où s’accumulent des
colonial et son racisme. C’est ici l’Afrique revue et mythologisée par Ikea, Casa ou Maisons éléments qui font écho à sa pratique et la nourrissent. Ces deux éléments participent tant à
l’archéologie du regard qu’à celle de l’œuvre.
En utilisant des éléments porteurs de récits multiples Aurore-Caroline Marty bâtit une mythologie
contemporaine, au sens donné par Barthes dans ses Mythologies (1957). En effet, la position
de l’artiste en tant que sujet créateur qui arrête
son regard sur des éléments et se les réapproprie,
esquisse nécessairement une carte, une cosmogonie
de son imaginaire, de sa culture mais aussi de celle
du spectateur. Il y a ce que l’on sait, ce que l’on
devine, ce que l’on ignore, ce que l’on partage et
peut-être ce qui nous différencie, et voici que l’œuvre
est un faisceau de signes, ceux d’une époque et plus
encore ceux émis par la puissance singulière d’un
regard au milieu d’une forêt épaisse.

Florence ANDOKA

1. André Breton,  Entretiens (1913-1952), Paris, Gallimard,
1969, p. 248

Aurore-Caroline Marty, Lotos, 2017, bois, mousse, tissu,
peinture, bananes en plastique, paillettes, dimensions variables.

© Photos : Cécilia Philippe

Phainòmenon

En pénétrant dans l’espace des ateliers Vortex lors de faisant appel aux prétendus pouvoirs de la Vierge de qui renforcent la croyance. Passant sous la vidéo, le
l’exposition Phainòmenon d’Aurélie Belair, il n’est pas défaire les nœuds, résoudre les problèmes. « Mère spectateur qui, à ce moment-là, lève la tête, voit ainsi
tout de suite perceptible qu’un charme est distillé, d’une dont les mains travaillent sans cesse pour tes enfants ces mains autonomes, comme surgies du ciel, agir sur
œuvre à l’autre, pour envoûter, mystifier le spectateur, bien-aimés, car elles sont poussées par l’Amour divin lui. Que cherchent-elles exactement à faire, ces mains ?
de son plein gré ou à son insu. Ce charme opère dès et l’infinie Miséricorde qui déborde de ton cœur, tourne ton Cela n’est pas dit. Alors se conclut un pacte avec
l’entrée, dans un rez-de-chaussée desservant des regard plein de compassion vers moi. Vois le « paquet » de l’artiste. Continuer la visite est une forme d’acceptation.
ateliers et un escalier menant à la salle d’exposition nœuds qui étouffe ma vie […] Mère que Dieu a chargée de « J’accepte de me faire envoûter, manipuler et j’accepte
proprement dite. Sur le passage du visiteur, des mains défaire les nœuds de tes enfants, je dépose le ruban de de croire que cela comporte une part de mystère. »
s’activent à le magnétiser en surplomb, via une vidéo- ma vie dans tes mains […] Je te demande de le défaire L’étage offre la possibilité aux spectateurs hâtifs du rez-
projection plongeante sur un châssis entoilé, encastré et de le défaire pour toujours. J’espère en Toi. » Si le de-chaussée de voir la manipulation qui s’est opérée sur
dans un conduit de monte-charge désaffecté. Pour la fidèle s’adresse à la Sainte en ces termes, Aurélie Belair eux à leur insu, en contemplant la projection vidéo depuis
vidéo M qui défait les nœuds (2018), l’artiste a filmé les n’en appelle, elle, pas directement à la religion mais le dessus. D’autres installations s’offrent également à
mains d’une magnétiseuse en plein travail, cadrées en bien aux formes de rites attachées à toute croyance. leur regard. Deux châssis ronds se répondent au travers
contre-plongée. Le titre de l’œuvre est une référence Les pouvoirs, réels ou supposés, de la guérisseuse d’une forêt de totems. La forme archaïque phainòmenon
à la peinture Marie qui défait les nœuds, réalisée par appartiennent au même type de système, en ce que (φαινόμενον), titre de l’exposition, signifie en grec ancien
Johann Georg Melchior Schmidtner en 1700. De style son client/patient, croyant en elle, lui adresse une « apparaître ». En est dérivé le latin phaenomenon qui a
baroque, elle représente la vierge Marie, entourée forme de demande, similaire à une prière, tout en lui donné le français phénomène. Un phénomène se définit
d’anges, un ruban à la main pour en défaire les nœuds conférant la capacité de la résoudre. La part de mise par un fait remarquable, extraordinaire, dans le sens
un à un, foulant des pieds un serpent noué sur lui-même. en scène dans la gestuelle de la magnétiseuse n’est pas d’inhabituel. En termes plus esthétiques, Kant utilise
Le tableau fait lui-même écho à une prière chrétienne, véritablement mesurable mais participe des apparences lui le phénomène en opposition au noumène, (la réalité

