HORIZONS
Rapport
SOMMAIRE
3 Avant-propos RÉCIT
4 Éditorial DES SCÉNARIOS
5 Remerciements PAR SECTEUR
6 Résumé exécutif
01 RÉSULTATS ET
AMBITIONS, ENSEIGNEMENTS
CADRAGE Évolution
DE L’EXERCICE de la consommation
ET CONTEXTE
79 Aménagement territorial
18 Ambitions, objectifs, méthodes et planification urbaine
47 Société, modes de vie, récits
60 Adaptation au changement 92 Bâtiments résidentiels et tertiaires
172 Mobilité des voyageurs
climatique
et transport de marchandises
231 Alimentation
02 646 Synoptique des résultats
et comparaison des scénarios
Évolution
du système productif 675 Enseignements, limites
et perspectives
257 Production agricole
292 Production forestière 681 Sigles et acronymes
316 Production industrielle 684 Glossaire
03
Production d’énergie
374 Mix gaz
407 Froid et chaleur réseaux
et hors réseaux
447 Biomasse énergie
474 Carburants liquides
512 Hydrogène
04
Ressources
et puits de carbone
541 Déchets
574 Ressources et usages non
alimentaires de la biomasse
613 Puits de carbone
2 Transition(s) 2050
PARVOAPNOTS-
Barbara Pompili,
Ministre de la Transition écologique
Dès 2019, la France a inscrit dans la loi
l’objectif de neutralité carbone en 2050
– objectif désormais partagé au niveau
européen avec un jalon intermédiaire de
baisse des émissions de gaz à effet de serre de - 55 %
à l’horizon 2030.
Il s’agit d’un défi majeur, qui nécessite d’accélérer la
décarbonation de notre économie et d’explorer toutes
les voies possibles pour transformer notre système
énergétique tout en garantissant notre sécurité
d’approvisionnement.
D’ores et déjà, nous avons voté des lois essentielles C’est d’autant plus important que ces scénarios
sur l’énergie, sur les mobilités, sur l’économie circulaire interviennent à un moment décisif. Pour faire face au
et sur le climat. Nous investissons massivement dans rehaussement de nos ambitions en matière de
les énergies renouvelables et dans la décarbonation réduction de nos émissions, nous venons de lancer, il
de notre économie avec les plans France Relance et y a quelques semaines, les travaux d’élaboration de
France 2030. Mais l’atteinte de nos objectifs implique notre future Stratégie Française Énergie-Climat (SFEC).
de renforcer encore l’action engagée. Car nous devons nous assurer de la cohérence
d’ensemble de nos choix, grâce à une planification
L’étude « Transition(s) 2050 de l’ADEME », fruit de plus des transformations à venir, qui associe État, territoires,
de deux années de travaux d’élaboration, est une acteurs économiques et citoyens.
contribution précieuse à cette réflexion. Elle dessine
quatre trajectoires qui sont autant de choix de société. Aujourd’hui, la France est en train de réaliser ce qui
Qu’il s’agisse de nos manières de consommer, de nous est sans doute l’une des plus profondes transformations
déplacer, de nous loger ou de produire : l’ADEME de son histoire : sa transformation énergétique et
œuvre à la compréhension collective des enjeux écologique. Et j’ai une conviction : pour relever ce défi
énergétiques pour les décennies à venir et de leurs avec succès, le cap que nous nous fixons et la
impacts sur nos modes de vie. trajectoire pour l’atteindre doivent être partagés et
collectivement définis.
Je salue la rigueur, la qualité et l’ambition de cet
exercice inédit, qui repose sur la mobilisation d’une Je souhaite que cet exercice prospectif puisse y
centaine d’experts de l’ADEME, et sur des échanges contribuer. En présentant quatre voies possibles,
réguliers avec un comité scientifique. L’expertise de volontairement contrastées, pour atteindre la
l’ADEME, agence de la transition écologique, montre neutralité carbone en 2050, les travaux de l’ADEME
ici toute sa pertinence et son utilité pour éclairer les devraient nourrir nos réflexions et nous stimuler
débats et nourrir la mobilisation de tous pour la pour inventer la trajectoire que nous choisirons
transition écologique. ensemble.
3 Transition(s) 2050
ÉDITORIAL
Arnaud LEROY,
Il s’agit également de fournir des éléments
Président-directeur général de l’ADEME d’évaluation sur les enjeux sociaux, économiques et
environnementaux associés à ces différents chemins,
afin de nourrir les échanges sur une stratégie de
compromis qui emportera l’adhésion.
L’exercice de prospective de l’ADEME adopte une
approche innovante, dépassant largement les enjeux
de l’offre et de la demande d’énergie pour couvrir
également les sujets clés de la neutralité carbone et
de l’adaptation au changement climatique que sont
les ressources, l’usage des sols, l’évolution des modes
de vie, etc.
Nous vous proposons ce premier livrable qui présente
la logique des quatre scénarios et leur mise en œuvre
dans chacun des secteurs d’activité, avec les
conséquences sur les émissions de gaz à effet de serre,
permettant de justifier l’atteinte de la neutralité
carbone.
Il est dans les gènes de l’ADEME d’éclairer les Il sera suivi de plusieurs « feuilletons » thématiques,
décisions de la société en préparant l’avenir pour dont les impacts macroéconomiques, l’empreinte
mieux le dessiner. C’est pour cela que pendant matière et GES, le mix électrique ainsi que les résultats
deux ans nous avons mené des travaux de d’une étude sur le regard de 31 personnes sur chacun
prospective pour proposer des scénarios d’une France des scénarios. Ces travaux, nécessitant de fins
neutre en carbone en 2050 et dont cet ouvrage ajustements, seront publiés un peu plus tard.
présente les premiers résultats.
Ce document est le résultat de plus de 2 ans de travail,
L’objectif de cet exercice n’est pas de proposer un commencé à l’été 2019, à la fois interne mais également
projet politique, ni «la» bonne trajectoire pour parvenir avec des partenaires extérieurs de différents milieux
à ces objectifs collectifs. Il s’agit plutôt de contribuer professionnels et académiques ainsi que des membres
à rassembler des éléments de connaissances de notre conseil scientifique complété, pour la
techniques, économiques et environnementales pour circonstance, par des personnes qualifiées qui nous
alimenter des débats nourris sur ce qui est possible et ont aidés à cheminer au travers de ce paysage
envisageable. Réussir ces transformations profondes complexe et que je remercie chaleureusement. Nous
et systémiques est en effet un enjeu de délibération avons choisi de ne pas nous positionner pour un
sur la société durable qu’il est possible de construire scénario ou pour un autre car il nous paraît essentiel
collectivement et un enjeu de coordination majeur que chacun puisse prendre connaissance des résultats
pour la mettre en œuvre. des quatre voies, au même niveau, afin de se faire sa
propre opinion.
L’ADEME propose ici quelques scénarios «types», inspirés
des scénarios d’évolution socio-économique mondiale Mais toutes ces voies sont difficiles. Toutes nécessitent
utilisés par le GIEC dans son rapport spécial 1,5 °C de une cohérence d’ensemble des choix réalisés. Toutes
2018. Ils ne sont pas les seuls possibles et d’ailleurs exigent que ces choix soient partagés pour être
d’autres acteurs présentent leur vision au même moment acceptés et mis en œuvre. Toutes demandent des
que nous. Leur but est d’aider à réfléchir à la nature des décisions rapides car les transformations sont d’une
transformations et des choix à faire pour construire un telle ampleur qu’elles doivent avoir le temps de
chemin de développement compatible avec un objectif produire leurs effets d’ici 30 ans.
de neutralité carbone et d’aider à prendre conscience
des implications des choix sociétaux et techniques qui Malgré l’ampleur de la tâche, je ne doute pas que vous
entraîneront des chemins différents. trouverez dans ce document et dans les feuilletons à
venir matières à réflexion, à débats et à décisions quel
que soit votre rôle dans la société. Car il y a urgence
à décider dès aujourd’hui, à tous les niveaux, d’une
trajectoire collective pour relever les défis du combat
climatique pendant les trente prochaines années et
de contribuer à l’avenir de l’humanité sur notre belle
planète.
4 Transition(s) 2050
Remerciements
Ce rapport est le résultat d’un travail collectif de plus de 2 ans auquel ont participé :
Pilotage du projet ADEME : Arnaud LEROY, Fabrice BOISSIER, Valérie QUINIOU-RAMUS, David MARCHAL,
Éric VIDALENC, Emmanuel COMBET et Jean-Louis BERGEY.
Équipe projet ADEME : Loïc ANTOINE, Brice ARNAUD, Stéphane BARBUSSE, Robert BELLINI, Aurélien
BIGO, Cyrielle BORDE, Élodie BRICHE, Miriam BUITRAGO, Gaël CALLONNEC, Guilain CALS, Laurent
CHÂTEAU, Elsa CHONY, Guillaume DAILL, Rafaëlle DESPLATS, Agnès DUVAL, Nadine DUESO, Thomas
EGLIN, Aïcha EL KHAMLICHI, Mathieu GARNERO, Albane GASPARD, Hervé GOUËDARD, Alice GUEUDET,
Patrick JOLIVET, Stefan LOUILLAT, Arnaud MAINSANT, Quentin MINIER, Jérôme MOUSSET, Lydie OUGIER,
Jean-Michel PARROUFFE, Céline PHILLIPS, Antoine PIERART, Anna PINEAU, Sylvain SOURISSEAU, Sarah
THIRIOT, Audrey TRÉVISIOL, Anne VARET, Fanny VICARD, Camille VILLARD, Manon VITEL, Valérie WEBER-
HADDAD.
Experts ADEME : Denis BENITA, Nadine BERTHOMIEU, Frédérique BIENVENU, Marianne BLOQUEL, Aude
BODIGUEL, Luc BODINEAU, Alix BOUXIN, José CAIRE, Astrid CARDONA-MAESTRO, Lilian CARPENE, Nicolas
CASTEL, Jean-Charles CAUDRON, Romuald CAUMONT, Philippe CAUNEAU, Marc CHEVERRY, Lucie
COLOMB, Marc COTTIGNIES, Alba DEPARTE, Valentin DEVRIES, Nicolas DORÉ, Antoine DESWAZIERE,
Bertrand-Olivier DUCREUX, Alice FAUTRAD, Isabelle FEIX, Karine FILMON, Bruno GAGNEPAIN, Laurent
GAGNEPAIN, Bénédicte GENTHON, Julie GEORGES, Florence GODEFROY, Thomas GOURDON, Éric
GOUARDES, Raphaël GUASTAVI, Isabelle HÉBÉ, Samira KHERROUF, Thérèse KREITZ, Bruno LAFITTE, Céline
LARUELLE, Étienne LATIMIER, Anne LEFRANC, Philippe LÉONARDON, Jonathan LOUIS, Émilie MACHEFAUX,
Elliot MARI, Roland MARION, Solène MARRY, Sarah MARTIN, Solange MARTIN, Stéphanie MOUSSARD,
Sylvie PADILLA, Sidonie PAPPALARDO, Maxime PASQUIER, Sylvain PASQUIER, Nicolas PERAUDEAU, Adeline
PILLET, Maxence POIRSON, Jean-Christophe POUET, Florence PROHARAM, Johan RANSQUIN, Anaïs ROCCI,
Frédéric ROSENSTEIN, Olivia SALVAZET, Daniela SANNA, Marc SCHOEFFTER, Pierre TAILLANT, Olivier
THÉOBALD, Maeva THOLANCE, Simon THOUIN, Julien THUAL, Nicolas TONNET, Yann TRÉMÉAC, Jean-
Christophe VISIER (ADEME/CSTB), Jacques WIART.
Comité scientifique du projet : composé des membres du Conseil scientifique de l’ADEME à savoir
Kamel BEN NACEUR, Thierry CAQUET, Hervé CHARRUE, Olivier DELABROY, Sophie DUBUISSON-QUELLIER
(Présidente), Christian DUTERTRE, Gérard GIRAUDON, Carla GOHIN, Kristina HAVERKAMP,
Florence JANY-CATRICE, Sophie JULLIAN, Dominique MEDA, Bernard SALHA, Ronan STEPHAN
et Laurence TUBIANA, ainsi que d’experts intuitu personae : Luc ABBADIE, Alexis BONNEL,
Patrice CHRISTMANN, Alain GRANDJEAN, Thomas GUÉRET, Anne JACOD, Benoît LEGUET, Isabelle MOMAS
et Xavier MONTAGNE.
Organismes extérieurs ayant apporté leur expertise au cours d’échanges formels ou informels : Agence
de l’eau Adour-Garonne, Agence de l’eau Seine-Normandie, CEREN, CGDD, CIRED, Coénove, DGEC,
DHUP, EDF R&D, FNE, FNH, INSEE, LET, négaWatt, OFB, RTE, The Shift Project.
Prestataires extérieurs : Alim’Avenir, Artelys, Auxillia, bearideas, Biomasse Normandie, CERESCO, CIRED,
CITEPA, Climatico, CODA Stratégies, CODEM, ENERDATA, Énergies Demain, ENTPE, FCBA, Futuribles,
I4CE, I CARE, IDDRI, IFPEN, IGN, INRAE, INRIA, Lo10, OID, Pouget Consultants, Solagro, TBC Innovation,
Terres Univia, Université Paris Dauphine, SOWATT.
Que toutes ces personnes, ainsi que celles qui ont participé aux webinaires des 19 mai 2020 et 15 janvier
2021, soient ici chaleureusement remerciées.
5 Transition(s) 2050
RÉSUMÉ
EXÉCUTIF
6 Transition(s) 2050
Un exercice de prospective
inédit et structuré
Ambitions et objectifs du pays, mais empruntent des voies dis- Ce travail a mis en lumière les interdé-
de l’exercice Transition(s) tinctes et correspondent à des choix de pendances entre les secteurs et permet
2050 société différents. Ces quatre scénarios de conférer à chaque scénario une struc-
sont inspirés dans leur logique des quatre ture solide et cohérente. Par ailleurs, il
La neutralité carbone à l’horizon 2050 scénarios du GIEC présentés dans le rap- intègre des avancées analytiques dans
appartient désormais au langage commun port spécial 1.5 °C de 20181. des domaines jusque-là peu ou mal étu-
des politiques climatiques internatio- diés dans les prospectives climat. Par
nales, européennes, nationales. Si sa dé- L’objectif de cet exercice est donc de : exemple, l’évaluation et la disponibilité
finition est à peu près partagée, le chemin construire des « profils » de scénarios de la biomasse, l’évaluation des puits
pour l’atteindre reste encore flou, voire biologiques et technologiques de CO2
totalement inconnu, pour la plupart des présentant une cohérence interne ; ou encore l’évolution de la production
décideurs et des citoyens. Or, face à l’ur- illustrer le champ des options possibles industrielle induite par celles de la
gence climatique, les changements à consommation.
opérer sont d’une telle ampleur qu’il est à long terme pour atteindre une neutra-
indispensable d’accélérer les débats dès lité carbone et en explorer les diverses La description des scénarios couvre les
maintenant, compte tenu des délais de implications ; secteurs du bâtiment, de la mobilité des
prise de décisions dans un cadre démo- voyageurs et du transport de marchan-
cratique, comme de ceux de leur mise en éclairer les décisions incontournables à dises, de l’alimentation, de l’agriculture,
œuvre. court terme. des forêts, de l’industrie, des déchets et
des services énergétiques (fossiles, bioé-
Quatre chemins « types », Deux années de travaux nergies, gaz, hydrogène, chaleur et élec-
cohérents et contrastés, croisés d’experts tricité).
pour conduire la France
vers la neutralité carbone. Afin de faciliter le passage à l’action, Les paramètres étudiés couvrent notam-
l’ADEME a donc réalisé cet exercice de ment :
L’ADEME n’entend pas proposer «la » prospective inédit reposant sur deux ans
bonne trajectoire, car la trajectoire qui de travaux d’élaboration, la mobilisation la demande en énergies ;
sera décidée relève de choix politiques à d’une centaine de collaborateurs de la consommation d’eau d’irrigation, de
prendre face à de multiples incertitudes l’ADEME et des échanges réguliers avec matériaux de construction, d’intrants
et en cohérence avec un projet de socié- un comité scientifique. Les hypothèses agricoles et l’usage des sols ;
té. Aussi l’ADEME a-t-elle privilégié de et modèles ont été affinés et enrichis au la production et la gestion de déchets ;
soumettre au débat, à la veille de l’élec- travers d’échanges nourris avec une cen- la production d’énergies et la composi-
tion présidentielle de 2022 et en amont taine de partenaires et prestataires exté- tion du bouquet énergétique ;
des délibérations collectives sur la Stra- rieurs, spécialistes des différents do- les importations et exportations ;
tégie Française Énergie Climat, quatre maines ainsi que par l’organisation de le bilan des gaz à effet de serre et les
chemins « types », cohérents et contras- deux webinaires, en mai 2020 et janvier puits biologiques et technologiques de
tés, pour conduire la France vers la neu- 2021, qui ont réuni près de 500 partici- CO2.
tralité carbone. Ces quatre chemins de pants chacun afin d’échanger sur les ré-
neutralité carbone sont mis en regard sultats intermédiaires. Cette première publication présente les
d’un scénario tendanciel s’inscrivant dans grands enseignements de ces travaux mais
la prolongation des tendances actuelles Méthode certains résultats de modélisations qui
à 2050. n’ont pu être lancés qu’après les résultats
Pour chaque scénario, l’ADEME a définitifs des hypothèses sectorielles se-
Imaginés pour la France métropolitaine, construit un récit cohérent, décliné dans ront présentés sous forme de feuilletons
ils reposent sur les mêmes données chaque secteur économique et social, entre janvier et mars 2022. C’est le cas
macroéconomiques, démographiques et au travers de variables structurantes ; ces pour le mix électrique, l’empreinte ma-
d’évolution climatique (+ 2,1 °C en 2100). récits ont ensuite été transformés en tière et l’empreinte gaz à effet de serre,
Ils aboutissent tous à la neutralité carbone hypothèses quantitatives dans des mo- ou encore les impacts macroécono-
dèles existants ou créés pour l’occasion ; miques, qui ne sont présentés que quali-
plusieurs itérations successives ont été tativement dans cette publication.
nécessaires pour vérifier, croiser et affi-
ner ces quantifications.
1 https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/sites/2/2019/09/SR15_Summary_Volume_french.pdf.
7 Transition(s) 2050
9 05
messages L’industrie va devoir se transformer non seu-
clés lement pour s’adapter à une demande en pro-
fonde mutation mais également pour décar-
01 boner sa production. Cela nécessitera des
plans d’investissements de grande ampleur et
Les quatre voies présentées, chacune dotée un effort de l’ensemble de la société pour ac-
de sa propre cohérence, permettent à la France compagner les territoires en mutation et for-
d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Mais mer les salariés aux nouveaux métiers.
toutes sont difficiles et nécessitent une plani-
fication orchestrée des transformations, asso- 06
ciant État, territoires, acteurs économiques et
citoyens. Le vivant est l’un des atouts principaux de
cette transition permettant de combiner
02 trois leviers stratégiques : le stockage de car-
bone, la production de biomasse et la réduc-
Atteindre la neutralité repose sur des paris forts, tion des gaz à effet de serre. Il est donc in-
aussi bien sur le plan humain (changements de dispensable de maintenir un équilibre entre
comportements) que technologique (puits de les usages alimentaires et énergétiques de la
carbone en particulier). Tous les scénarios com- biomasse avec la préservation des fonctions
portent donc une part de risque. Mais tous écologiques, comme la biodiversité et le stoc-
n’entraînent pas les mêmes conséquences en- kage de carbone grâce à une approche glo-
vironnementales, sociales et économiques. bale de la bioéconomie.
03 07
Pour tous les scénarios, il est impératif d’agir L’adaptation des forêts et de l’agriculture de-
rapidement : les transformations socio-tech- vient donc absolument prioritaire pour lutter
niques à mener sont d’une telle ampleur contre le changement climatique. La résilience
qu’elles mettront du temps à produire leurs des écosystèmes est d’autant plus cruciale
effets. Il faut entreprendre dès cette décennie qu’ils en subissent de plus en plus fortement
la planification et la transformation profonde les impacts.
des modes de consommation, de l’aménage-
ment du territoire, des technologies et des 08
investissements productifs.
La pression sur les ressources naturelles varie
04 considérablement d’un scénario à l’autre. C’est
particulièrement le cas pour l’eau d’irrigation
La réduction de la demande en énergie, elle- ou les matériaux de construction, dont les vo-
même liée à la demande de biens et de ser- lumes consommés varient d’un facteur 2 entre
vices, est le facteur clé pour atteindre la neu- certains scénarios.
tralité carbone. Cette réduction peut aller de
23 % à 55 % par rapport à 2015 suivant les scé- 09
narios, chacun reposant sur un équilibre diffé-
rent entre sobriété et efficacité énergétique. Dans tous les scénarios, en 2050 l’approvision-
nement énergétique repose à plus de 70 % sur
les énergies renouvelables et l’électricité est
le principal vecteur énergétique. Pour autant,
cela ne peut en aucun cas légitimer le gaspillage
d’énergies, afin de limiter la pression sur les
ressources.
8 Transition(s) 2050
LA SOCIÉTÉ EN 2050
S1 GÉNÉRATION S 2 COOPÉRATIONS
FRUGALE TERRITORIALES
Société • Recherche de sens • Évolution soutenable des modes de vie
• Frugalité choisie mais • Économie du partage
• Équité
aussi contrainte • Préservation de la nature inscrite
• Préférence pour le local
• Nature sanctuarisée dans le droit
MODES DE VIE Alimentation • Division par 3 de la • Division par 2 de la
consommation de viande consommation de viande
• Part du bio : 70 % • Part du bio : 50 %
Habitat • Rénovation massive et rapide • Rénovation massive, évolutions graduelles
• Limitation forte de la construction neuve mais profondes des modes de vie
(cohabitation plus développée
(transformation de logements vacants et adaptation de la taille des logements
et résidences secondaires en résidences à celle des ménages)
principales)
• Mobilité maîtrisée
Mobilité • Réduction forte de la mobilité • - 17 % de km parcourus
des personnes • Réduction d’un tiers des km
par personne
parcourus par personne • Près de la moitié des trajets
• La moitié des trajets à pied
à pied ou à vélo
ou à vélo
• Investissement massif (efficacité énergétique,
Technique • Innovation autant organisationnelle EnR et infrastructures)
que technique
Rapport au progrès, • Numérique au service du développement
numérique, R&D • Règne des low-tech, réutilisation territorial
et réparation
• Consommation des data centers
• Numérique collaboratif stable grâce à la stabilisation des flux
• Consommation des data centers stable
• Gouvernance partagée
grâce à la stabilisation des flux • Fiscalité environnementale
et redistribution
Gouvernance • Décision locale, faible coopération • Décisions nationales
internationale et coopération européenne
Échelles de décision,
coopération • Réglementation, interdiction • Reconquête démographique
et rationnement via des quotas des villes moyennes
internationale
• Coopération entre territoires
Territoire • Rôle important du territoire pour les • Planification énergétique territoriale
ressources et l’action
Rapport espaces ruraux – et politiques foncières
urbains, artificialisation • « Démétropolisation » en faveur des villes
moyennes et des zones rurales • Croissance qualitative, « réindustrialisation »
de secteurs clés en lien avec territoires
ÉCONOMIE Macro- • Nouveaux indicateurs
économie de prospérité (écarts • Commerce international régulé
de revenus, qualité de la vie…)
• Production en valeur plutôt
• Commerce international qu’en volume
contracté
• Dynamisme des marchés locaux
Industrie • Production au plus près des besoins • 80 % de l’acier, mais aussi de
• 70 % de l’acier, mais aussi de l’aluminium,
l’aluminium, du verre, du papier-carton
du verre, du papier-carton et des plastiques et des plastiques viennent du recyclage
viennent du recyclage
9 Transition(s) 2050
S 3 TECHNOLOGIES S4 PARI Société MODES DE VIE
VERTES RÉPARATEUR
Alimentation
• Plus de nouvelles technologies que de • Sauvegarde des modes de vie de
sobriété consommation de masse Habitat
• Consumérisme « vert » au profit des • La nature est une ressource à exploiter Mobilité
populations solvables, société connectée • Confiance dans la capacité à réparer des personnes
• Les services rendus par la nature sont optimisés les dégâts causés aux écosystèmes Technique
• Baisse de 30 % de la • Consommation de viande Rapport au progrès,
consommation de viande quasi-stable (baisse de 10 %), numérique, R&D
complétée par des protéines
• Part du bio : 30 % de synthèse ou végétales Gouvernance
• Déconstruction-reconstruction à grande • Maintien de la construction neuve Échelles de décision,
échelle de logements • La moitié des logements seulement coopération
internationale
• Ensemble des logements rénovés mais de est rénovée au niveau BBC
façon peu performante : la moitié seulement • Les équipements se multiplient, alliant Territoire
au niveau Bâtiment Basse Consommation
(BBC) innovations technologiques et efficacité Rapport espaces ruraux –
énergétique urbains, artificialisation
• Mobilités accompagnées par l’État pour
les maîtriser : infrastructures, télétravail • Augmentation forte des Macro-
massif, covoiturage mobilités économie
• + 13 % de km parcourus par personne • + 28 % de km parcourus Industrie
• 30 % des trajets à pied par personne
ou à vélo • Recherche de vitesse
• 20 % des trajets à pied ou à vélo
• Ciblage sur les technologies les plus
compétitives pour décarboner • Innovations tout azimut
• Captage, stockage ou usage
• Numérique au service de l’optimisation
• Les data centers consomment 10 fois plus du carbone capté indispensable
• Internet des objets et intelligence
d’énergie qu’en 2020
artificielle omniprésents :
• Cadre de régulation minimale pour les data centers consomment
les acteurs privés 15 fois plus d’énergie qu’en 2020
• État planificateur • Soutien de l’offre
• Fiscalité carbone ciblée • Coopération internationale forte et ciblée
sur quelques filières clés
• Planification centralisée du système
énergétique
• Métropolisation, • Faible dimension territoriale,
mise en concurrence étalement urbain,
des territoires, agriculture intensive
villes fonctionnelles
• Croissance verte, innovation poussée • Croissance économique carbonée ÉCONOMIE
par la technologie • Fiscalité carbone minimaliste et ciblée
• Économie mondialisée
• Spécialisation régionale
• Concurrence internationale
et échanges mondialisés
• Décarbonation de l’énergie • Décarbonation de l’industrie pariant sur le
• 60 % de l’acier, mais aussi captage et stockage géologique de CO2
de l’aluminium, du verre, • 45 % de l’acier, mais aussi de
du papier-carton et des plastiques l’aluminium, du verre, du papier-carton
viennent du recyclage et des plastiques viennent du recyclage
10 Transition(s) 2050
BILAN
comparé des 4 scénarios
S1 Génération frugale S2 Coopérations territoriales S3 Technologies vertes S4 Pari réparateur
ÉNERGIE
4 mix énergétiques variés pour 2050
UNE DEMANDE D’ÉNERGIE PLUS DE 70 % D’ENR DANS TOUS
À LA BAISSE LES SCÉNARIOS
Consommation finale d’énergie par secteur Consommation d’énergie et part des EnR
en 2015 et 2050 (avec usages non énergétiques dans la consommation finale brute d’énergie
en 2015 et 2050
et hors soutes internationales)
1 800TWh1 772 1 287 1 800 15 % 70 %
1 600 TWh1 0621 6002015 81-87 %*
1 400 2015 829 1 400
1 200 790 1 200 88 % 86 %
1 000 S2 S3 S4 1 000
S1 S1 S2 S3 S4
800 800 Autres EnR
600 600
400 400
200 200
0 0
Industrie Transport Résidentiel Tertiaire Agriculture
* Valeurs dépendant des choix de politiques industrielles
de développement de l’éolien flottant ou du nucléaire.
Demande finale énergétique par vecteur en 2015 et 2050
(avec usages non énergétiques et hors soutes internationales)
1 800 1 772
UNE PART CROISSANTE 1 600 1 360
DE L’ÉLECTRICITÉ 1 400
QUASI DISPARITION
DES ÉNERGIES FOSSILES TWh 1 200 1 074
UN VECTEUR GAZ 1 000 790 833
QUI CONSERVE UN TALON
DE CONSOMMATION 800
600
400
200
0 2015 S1 S2 S3 S4
Charbon Naphta Combustibles liquides
Réseau de gaz
Réseau de chaleur Électricité Hydrogène
EnR thermiques hors réseau
N.B. : la consommation d’énergie finale ne prend pas en compte l’énergie utilisée de façon intermédiaire pour fabriquer d’autres vecteurs énergétiques
ou non énergétique comme l’hydrogène. À titre d’illustration, la consommation d’électricité (non représentée sur ce graphique) utilisée pour fabriquer
de l’hydrogène à usage énergétique est respectivement de 62 TWh, 135 TWh, 65 TWh et 33 TWh dans S1, S2, S3 et S4. La différence des demandes de
consommation avec le graphique de la demande d’énergie par secteur provient de la consommation des puits technologiques qui n’est affectée à
aucun secteur. La différence avec la consommation finale brute d’énergie provient de la consommation pour usages non énergétiques.
11 Transition(s) 2050
CLIMAT RESSOURCES
Le rôle majeur des puits biologiques Une pression sur les
pour l’atteinte de la neutralité en 2050 ressources contrastée
QUATRE SCÉNARIOS NEUTRES EN 2050, 2 SCÉNARIOS LIMITENT
AVEC UN RECOURS PLUS OU MOINS IMPORTANT LE RECOURS À L’IRRIGATION
AUX PUITS DE CARBONE
Bilan des émissions et des puits de CO₂ Besoin en eau pour l’irrigation
en 2015 et 2050 en 2020 et 2050
5 4,50
500 445 Mdm 4 2,70 3,07
3
400 401 2 1,85 2,28
300
200 1
100
MtCO₂eq 74 68 85 135 0
0 2020 S1 S2 S3 S4
- 100 - 28 - 9 1
- 200
- 44 - 42 - 96 - 94 - 134 MOINS DE DÉCHETS MÉNAGERS
- 116 ET ASSIMILÉS
S4
- 300 Déchets ménagers et assimilés collectés
en 2015 et 2050
2015 S1 S2 S3
CCS et puits technologiques (BECCS, DACCS) 600 530 483
363
Puits biologiques Émissions Bilan 500 184
kg/hab./an 400 S2 S3 S4
LES PUITS BIOLOGIQUES EN CROISSANCE 300
DANS S1 ET S2 GRÂCE À LA FORÊT
ET AU CHANGEMENT DE PRATIQUES AGRICOLES 200 172
100
Puits naturels de carbone dans la biomasse 0 S1
et les sols en 2017 et 2050 2015
120 116 UNE MOBILISATION DE LA BIOMASSE
MULTIPLIÉE PAR 2 AU MOINS
MtCO /an 100 93
80 Mobilisation de la biomasse pour les usages
60 64 non alimentaires en 2017 et 2050
45
44 140 128 124
120 104 107
40 100
20 80
0 S1 -4 MtMS 60 49
- 20 40
S2 S3 S4
2017 20
Changement d’occupation des sols Sols agricoles restant agricoles 0
Forêts restant forêts Produits bois 2017 S1 S2 S3 S4
N.B. : la valeur du puits en 2017 est présentée comme référence sachant
qu’elle n’a pas été calculée avec la même méthode que pour les scénarios
mais à partir des valeurs de l’inventaire national réalisé par le CITEPA, en
y ajoutant la séquestration de carbone dans les sols forestiers et le bois
mort en forêt.
12 Transition(s) 2050
5 PROBLÉMATIQUES
à mettre en débat
S1 Génération frugale S2 Coopérations territoriales S3 Technologies vertes S4 Pari réparateur
# 1PROBLÉMATIQUE
La sobriété : jusqu’où ?
La décarbonation de l’énergie sera d’autant plus facilitée que
la demande sera faible. Or, la réduction de cette demande est
déterminée par deux facteurs : la démarche de sobriété, c’est-
à-dire le questionnement des modes de vie et de consommation
afin de maîtriser la demande de biens et de services et l’effica-
cité énergétique qui permet de réduire la quantité d’énergie
nécessaire à leur production. Mais le potentiel de l’efficacité
énergétique se heurte à des limites physiques et surtout à celle
des technologies disponibles.
On n’échappe donc pas à une interrogation sur la sobriété.
S4, le seul qui renonce à ce levier, conduit à une fuite en avant La sobriété heurte cependant le mode de pensée dominant
qui paraît risquée : faute de pouvoir décarboner l’énergie, la de la culture consumériste du monde moderne. Elle est souvent
société est réduite à dépenser d’énormes quantités d’énergie perçue comme une privation et s’avère clivante : ce qui semble
pour extraire le CO2 de l’air ambiant. Le pari technologique et être une privation pour une génération ou un individu donné
économique est énorme. peut au contraire apparaître comme une évidence pour un
autre. Or, la mise en œuvre à grande échelle de politiques de
S3, qui se place dans la prolongation de nos habitudes actuelles, sobriété nécessite des transformations sociales rapides et
mise sur les technologies pour augmenter le potentiel de l’effi- fortes, qui peuvent rencontrer de fortes résistances. S2 sur-
cacité énergétique, pour pouvoir se contenter d’une sobriété monte cette difficulté par la recherche d’un consensus social
modérée. Cela suppose l’atteinte effective de l’équilibre entre au travers d’une gouvernance ouverte, mais ceci ralentit le
développement de ces technologies et augmentation des rythme de la transformation. S1, qui a des objectifs de sobrié-
consommations. Mais le temps de développement de ces tech- té beaucoup plus forts et plus rapides, doit inévitablement
nologies retarde la diminution des émissions, conduisant à un recourir en parallèle à la contrainte via la réglementation ou
solde global d’émission important sur la période de transition. le rationnement via des quotas, ce qui impose un important
effort d’explication et des compensations pour la faire accep-
S1 et S2 font le choix d’une mobilisation plus importante de la ter. La difficulté à y parvenir fait courir le risque de clivages
sobriété en changeant la logique de développement socio-éco- forts, voire violents, au sein de la société.
nomique : une consommation réduite et des modes de vie
plus raisonnés qui privilégient les liens sociaux à l’accumulation Enfin, le questionnement sur la sobriété ne peut être disjoint
de biens matériels, ce qui correspond à des aspirations qui de celui sur les inégalités : d’un côté les modes de vie actuels
s’affirment de plus en plus dans nos sociétés. Ainsi, S1 et S2 semblent s’accommoder des inégalités dans l’accès aux
développent la sobriété d’usage (déplacement à pied ou à produits et services ; de l’autre, le choix de la sobriété
vélo, commerces de proximité privilégiés…), la sobriété dimen- impose de faire un réel effort d’équité, la diminution
sionnelle (alléger le poids des véhicules…) et la sobriété coo- de la consommation ne pouvant être envisagée
pérative (habitat plutôt collectif, location d’équipements qu’on pour la partie de la population la plus modeste.
utilise peu souvent plutôt que de les acquérir…). Cette sobrié-
té permet de sécuriser l’atteinte de la neutralité carbone : les
émissions résiduelles sont plus facilement compensées par les
puits de carbone naturels et la chute des émissions est suffi-
samment rapide pour que la somme des émissions sur toute
la durée de la transition reste modérée.
13 Transition(s) 2050
# 2PROBLÉMATIQUE
Peut-on s’appuyer
uniquement sur les puits
naturels de carbone pour
atteindre la neutralité ?
Les quatre scénarios montrent que l’atteinte de la neutralité
carbone ne peut pas se passer des puits naturels de CO2 (plantes,
sols et produits) car leur potentiel est très important par rapport
aux puits technologiques (captage et stockage du CO2).
Dans S1 et S2, les scénarios les plus sobres, ces puits biologiques # 3PROBLÉMATIQUE
agricoles et forestiers peuvent être maximisés et sont suffisants
(ou quasiment suffisants dans S2) grâce à une demande en éner- Qu’est-ce qu’un régime
gie faible, ce qui permet de limiter les prélèvements de biomasse alimentaire durable ?
(forêts en particulier). Il est ainsi possible de conserver un équilibre
entre exploitation de la biomasse pour décarboner, fourniture L’alimentation est l’un des enjeux majeurs mondiaux, avec le
des services aux humains (loisirs, matériaux…) et faible exploitation doublement prévu des besoins alimentaires à l’horizon 2050.
des forêts pour préserver les services rendus par la nature (bio- En France, l’alimentation est responsable du quart de l’empreinte
diversité, qualité de l’eau…). L’agriculture, avec le développement carbone et est à la croisée de multiples enjeux de santé et
de l’agroécologie et des « pratiques stockantes » (agroforesterie, d’environnement, notamment la préservation de la biodiversité,
prairies…), ainsi que la très faible artificialisation des sols grâce à de la qualité de l’eau et des sols. Enfin, l’alimentation est aussi
l’urbanisation maîtrisée, permettent également de préserver la au cœur de nos pratiques sociales.
fonction « puits » des sols. Mais cela nécessite des évolutions
dans nos modes de vie qui peuvent ne pas être consensuelles. La part de protéines animales dans les repas est un des facteurs
de premier ordre sur l’impact environnemental de l’alimentation.
Dans S3 et S4, le niveau d’émissions à compenser augmente et À titre d’exemple, la surface agricole mobilisée (en empreinte)
l’exploitation plus importante des milieux naturels diminue le pour nourrir un Français moyen passe du simple au quadruple
potentiel des puits : les puits technologiques deviennent donc entre un régime purement végétal et un régime très carné.
nécessaires.