8

Lola Gonzàlez, Veridis quo, (captured’écran), 2016
vidéo couleur, stéréo, 15’
© Courtesy de l’artiste & galerie Marcelle Alix, Paris

Lola Gonzàlez Une atmosphère lourde est à l’œuvre dans chacune des La répétition revient également ici à creuser un format. Cette
vidéos – et la tristesse est inhabitable. Il est souvent question structure qui se répète est une hypothèse formelle à l’intérieur
Dans la mythologie, les êtres humains se perdent éternellement. d’une disparition, d’un suicide, parfois d’une renaissance. La de laquelle différentes variations sont expérimentées. Un
S’ils l’acceptent, ils deviennent des dieux. 1 jeunesse des personnages nous interroge sur les attributs de motif qui se module et que l’artiste explore avec une certaine
cette génération. Quel deuil porte-t-elle ? De quelle dette, trop fascination.
Cécilia Becanovic & Baptiste Pinteaux lourde et difficilement assignable, est-elle chargée ? Dans Le
Hêtre et le bouleau, Camille de Toledo identifie la Chute du La zone
Entre mythe et science-fiction mur de Berlin (1989 étant aussi à peu de choses près l’année
de naissance des personnages de Lola Gonzàlez) comme le Lola Gonzàlez filme des corps qu’elle prend un soin particulier
Il existe différentes catégories de rituels. Parmi leur petite foule, moment où la possibilité d’un ailleurs disparaît brutalement. à inscrire dans un paysage. Être un corps dans un paysage,
on distingue ces deux grandes catégories : les rituels verticaux Elle laisse à la place « un monde sans poches, sans échappée, c’est une des intuitions fortes qui guident l’artiste dans son
et les rituels horizontaux. Ceux qui sont là pour lier un haut et un un monde de la présence où seules les variations d’un même travail. Des côtes bretonnes à l’ouest américain, le paysage tient
bas, quelque chose du macrocosme au microcosme. Et ceux qui, horizon se distinguent, un monde dépourvu d’eschatologie à chaque fois une place importante : objet de contemplation,
s’organisant autour d’un axe horizontal, sont là pour constituer religieuse, historique ou politique, où l’esprit orphelin du scène d’apprentissage, totalité inquiétante.
un collectif, pour le cimenter et lui donner corps. Les vidéos de paradis, d’une terre où rassembler ses désirs, ses fantasmes,
Lola Gonzàlez semblent répondre de ces rituels horizontaux. semble tourner en rond 4 ». Dans Rappelle-toi de la couleur des fraises et Veridis Quo,
Nous (2013), Winter is coming (2014), Le Perce neige (2015), la vue des personnages est atteinte. Dans Les Anges, c’est la
Summer camp (2015), Veridis quo (2016), Rappelle-toi de la L’assemblée que Lola Gonzàlez filme dans ses vidéos semble capacité à marcher qu’ils ont à retrouver. Le paysage intervient
couleur des fraises (2017), Now my hands are bleeding and s’originer par cette perte. Elle se réunit à la recherche d’une toujours comme un moyen de réapprendre à toucher et à voir
my knees are raw (2017), Les courants vagabonds (2017), puissance. Elle est à la recherche d’une action transformative, les choses. Il s’agit de trouver sa place dans le paysage comme
Les Anges (2017). La structure des vidéos est toujours la d’une possibilité de transformation. dans la vie : tenir une position et prendre position. Dans Station
même : un événement a eu lieu ou va avoir lieu, sans que debout, Jean-Christophe Bailly écrit : « toute forme est une
celui-ci ne soit clairement identifié. Il se révèle par ce qui arrive Répétition certaine tenue, une certaine façon de se tenir, et rien ne tient
aux personnages, par les gestes que ceux-ci opèrent pour y par soi-même. Il faut qu’il y ait un rapport. 6 » C’est le sens d’un
répondre. Le plus souvent, aucune parole n’est prononcée tel rapport qui est institué par Lola Gonzàlez – entre des corps,
mais des signes sont à répéter, interpréter, développer. des solitudes et un paysage comme point possible d’ancrage.