Les quatre scénarios montrent que l’on ne peut pas considérer
Mais le potentiel de ceux-ci est limité : si S3 arrive à un équilibre le régime alimentaire indépendamment des autres enjeux du
satisfaisant entre puits naturels et puits technologiques qui vivant : quelle contribution attend-on de la biomasse pour la
permet de maîtriser leur coût, S4 se voit contraint de déployer production de matériau et d’énergie ? Quel rôle veut-on donner
des technologies de captage du CO2 dans l’air qui consomment aux puits de carbone naturels ? Quelle adaptation de l’agricul-
beaucoup d’électricité, qui ne sont pas matures aujourd’hui et ture doit-on envisager face au changement climatique qui l’af-
dont on ne sait si elles le seront à temps et à quel prix. Dans ces fecte d’ores et déjà ?
deux scénarios, il faut stocker dans le sous-sol tout ou partie du
CO2 capté, ce qui pose des questions d’acceptation. À part S4 qui mise sur le captage technologique du CO2 dans
l’air, tous les autres scénarios doivent faire évoluer le régime
Sobriété, gestion de la biomasse et puits naturels sont donc alimentaire moyen des Français vers moins de protéines carnées
intimement liés. Mais les puits naturels sont fragiles et vulné- tout en privilégiant la viande de qualité. Ceci présente de mul-
rables face au changement climatique. Sauf à faire d’énormes tiples co-bénéfices : libérer des terres agricoles en France et
hors de France, faciliter la conversion en bio des systèmes agri-
efforts de sobriété comme dans S1, les autres scénarios ne coles et privilégier des systèmes moins intensifs (systèmes her-
peuvent donc faire l’impasse d’une réflexion sur les bagers), relocaliser des productions et favoriser la résilience des
ambitions à consacrer : territoires, réduire notre impact sur les écosystèmes (défores-
à une politique active de développement des tation importée). Les trois premiers scénarios montrent cepen-
puits agricoles et forestiers pour augmenter leur dant que différents modèles agricoles et alimentaires sont
résilience, avec des co-bénéfices probables possibles, à condition de les développer en cohérence avec les
sur la biodiversité et l’adaptation au change- autres dimensions de la transition.
ment climatique ;
au développement de technologies de cap-
tage, utilisation et stockage du CO2, pour
éviter de ne dépendre que des puits natu-
rels dont le potentiel de développement
reste incertain.
14 Transition(s) 2050
# 5PROBLÉMATIQUE
Vers un nouveau modèle
industriel : la sobriété est-elle
dommageable pour l’industrie
française ?
# 4PROBLÉMATIQUE Par opposition aux 30 années passées, il est aujourd’hui
communément admis que relocaliser l’industrie en France est
Artificialisation, précarité, vital pour notre économie et sa résilience. Cette relocalisation
rénovation : une autre ne va toutefois pas de soi dans un monde globalisé et ne sera
économie du bâtiment pas sans impact. La compétitivité de l’industrie va être développée
est-elle possible ? avec deux leviers plus ou moins activés suivant les scénarios : un
nouveau modèle industriel privilégiant la qualité à la quantité et
Les bâtiments résidentiels et tertiaires représentent aujourd’hui fondé sur l’économie circulaire (S1 et S2) ou un modèle plus
près de la moitié de la consommation d’énergie nationale et quantitatif, mais avec des procédés et des énergies décarbonés
près d’un quart des émissions de GES ; ils consomment (S3 et S4).
51 millions de tonnes de matériaux par an pour leur construction
et participent directement à l’artificialisation des sols. Sur le Dans S1 et S2, l’industrie doit revoir son modèle d’affaires avec
plan social, le logement représente 30 % du budget des ménages, une production diminuée en tonnage de matériaux et de biens
la précarité énergétique touche plus de 5 millions de ménages de consommation (- 38 % pour S1 et - 26 % pour S2) en raison de
et le mal logement concerne environ 4 millions de personnes. la sobriété des consommateurs (citoyens, entreprises et collec-
tivités). Cela passera par des produits de qualité, plus chers mais
À côté de cela, les tendances récentes aboutissent à une cer- durables, écoconçus, réparables, réutilisables et recyclables.
taine multiplication des équipements et à une utilisation de Mais également par le développement de l’économie de la
surfaces de bâtiment croissante (décohabitation, logements fonctionnalité, c’est-à-dire la vente d’un service plutôt que du
et bureaux vacants, développement des résidences secondaires). produit, qui allie économie de matières et économie d’énergie
pour une économie plus circulaire. Ces scénarios limitent par
Dans S1 et S2, il est possible de limiter les impacts du bâtiment ailleurs le risque de « fuites de carbone » en évitant la déloca-
non seulement par une réhabilitation massive et efficace mais lisation des industries lourdes dans des pays à plus faible fisca-
également par l’abandon du rêve de maison individuelle au lité carbone ; dans S2, cela va jusqu’à la réindustrialisation (amé-
profit d’un habitat collectif respectant l’intimité de chacun lioration du solde commercial) pour certains secteurs ciblés
mais plus convivial et développant le partage de pièces entre dont la production est décarbonée.
plusieurs appartements ou d’équipements (machines à laver
par exemple), la transformation des résidences secondaires en Dans S3, la production industrielle est en légère baisse (- 14 %
habitat principal ou encore la sobriété dans l’usage des équi- en tonnage). Elle reste stable dans S4, avec toutefois une dé-
pements électriques et numériques. Mais ces changements de gradation de la balance commerciale sur les secteurs de l’in-
société ne sont pas faciles. S3 et S4 misent plus sur la techno- dustrie lourde, pouvant potentiellement conduire à des « fuites
logie et sur la construction neuve (en particulier S3 qui est un de carbone ». Les défis industriels sont alors dans l’efficacité
scénario haussmannien de déconstruction/reconstruction) mais énergétique et la décarbonation de l’énergie (énergies renou-
avec une consommation de matières et d’énergie (production velables ou captage et stockage de CO2).
du ciment et des matériaux) très élevée, nécessitant de nouvelles
carrières ou des extensions de plus en plus mal acceptées par Dans tous les cas, ces évolutions doivent s’accompagner :
les populations environnantes. de plans d’investissements de grande ampleur, tant pour la
massification de technologies matures que pour l’émergence
Les choix sur le bâtiment ont des conséquences sur le modèle d’innovations de rupture dans les procédés industriels. En
industriel : la consommation massive de ciment et d’acier aug- effet, l’efficacité énergétique et la décarbonation deviennent
mente fortement les émissions de l’industrie. Les des facteurs clés de compétitivité ;
modèles de S1 et S2, fondés sur la rénovation, de politiques d’emplois-formations ambitieuses et
vont ainsi de pair avec un modèle industriel d’accompagnement des territoires touchés par les
plus sobre fondé sur l’économie circulaire. mutations industrielles.
En matière sociale, les emplois créés dans
la rénovation massive des logements Dans ce cadre, se pose la question de
pourraient plus que compenser les pertes la place des politiques publiques pour
de ceux de la construction neuve. accompagner ces transformations, que ce
soit en matière de dispositifs de soutien ou
d’aménagement du territoire.
15 Transition(s) 2050
Limites et perspectives
d’approfondissement
Comme pour tout exercice de prospective, certaines bien moins développées que celles sur l’efficacité
limites demeurent : énergétique ou les énergies renouvelables qui bé-
néficient d’études et de recherches depuis plusieurs
Les effets du changement climatique sur le fonc- décennies.
tionnement des infrastructures, des systèmes et
des organisations ainsi que sur les comportements L’évaluation des conséquences sur la biodiversité
sont surtout pris en compte pour les secteurs agri- rencontre des difficultés méthodologiques liées au
coles, forestiers, bâtiments et réseau électrique, manque de connaissances et au fait que les données
faute de travaux de référence ou d’outils de modé- de l’exercice ne sont pas précisément localisées.
lisation pour les autres secteurs ; Pour autant, la préoccupation de la biodiversité
n’est pas absente des travaux.
La juxtaposition de scénarios construits sur des
forces motrices très différentes peut laisser penser Le « reste du monde » est considéré comme un tout
que ceux-ci bénéficient du même niveau d’exper- qui prend le même chemin que la France métropo-
tise et retours d’expériences. Or, les connaissances litaine et, à ce titre, ne bénéficie pas d’une modé-
en matière de sobriété ou de puits de carbone sont lisation fine.
Les prochaines étapes de ce travail
Ce travail n’est que la première partie d’une série de feuilletons qui seront publiés entre janvier
et mars 2022. L’ensemble formera alors un tout qui sera remis en perspective au cours du Grand
Défi Écologique, événement organisé par l’ADEME les 29 et 30 mars 2022 à Angers.
Les sujets de ces feuilletons sont les suivants :
Analyse du mix électrique
Métaux de la transition écologique
Évaluations macroéconomiques dont l’emploi et les investissements
Analyse des changements des modes de vie, menée à travers l’étude qualitative
des regards et perceptions de 31 Français d’horizons différents sur les récits des scénarios
Empreinte matière, gaz à effet de serre, ressources et biens de consommation
Usage des terres et qualité des sols
Adaptation au changement climatique
Analyse de l’impact sur quelques filières à enjeux, notamment : « construction neuve »,
« systèmes énergétiques », « protéines » et « logistique des derniers kilomètres »
Robustesse et vulnérabilité à des chocs
Qualité de l’air
Territoires (sous la forme d’un guide d’aide à la prospective pour les territoires)
Numérique
16 Transition(s) 2050
AMBITIONS,
CADRAGE
DE L’EXERCICE
1ET CONTEXTE
17 Transition(s) 2050
1. AMBITIONS, OBJECTIFS,
MÉTHODES
21 Ambitions et objectifs de l’exercice
26 Méthode de construction et d’analyse des scénarios
42 Références bibliographiques
44 Annexes
18 Transition(s) 2050
LM’ÊAMVE ENIR
N’EST PLUS CE
QU’IL ÉTAIT.
Paul Valéry
LES ESPÈCES QUI
SURVIVENT NE SONT
PAS LES ESPÈCES LES
PLUS FORTES, NI LES
PLUS INTELLIGENTES,
MAIS CELLES QUI
S’ADAPTENT
LE MIEUX AUX
CHANGEMENTS.
Charles Darwin
19 Transition(s) 2050
AMBITIONS, CADRAGE DE L’EXERCICE ET CONTEXTE AMBITIONS, OBJECTIFS, MÉTHODES
Quelques précisions de vocabulaire
Idéologie : prisme cohérent d’interpré- tude, équilibrant approche normative Variables clés (key drivers, shaping
tation du monde. Ce terme est utilisé et foisonnement des hypothèses, préci- actors, shaping factors) : les variables les
dans ce travail sans connotation péjora- sion des variables motrices et approxi- plus influentes sur le sujet considéré.
tive : il fait référence aux idéologies pour mation itérative, expertise des sources L’analyse d’un scénario permet de com-
nourrir et construire les archétypes de et participation ouverte » (Eriksson et parer les ordres de grandeur en jeu,
scénarios. En situation d’incertitude et Weber, 2008) . d’analyser et d’expliciter des implica-
de débat sur ce qui est possible et dési- tions d’évolution de variables, de tirer
rable dans le futur, les idéologies jouent Scénarios exploratoires: scénarios explo- les enseignements des conditions de
un rôle important dans la formation des rant le spectre des futurs possibles. Ils se cohérence. L’ensemble de cette analyse
anticipations des acteurs et leur prise de distinguent des « prévisions » réalisées permet de produire des connaissances
position pour une orientation stratégique par des prévisionnistes pour qualifier utiles pour réduire le champ des pos-
particulière. Un exercice de prospective différentes variantes de projections dont sibles et les incertitudes sur le futur.
permet d’expliciter l’état des connais- les évolutions sont marquées par peu
sances et des incertitudes, les positions d’incertitudes. Les scénarios explora- Variables externes : variables sur
des acteurs, mais aussi de questionner toires permettent de réfléchir sur le futur lesquelles le système considéré n’a pas
ces idéologies, les réviser et les confronter. lorsque celui-ci est ouvert, incertain et ou peu de pouvoir direct. Dans une
débattu. Sans pouvoir prédire le futur, démarche de prospective stratégique,
Récit : descriptif qualitatif et transversal la démarche permet néanmoins de res- il est possible de distinguer des
des projections dans le futur. Il s’agit d’un treindre les incertitudes et délimiter le variables « de contexte » qui relèvent de
discours décrivant l’évolution en termes champ du possible et du souhaitable, l’écosystème dans lequel évolue
qualitatifs et qui expose les caractéris- dont il faudra débattre. Il s’agit donc l’organisation étudiée (l’organisation a
tiques, la logique d’ensemble et les élé- d’un outil d’aide à la réflexion et à la un certain pouvoir sur ces variables, mais
ments nouveaux qui sous-tendent des coordination. d’autres acteurs également), de variables
scénarios du futur. Également appelé « d’environnement » qui relèvent du
« canevas de scénario » dans les textes Scénarios normatifs ou stratégiques : contexte général (et sur lesquelles
spécialisés, ces récits permettent de se scénarios explorant des stratégies pos- l’organisation n’a pas de pouvoir). Dans
représenter des futurs et de se projeter sibles pour réaliser des futurs souhai- cet exercice une stratégie nationale
mentalement. Ils suscitent une réflexion tables et réalisables. Ce sont ces formes climat est envisagée et « l’organisation »
sur la plausibilité, la faisabilité et la dési- de scénarios qui sont réalisées dans le rassemble l’ensemble des acteurs et des
rabilité de différents futurs. présent projet en considérant des arché- organisations français. Les variables
types de stratégies de transformation externes sont, par exemple, l’évolution
Scénario : « jeu cohérent d’hypothèses de la société française qui pourraient du contexte international, les marchés
conduisant d’une situation d’origine à permettre de respecter des trajectoires et les prix internationaux, l’évolution du
une situation future. Un scénario est une d’émission et d’absorption de gaz à effet climat. Les acteurs français ont une
description du système à un horizon de serre. Ces trajectoires doivent être influence, un pouvoir d’action limité sur
donné et du cheminement conduisant compatibles avec l’objectif français de ces évolutions lorsqu’ils agissent seuls
à son état final. Il peut être vu comme « neutralité carbone » en 2050 (Loi Éner- (coordination limitée avec les autres
un outil de liaison, qui articule un récit gie-Climat, 2019 [2]). pays). Mais au sein de la stratégie
qualitatif à propos du futur et des for- nationale, les divers acteurs auront des
mulations quantitatives – hypothèses – Variables : éléments qui exercent une champs stratégiques différents.
donnant lieu à modélisation » (définition influence sur le problème étudié et qui
du Groupe d’experts intergouvernemen- sont susceptibles d’être cause de chan- Variables internes : variables sur
tal sur l’évolution du climat, GIEC). gement(s). Souvent, une variable dans lesquelles l’organisation ou l’entité (ici la
Dans le présent exercice, le terme prend un système prospectif est un mélange France) qui conduit la démarche de
en compte le récit, les hypothèses sur de facteurs et d’acteurs (un facteur évo- prospective estime avoir une certaine
les axes structurants et les simulations lue le plus souvent sous l’influence d’un maîtrise et sur lesquelles elle peut jouer
quantitatives (modèles mathématiques). acteur ou de plusieurs acteurs). L’en- pour déployer sa stratégie. Dans cet
semble des variables considérées déli- exercice de prospective, les variables
L’AllEnvi [1] nous en donne une définition mite le système de représentation du internes correspondent d’abord aux
plus complète encore : c’est « une repré- problème. Leur description est impor- variables sur lesquelles les stratégies des
sentation du futur, basée sur des jeux tante, puisqu’il existe de nombreuses acteurs des secteurs techniques ont une
d’hypothèses et de conséquences ("Si…, incertitudes sur des éléments importants influence (dans le bâtiment, les
alors…"), issue d’une situation initiale et à prendre en compte. Tout récit de scé- transports, l’industrie, l’agriculture, la
travaillée par des forces et des change- narios passés, présents et futurs véhicule production d’énergie, etc.).
ments, à un horizon donné » (Alcamo, une simplification nécessaire, mais qui
2009). Il s’agit en dernier ressort d’« un doit être transparente, car elle peut être
compromis entre complexité et incerti- discutée, jugée plus ou moins pertinente.
20 Transition(s) 2050
AMBITIONS, CADRAGE DE L’EXERCICE ET CONTEXTE AMBITIONS, OBJECTIFS, MÉTHODES
1. Ambitions et objectifs
de l’exercice
1.1. Pourquoi mettre en débat
la stratégie de transition
écologique ?
En ligne avec ses engagements internationaux de collectives sur la future Stratégie Française Énergie-
l’Accord de Paris (2015), la France a construit deux Climat (SFEC)et à la veille des débats de l’élection
premières Stratégies Nationales Bas Carbone (SNBC, présidentielle de 2022 au cours de laquelle, sur la
2015 [3] ; 2020 [4]), qui ont permis de fixer les grands question de la transition écologique, des propositions
objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de concrètes à la hauteur des enjeux devront émerger.
serre (GES), ainsi que les budgets carbone1 qu’elle doit
respecter pour les années à venir. Selon la Loi Énergie- L’objectif de cet exercice de scénarisation de
Climat (2019) [2], la trajectoire de réduction et l’ADEME n’est pas de proposer un projet politique,
d’absorption des GES doit permettre d’atteindre un ni « la » bonne trajectoire pour parvenir à ces
objectif de « neutralité carbone » d’ici 2050, soit un objectifs collectifs. Ne serait-ce que parce que les
équilibre entre des flux annuels d’émissions et des incertitudes sont telles qu’aucun expert ne peut
flux d’absorption. Arriver à cette trajectoire constitue prétendre identifier la meilleure trajectoire, ni aucun
un réel défi. Le Haut Conseil pour le Climat, chargé politique ne peut affirmer que son programme
de suivre la mise en œuvre de la politique climatique d’action permettra de réaliser effectivement la
de la France, a ainsi constaté en 2020 que « la réduction trajectoire prévue. Mais l’expertise peut contribuer
des émissions de gaz à effet de serre continue à être à rassembler des éléments de connaissances
trop lente et insuffisante pour permettre d’atteindre techniques, tout en favorisant des débats nourris de
les budgets carbone actuels et futurs » [5] [6]. ces connaissances, sur ce qui est possible et
souhaitable. Les décisions collectives doivent en effet
Pour les prochaines années, le rythme annuel de porter autant sur la société durable que nous
réduction des émissions françaises doit donc souhaitons construire ensemble que sur les modalités
fortement s’accélérer pour respecter les budgets de réalisation de transformations profondes et
carbone de la deuxième SNBC [4]. Si la crise de la systémiques qui la rendront possible. L’ADEME
Covid-19 a marqué une rupture ponctuelle en faisant propose ici quelques archétypes de scénarios. Ils ne
de 2020 une année record de baisse, le rebond des sont pas les seuls possibles, ils sont complémentaires
émissions est déjà constaté. Par ailleurs, cette baisse plus que concurrents avec ceux proposés par d’autres
conjoncturelle est de toute façon insuffisante à long acteurs. Leur but est d’aider à réfléchir à la nature
terme et s’est faite au prix d’une crise économique des transformations et des choix à faire pour
sans précédent. construire un chemin de développement compatible
avec un objectif de neutralité carbone, aider
Les décennies à venir seront marquées par également à prendre conscience des implications
d’indispensables transformations, rapides, profondes des choix sociétaux et techniques qui entraîneront
et systémiques pour diminuer drastiquement l’impact des chemins différents. Il s’agit également de fournir
des activités humaines non seulement sur le climat des éléments d’évaluation sur les enjeux sociaux,
(voir en particulier le sixième rapport du Groupe économiques, environnementaux associés à ces
d’experts intergouvernemental sur l’évolution du différents chemins, afin de nourrir les délibérations
climat [GIEC] d’août 2021 qui le rappelle [7]), sur une stratégie de compromis qui emportera
mais également sur la biodiversité et les pollutions. l’adhésion.
Elle suppose, dans les deux décennies à venir, une
mobilisation sans précédent de tous les acteurs de la En plus de la question climatique et de l’urgence à
société, d’importantes innovations techniques, laquelle il convient aujourd’hui de faire face, d’autres
institutionnelles et sociales, ainsi qu’une évolution enjeux environnementaux sont plus pressants que
profonde des modes de vie, de production et de jamais : la qualité et la disponibilité de la ressource
consommation. C’est à ce point charnière du temps en eau, la destruction et la perte de qualité des sols,
que ce travail se situe, en amont des délibérations la destruction de la biodiversité, etc. Le choix de la
1 Ce sont des plafonds d’émissions à ne pas dépasser, exprimés en moyenne annuelle par période de 5 ans en millions de tonnes
de CO2 équivalent.
21 Transition(s) 2050
AMBITIONS, CADRAGE DE L’EXERCICE ET CONTEXTE AMBITIONS, OBJECTIFS, MÉTHODES
stratégie de développement française devra être 1.2. Préciser les moyens
justifiée au regard de l’ensemble des enjeux de réaliser une transition
écologiques, sociaux et économiques et se fixer écologique profonde
des objectifs quantitatifs pour chacun d’eux.
La Commission de l’environnement, de la santé et L’atteinte des objectifs d’une transition écologique
de la sécurité alimentaire du Parlement européen suppose donc des transformations importantes,
propose par exemple de définir un objectif de systémiques et profondes. Le philosophe Pascal Cha-
diminution de consommation de matières premières. bot [9] remarque que la discussion sur la transition
Sans fixer de chiffre, le Parlement fait référence au évolue pour se concentrer sur les moyens sans re-
plan néerlandais de 2016 qui fixe un objectif de moins mettre en cause les objectifs : « La transition voudrait
50 % de matières premières à l’horizon 2030 (en fait avant tout changer les moyens de parvenir à des
de métaux, minéraux non métalliques et énergies fins. » Ceci s’applique aujourd’hui aux enjeux de la
fossiles [8]). Ce n’est, à ce stade, qu’une proposition transition écologique. La neutralité carbone et la
de la commission du Parlement mais le fait de rendre protection de la biodiversité constituent des objec-
ces objectifs contraignants ou engageants commence tifs partagés par une majorité de personnes. Mais les
à faire son chemin. désaccords demeurent sur les moyens à mobiliser
pour atteindre ces objectifs, ainsi que sur la façon
Pour atteindre l’objectif d’un débat public de quali- de concilier des défis écologiques, économiques et
té, il faut aussi que la transparence sur la démarche, sociaux simultanés.
les hypothèses et les résultats soit la plus grande
possible. Un exercice qui renforcerait la défiance Avec ce travail de scénarisation, l’ADEME souhaite
serait contre-productif. Un scénario unique serait nourrir ces débats sur les moyens et les conditions
trop perçu comme la sélection et la justification de réalisation de trajectoires compatibles avec l’ob-
d’une position partisane parmi d’autres défendables jectif de neutralité carbone. Il s’agit de développer
et non pas comme une analyse utile pour nourrir des la discussion sur la faisabilité de chemins alternatifs
délibérations où toute position réaliste est défen- compatibles avec cette cible et sur leurs consé-
dable. La première mesure consiste à ne pas retenir quences écologiques, économiques et sociales. Il
a priori un seul scénario normatif plausible mais plu- s’agit au final de favoriser les délibérations nécessaires
tôt plusieurs scénarios alternatifs, pour susciter une pour identifier une stratégie de développement dé-
confrontation argumentée entre des conceptions sirable, susceptible d’emporter une large adhésion.
concurrentes sur la bonne stratégie. Une seconde
mesure consiste à expliciter la méthode, les hypo- 1.3. Des contributions importantes
thèses, les résultats, donner accès aux sources et aux au-delà des scénarios produits
données, rendre disponible les analyses pour les ré-
examiner, les approfondir, les discuter. Ce travail de Au-delà des résultats particuliers obtenus, les contri-
transparence, de dialogue et d’approfondissement butions de ce projet visent d’autres objectifs :
devra se poursuivra au-delà de cette publication.
contribuer à la capitalisation et à la mise en cohé-
rence de connaissances récentes ; notamment
identifier des potentiels, trouver des convergences
d’intérêts parfois, mais aussi identifier les arbitrages
nécessaires dans les années à venir pour concilier
les enjeux écologiques et sociétaux ;
identifier des points aveugles de connaissance
qui semblent prioritaires pour la délibération, la
décision et l’action, en posant ainsi des questions
nouvelles pour les recherches à venir ;
construire une prospective servant d’outil d’aide
à la décision, de médiation et de dialogue,
à destination des nombreuses sphères scientifiques
et expertes concernées en mettant à disposition
des analyses, des hypothèses et des résultats qui
pourront être appréhendés dans l’espace public,
examinés, discutés et approfondis par de
nombreux travaux à venir ;
22 Transition(s) 2050
AMBITIONS, CADRAGE DE L’EXERCICE ET CONTEXTE AMBITIONS, OBJECTIFS, MÉTHODES
faire dialoguer et délibérer différentes communau- des choix d’usage de la biomasse, l’évolution des
tés et parties prenantes sur les décisions autour puits biologiques et techniques permettant d’absor-
des transformations structurelles à réaliser, en exa- ber des gaz à effet de serre, l’évolution des quantités
minant les options alternatives et les stratégies des de production industrielle induites par les évolutions
acteurs des différentes filières, qui contribueront de la consommation, la description de la transfor-
à l’atteinte de la neutralité carbone ; mation des filières et des modes de vie, l’évaluation
de l’empreinte de la consommation des Français en
nourrir le débat public et politique qui s’ouvrira ressources physiques et gaz à effet serre, la robustesse
notamment dans les perspectives électorales de à des incertitudes macroéconomiques. Tout ceci
l’élection présidentielle de 2022 et au-delà, dans le contribue à repousser les limites d’analyse constatées
cadre des discussions sur la Stratégie Française dans les exercices de scénarisations précédents (« Vi-
Énergie-Climat (SFEC) et des débats nationaux ou sions » ADEME [10] [11] ; SNBC 2015 [3], 2020 [4], etc.).
locaux qui pourront être organisés par les autorités Ce travail d’amélioration des méthodes et des
publiques. connaissances se poursuit au long cours. Ainsi,
chaque chapitre souligne les limites de l’analyse et
1.4. Continuité et innovation donnent des perspectives d’approfondissement des
par rapport aux prospectives connaissances pour les années à venir.
précédentes
1.5. Des scénarios pour délibérer
Le concept de neutralité carbone, extrêmement am- sur la stratégie de transition
bitieux et structurant depuis l’Accord de Paris de 2015, écologique
rend les outils d’analyse numérique non pas obsolètes,
mais parfois en limite de validité ou de pertinence. Les quatre scénarios sont des « archétypes » de stra-
Il existe un processus d’amélioration continue des tégies et sont très ouverts. Ils permettent de dresser
approches, modèles d’analyse et connaissances une cartographie cohérente et aussi complète que
permettant de renseigner utilement les acteurs possible des grands choix stratégiques qui s’offrent
et les processus de décision. L’exercice de scénarisa- à nous. Ces quatre archétypes ne couvrent pas tous
tion de l’ADEME s’inscrit dans cette dynamique. les scénarios possibles. D’autres acteurs pourront
proposer d’autres scénarios qui pourront y être
Pour cet exercice, l’ADEME a fait plusieurs choix mé- comparés. Il s’agit néanmoins de scénarios contras-
thodologiques structurants : tés, qui permettent de réfléchir collectivement aux
alternatives possibles, à ce qui semble plus réaliste,
la prise en compte de « récits nationaux pour la plus désirable, ainsi qu’aux conditions nécessaires
transition », pour considérer des alternatives trai- pour parcourir le chemin vers une neutralité car-
tant des intérêts divergents d’acteurs, le tout dans bone.
un contexte d’incertitudes fortes ;
D’autres travaux de prospective, comme le rapport
une modélisation et une représentation conjointe Vigie 2020 [12] de Futuribles qui envisage seize scé-
des objectifs de transition énergétique et des po- narios de rupture, ou le Global Trend 2040 de la CIA
litiques d’économie des ressources naturelles pour- [13] qui donne une vision américaine des grandes
suivies dans le cadre des objectifs de développe- tendances politiques, militaires, économiques et
ment durable (ODD) ; sociales du monde, sont des exercices complémen-
taires, puisqu’ils envisagent des ruptures possibles,
un cadre d’analyse commun pour décrire diverses rappellent des tendances de fond structurantes
trajectoires faisant apparaître les principales va- pour la société française et le monde dans les an-
riables stratégiques et les leviers de transitions ; nées à venir. Les scénarios de transition de l’ADEME
ne décrivent pas l’ensemble de ces tendances,
une approche, non pas en extrapolation et inflexion puisqu’ils se concentrent avant tout sur les trans-
des tendances, mais en rétroprojection partant de formations physiques qui affecteront l’atteinte des
l’objectif de long terme (ici la neutralité carbone) objectifs écologiques. Toutefois, une discussion plus
et analysant les chemins permettant d’y aboutir à « sociétale » pourra être suscitée par les scénarios
partir de la situation initiale. Cette approche né- ADEME grâce à une mise en regard des chemins de
cessite une démarche itérative entre objectifs de transformations écologiques décrits avec ces consi-
long terme et évolutions et actions de court terme. dérations plus larges sur les grandes tendances et
ruptures de l’état du monde. Ces évolutions sont
Par ailleurs, l’exercice intègre également des avancées susceptibles d’affecter significativement la transi-
analytiques dans un certain nombre de domaines tion écologique à opérer. Néanmoins, nous n’ana-
jusque-là peu ou mal étudiés dans les prospectives lysons pas ici les relations entre ces travaux de pros-
du climat, comme l’évaluation de la disponibilité et pective. Les scénarios proposés couvrent un champ
23 Transition(s) 2050
AMBITIONS, CADRAGE DE L’EXERCICE ET CONTEXTE AMBITIONS, OBJECTIFS, MÉTHODES
large, mais limité à la stratégie nationale de transition ciation d’une stratégie par rapport à une autre (par
écologique d’un pays (la France) vers la cible particu- exemple, parce qu’elle accélère certaines réévalua-
lière de neutralité carbone et à ce titre l’analyse ne tions et prises de conscience sur des changements
décrit pas l’ensemble des évolutions du monde. qui sont davantage perçus comme faisables et dési-
rables après la pandémie). En fait, cette réflexion
Le lecteur des scénarios ADEME pourra cependant accompagne bien plus la lecture que la construction
garder en tête l’existence de tendances observées des scénarios.
au cours des trente dernières années et questionner
les interactions possibles de dynamiques sociétales Il reste la question épineuse des incertitudes et de
à l’œuvre avec les enjeux de la transition écologique la robustesse des stratégies décrites à des évolutions
des trente prochaines années : imprévues. Il s’agit également d’un enseignement de
la pandémie et l’on sait que les chocs à venir liés à
augmentation de l’espérance de vie (+ 6 ans en l’évolution du climat seront importants. Des chocs
30 ans) ; sur l’environnement technique, économique, social,
politique et mondial arriveront certainement. La
augmentation de la population mondiale réalisation de ces scénarios de neutralité carbone
(+ 2,3 milliards en 30 ans) ; ne sera certes pas un long fleuve tranquille. Il deman-
dera des tâtonnements, des réactions, des ajuste-
population urbaine devenue majoritaire (plus des ments au fil de l’eau qui seront cruciaux dans les deux
¾ de la population des pays industrialisés) ; prochaines décennies. Les scénarios proposés restent
néanmoins dans une grande mesure déterministes.
place croissante des femmes dans la société ; Ils sont fondés sur des hypothèses particulières sans
analyser tout le champ des incertitudes possibles.
découverte et confirmation des dégâts environne- Mais ils pourront servir de base à des réflexions et
mentaux (climat, ressources et biodiversité avec des analyses sur les effets de chocs et d’incertitudes
notamment le GIEC, l’IRP et l’IPBES) ; sur les évolutions du monde. Pour cette raison, la
description transparente et la plus complète possible
la révolution numérique et d’Internet (du smart- des hypothèses et de la méthode est importante
phone à l’intelligence artificielle) ; puisque la description des effets et la comparaison
des stratégies décrites en découle. Cette description
la mondialisation et plus particulièrement la mon- transparente permettra l’utilisation de ces scénarios
tée en puissance de la Chine comme acteur éco- pour la délibération et la poursuite de l’analyse2 : « Et
nomique majeur aux côtés des États-Unis ; si je suppose autre chose, est-ce-que cela change le
choix ou l’évaluation de ce qu’il faut faire ? »
le regain du fondamentalisme religieux et du terro-
risme ; 1.6. Vers une évaluation
multicritère des scénarios
le multilatéralisme géopolitique et l’affaiblissement de transition écologique
de la coopération internationale ;
Le choix de la stratégie française de développement
etc. pour le XXIe siècle doit également assurer un niveau
de conciliation suffisant entre plusieurs objectifs
Enfin, ce travail de scénarisation est publié dans une auxquels la France doit s’atteler simultanément. L’ob-
période très particulière, marquée par la crise de la jectif de neutralité carbone que les scénarios ADEME
Covid-19. Cette période affecte les imaginaires tentent d’expliciter ne peut être isolé de ces autres
comme les certitudes sur la prolongation des grandes objectifs simultanés puisqu’il suppose des transfor-
tendances du passé, les possibilités de rupture, les mations profondes et systémiques des modes de
possibilités d’action et l’évolution des valeurs col- production, de consommation, d’aménagement du
lectives. On discute pour savoir si le «monde d’après» territoire, qui auront des effets dans bien d’autres
ressemblera au « monde d’hier ». Cette possibilité de dimensions que les émissions de gaz à effet de serre.
rupture n’est pas non plus prise en compte dans la
construction des scénarios de neutralité carbone. Le Graphique 1 synthétise quelques enjeux soulevés
En effet, elle ne change pas la vision des transforma- par les différents avis exprimés sur le projet de
tions physiques de long terme qui seront nécessaires SNBC 2 [4] par différentes instances consultatives et
pour réduire les émissions et absorber les gaz à effet
de serre. On gardera néanmoins cette réflexion en
toile de fond pour se demander si les évolutions de
long terme décrites se trouvent freinées ou favorisées
par ce contexte (par exemple, l’augmentation du
télétravail qui affectera les déplacements et les émis-
sions des transports), si ce contexte change l’appré-
2 La robustesse des stratégies à différents contextes macroéconomiques est examinée par le Centre International de Re-
cherche sur l’Environnement et le Développement (CIRED), en prenant en compte des incertitudes sur le fonctionnement de
l’économie et le contexte futur : le prix du pétrole importé, la concurrence étrangère, le fonctionnement du marché du travail,
etc. Ce travail d’analyse complémentaire sera publié en 2022.
24 Transition(s) 2050
AMBITIONS, CADRAGE DE L’EXERCICE ET CONTEXTE AMBITIONS, OBJECTIFS, MÉTHODES
compétentes : le Conseil national de la transition luations complémentaires seront publiées progres-
écologique (CNTE), le Conseil économique, social et sivement à partir des scénarios techniques construits
environnemental (CESE), l’Autorité environnementale et présentés ici. Les indicateurs permettent d’expli-
(AE), etc. À côté des questions techniques et tech- citer la nature des changements induits par la stra-
nologiques, tous ces avis soulignent l’importance des tégie dans les différents domaines et de se poser la
transformations économiques, sociales, voire socié- question des moyens pour y parvenir, si ces change-
tales, qu’impliquent le déclenchement et la réussite ments sont faisables, s’ils sont souhaitables et dans
d’une trajectoire de neutralité carbone. quelles conditions. Néanmoins les scénarios ont été
construits uniquement pour atteindre la cible de
Une planification et un pilotage collectif de ces trans- neutralité carbone. Cela signifie que les indicateurs
formations supposent donc une capacité d’innova- complémentaires mesurés dans les dimensions non
tion institutionnelle et démocratique pour faire des climatiques (qualité de l’air, autres ressources, éco-
choix et arbitrages collectifs nombreux, qui tiennent nomiques, sociales, etc.) ne servent pas à définir
compte de diverses conséquences économiques, d’autres cibles, mais à qualifier les conséquences
écologiques et sociales des projets. La conciliation possibles des scénarios dans d’autres dimensions
de différents objectifs et la réalisation des arbitrages que l’énergie et le climat qui contribuent au choix.
en favorisant une large adhésion à la stratégie se sont
en effet avérées problématiques, avec des opposi- Parmi ces indicateurs, il était prévu d’analyser les
tions comme celles du mouvement des Gilets jaunes. impacts sur la biodiversité des différents scénarios
Pour préparer les délibérations nécessaires, identifier avec l’Office Français de la Biodiversité (OFB). Mal-
des voies de conciliation et de compromis, effectuer heureusement, il n’a pas été possible de le faire dans
des arbitrages largement soutenus et partagés, des des conditions optimales en raison de difficultés de
évaluations sont nécessaires pour produire des in- diverses natures liées principalement aux connais-
dicateurs complémentaires aux indicateurs sur l’éner- sances actuelles sur la biodiversité et aux limites de
gie et les gaz à effet de serre. l’évaluation (notamment au fait que les données ne
sont pas localisées précisément). Pour autant, l’enjeu
Pour ces raisons, des évaluations sont réalisées pour de la préservation de la biodiversité n’est pas absent
compléter l’examen et la comparaison des scénarios des travaux. Son évaluation quantitative fera l’objet
par des indicateurs de différentes natures. Ces éva- de développements ultérieurs.
Graphique 1 Enjeux de la trajectoire des émissions de GES en France à l’horizon 2050 et budgets carbone de la SNBC
Enjeux à court terme 600 Dépassement attendu Révision du Enjeux à plus long terme
• Conditions économiques et • Saturation des gains
du 1er budget carbone 2e budget carbone
sociales (investissements, prix, technologiques et des gains
répartition des efforts) ; 500 3e budget d’efficacité énergétique ;
• Coordination et alignement Enjeux à court terme carbone • Enjeux des contraintes
des diverses stratégies physiques en autres ressources
d’acteurs ; 400 Adoption du 4e (sols, bioressources, minéraux,
• Conditions d’amélioration budget carbone eau, etc.) ;
massive de l’efficacité • Modalités de transport longue
énergétique des bâtiments 300 distance ;
et systèmes de chauffage ; • Enjeux de la flexibilité du mode
• Rupture de la dynamique 200 de développement à la diversité
de croissance des transports des sources d’énergie et des
individuels et usages des 100 Budgets carbone Budgets carbone Enjeux à long terme usages ;
carburants fossiles ; adoptés lors adoptés lors • Enjeux de l’évolution des modes
• Compétences et métiers, 0 de la SNBC 1 de la SNBC 2 de vie, sobriété, consommation,
dispositif d’accompagnement 2005 déplacements… ;
des activités « perdantes » ; 2010 2015 2020 2025 2030 2035 2040 2045 2050 • Évolution plus profonde des
• Cohérence des orientations modes de production, de
d’innovation technologiques Émissions de GES Puits de GES consommation, de localisation,
et des stratégies de filières ; d’échange ;
• Bonne gestion et cohérence Des enjeux bien au-delà de l’énergie • Absorption et stockage des GES.
des dynamiques d’évolution et du climat, de très nombreuses décisions
des réseaux et filières publiques et privées, certaines à court terme,
énergétiques. d’autres à plus long terme.
Source : [14].