Nous assistons à la formation d’un collectif. Entre mythe Hélène SOUMARé
et science-fiction, archaïsme et anticipation. Ni la fin, ni le
commencement mais peut-être quelque chose de l’ordre de ce 1. Cécilia Becanovic & Baptiste Pinteaux, texte de présentation de l’exposition
dont parlent Jean-Luc Nancy et Federico Ferrari dans La fin de Lola Gonzàlez Roberto et les autres, Galerie Marcelle Alix, 2016, Paris
des fins : « toujours un entre-deux, toujours un passage , un 2. Federico Ferrari, Jean-Luc Nancy, La fin des fins, Éditions Kimé, 2018
milieu qui n’est pas un lieu mais un élément où ça flotte entre 3. Jean Baudrillard, « L’élevage de poussière », Libération, 29 mai 2001
un début et une fin qui n’ont jamais lieu. […]. En réalité tout 4. Camille de Toledo, Le Hêtre et le bouleau. Essai sur la tristesse européenne,
a toujours déjà commencé et tout continue toujours à finir 2. » Seuil, 2009
5. Dominique Casajus, «  Figures paradoxales dans quelques analyses de
rituels », Cahiers du CREA, 1993, 16
6. Jean-Christophe Bailly, « Station debout », in Tenir, debout [catalogue
d’exposition], Édition Musée des Beaux-Arts de Valenciennes, 2011

Tristesse contemporaine La structure qui se répète d’une vidéo à l’autre est une matrice Lola Gonzàlez, Summer camp, (capture d’écran), 2015, vidéo couleur, 9’
qui permet à Lola Gonzàlez de développer un grand nombre © Courtesy de l’artiste & galerie Marcelle Alix, Paris
Dans Winter is coming, un groupe de jeunes adultes est d’histoires. Elle est aussi un marqueur de la ritualité à l’œuvre
enfermé dans une maison à la campagne après avoir commis dans les vidéos de l’artiste. Une action se ritualise en se
une infraction. Ils sont placés sous vidéosurveillance, et répétant à partir d’une forme de schématisme volontaire.
les images sont diffusées en direct à la télévision. La vidéo Comme l’écrit Dominique Casajus 5, celui qui effectue un rituel
reprend le dispositif de la téléréalité. « En l’absence de destin, se souvient que lui-même ou d’autres hommes et femmes,
l’homme moderne est livré à une expérimentation sans limites depuis longtemps morts, ont déjà accompli un rituel semblable
sur lui-même 3. », écrivait Jean Baudrillard en 2001 dans une et sait que lui-même, ou d’autres hommes et femmes encore
réflexion à charge contre la téléréalité et son voyeurisme, qu’il à venir, accompliront un jour un rituel semblable. Cette
décrit comme le laboratoire d’une convivialité de synthèse. répétition est souvent même la vertu principale du rituel. C’est
Mais ce spectacle raté porte cependant en lui une vérité : la cette force d’inertie qui fait advenir le rituel comme fondement
tentation d’une disparition par les moyens de ce spectacle stable sur lequel s’appuyer. Et ce sont aussi, à l’intérieur des
même. Les personnages filmés par Lola Gonzàlez sont à la récits proposés par Lola Gonzàlez, les gestes répétés qui
recherche d’un lieu. Trouver sa place ou disparaître, trouver permettent aux corps de retrouver une solidité et au groupe
sa place et disparaître. de se constituer.