25 Transition(s) 2050
AMBITIONS, CADRAGE DE L’EXERCICE ET CONTEXTE AMBITIONS, OBJECTIFS, MÉTHODES
2. Méthode de construction
et d’analyse des scénarios
2.1. L’approche et les scénarios
du GIEC comme inspiration
Afin de construire plusieurs scénarios en vue d’un SSP2 pour P3 et SSP5 pour P4) et d’un scénario
même objectif, ceux de l’ADEME s’inspirent de la construit a posteriori (LED4 pour P1), afin de repré-
méthode et des quatre grandes familles de senter un univers dans lequel les efforts de maîtrise
scénarios du rapport spécial 1,5 °C du GIEC [15]. de la demande et de la consommation sont plus
Ces quatre familles offrent des visions alternatives systématiques. L’articulation entre les récits et les
de chemins vers un objectif climatique ambitieux. résultats quantitatifs des modélisations est illustrée
par le Graphique 2. On y trouve les narratifs succincts
Les quatre familles de scénarios du rapport 1,5 °C du ainsi que les trajectoires quantifiées d’émissions et
GIEC (P1 à P4) sont issus des Shared Socioeconomic de stockage du carbone.
Pathways (SSP)3 les plus contrastés (SSP1 pour P2,
Graphique 2 Détail des contributions aux émissions nettes mondiales pour quatre exemples de trajectoires modélisées par le GIEC
Combustibles fossiles et industrie AFAUT* (agriculture, foresterie et autres utilisations des terres)
BECSC** (bioénergie avec captage et stockage du carbone)
Milliards de tonnes de CO2 par an (GtCO2/an)
40 40 40 40
20
20 20 20
0
- 20 0 0 0
2020 2060 2100 - 20 2060 2100 - 20 2060 2100 - 20 2060 2100
2020 2020 2020
P1 P2 P3 P4
Scénario selon lequel les innovations Scénario qui met beaucoup l’accent sur Scénario intermédiaire selon lequel le Scénario à forte intensité de ressources
sociales, commerciales et technolo- la durabilité, y compris l’intensité éner- développement sociétal comme le dé- et d’énergie selon lequel la croissance
giques engendrent une réduction de la gétique, le développement humain, la veloppement technologique suivent des économique et la mondialisation abou-
demande d’énergie jusqu’en 2050 alors convergence économique et la coopé- schémas habituels. La réduction des tissent à l’adoption à grande échelle de
que les conditions de vie s’améliorent, ration internationale, ainsi qu’une réo- émissions s’obtient principalement par modes de vie à forte intensité de GES,
en particulier dans l’hémisphère Sud. rientation vers des modes de consom- une modification de la façon dont l’éner- y compris une forte demande de carbu-
Un système énergétique de moindre mation durables et robustes, des gie et les produits sont obtenus et, dans rants et de produits de l’élevage. La
envergure permet une décarbonisation innovations technologiques à faible in- une moindre mesure, par une réduction réduction des émissions s’obtient prin-
rapide de l’énergie fournie. Le boisement tensité de carbone et des systèmes de la demande. cipalement par des moyens technolo-
est la seule option d’absorption du car- d’utilisation des terres bien gérés, avec giques qui font un usage intensif de
bone retenue ; il n’est pas fait recours une acceptabilité sociétale limitée pour l’absorption du carbone au moyen de
aux combustibles fossiles avec captage ce qui est de la BECSC. la BECSC.
et stockage du dioxyde de carbone
(CSC) ni à la BECSC.
* AFAUT : bilan d’émission de l’agriculture, de la foresterie et des autres utilisations des terres (positif ou négatif).
** BECSC : absorptions de gaz permises par le développement de bioénergie avec captage et stockage du carbone.
Source : [15].
3 Scénarios d’évolutions socio-économiques mondiales projetés jusqu’en 2100 et utilisés comme base de référence pour la
rédaction du sixième rapport d’évaluation du GIEC sur le réchauffement climatique. Ils fournissent des récits qui décrivent
qualitativement les différents types de développements socio-économiques reliant les éléments des récits les uns aux autres.
4 IASA, Low energy demand Database, https://db1.ene.iiasa.ac.at/LEDDB/dsd?Action=htmlpage&page=10#intro.
26 Transition(s) 2050
AMBITIONS, CADRAGE DE L’EXERCICE ET CONTEXTE AMBITIONS, OBJECTIFS, MÉTHODES
Ces grands récits offrent un premier niveau de Les quatre scénarios NC sont construits de façon
cohérence et de description pour des familles de à s’approcher d’une cible de neutralité carbone en
scénarios qu’il convient ensuite de nourrir et 2050. Cette cible, formulée dans l’accord de Paris
d’expliciter, en formulant des hypothèses et en pour que le monde l’atteigne dans la seconde moitié
produisant des évaluations. du XXIe siècle, n’a de sens pour le climat qu’au
niveau de la planète. Au niveau des états, sa mesure
C’est cette approche générale et la philosophie des pour guider l’ambition de stratégie nationale reste
quatre archétypes de scénarios qui ont été retenues conventionnelle. Nous reprenons donc la traduction
pour construire les quatre scénarios de l’ADEME. Le qui est en faite dans la Loi Énergie-Climat de 2019 [2].
détail des éléments décrits, des hypothèses, des Cette traduction vise, à l’horizon 2050, des émissions
méthodes de modélisation sont néanmoins adaptés annuelles nettes au moins nulles sur le territoire
au contexte français et aux expertises de l’ADEME. français (selon la convention d’inventaires
En particulier, la cible de stabilisation de la hausse d’émissions de l’UNFCCC5), ce qui suppose que les
des températures mondiales à + 1,5 °C n’est pas émissions résiduelles de l’année 2050 soient au
conservée comme élément de cadrage pour moins compensées par un flux égal d’absorption
l’adaptation au changement climatique, puisque des gaz à effet de serre. Néanmoins, la trajectoire
l’atteinte de cette cible reste une hypothèse trop compte pour juger de la contribution française au
optimiste et suppose un niveau d’effort collectif stock des gaz à effet de serre dans l’atmosphère.
au niveau mondial que les contributions nationales Nous donnerons une estimation du flux total des
annoncées (Nationally Determined Contribution, émissions nettes d’ici à cet horizon, sans pour autant
NDC) laissent peu présager. utiliser cette mesure comme cible (cf. chapitre 3.1.
Synoptique des résultats et comparaison des scénarios).
2.2. Les cinq scénarios Nous donnerons également dans une évaluation
de l’ADEME et la « neutralité future une estimation des émissions de la
carbone » consommation des Français (leur empreinte
écologique), qui mesure l’impact du mode de vie
UN SCÉNARIO TENDANCIEL ET QUATRE français au-delà des seules émissions territoriales.
SCÉNARIOS DE NEUTRALITÉ CARBONE En effet, l’empreinte ajoute les émissions issues de
territoires étrangers mais qui servent à la production
Les quatre scénarios de neutralité carbone (NC) sont des produits importés en France et soustrait les
inspirés des scénarios du GIEC (P1 à P4 du rapport 1,5°C). émissions territoriales des exportations.
Ils se distinguent par leur ambition d’un scénario de
prolongation des tendances (TEND) dans lequel Les scénarios de neutralité carbone sont normatifs
l’absence de ruptures rend le chemin de développement au sens où ils sont construits par itération en ajustant
incompatible avec la neutralité carbone. les hypothèses de transformations jusqu’à atteindre
la cible. Ils ne sont pas pour autant prescriptifs a priori,
Le scénario tendanciel (TEND) est construit en parce qu’il faut une discussion sur leur comparaison
prolongeant les dynamiques de long terme observées pour trancher et parce qu’étant donné les fortes
dans le passé tout en tenant compte de seuils (par incertitudes du futur, il peut exister différents points
exemple, la saturation d’un marché d’équipements). de vue sur ce qui est faisable et désirable. Néanmoins,
Une forte probabilité est souvent associée à ce type l’état des connaissances et les contraintes de
de scénario, ce qu’il convient de nuancer. En effet, cohérence de l’analyse permettent de réduire le
s’il n’envisage pas de fortes ruptures, il peut révéler champ des possibles et de donner des arguments en
l’insoutenabilité de certaines tendances. Ne pas agir faveur d’une stratégie par rapport à une autre.
pour infléchir les tendances historiques pourra donc
mener à des ruptures brutales. En ce sens, le scénario POSITIONNEMENT PAR RAPPORT À LA SNBC
de prolongation des tendances ne permet pas de ET À LA PROGRAMMATION PLURIANNUELLE
juger pleinement des conséquences de l’inaction. DE L’ÉNERGIE (PPE)
Mais il est très utile pour mesurer les risques d’un
écart à l’objectif et les efforts à faire dans différents Les documents officiels de la SNBC 2 [4] décrivent
domaines pour limiter ces risques. Il permet de situer deux scénarios qu’il convient de positionner par
le chemin que nous risquons de suivre si aucune rapport aux cinq scénarios précédents.
modification, spontanée ou non, des tendances
observées ne se produit.
5 United Nations Framework Convention on Climate Change.
27 Transition(s) 2050
AMBITIONS, CADRAGE DE L’EXERCICE ET CONTEXTE AMBITIONS, OBJECTIFS, MÉTHODES
Le scénario « avec mesures existantes » (AME) est décrits dans la Partie 2. Le scénario tendanciel a été
interprété comme un scénario tendanciel, mais il doit construit avant la mise en œuvre du Plan de Relance
être distingué du scénario ADEME de prolongation de la crise de la Covid-19. Il serait possible d’évaluer
des tendances passées (TEND). Le scénario AME a été dans un second temps à quelle hauteur ce plan
mis à jour et publié en juillet 2021 pour répondre aux contribue à nous rapprocher des trajectoires des
obligations de la France de rapportage européen. Le scénarios de neutralité carbone.
scénario AME évalue l’effet des mesures votées
jusqu’au 31 décembre 2019 en simulant leur efficacité Tout comme le scénario AME, le scénario tendanciel
attendue pour réduire les émissions. Il reflète ne permet pas d’atteindre des objectifs de réduction
l’anticipation des autorités françaises sur les effets de GES, de consommation d’énergie finale et de
des politiques et mesures décidées et permet de consommation d’énergie fossile compatibles avec
mesurer, par comparaison, l’écart avec les objectifs, l’objectif de neutralité carbone.
et renforcer, si besoin, les politiques. Il ne s’avère pas
compatible avec les objectifs français et européens. Le scénario « avec mesures supplémentaires » (AMS)
est le scénario de référence de la stratégie nationale
Contrairement au scénario AME, le scénario adoptée par la France (SNBC). Il « prend en compte
tendanciel ne suppose pas a priori que les politiques des mesures de politiques publiques, en supplément
votées qui n’ont pas encore été déployées apportent de celles existant aujourd’hui, qui permettraient à la
les effets escomptés. France de respecter ses objectifs climatiques et
énergétiques à court, moyen et long terme. Il dessine
Le scénario tendanciel suppose néanmoins que les une trajectoire possible de réduction des émissions
plans d’investissement et programmes qui sont en de gaz à effet de serre jusqu’à l’atteinte de la
cours de déploiement auront des effets sur les neutralité carbone en 2050, à partir de laquelle sont
émissions : par exemple, l’application de la loi de définis les budgets carbone ». Il correspond à la vision
programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), les du chemin vers la neutralité carbone qui est la
Programmes d’Investissements d’Avenir (PIA) référence stratégique des politiques publiques à
successifs, etc. La description des tendances et plans déployer dans le cadre de la gouvernance française
pris en compte dans le scénario tendanciel sont de l’énergie et du climat (Graphique 3).
Graphique 3 Les trajectoires des scénarios AME et AMS de la SNBC 2
Émissions et puits de gaz à effet de serre (en MtC02eq) 600
500
400
AME
300
200
AMS
100
0
- 100 2010 2015 2020 2025 2030 2035 2040 2050
2005
Agriculture et sylviculture Industrie manufacturière
Traitement des déchets Industrie de l’énergie
Résidentiel et tertiaire Transports
Secteur des terres Captage et stockage du carbone
Émissions brutes tendancielles
Note de lecture : les deux scénarios divergent à partir de 2015 en raison des effets attendus de la mise en place de politiques
et mesures supplémentaires (orientations de la Stratégie Nationale Bas Carbone).
Selon le scénario AMS, la stratégie permet des émissions inférieures de 83 % au scénario AME en 2050 (réduction additionnelle
à l’effet des politiques et mesures déjà mises en place ou votées).
Source : [4].
28 Transition(s) 2050
AMBITIONS, CADRAGE DE L’EXERCICE ET CONTEXTE AMBITIONS, OBJECTIFS, MÉTHODES
Le scénario AMS est un scénario stratégique de production d’énergie ou des mesures d’économie
neutralité carbone comme les quatre scénarios NC d’énergie, de sobriété, ou encore un renouvellement
ADEME. Il pourra être comparé à ces derniers et plus rapide des équipements utilisateurs d’énergie
d’autres disponibles dans le cadre des décisions à pour améliorer l’efficacité des usages.
venir sur la troisième SNBC. Ces scénarios pourront
aussi être comparés aux objectifs du paquet « Fit LA CIBLE DE NEUTRALITÉ CLIMATIQUE
for 55 % » en discussion au niveau européen, qui vise
à renforcer l’action des États pour atteindre une La cible de neutralité carbone se traduit par un
réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de équilibre entre les gaz à effet de serre émis chaque
serre de l’Union européenne par rapport à 1990 (la année et la quantité de CO2 absorbée par les « puits
cible était auparavant de - 40 %). L’objectif collectif de carbone » sur un territoire national. Ces puits
sera ensuite de parvenir à un scénario d’arbitrage, peuvent être naturels (forêts et sols) ou
suscitant une large adhésion, au terme du processus technologiques (captage et séquestration du carbone
d’élaboration, de débat et d’adoption de la Stratégie sur des sites industriels ou diffus en puisant le
Française Énergie-Climat et de la SNBC 3. Le nouvel carbone dans l’air). Actuellement les émissions
AMS reflétera alors la stratégie officielle de la France totales en France sont de l’ordre de 436 MtCO2eq/
et fera référence à partir de 2023 pour les politiques an (2019). Les puits français (exclusivement naturels,
publiques. Les chapitres d’analyse sectorielle (Partie 2) sols et forêts jusqu’à 2020) sont d’environ
et de synthèse des résultats (Partie 3) comparent les 30 MtCO2eq/an. L’atteinte de la cible implique donc
résultats des scénarios NC avec le scénario AMS de de réduire les émissions annuelles de 406 MtCO2/an
la SNBC 2. tout en maintenant le niveau de puits de carbone
actuel ou bien d’être en mesure d’augmenter la
POINTS DE « PASSAGE OBLIGÉ » capacité de ces puits pour disposer d’un budget
ET ALTERNATIVES STRATÉGIQUES d’émissions résiduelles plus important.
Tout comme le scénario tendanciel, les quatre La Loi Énergie-Climat [2] a inscrit l’objectif de diviser
scénarios NC considèrent les objectifs ou engagements au moins par six les émissions brutes de gaz à effet de
pris jusqu’en 2028 comme actés, dès lors que des serre à l’horizon 2050 par rapport à 1990, ce qui sup-
mesures et moyens concrets y sont associés. Pour les pose également d’être en mesure de pratiquement
politiques et mesures auxquelles ne sont pas associés doubler, dans le même temps, la capacité des puits
de moyens adéquats, les scénarios peuvent supposer avec des implications pour la programmation éner-
ou non qu’elles sont mises en œuvre, selon la stratégie gétique des dix prochaines années, la PPE [16]. En 2020,
retenue dans chaque scénario. Par exemple, l’objectif cette programmation a été construite en cohérence
de renforcer la valeur du carbone prise en compte avec les orientations à plus long terme de la SNBC, à
par tous les acteurs de l’économie dans leurs décisions savoir l’enjeu de décarboner totalement le secteur
d’investissement, de production et de consommation de l’énergie d’ici à 2050, en substituant aux énergies
est l’une des orientations stratégiques des SNBC et fossiles des énergies n’émettant pas de gaz à effet de
de la PPE 2, mais qui ne se concrétise pas encore par serre, et en développant les puits de carbone pour
la mise en œuvre de politiques et mesures suffisantes. compenser les émissions inévitables. Il existe néan-
moins d’autres émissions de gaz à effet de serre non
La PPE mise au débat en février 2020 énonçait déjà liées à la production d’énergie qu’il convient égale-
ce décalage entre objectifs et moyens. « Les mesures ment de compenser. Enfin, la SNBC 2 [4] évalue les
détaillées explicitement dans ce document devront besoins énergétiques de la moitié des consommations
être complétées par des mesures supplémentaires du transport international (trajets d’avions ou de ba-
pour atteindre l’ensemble des objectifs à l’horizon teaux vers l’étranger), mais pas les émissions associées.
2030 » ([16], page 20). Les rapports du Haut Conseil
pour le Climat ont également identifié ce décalage L’atteinte de la cible de neutralité carbone est donc
[5] et [6], ainsi que récemment le Conseil d’État [17]. très ambitieuse mais offre aussi des marges de
manœuvre pour définir des stratégies et des trans-
Selon les scénarios, certaines politiques, mesures et formations différentes du mode de développement
orientations stratégiques qui sont ou ont été français. Chacun des quatre scénarios ADEME explore
envisagées peuvent être écartées si elles semblent des transformations différentes qui ont un effet sur
incompatibles ou incohérentes avec la logique des la nature et le niveau des réductions d’émissions, les
récits, ce qui permet d’examiner quelles contreparties émissions résiduelles et l’évolution des puits de car-
ou alternatives stratégiques seraient réalisées dans bone. Ils explorent donc des alternatives stratégiques
chaque scénario pour atteindre les objectifs. Par sur la nature et le contenu de la transition écologique
exemple, une mobilisation moins importante de en vue d’atteindre un même niveau de contribution
biomasse-énergie peut impliquer une électrification à l’évolution du climat.
plus grande, des installations différentes de
29 Transition(s) 2050
AMBITIONS, CADRAGE DE L’EXERCICE ET CONTEXTE AMBITIONS, OBJECTIFS, MÉTHODES
C’est donc la définition théorique d’émissions nettes 2.3. Explicitation des récits
nulles ou négatives (objectif Net Zero) qui est retenue et structuration des scénarios
comme cible pour les quatre scénarios NC, plutôt
que l’orientation politique envisagée aujourd’hui Quatre grandes étapes de travail ont permis
(une division par six des émissions). Par ailleurs, les d’expliciter les récits et le contenu des scénarios.
scénarios respectent une cible de neutralité
climatique qui concerne l’ensemble des principaux 1. Explicitation des récits selon des axes structurants.
gaz à effet de serre et pas uniquement le CO2 Comme cela a été décrit précédemment pour les
(notamment le méthane, le protoxyde d’azote et les scénarios du GIEC, des grands axes de description
gaz fluorés). La contribution au réchauffement de de différentes dimensions du contexte technique,
ces différents gaz est convertie en tonne équivalent économique, social et institutionnel des scénarios
CO2 selon les conventions en vigueur6. Le bilan des ont été considérés. Les éléments de récit sur
émissions nettes est donc exprimé en tCO2eq chacun de ces axes sont décrits de façon à
(émissions positives moins émissions négatives des distinguer les hypothèses des scénarios entre eux
puits pour tous les gaz). La mention à la « neutralité et chercher à expliciter un premier niveau de
carbone » doit donc être comprise en ce sens, cohérence interne aux récits (Tableau 1).
comme extension de langage.
2. Exploration des dimensions symboliques des récits.
Les scénarios portent en eux des visions différentes
du monde qui peuvent être nourries par différentes
idéologies, au sens d’un ensemble plus ou moins
cohérent d’idées, de croyances et de doctrines
propre à une époque, une société, des individus
et qui oriente l’action. La symbolique est toujours
plus ou moins présente dans la perception des
scénarios et leur comparaison. Elle peut orienter
la préférence pour une stratégie, une perception
du faisable et du souhaitable selon une vision
sociétale de la transition écologique.
3. Explicitation et analyse tirées des diverses
expertises de l’ADEME. À partir de ces descriptions
générales des scénarios, l’ensemble des domaines
d’expertise de l’ADEME a été mobilisé. En premier
lieux les expertises d’ingénieurs ont permis
d’expliciter les hypothèses qui traduisent les
stratégies de transformation réalisées dans les
différents secteurs impliquant des émissions de
gaz à effet de serre (l’aménagement du territoire,
les bâtiments, les transports, l’industrie,
l’agriculture, la forêt, la production et la distribution
d’énergie, les déchets). Des expertises écono-
miques et sociales sur les filières concernées seront
également publiées pour approfondir les récits,
examiner les scénarios, analyser et comparer leurs
implications.
4. Communication et entretiens auprès d’un groupe
de citoyens français en juin 2021 (Chapitre 2) pour
expliciter l’évolution des modes de vie. Des
versions simplifiées de communication des récits
ont été présentées lors de ces entretiens, pour
discuter de leur perception des quatre scénarios,
des changements, difficultés et avantages qu’ils
imaginent en s’y projetant, de leur caractère
6 Les valeurs de pouvoir radiatif du 4e rapport du GIEC (AR4) sont utilisées. Elles permettent une comparaison avec les résultats de
la SNBC et des études précédentes. Les valeurs AR5 permettront de comparer les résultats avec ceux des futurs travaux.
30 Transition(s) 2050
AMBITIONS, CADRAGE DE L’EXERCICE ET CONTEXTE AMBITIONS, OBJECTIFS, MÉTHODES
faisable ou souhaitable selon eux. Ces entretiens tives »). Les quatre scénarios ADEME de neutralité
ont ainsi permis de se projeter collectivement, carbone appartiennent à cette dernière catégorie
d’identifier les points de désaccords, les de récit.
connaissances qu’il faut diffuser ou produire. Ce
travail est une première pour un exercice de Nous nous inspirons de la grille de description
prospective nationale sur la transition écologique. DEGEST établie par AllEnvi pour comparer les diffé-
Il est essentiel pour favoriser le débat, l’adhésion rences entre les 307 scénarios étudiés7. Cette grille
et l’appropriation la plus large possible des futures regroupe six axes structurants de description des
stratégies nationales de transition écologique. récits : (i) Démographie, (ii) Environnement, (iii) Gou-
vernance, (iv) Économie, (v) Société, (vi) Technologies.
EXPLICITATION DES AXES STRUCTURANTS Chaque scénario met l’accent sur le rôle prépondé-
DE RÉCIT rant de facteurs moteurs d’évolution du futur qui
appartiennent à ces catégories. Les récits se dis-
La structuration des grands axes de récit s’inspire tinguent par la nature et les évolutions de ces va-
d’un travail de synthèse du Groupe Transversal Pros- riables.
pective du Conseil de l’Alliance nationale de re-
cherche pour l’environnement (AllEnvi) [1] : un dé- En s’inspirant des grilles de description de scénarios
pouillement systématique des grandes prospectives prospectifs du GIEC et d’AllEnvi, nous avons retenu
internationales aux horizons 2030, 2050 et 2100, à cinq axes structurants renseignés par les équipes du
des échelles mondiale, européenne, continentale projet à savoir : techniques, économie, société, gou-
ou infracontinentale (Asie, Afrique et Amérique) a vernance et territoires (Tableau 1) (ajouté aux axes
été réalisé en vue d’identifier les grandes familles de d’AllEnvi pour tenir compte de l’importance prise
scénarios mobilisables pour les sciences de l’environ- par les enjeux territoriaux de la transition8). Seule la
nement. Un corpus d’études récentes (moins de catégorie démographie a été extraite de cette liste,
15 ans) comportant au moins un scénario sur l’envi- car elle constitue une variable de cadrage commune,
ronnement a ainsi été analysé. identique pour tous les scénarios ADEME (Tableau 3).
Des récits contrastés selon ces axes de description
Onze familles de scénarios décrivant trois types de permettent de définir des archétypes de visions de
récits de futurs ont été identifiées : des trajectoires futurs et des fils rouges auxquels se référer pour faire
de déclin (« Fragmentation », « Repli » et « Chaos »), un choix d’hypothèses qualitatives et quantitatives
d’action environnementale non prioritaire (« Inertie », et conduire les analyses plus fouillées. Ils ont permis
« Croissance à tout prix », « Priorité au social ») et d’ac- d’orienter dans un même sens les experts de chaque
tion environnementale volontaire et prioritaire (pre- domaine pour leur exploration, en apportant une
nant diverses formes comme « Local », « Réaction », première contrainte de cohérence par le récit.
« Croissance verte », « Proaction », « Synergies posi-
7 Cette classification proposée par [18] est souvent mobilisée dans les travaux internationaux de prospective. Elle rend compte
de 90 % des variables motrices prises en compte en prospective, quel que soit le champ d’étude de celle-ci.
8 De nombreux travaux mettent en exergue l’importance des territoires infranationaux comme l’illustrent les réflexions grand
public développées dans le livre Où Atterrir ? de Bruno Latour, mais aussi dans de nombreux travaux académiques sur le rôle
des villes et des territoires pour les systèmes énergétiques et métabolisme urbain (AIE, IRENA, GIEC, les travaux de Jacques
Theys, Sabine Barles, Olivier Coutard, Fanny Lopez, Cyria Emelianoff, etc.). En outre, la France affiche une volonté de s’engager
dans un processus de décentralisation, pour partie énergétique, dont les composantes peuvent être motrices à l’avenir pour
le modèle énergétique et environnemental.
31 Transition(s) 2050
AMBITIONS, CADRAGE DE L’EXERCICE ET CONTEXTE AMBITIONS, OBJECTIFS, MÉTHODES
Tableau 1 Première description des scénarios de neutralité carbone de l’ADEME selon cinq axes structurants de récits
TEND Génération frugale Coopérations Technologies vertes Pari réparateur
S1 territoriales S3 S4
• Multiplication des objets • Nouveaux usages S2 • Déploiement numérique • Multiplication des
connectés du numérique, très dans une logique objets connectés, big
collaboratif et au service • Numérique au service d’optimisation data, robotisation
• Hausse de la durée de de la mutualisation de nouveaux modèles massive
Numérique vie des équipements économiques innovants,
en lien avec le territoire
• « Individualisation » des
TECHNIQUES services et des usages
via des applications
Dépenses • Plan d’investissements • Faible dynamique • Mécanismes de soutien • Investissements • Investissements en
de R&D d’avenir, programmes d’innovation technique innovants avec parties nombreux en R&D, R&D très ciblés
et mesures limités et axée sur des innovations prenantes citoyennes, innovations généralisées
ciblés (crédit d’impôt sociales territoriales et et soutien à la • Recherche dans les
recherche, etc.) industrielles production domaines clés (énergie-
biotech-stockage
géologique, recyclage)
Leviers • Un peu de tout, • Sobriété forte • Sobriété, efficacité • Ciblage de l’offre sur les • Offre énergétique
principaux sur deux fois plus et efficacité énergétique énergétique et énergies décarbonées, bas carbone
les émissions d’investissements diversification des efficacité énergétique et décarbonée,
fossiles que d’efficacité renouvelables selon + captage et séquestra-
énergétique ou EnR les territoires tion du carbone (CCS)
+ puits technologiques
Modèle • Décélération • Moindre attention • Croissance plus • Verdissement de la • Activité encore
économique structurelle de la à la croissance du PIB qualitative que croissance, poursuite relativement carbonée,
croissance, poursuite de qu’à d’autres quantitative, de la tertiarisation réduction de la
Marchés et la tendance historique indicateurs sur le « réindustrialisation » de l’économie, pauvreté par
commerce de ralentissement contenu de la croissance de secteurs clés, métropolisation et une forte croissance
international redistribution techno push, politique
d’offre
ÉCONOMIE • Stabilisation des • Commerce • Marché dual (commerce • Acteurs publics comme • Forte mondialisation
échanges extérieurs international contracté international plus régulé + garants du cadre d’action • Fortes spécialisations
en volume essort de marchés locaux), des acteurs privés
• Économie plutôt protectionnisme ciblé territoriales (tirant
• Balance commerciale protectionniste (social et environnemental) parti d’avantages
déficitaire et planification multi- comparatifs)
• Circuits courts échelle (locale, nationale,
de biens et services européenne)
(ex. : alimentation)
Incitations et • Fiscalité • Mobilisation et • Fiscalité carbone et • Fiscalité carbone • Fiscalité carbone
financement environnementale investissement de environnementale croissante sur les minimaliste et ciblée
de la transition plafonnée (ex. : l’épargne existante dans croissante (fin des secteurs non soumis
Contribution Climat la transition écologique, exemptions et mesures à concurrence • Investissements
Énergie) quotas CO2 d’accompagnement internationale, financés par la
échangeables des entreprises et des abondement du budget croissance et
• Dette publique limitée, ménages) de l’État l’endettement
mais endettement
croissant des ménages • Moyens additionnels
et des entreprises dédiés pour lutter contre
la précarité énergétique
• Difficultés économiques, • Frugalité • Redistribution • Consumérisme vert • Diffusion et
• Évolution plus soutenable • Société connectée amplification
valorisation sociale • Préférence pour du modèle de
des modes de vie consommation
de la consommation, le local • Recherche d’accès aux individuelle de masse
Modes conscience écologique • Transparence usages plutôt qu’à la
de vie propriété des objets
croissante de la gouvernance,
SOCIÉTÉ • Niveau d’éducation des chaînes
général en hausse d’approvisionnement, etc.
• Recherche de sens
Inégalités, • Chômage • Statu quo ou réduction • Réduction forte des • Inégalités géographiques • Hausse en moyenne
revenus, • Pauvreté stable des inégalités et partage inégalités au moyen (territoires denses versus des revenus, mais
emplois du travail (ex. : réduction de politiques de peu denses) et sociales maintien voire
du temps de travail, redistribution maintenues, question accroissement des
limite des écarts de sociale traitée par inégalités
salaires, etc.) la croissance
Suite page suivante
32 Transition(s) 2050
AMBITIONS, CADRAGE DE L’EXERCICE ET CONTEXTE AMBITIONS, OBJECTIFS, MÉTHODES
Modalités de TEND Génération frugale Coopérations Technologies vertes Pari réparateur
régulation S1 territoriales S3 S4
économique • Soutien de l’offre
« verte » et fiscalité • Réglementation, S2 • Outils incitatifs pour la • Soutien du côté de
incitative à l’arrêt interdiction et quotas R&D, le déploiement et l’offre principalement,
• Fiscalité l’adoption de nouvelles sans limiter les usages
• Régulation limitée, • Incitations à l’innovation environnementale et technologies
favorisant les des pratiques, des usages redistributive • Mondialisation
instruments de marché et de la demande sur les • Régulation par l’offre avec coopération,
parfois erratiques marchés • Régulation par les sur les marchés notamment transfert
(ex. : Emission Trading marchés, articulation de technologies
Systems, ETS) • Arrêt net du soutien aux optimale entre besoins • Politiques sectorielles
activités néfastes pour le et offres et industrielles fortes,
climat (ex. : subventions nationales et/ou
fossiles) • Nouveaux modèles européennes
économiques (ex. : de
la « fonctionnalité »)
et développement
local autonome
Niveaux de • Fragmentation du • Poids accru du local, • Décisions nationales, • Poids des décisions • Coopération
décision et monde en grands blocs faible coopération coopération nationales et internationale forte
degré de régionaux (États-Unis, internationale internationale supranationales (UE), mais limitée à quelques
coopération Chine, Europe) et au faible hors de encadrement des programmes et filières
internationale sein de l’Europe (Brexit) • L’État donne les objectifs, l’UE (concurrence acteurs privés, mais clés
le choix des moyens internationale, taxe au-delà une
GOUVERNANCE Groupes • État se recentre revient aux territoires carbone aux frontières) coopération • Pas de réelle
d’influence/ sur ses fonctions et acteurs locaux internationale gouvernance mondiale
efficacité des régaliennes (nouvelle phase de • Subsidiarité renforcée faible (concurrence sur l’environnement
institutions décentralisation) des États de l’UE internationale)
• Légitimité affaiblie • Réseaux et
et défiance envers • Poids des communautés, • Groupes composites : • État régulateur en organisations
les institutions associations et réseaux secteur public, soutien à l’innovation internationales en
citoyens entreprises, dont et l’entrepreneuriat, soutien à quelques
médias, citoyens plutôt qu’investisseur, grands programmes
• Collectivités territoriales hormis dans des et coopérations ciblés
légitimées et dotées de • Efficacité et légitimité secteurs stratégiques
nouveaux moyens forte des institutions
• État en retrait en dehors • État protecteur
des orientations et poli- et stratège
tiques générales
• Budget vert, mais pas • Priorité des • Instances de décisions • Politiques de • Politiques de
encore de mise en investissements et multipartites développement développement
cohérence des outils des choix publics à la (territoires, corps économique économique sans
politiques au profit de transition écologique intermédiaires, additionnelle, la coercition, constitution
la transition écologique avec l’implication des entreprises, citoyens) question climatique de groupements
citoyens est prise en charge et d’acteurs sur les
Outils de • Politiques traitée par le milieu technologies clés
gouvernance • Réorientations des environnementales économique (ex. : de CCS)
moyens sur les actions de contractuelles
baisse rapide des besoins et multi-échelles • Travail spécifique sur
énergétiques et des GES, l’acceptabilité des
et logiques de soutien • Mesures technologies clés
aux territoires protectionnistes
• Politiques de
développement
humain (éducation,
santé)
TERRITOIRES Modèle de • Nouvelle organisation • Rôle important des • Contractualisation • Rôle moteur des • Poursuite de
développement économique et territoires comme entre zones urbaines et métropoles, espaces l’étalement urbain
local territoriale (ex. : tiers- catalyseurs de ressources rurales, agglomérations d’innovation et de
lieux, télétravail) et de leviers d’actions vers et hinterlands déploiement des • Pilotage centralisé
la transition écologique nouvelles techniques de l’évolution des
• Métropoles motrices • Planification et des pratiques de systèmes énergétiques
mais poursuite • Biorégionalisme énergétique locale et partage
étalement urbain • Maîtrise forte de politiques foncières • Modèle territorial
(10 à 14 % de surfaces structurantes • Mise en concurrence standardisé
artificialisées en 2050 – l’étalement urbain (construction, forêt…) des territoires selon
tendance décrite • Repeuplement de zones leurs potentiels et • Métropolisation
dans le scénario AME • Contre-urbanisation avantages comparatifs
de la SNBC) délaissées : communes et reconquête
rurales, petites villes... démographique • Villes « fonctionnelles »
des territoires
périphériques et ruraux
L’ensemble de ce travail, nous a naturellement amené S1. Génération frugale ;
à nommer les scénarios en rapport avec l’élément S2. Coopérations territoriales ;
structurant de leur contenu dans une forme S3. Technologies vertes ;
condensée, à savoir :
S4. Pari réparateur.
33 Transition(s) 2050
AMBITIONS, CADRAGE DE L’EXERCICE ET CONTEXTE AMBITIONS, OBJECTIFS, MÉTHODES
EXPLORATION DES DIMENSIONS
SYMBOLIQUES DES RÉCITS
Une première exploration de la symbolique des 3. les visions du monde, les propos qui légitiment et
quatre récits a également été réalisée en début de étayent ces futurs ;
projet en suivant l’approche d’Analyse Causale
Multiniveau (ACM) utilisée en prospective pour ex- 4. les métaphores qui lient ces futurs à des symbo-
pliciter différents niveaux de discours (du superficiel liques et mythes profondément ancrés dans la
au structurel et au plus implicite). culture et l’histoire de la population.
La méthode ACM identifie quatre niveaux de discours Au-delà des éléments rationnels, scientifiques et
sur des futurs cohérents : techniques mobilisés pour analyser et décrire les
scénarios, ces discours font référence à des ordres
1. la litanie qui décrit des discours dominants et de justification, parlent à l’intuition, aux vécus et
récurrents ; aux valeurs des individus. On peut décrire différents
niveaux, du superficiel au plus profond, avec l’image
2. le système, les discours sur les variables et leurs de l’iceberg.
relations ;
Figure 1 Exploration de la dimension symbolique des récits : l’Analyse causale multiniveau (ACM)
LA LITANIE : description officielle de la question. La réalité telle qu’elle
est perçue par l’opinion publique. Souvent déconnectée d’autres
perspectives. En général des grands titres de journaux, sans cesse
répétés.
LE SYSTÈME : souvent une analyse à court terme, à une ou
plusieurs variables. Les facteurs historiques sont étudiés.
Rapports institutionnels.
LES VISIONS DU MONDE : mise à jour des origines profondes
des phénomènes. Importance de comprendre les enjeux
selon de multiples visions du monde. Pensée critique.
LES MYTHES/LES MÉTAPHORES : récits fondateurs,
dimension inconsciente du problème. Une transformation
du mode de pensée est nécessaire. Les solutions naissent
des nouveaux récits.
Source : [19].
34 Transition(s) 2050
AMBITIONS, CADRAGE DE L’EXERCICE ET CONTEXTE AMBITIONS, OBJECTIFS, MÉTHODES
Le Tableau 2 ci-dessous présente quelques illustrations scénarios peuvent être perçus, ce qui détermine tout
des types de discours qui peuvent être associés à autant les raisonnements techniques et rationnels
chaque scénario et qui symbolisent des visions al- que les préférences pour un chemin. Expliciter la
ternatives du chemin vers la neutralité climatique. symbolique permet de questionner les a priori, les
Cette exploration fait appel aux perceptions, à l’idée à-côtés qui déterminent les opinions. Puis de confron-
que l’on peut se faire de ces futurs. L’exercice permet ter ces a priori ou ces perceptions avec l’état des
de prendre du recul, d’expliciter la façon dont ces connaissances apportées par les expertises.
Tableau 2 Exploration de la symbolique pour les quatre scénarios de la prospective ADEME
Exemples Génération frugale Coopérations territoriales Technologies vertes Pari réparateur
de litanie S1 S2 S3 S4
• Accord Mondial Climat • Nouveaux indicateurs • Croissance verte • Exploitation minière spatiale
• Quotas et réglementations de bien-être • Greentechs de métaux
• Partenariats • Solution par amélioration • Ingénierie
technique
Éléments • Découplage impossible ; • Transition juste • Il est plus simple de réparer
de système une réduction des volumes • Contractualisations et • Économie de l’innovation plutôt que transformer les
est requise • Découplage entre création systèmes productifs et nos
partenariats modes de vie
• Vision holistique • Marges de manœuvre par de richesses et impacts
environnementaux • Compensation, réparation
régulation et institutions des dégâts
• Vision systémique • 3e révolution industrielle
• Progrès et gain d’efficacité • Les limites sont un horizon
Vision du • Prise en compte des limites • Green New Deal • Liberté d’entreprendre à dépasser
monde • Monde fini • Planification orchestrée • Imaginaire urbain
• Moins ça suffit, moins • Nouveau contrat social • Vision cornucopienne • Les enjeux justifient
• Éthique de délibération • Nature comme capital les moyens
c’est bien • Consommer moins,
• Retour à la terre productif • Programme industriel ciblé
• Décroissance consommer mieux • Solutions techniques
• Vision malthusienne • Nature institutionnalisée • Pasteur • Nature maîtrisée
• Nature sacralisée • Ironman
• Prométhée
Mythe • Gaïa • Déméter • Eldorado
Métaphore • Âge d’or • Orphée • Projet Manhattan
• Arbre à palabres • Mission Apollo
• Captain America • Thor
35 Transition(s) 2050
AMBITIONS, CADRAGE DE L’EXERCICE ET CONTEXTE AMBITIONS, OBJECTIFS, MÉTHODES
2.4. Mobilisation des expertises
et analyses quantifiées
Les experts de l’ADEME ont ensuite traduit dans leurs hypothèses et des résultats (Figure 2) : des hypothèses
domaines d’expertise ces premiers récits, de façon sont posées, les quantifications réalisées et les résul-
à expliciter les transformations qui se réalisent dans tats sont étudiés, puis les hypothèses et les résultats
chacun des scénarios, en analyser la cohérence, les sont modifiés plusieurs fois, jusqu’à obtenir une co-
ordres de grandeur et les implications. Nous avons hérence satisfaisante entre expertises et avec la cible
suivi ici une procédure itérative d’ajustement des de neutralité carbone visée.