intelligible) le qualifiant donc comme ce qui apparaît à la beaucoup plus brutale, Sans titre – Dialectiques des parcourt le travail d’Aurélie Belair révèle son rapport
conscience et qui est perçu par les sens, autrement dit hiérophanies (2018), tondo pendant de Mystagogie, à l’acte créatif, productif, à l’ouvrage. La pénibilité et
ce qui relève du monde sensible. perclus de clous et de vis sur toute sa périphérie. Cette la répétitivité du geste imprimerait, comme dans la
Sans titre – Mystagogie (2017), toile ronde recouverte minutieuse mise en scène fait référence aux statuettes croyance sud-africaine, une volonté de concrétiser, de
d’encens pontifical, est accrochée légèrement en anthropomorphes guérisseuses minkondi, fabriquées matérialiser l’œuvre. Sa pratique est parfois monacale,
hauteur par rapport au regard du spectateur. Cela par les sorciers congolais pour devenir le réceptacle à l’instar de ces clous, plantés uns à uns, qui peuvent
permet à la fois de faire pleinement appel à son odorat, d’esprits. La notion de dialectique des hiérophanies rappeler la pénitence, les embûches données aux
l’œuvre étant installée à portée de son nez et dégageant nous ramène encore une fois à la démonstration des hommes, dans les religions, toujours nécessaires pour
une forte odeur d’ambre et d’oliban, mais aussi de lui manifestations du sacré. accéder à un statut de sainteté.
conférer une forme mystique, tel un astre noir porteur Semblant presque directement sortir du sol, s’élèvent Si chaque œuvre/objet rituel fait très directement écho
de mystère et de puissance. L’encens pontifical est cinq formes totémiques. Un groupe de quatre formes à des formes religieuses, chamaniques ou mystiques,
régulièrement utilisé dans divers rites et cérémonies occupe le centre de l’espace : l’une est curviligne, leur réalisation, leur accrochage et leur mise en espace
car ses propriétés favoriseraient les actions à distance. les autres sont droites. Les trois totems rectilignes sont très cliniques, dans la plus classique tradition du
Le titre évoque une « initiation aux mystères du sacré forment, avec le quatrième, placé en retrait, presque white cube, ici logé dans une friche industrielle, aux murs
» et invite le spectateur à une forme de respect, de accolé à un mur, l’œuvre Sans titre – N.S.E.O (2018), d’un blanc éclatant ou à peine teintés d’une discrète
croyance. L’exposition Phainòmenon agit encore une fois représentant les quatre points cardinaux, proposant couleur sauge en écho aux amulettes nouées. Devant
comme un pacte liant l’artiste au spectateur dans un ici une cartographie déformée, à laquelle s’agrège cet environnement aseptisé, ajouté au détournement
moment mystique durant lequel il doit lui faire confiance. donc cette cinquième forme et autre œuvre, Sans systématique d’éléments picturaux pour en tirer
Cette confiance est mise à l’épreuve dans l’œuvre, titre – Amulet, qui semble avoir usurpé sa place. Il d’autres formes, ontologiquement augmentées par la
se dégage de cette double installation une sensation charge de leurs références et de leurs titres, il est alors
étrange, comme un déséquilibre dans la fabrique du aisé de lire entre les lignes une forme d’ironie et une
monde ou une vision métaphysique, augmentée, de évocation du milieu extrêmement codifié qu’est celui de
sa représentation classique. En fait de totems, les l’art. Il a, comme toute société, ses modes d’échanges,
sculptures verticales se constituent de grandes toiles de hiérarchies, de rituels, de cérémonies et de
apprêtées, nouées sur elles-mêmes à de multiples connivences, un système de valeurs et une organisation
reprises, en référence au système des amulettes sud- codifiés autour de l’objet exutoire et concrétisation d’une
africaines. Dans la croyance, le nœud permet d’investir possible vision du monde que serait l’œuvre d’art.
un vœu, une prière, symbolisé et concrétisé dans Juliette TIXIER
l’action de nouer. Les toiles sont enduites, sur une face,
de peinture couleur sauge, plante dont la combustion
est utilisée pour purifier les espaces de l’énergie
négative d’un lieu dans les croyances amérindiennes et
chamaniques. L’espace délimité par les amulettes est
chargé d’une tension et il est difficile au premier abord
de traverser l’installation, une difficulté similaire à celle
provoquée par un rond de sorcière. Y pénétrer semble
lié à un engagement, une prise de risque ou un pari sur
de possibles conséquences. Il faut encore une fois faire
confiance à Aurélie Belair pour croire en la bienveillance
de ses enchantements.
La dimension gestuelle, physique et processuelle qui