Figure 2 Procédure d’élaboration des analyses quantifiées (exemple du secteur des transports)
2010 NARRATIF STRUCTURER LES DÉBATS TABLEAU DE BORD
2020 Moteurs de la transformation Indicateurs à 2050
2030
2040 1. Macrostructure économique 2010
2020
CONSTRUIRE DES TRAJE 2C05T0OIRES COHÉRENTES 2030
2040
2050
U DE BORD et sociale : système de COMPARAISON Facteurs d’émission
production, de consommation Produits transportés
TEURS À 2050 Intensité énergétique
VÉRIFetIdC’éAchTanIgOesNde marchandises VISUALISATION DE TRAJECTOIRES
sions Structure modale
tés 2. Infrastructures de transport QUDAécNomTpoIsFitIioCn dAeTs éImOissNions
ique et logistique Rail, route
le PLUSIEURS APPROCHES
? ? ?3. Opérations logistiques VUL, PL
stiques et offres de service
e DE CALCUL INTÉGRÉES80 % changement par rapport à 2010 Indicateurs logistiquesTonFnueelscatrrbaonnspinoterntséiteys
stance 4. Véhicules de transport 0 % Fuel carbon intensity
TT G(Moot)d transport energy consumption
L de marchandOisesUI? 40 - 20 Good transport energy consumption
Facteur de chargeDisMtailneacgee by ton
- 40 Mileage by ton
0 (kmT/rTanTs)ported tons of goods
Conso. d’énergie
- 60 Transported tons of goods
- 40 - 80 (MJ/tkm) Coûts, vitesse, distance
- 80 2010 to 2050 - 100 2010 to 2050 Contenu carbone
Scénario 1 Scénario 2 (gCO2eq/MJ) Technologies
Structure modale par type de transport VE H2, VHR, VE
5. Production et distribution 300Gtkm 3R0i0vGetkrm (tonne-kilomètre) MCI CH4, MCI CL*
des carburants bas carbone 2R5a0 il •••
250 2R0o0 ad River
NON? Rail VÉRIFICATION
200 150 Road
150
100 100
50 50 Fluvial
Rail
0 2010 à 2050 0 22001100àà20250050 Route
National
Imp/Exp Transit National Imp/Exp Transit
Scénario 1 Scénario 2
Émissions de GES
4400MtCIOn2deirqect CH4
RÉVISION DES HYPOTHÈSES DU NARRATIF4400MtCO2eq - 86 % ÉmissioInnsdinirdeircetcCteHs 4 NON
333500 CH4 Indirect LF
3350 Indirect LF - 97%
30
Indirect electricity /H2 CÉlLectrInicditiér/eHc2t electricity /H2
222500 2250 CH4 - all CH4 - all
20 Émissions directes
111500 1150 LF - other vehicles CH4, LtFou-tovtéhhe. r vehicles
050 10 LF - LCV CL, aVuLUFtLre- sLCV
50 LF - HGV CL,
2050 0 2010 2020 2030 2040 CL, PLLF - HGV
2010 2020 2030 2040 2050 OUI
Scénario 1 Scénario 2
TABLEAU DE BORD (indicateurs à 2050)
Décomposition Structure modale par type Émissions de GES
des émissions de transport
STRUCTURER LES DÉBATS Scénario 1 Scénario 1 Scénario 1
80 % changement par rapport à 2010
40 Fuel carbon intensity 300 Gtkm (Tonne-kilomètre) 4400 MtCO₂eq
333050
0 Good transport energy2c5o0nsumption 222050 - 86 %
- 40 111500 2040 2050
- 80 Mileage by ton 200 050
2010 2020 2030 2040 2050 Transported tons of go1o5d0s 2010 2020
100
50
0
National Imp./exp. Transit
2010 à 2050 2030
Scénario 2 Scénario 2 Scénario 2
300 Gtkm (Tonne-kilomètre) 4400 MtCO₂eq
Fuel carbon intensity 250 3350
0% Good transport energy consumption 30 - 97 %
- 20 2250 2040 2050
- 40 200 20
- 60 Mileage by ton 1150
10
150 50
Transported tons of goods 0
100 2010 2020
- 80 50 2030
- 100 0
National Imp./exp. Transit
2010 2020 2030 2040 2050 2010 à 2050
2010 Tonnes transportées Conso. d’énergie Fluvial Émissions indirectes Émissions directes
2020 TT (Mt) (MJ/tkm) Rail CH₄ CH₄, tout véhicule
2030 Route CL
2040 Distance Contenu carbone Électricité/H₂ CL, autres
2050 (km/TT) (gCO₂eq/MJ)
CL, VUL (véhicules utilitaires légers)
d'émissions
ransportés CL, PL (poids lourds)
énergétique
modale * VE H2 : véhicules électriques hydrogène à pile à combustible, VHR : véhicules hybrides rechargeables, VE : véhicules électriques,
e MCI CH4 : moteur à combustion interne – CH4, MCI CL : moteur à combustion interne – carburant liquide.
Source : [20].
rs logistiques 36 Transition(s) 2050
e charge
AMBITIONS, CADRAGE DE L’EXERCICE ET CONTEXTE AMBITIONS, OBJECTIFS, MÉTHODES
La Figure 3 résume les étapes de travail et donne une vision d’ensemble des expertises mobilisées.
Figure 3 Démarche générale de l’analyse quantifiée et chaîne de modélisation de l’ADEME
Hypothèses 2 Modélisations 3 Outil 4 Analyse macroéconomique et 6 Évaluations
sectorielles intégrateur d’empreinte écologique complémentaires
1 communes de
scénarisation
• Récits Industrie Agriculture/ Bilans énergie, GES, Artificialisation Prospectives
forêt usages des sols, des sols et biodiver- régionales
• Ambition de la biomasse
(ampleur des Résidentiel Déchets sité (modèle Qualité de l’air
transformations) • Agrégation du CGDD) (émissions et
Tertiaire Transports des données Empreinte CO2 et concentrations)
• Grandes techniques matières (modèle
orientations Production d’énergie MatMat) Analyse
(nature et Disponibilités/usages • Vérification Macroéconomie de robustesse
leviers des de la biomasse, des énergies de cohérence (modèle ThreeME) • Adaptation
transformations) (conservation des « Stress tests
et des sols quantités) Chroniques climatiques »
• Conditions d’investissements • Macroéconomie
cohérentes • Calculs Analyse stratégique
(techniques, d’indicateurs (modèle I4CE)
économiques, (émissions, Sankey de filières
sociales, consommation (transformation de
institutionnelles, d’énergie, etc.) Biomasse 5 grandes filières)
politiques,
territoriales…) • Résultats de la Analyse sociale
modélisation • Explication des
(tableaux, hypothèses sociétales
graphiques…) • Focus groups
d’acteurs
• Controverses
Publication novembre 2021 5 Itérations pour bouclage Publications complémentaires en 2022
Variables de dialogue Variables de dialogue macroéconomie
technique et flux de matières
De manière schématique (Figure 3), la démarche sui- 4. réalisation d’itérations pour établir la cohérence
vie se résume ainsi : et respecter la cible de neutralité carbone. Les
cinq itérations ont été réalisées entre décembre
1. définition initiale des scénarios et des récits : des 2020 et juillet 2021 (Figure 4), avec au sein de
premières hypothèses communes de scénarisation chaque itération l’alternance de temps de travail
ont été posées au départ pour cadrer l’exploration. en chambre, par expertise sectorielle, avec des
Quelques hypothèses quantifiées communes à temps de mise en commun, de dialogue entre
tous les scénarios ont également été posées expertises et de mise en cohérence de l’ensemble ;
(Tableau 3) ;
5. utilisation des données sectorielles cohérentes
2. réalisation des modélisations sectorielles et simu- pour conduire les analyses macroéconomiques et
lations des scénarios : les hypothèses ont été pré- d’empreinte de la consommation des Français : le
cisées dans chacun des domaines d’analyse, leurs résultat de ces analyses sera ainsi cohérent au
valeurs ont été quantifiées et des modèles ont été terme du processus avec les quantifications des
utilisés pour déduire les conséquences des trans- analyses techniques sectorielles. Mais ces analyses
formations envisagées (sur les besoins énergé- demandent plus de temps et arrivent nécessaire-
tiques, les émissions, les puits de carbone, les ment en fin de processus. Les résultats finaux se-
besoins en sols, en biomasse, en matériaux, etc.) ; ront publiés dans deux publications spécifiques
début 2022 ;
3. agrégation des données qui sont rassemblées et
mises en cohérence. Les contraintes de cohérences 6. réalisation d’études et évaluations complémen-
sont comptables : les usages des sols doivent cor- taires. Certains travaux ont été engagés en paral-
respondre aux surfaces disponibles, la biomasse lèle. Ils seront finalisés en 2022 à partir des scéna-
utilisée à la biomasse produite, les consommations rios stabilisés (qualité de l’air, mise en discussion
d’énergie à l’approvisionnement et à la production, avec des citoyens, analyses stratégiques de filières,
etc. Le calcul et l’agrégation des émissions de analyses de robustesse et de sensibilité à des chocs,
chaque secteur et des puits permettent de mesurer zooms territoriaux, etc.). Ils donneront lieu égale-
la distance restante à la cible de neutralité carbone ; ment à des publications spécifiques.
37 Transition(s) 2050
AMBITIONS, CADRAGE DE L’EXERCICE ET CONTEXTE AMBITIONS, OBJECTIFS, MÉTHODES
APERÇU DES MODÈLES UTILISÉS Trois modélisations ont servi à évaluer ThreeME, modèle de simulation
(cf. chapitres sectoriels [Partie 2] les puits de carbone naturels dans les macroéconomique, développé par l’OF-
pour plus de précisions) scénarios : le modèle ClimAGri® (effets CE et l’ADEME, il permet l’analyse de
des changements d’occupation des sols conditions économiques compatibles
MoSUT, modèle du secteur agricole, et des évolutions des pratiques agri- avec les évolutions énergétiques, éco-
développé par Solagro, il permet de re- coles), les quantifications des scénarios logiques et techniques, ainsi que l’éva-
présenter les productions agricoles as- forestiers de l’INRAE (effets de la gestion luation d’indicateurs sur les consé-
sociées à l’ensemble des demandes de forestière), un modèle d’accumula- quences économiques des scénarios et
biomasse (alimentation, matériaux, tion-dégradation des produits biosour- les politiques publiques de transition
énergie, puits de carbone…). cés (stockage dans les matériaux en écologique.
bois).
ANTONIO, modèle du secteur résiden- MatMat, outil de modélisation dévelop-
tiel, développé par Énergies demain, L’outil intégrateur. Développé par Lo10, pé par le CIRED, il permet d’évaluer
Enerdata et I Care, il donne une repré- l’ADEME et Enerdata, il s’agit d’une in- l’empreinte de la consommation fran-
sentation fine du parc de logements et terface d’agrégation des données issues çaise pour un ensemble de matériaux,
de ses caractéristiques techniques des différentes modélisations secto- ressources naturelles et gaz à effet de
et thermiques. rielles et utilisé pour mettre en cohé- serre. Il complète l’évaluation en prenant
rence ces données et en déduire un en compte le contenu en ressources et
VIVALDI, modèle du secteur tertiaire, bilan de consommation et de produc- GES des produits importés et consom-
développé par l’ADEME, il donne une tion des différentes sources d’énergie, més en France ainsi que celui des biens
représentation technique du parc de des émissions de GES et des puits. Il et services exportés.
bâtiments selon des grandes catégories permet de construire une image quan-
d’usages (santé, vieillesse, enseigne- tifiée d’ensemble et une base de don- IMACLIM, modèle macroéconomique
ments, commerces, bureaux…). nées des scénarios. Il est utilisé pour développé par le CIRED, il est utilisé
observer les résultats obtenus lors des pour conduire une analyse de robus-
GESTIME, calculateur statique cli- différentes itérations de simulation et tesse des stratégies à de nombreuses
mat-énergie initialement développé par déterminer les hypothèses à ajuster. La combinaisons d’hypothèses macroéco-
la DGEC pour la SNBC, doté d’un mo- base de données a vocation à intégrer nomiques (incertaines).
dèle du secteur des transports (appro- des données nouvelles produites par les
fondi par l’ADEME et Enerdata pour le évaluations complémentaires. Il permet Artelys Crystal Super Grid, modèle de
présent exercice). une transparence ainsi qu’une mise à simulation et d’équilibrage du système
disposition des données, hypothèses, électrique au pas de temps horaire dé-
SANKEY BIOMASSE, développé par métadonnées et résultats des scénarios veloppé par Artelys. Il permet de vérifier
l’INRIA, la FCBA et Arvalis, il permet de téléchargeables en open source. La base les conditions de stabilité des réseaux
représenter les différents usages de données des scénarios sera finalisée électriques (stockage, gestion de la
et flux de biomasse, particulièrement et mise en ligne en 2022. pointe, etc.).
importants dans un contexte où la
biomasse est de plus en plus sollicitée. LES MODÈLES ÉCONOMIQUES
ET D’EMPREINTE ÉCOLOGIQUE
PEPITO, développé par l’ADEME et
négaWatt, il représente les productions Chroniques d’investissements, tableur
physiques des 9 branches industrielles développé par I4CE qui permet la mo-
les plus énergo-intensives, en lien délisation des financements nécessaires
notamment avec les secteurs grands pour déployer les évolutions tech-
consommateurs de matériaux niques. L’analyse reprend les évolutions
(bâtiments, mobilité…). techniques des analyses sectorielles et
leur attribue des coûts d’investisse-
Tableur Déchets, développé l’ADEME, il ment. Elle offre un panorama des finan-
permet de simuler la production et la ges- cements climat en projetant des chro-
tion des déchets en cohérence avec les niques de besoins d’investissement
politiques déchets mais également avec cohérents avec les hypothèses de
les demandes sectorielles de matières pre- chaque scénario.
mières de récupération ou d’énergie par
l’industrie ou les réseaux de chaleur.
38 Transition(s) 2050
AMBITIONS, CADRAGE DE L’EXERCICE ET CONTEXTE AMBITIONS, OBJECTIFS, MÉTHODES
Figure 4 Calendrier de réalisation et déroulement des analyses quantifiées
ÉTÉ DÉBUT OCT.
2019 2021 2021
Cadrage de l’exercice 1res analyses Contenu, outillage Scénarios
d’exploration prospective sectorielles Données nécessaires finaux
Variables modélisées
Objectifs et champ de l’analyse Hypothèses de scénarios Évaluations finales et
Description rétrospective analyses d’impacts (2022)
Itérations Ajustement des
«5 Storylines» en prospective analyses sectorielles Empreinte, emplois, évaluations
(description qualitative) 1re consolidation de politiques, prospective filières,
Ajustement
Émissions totales et puits des choix etc.
Ajustements offre-demande
techniques
Chroniques de coûts
et d’investissements
5 Runs
d’itération
Itérations Analyse économique
Comparaison des coûts
Conditions économiques
Analyse d’empreinte
Des hypothèses communes de cadrage ont été prises scénario suppose une action mondiale insuffisante
par l’ensemble des modélisateurs pour assurer un pour contenir le réchauffement à 1,5 ou 2 °C au-
premier niveau de cohérence du contexte dessus de l’ère préindustrielle (1900-2050). Cette
démographique, climatique et économique. Le hypothèse se fonde sur l’état actuel des NDC et
Tableau 3 résume les principales hypothèses retenues. correspond à l’hypothèse d’une action volontariste
Le détail des évolutions observées entre 1990 et 2020 et exemplaire de la France qui ne présuppose pas
et des évolutions supposées entre 2020 et 2050 pour que le reste du monde y parvienne ;
ces variables sont disponibles en annexe de ce chapitre.
l’évolution du contexte économique est décrit plus
Ces hypothèses de cadrage concernent : précisément dans les analyses sectorielles et
macroéconomiques. Ces analyses identifient des
la démographie, qui suit le « scénario bas » des conditions économiques compatibles avec les trans-
projections de l’INSEE [21] correspondant le mieux à formations décrites dans chacun des scénarios.
la trajectoire actuelle et au ralentissement constaté Elles examinent également des conséquences éco-
de la fécondité. L’évolution de la démographie tient nomiques de ces changements (besoins d’inves-
compte également de l’évolution de la pyramide tissements, effets sur l’activité économique et
des âges avec la poursuite du vieillissement de la l’emploi, les coûts de production et les revenus,
population française. Elle inclut également une les politiques économiques, etc.). Des hypothèses
hypothèse de solde migratoire tenant compte des communes sont retenues pour la croissance po-
évolutions observées sur le long terme et qui est tentielle de la productivité et de l’activité écono-
stable au niveau observé sur la période 2000-2010. mique9 (activités matérielles et immatérielles),
La projection ne suppose pas de ruptures de ainsi que des hypothèses sur la tendance d’évolu-
tendance plus incertaines qui pourraient advenir tion des prix des énergies fossiles importées, dé-
sous des hypothèses particulières géopolitiques et terminante pour l’incitation à réduire l’usage de
climatiques ; ces énergies. Ces évolutions sont très incertaines
et débattues. Pour faciliter les comparaisons avec
l’évolution du climat en France provient des les scénarios officiels, nous avons retenu les re-
dernières projections des modèles climatiques de commandations aux États de la Commission eu-
Météo-France [22] et correspond au scénario ropéenne pour les prix des énergies fossiles [23]
intermédiaire de trajectoire d’émissions mondiales et les hypothèses de croissance potentielle de long
et d’évolution du climat du GIEC (RCP 4.5). Ce terme du scénario AMS de la SNBC [4]. Cette hy-
9 La croissance potentielle se distingue de la croissance réalisée. Le potentiel de croissance à long terme s’estime à partir d’une
hypothèse d’évolution de la population active et d’une hypothèse d’évolution de la productivité moyenne d’un travailleur. La
croissance réalisée se distingue de ce potentiel en raison de nombreuses sources d’inefficacité : chômage, déficit de capital
productif, d’infrastructures, inefficacités dans l’organisation collective, répartition des richesses, disponibilité de matières
premières, etc. L’hypothèse de croissance potentielle n’est donc pas distinguée entre les scénarios, puisque aujourd’hui il
n’existe pas d’étude robuste des effets comparés de stratégies bas carbone sur la croissance potentielle. Toutefois, les ana-
lyses macroéconomiques menées par l’ADEME permettent d’estimer l’effet des scénarios de transition écologique sur la crois-
sance réalisée et l’emploi (cf. analyse macroéconomique qui sera publiée en 2022).