9 Aurélie Belair, Phainòmenon (détail), 2018
Les Ateliers Vortex, Dijon

© Photos : A. Belair

aix-en-provence HORSD’ŒUVRE n°42 bourges dijon RDV T&G
édité par l’association
3bisf INTERFACE La Box Interface © Taroop & Glabel - Courtesy Semiose galerie, Paris
Hôpital Montperrin 12 rue Chancelier de l’Hospital 7 rue édouard Branly 12 rue Chancelier de l’Hospital
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13617 Aix-en-Provence t. : +33 (0)3 80 67 13 86 tél. 02 48 24 78 70 tél. 03 80 67 13 86
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ouvert du lun. au ven. www.interface-horsdoeuvre.com de 14h à 18h 19h ou sur rdv, fermé les jrs fériés Tirage : 100 ex. numérotés et signés par l’artiste
de 13h à 17h et sur rdv www.interface-art.com ➤ « Medium(s) » ➤ « circumfusa, les choses 420 x 594 mm - impression offset - Prix : 100 € + 8 € de frais d’envoi
➤ « The crystal & the blind » curator Mawena Yehouessi : répandues autour » Julien Discrit :
Hugo Deverchère & Elsa Di Venosa : Numéro sous la direction de : 02/10/18 - 30/03/19 jusqu’au 12/01/19 Commande : Interface, Dijon
jusqu’au 15/12/18 Bertrand Charles ➤ Nøne Futbol Club : Diffusion R-Diffusion : http://www.r-diffusion.org
brest 26/01 - 09/03/19
© Mathieu Pilaud Conception graphique & ➤ invitation à l’ENSA Dijon : horsd’oeuvre n°42
responsable de la rédaction : Passerelle 23/03 - 27/04/19
➤ Mathieu Pilaud : Frédéric Buisson 41 rue Charles Berthelot ➤ « Vivências » [expériences pougues-les-eaux
07/03 - 19/04/19 29200 Brest Galerie Barnoud - Entrepôt 9 vécues] J. de Andrade,
➤ « la règle du jeu » Coordination, relecture : tél. 02 98 43 34 95 2 rue Champeau R. Basbaum, L.B. Bardi, A. Boal, Centre d’art contemporain
Cécile Dauchez : Nadège Marreau, Siloé Pétillat, ouvert le mar. de 14h à 20h 21800 Quétigny L. Clark, P. Freire, F. Morais, Parc Saint-Léger
16/05 - 05/07/19 Augustin Dupuid, et du mer. au sam. de 14h à tél. 03 80 66 23 26 R. Neuenschwander, H. Oiticica, Avenue Conti
Océane Penneroux-Pierre 18h30 - fermé les jours fériés ouvert mer. au sam. Opavivara, A.Packer, L. Pape, 58320 Pougues-les-Eaux
angers ➤ « We have no art, we do de 14h30 à 18h30 A. E. Reidy, C. Ribas, L. Sargentelli, tél. 03 86 90 96 60
ont participé à ce numéro : everything as well as we can » ➤ « Art & Entreprise # 2 - collection C. Rocha Campos, L.Taves : ouvert du mer. au dim.
Collégiale Saint Martin Florence Andoka, Hubert Corita Kent : jusqu’au 05/01/19 Géotec » : ../01 - ../03/19 18(ou 25)/05 - 01/09/2019 de 14h à 18h ou sur rdv.,
(org. Frac des Pays de la Loire) Besacier, Florian Bourgeois, ➤ « Mesa Curandera » fermé les jours fériés
23 rue Saint-Martin Bertrand Charles, Siloé Pétillat, Louidgi Beltrame : Hôtel des Ducs mulhouse ➤ Yann Sérandour :
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➤ « argos » Richard Fauguet : Couverture : jusqu’au 05/01/19 ➤ « Horsd’oeuvre à l’Hôtel des Ducs » 68100 Mulhouse le Chronographe
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ouvert du lun. au jeu. de 8h30 à heaven’s door #7, 2016-2018 24 bis boulevard Ampère jusqu’au 30/05/19 Non Identifié » : œuvres de la collection du Frac :
20h et ven. & sam. de 8h30 à 18h © N. Talec La Fleuriaye jusqu’au 06/01/19 26/01 - 12/05/19
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Tirage 5000 exemplaires de 14h à 18h, tél. 09 72 43 68 71 ➤ Basim Magdy : Musée départemental d’art
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Syndicat Magnifique : tél. 03 81 87 87 40 Frac : 08/03 - 26/05/19 dim. matin, de 10h à 12h et de 09/02 - 23/04/19
09/02 - 18/05/19 ouvert du mer. au ven. de 14h à ➤ Arthur Lambert : 14h à 18h, jusqu’à 20h le mer. Hôtel Burrhus
➤ It’s Our Playground : 18h et sam. & dim. de 14h à 19h 08/03 - 26/05/19 fermé les 24/12 , 02/01 pau 1 place Montfort
à partir du 15/06/19 ➤ « Je m’appelle Cortana » Sylvie et 01/05 84110 Vaison-la-Romaine
Fanchon : jusqu’au 13/01/19 château-gontier ➤ « La fin des jours » Une la Cité des Pyrénées tél. 04 90 36 00 11
auxerre ➤ exposition des dernières proposition de Lydie Jean-Dit-Pannel (org. le Bel Ordinaire) ➤ « Supervues 018 - la petite
acquisitions du Frac : Chapelle du Genêteil avec F. Durand, C. Jourdan, 29 bis rue Berlioz 64000 Pau surface de l’art contemporain »
Hors[ ]cadre 02/02 - 28/04 rue du Général Lemonnier H. Roueau, G. Tassart : tél. 05 59 30 18 94 35 chambres, 35 artistes :
49 rue Joubert 53200 Château-Gontier 05/12/19 - 24/02/19 ouvert lun., mar. de 10h à 12h et ven. 14/12 de 18h30 à 20h30
89000 Auxerre billère tél. 02 43 07 88 96 de 14h à 18h ; mer. jeu. ven. de sam. 15/12 de 11h à 20h
tél. 06 88 97 42 26 ouvert du mer. au dim. landerneau 10h à 12h et de 14h à 19h dim. 16/12 de 11h à 18h
ouvert du mer. au dim. de 13h à 18h Le Bel Ordinaire de 14h à 19h ➤ « Dialogue d’encre et de lumière »
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