39 Transition(s) 2050
AMBITIONS, CADRAGE DE L’EXERCICE ET CONTEXTE AMBITIONS, OBJECTIFS, MÉTHODES
pothèse de croissance de la productivité est une Après un travail préparatoire engagé en 2018, le
hypothèse haute étant donné la tendance de travail de construction des scénarios présentés dans
ralentissement constatée depuis les années 1980 cette publication a été réalisé de l’été 2019 à l’été
et les travaux macroéconomiques qui ont souligné 2021, par les équipes du projet et les partenaires
la possibilité d’une « stagnation séculaire » dès la de l’ADEME qui ont contribués à l’analyse (cf. Re-
fin des années 1990. Mais elle a le mérite de nous merciements). Les scénarios présentés ici n’engagent
faire considérer des situations où le niveau des que l’ADEME, mais le travail a donné lieu à de nom-
émissions peut être majoré par la croissance de breux échanges, consultations et discussions avec
l’activité économique. L’analyse technique et de nombreux spécialistes de chaque domaine tech-
macroéconomique permettra ainsi de révéler nique et de nombreux acteurs français sur la tran-
l’évolution du contenu matériel des activités sition écologique (Figure 5). Le Conseil scientifique
économiques futures qui est nécessaire pour de l’ADEME étendu à quelques personnes qualifiées
atteindre les objectifs tout en envisageant un (appartenant au Haut Conseil pour le Climat, au
développement économique. Ces analyses Commissariat général au développement durable
nourriront la discussion sur la possibilité de dé- et à la Direction générale de l’énergie et du climat
coupler l’activité économique future de la pres- du ministère de la Transition écologique, à la Direc-
sion sur les ressources, le climat et les écosystèmes tion générale de la recherche et de l’innovation du
et favoriseront une réflexion sur la nature précise ministère de l’Enseignement supérieur, de la Re-
de la réorientation des activités économiques. cherche et de l’Innovation et à l’Agence française
de développement) a contribué à l’amélioration
Ces hypothèses de cadrage ont été retenues pour de la démarche et de la gouvernance du projet, en
l’ensemble des quatre scénarios de transition éprouvant sa qualité scientifique et méthodolo-
écologique. Des hypothèses spécifiques au gique et la pertinence des objectifs visés et des
scénario tendanciel ont été retenues pour débouchés attendus, sans pour autant influer sur
l’évolution du climat et les prix des énergies les choix et les hypothèses chiffrées des scénarios
importées. Pour le climat, elles reprennent la présentés qui relèvent de la seule responsabilité de
trajectoire tendancielle de réchauffement décrite l’ADEME. Ce Comité scientifique du projet s’est
par le GIEC dans le cas où le monde continuerait réuni neuf fois depuis début 2019 pour discuter des
à émettre beaucoup de GES (scénario RCP 8.5). avancées du projet. En parallèle, le cadrage des
Nous considérons les projections du climat national scénarios et les grandes hypothèses sectorielles ont
correspondantes [22]. Nous utilisons les projections été présentés et discutés avec de nombreux acteurs
de prix du pétrole de l’Agence Internationale de institutionnels, chercheurs, prospectivistes et ex-
l’Énergie [24] dans le cas d’un scénario de reprise perts de filières concernées (par exemple, le CSTB,
lente de l’activité économique et de faible action négaWatt, AllEnvi, OFB, IDDRI, I4CE, Solagro, AIE,
climatique (Delayed recovery). Cette hypothèse EPE, EDF, ENGIE, RTE, GRTGaz, GRDF, etc.). Deux
se traduit par un renchérissement modéré du baril webinaires ont été organisés pour présenter et re-
de pétrole, ce qui est cohérent avec un usage cueillir les remarques et les suggestions de plus de
important des énergies fossiles mais qui n’est pas 500 participants le 19 mai 2020 et le 15 janvier 2021.
favorable à la transition énergétique. Une liste de questions et réponses rédigées suite à
Tableau 3 Hypothèses de cadrage sur la démographie, le climat et l’économie sur la prospective ADEME
TEND Génération Coopérations Technologies Pari réparateur
frugale territoriales vertes S4
S1 S3
S2
Démographie 65,6 M d’habitants en 2020 ; 67,4 en 2030 ; 69,7 en 2050 en Métropole
Natalité : 1,8 enfant/femme, vieillissement ( un quart de la population a + de 65 ans en 2050), solde migratoire + 70 000/an
Évolution
climat (source : INSEE, 2017, scénario fécondité basse, espérance de vie centrale et migration centrale)
Prix énergie Monde : + 5,4 °C en 2100 Monde : + 3,2 °C en 2100
importée France : + 3,9 °C en France en 2100 France : + 2,1 °C en 2100 (2070-2100) par rapport à la référence 1976-2005
(RCP 8.5 du GIEC) (source : Météo-France DRIAS 2021 [22] – RCP 4.5 – Logique NDC)
59 et 72 USD/baril en 2030 82 EUR/baril, 95 et 108 en 2030, 2040 et 2050
et 2040 (source : Cadrage Commission européenne, 2020 [23])
(source : AIE WEO 2020 [24] –
scénario Delayed recovery)
Potentiel de Croissance potentielle de long terme (population active + productivité) :
croissance 1,3 %/an en moyenne sur la période (dont 1,1 % de productivité)
économique (source : SNBC, 2020 [4])
L’activité économique réelle et l’emploi varient selon les scénarios (cf. analyse macroéconomique)
40 Transition(s) 2050
AMBITIONS, CADRAGE DE L’EXERCICE ET CONTEXTE AMBITIONS, OBJECTIFS, MÉTHODES
ces échanges sera complétée après la publication Enfin, un certain nombre de publications s’étage-
des travaux. Elle sera disponible en ligne. ront en « feuilletons » au premier trimestre 2022
et fourniront des analyses complémentaires
Cette démarche de consultation, de délibération à savoir :
et d’approfondissement sera poursuivie au-delà,
suite à cette publication des scénarios, puis jusqu’à mix électrique ;
la fin 2022 avec les évaluations complémentaires.
La discussion sera également engagée avec les corps métaux de la transition écologique ;
constitués, des citoyens, les institutions territoriales
et centrales et divers acteurs français et internatio- évaluations macroéconomiques et investisse-
naux pour recueillir leurs réactions et leur permettre ments ;
de s’exprimer sur la stratégie française et d’apporter
leurs contributions. Elle sera menée en lien avec le évolution des modes de vie ;
processus de consultation sur la SNBC 3 qui débute.
empreinte matière, ressources et biens de consom-
Les récits, hypothèses et résultats présentés et mation ;
commentés dans la suite de cette publication cor-
respondent aux résultats obtenus au terme de la usage des terres et qualité des sols ;
cinquième itération de juillet 2021.
adaptation au changement climatique ;
Les chapitres qui suivent décrivent chacune de ces
composantes d’expertise et les transformations analyse de transformations de filières: « Construc-
qui distinguent les quatre scénarios (aménagement tion neuve », « Systèmes énergétiques », « Proté-
du territoire, bâtiment, agriculture, forêt, industrie, ines » et « Logistique du dernier kilomètre » ;
déchets, production d’énergie, usage des res-
sources en biomasse, puits de carbone, etc.). Cha- robustesse et vulnérabilité à des chocs ;
cun des chapitres présente succinctement les
périmètres d’étude, les méthodes, les données et qualité de l’air ;
les modèles employés, ainsi que les hypothèses et
les résultats plus détaillés. Des documents annexes territoires (sous format d’un guide d’aide
plus complets fourniront des précisions techniques à la prospective pour les territoires) ;
et une base de données contenant les résultats
quantifiés sera accessible en ligne en 2022. numérique et transition écologique.
Figure 5 Consultation et dialogue entre experts et parties prenantes sur la prospective ADEME
ADEME CONTRIBUTEURS EXTERNES PARTIES PRENANTES CONSULTÉES
Équipe projet rassemblant Comité scientifique du projet Citoyens
différents coodinateurs Partenaires modélisateurs ONG
des contributions d’experts et analystes Syndicats
de l’ADEME Filières industrielles Politiques hors spécialistes
Modélisateurs (monde économique) Entreprises hors filières
Mise en débat interne Laboratoires (monde académique) concernées directement
et contribution de l’ensemble Think tanks et groupes de réflexion
de l’ADEME Partenaires institutionnels
41 Transition(s) 2050
AMBITIONS, CADRAGE DE L’EXERCICE ET CONTEXTE AMBITIONS, OBJECTIFS, MÉTHODES
3. Références bibliographiques
Pour revenir à la page contenant la première occurrence du renvoi bibliographique au sein du chapitre, cliquez sur le numéro concerné entre crochets.
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[22] DRIAS, Nouvelles projections climatiques DRIAS 2020 pour
la métropole, DRIAS les futurs du climat, Météo-France, 2020
(http://www.drias-climat.fr/document/rapport-DRIAS-2020-
red3-2.pdf).
43 Transition(s) 2050
AMBITIONS, CADRAGE DE L’EXERCICE ET CONTEXTE AMBITIONS, OBJECTIFS, MÉTHODES
4. Annexes
4.1. Variables exogènes
de cadrage
Les hypothèses communes de cadrage à tous les Pour 2050, dans ce scénario central de l’INSEE, c’est
scénarios ont été généralement reprises du scénario donc 74 millions de personnes qui sont attendues.
« avec mesures existantes » (AME) mis à jour en 2021
par la Direction générale énergie-climat (DGEC) du Concernant la pyramide des âges, c’est un vieillisse-
ministère de la Transition écologique. Ce choix ment global de la population qui est prévu avec une
s’explique par le fait de : augmentation forte des plus de 65 et 75 ans, qui re-
présenteront à l’horizon 2050 plus de 27 % de la po-
pouvoir facilement mettre en perspective et pulation.
comparer nos scénarios avec les trajectoires
officielles (AME, AMS de la SNBC) ; Le solde naturel continue à décroître et le solde
migratoire se stabilise à des niveaux inférieurs aux
s’appuyer sur des sources disposant de plus années 1990 et proche des années 2010-2020. Seules
d’expertises qu’en propre à l’ADEME (par exemple quatre régions auraient un solde naturel positif (Île-
INSEE pour la démographie, etc.). de-France, Hauts-de-France, Pays de la Loire et
Auvergne-Rhône-Alpes). À noter le fait que la notion
DÉMOGRAPHIE de réfugiés climatiques n’apparaît pas aujourd’hui
de façon distincte du flux migratoire global.
1990 – 2020 Cependant, dans le cadre de sa modélisation AME
La population de la France s’établit en 2019 à 2021, la DGEC a été conduite à actualiser des
67 millions d’habitants, dont 65 millions en hypothèses démographiques, ce sont celles-ci qui ont
Métropole. Le solde naturel diminue depuis les été retenues pour le présent exercice. Elle tiennent
années 2010, il est divisé par deux (+ 144 000 en 2018). compte du ralentissement observé de la fécondité
Le solde migratoire est assez stable autour de depuis les précédentes projections de l’INSEE.
+ 60 000/an10. En 2018, les immigrés représentent 9,7 %
de la population résidant en France métropolitaine. PRIX DES ÉNERGIES FOSSILES IMPORTÉES
Entre 1990 et 2015, le solde migratoire de la France
oscille entre + 77 000 et + 39 000 personnes par 1990 – 2020
an selon les années. Le pétrole constitue l’énergie sur laquelle le prix des
autres énergies (gaz notamment) est largement indexé
Au-delà de 2020 ou corrélé. Aussi, pour un pays importateur comme
Les projections de l’INSEE (scénario central 2016), la France (plus de 99 % du pétrole consommé est
reprises dans les travaux de 2019 du Conseil importé), les prix d’importation de cette ressource
d’Orientation des retraites11 ou dans la SNBC 2, sont à regarder avec attention.
traduisent une dynamique démographique globale
dont les principales caractéristiques sont : Oscillant entre 22 et 63 USD le baril (prix annuel
moyen) entre 1990 et 2019, avec des passages à près
le maintien de la fécondité, mais en deçà du seuil de 110 USD et l’année très erratique de 2020, la
de renouvellement naturel ; volatilité des prix du pétrole est un marqueur fort
de cette ressource qui permet de relativiser toutes
l’augmentation de l’espérance de vie ; les tentatives de projections de long terme.
le maintien d’un solde migratoire positif (supérieur
aux dernières années observées).
10 Source : INSEE Bilan démographique 2018, https://www.insee.fr/fr/statistiques/3692693?sommaire=1912926.
Entre 2011 et 2016, les grandes aires urbaines portent la croissance démographique française, 2018,
https://www.insee.fr/fr/statistiques/3682672.
Trente ans de démographie des territoires, 2014, https://www.insee.fr/fr/statistiques/1280958.
11 Perspectives des retraites à l’horizon 2030 : https://www.cor-retraites.fr/node/519.
44 Transition(s) 2050
AMBITIONS, CADRAGE DE L’EXERCICE ET CONTEXTE AMBITIONS, OBJECTIFS, MÉTHODES
Néanmoins, parmi les nouveautés de ces dernières Dans sa recommandation aux États membres, le
années, les pétroles non conventionnels (plus coûteux cadrage issu de la Commission européenne de 202014
à produire) jouent un rôle déterminant sur le prix du considère des hypothèses plus proches des dernières
pétrole. Les nouvelles découvertes se réduisent et tendances observées.
représentent aujourd’hui seulement 20 % de la
consommation. Les pétroles ultralourds (Venezuela, Ce sont ces données qui ont finalement été retenues,
Canada…) et les gisements compacts, « de schistes » en cohérence avec le scénario AME2021.
(États-Unis, Canada…), ont bouleversé la production
mondiale des dix dernières années. CROISSANCE ÉCONOMIQUE
En 2005, les découvertes en mer représentaient 10 % 1990 – 2020
des découvertes mondiales. En 2010, elles deviennent En France, comme dans de nombreux pays
plus importantes que les découvertes à terre. Elles industrialisés, la productivité du travail a connu un
représentent désormais 75% des volumes découverts tassement régulier lors des trois dernières décennies:
et sont faites principalement en mer profonde (entre dans le secteur marchand, la productivité du travail
400 et 1 500 m de profondeur) ou très profonde (au- – mesurée comme le rapport entre la valeur ajoutée
delà de 1 500 m)12. Or, ces ressources exigent des produite et le nombre de personnes en emploi – a
techniques d’extraction significativement plus augmenté de 1,9 % de 1990 à 1999 et de 1 % par an
coûteuses. de 2000 à 2008 (source : INSEE, comptes nationaux,
base 2014).
Outre la question du prix, la dépendance de l’Europe
(premier importateur mondial avec la Chine) et plus Pour la décennie 2010-2020, les données ne sont pas
encore de la France fait de l’approvisionnement de consolidées, mais le ralentissement structurel observé
cette ressource un enjeu stratégique. Toutefois, avec se poursuit évoluant entre 2014 et 2017 entre 0 et
des objectifs climatiques très ambitieux à court 1,2 % selon les années.
terme (entre - 40 % et - 55 % en 2030), on ne peut pas
considérer que le pic pétrolier soit l’enjeu majeur à Pour rappel, ce taux de productivité était encore plus
court terme. élevé sur la décennie précédente : 2,6 % en moyenne
par an de 1979 à 198915. Ce ralentissement de la
2020 – 2050 productivité et de la croissance est un élément
Le scénario Stated policies du World Energy Outlook partagé par l’ensemble des pays industrialisés comme
201913 de l’Agence Internationale de l’Énergie la perspective de travaux récents l’illustre.
projetait le prix du pétrole à 88 et 103 USD/baril en
2030 et 2040, en cohérence avec un « reste du Le ralentissement de la productivité et la moindre
monde» mettant en œuvre des politiques et mesures hausse de la population active aboutissent au final
encore très insuffisantes. à une croissance potentielle de long terme qui tend
à ralentir d’année en année (la croissance potentielle
Il convient de garder en tête que ces hypothèses de long terme étant le résultat de la population active
sont entachées de grandes incertitudes, comme les et de sa productivité).
progrès techniques des années 1980 ont pu l’illustrer
pour limiter la hausse des coûts, ou bien comme le 2020 – 2050
montrent les stratégies de pays producteurs qui Dans un contexte de grande incertitude, autour de
souhaiteraient valoriser leurs réserves en maintenant la reprise suite à la crise de la Covid-19, mais aussi de
des prix artificiellement bas, avant un « pic de l’évolution structurelle de la productivité et de la
demande ». croissance à long terme, il a été retenu le taux de
croissance du scénario « avec mesures supplémen-
Dans son WEO de 2020, l’AIE projette des niveaux de taires » (AMS) de la SBNC2 de 1,3 %/an.
prix plus faibles en considérant le choc économique
que fut la pandémie de la Covid-19. En outre, un
scénario Delayed recovery est venu remplacer le
traditionnel Current policies ou Business as usual
(BAU).
12 Denis Babusiaux et Pierre-René Bauquis, Le Point sur la production des pétroles en mer, in La revue de l’énergie, n°646, 2019
https://www.larevuedelenergie.com/le-point-sur-la-production-des-petroles-en-mer/.
13 AIE, WEO 2019, https://www.iea.org/reports/world-energy-outlook-2019.
14 Comission européenne, « Recommended parameters for reporting on GHG projections in 2021 », Draft for consultation in CCC
WG2, 25 juin 2020.
15 Antonin Bergeaud, Gilbert Cette et Rémy Lecat, Croissance économique et productivité. Un regard sur longue période dans les prin-
cipales économies développées, Futuribles, n° 417, 2017, pages 25-39 (https://www.cairn.info/revue-futuribles-2017-2-page-25.htm).
45 Transition(s) 2050
AMBITIONS, CADRAGE DE L’EXERCICE ET CONTEXTE AMBITIONS, OBJECTIFS, MÉTHODES
Cependant, cette croissance stable sur la période PÉRIMÈTRE TERRITORIAL, COMPTABILISATION
2020-2050, avec les évolutions démographiques et DES ÉMISSIONS
de population active évoquées précédemment,
revient à une diminution de la productivité horaire La neutralité carbone est calculée sur le périmètre
prolongeant les observations des dernières décennies. de la France métropolitaine. Le scénario de la SNBC
couvre lui le périmètre des inventaires du protocole
4.2. Conventions retenues de Kyoto (Métropole + DROM). La PPE concerne
uniquement la Métropole, puisque les zones non
Les gaz à effet de serre pris en compte dans le présent interconnectées au territoire métropolitain disposent
exercice sont : de lois de programmation énergétique spécifiques.
Cela implique des conventions où le champ couvert
le dioxyde de carbone, CO2 ; par les émissions des transports couvre les TOM, mais
le méthane, CH4 ; où les systèmes électriques des TOM sont exclus.
le protoxyde d’azote, N2O ; Lorsque les comparaisons sont présentées avec le
les fluorés, HF. scénario de la SNBC, sauf mention particulière, c’est
le périmètre métropolitain qui a été retenu.
Il n’est pas retenu de facteur majorant pour les Les soutes internationales sont explicitées mais ne
« effets non CO2 » du secteur aérien dans le travail sont pas prises en compte dans le calcul de la
en cours comme recommandé par les choix faits neutralité carbone, cela pourrait changer dans les
dans la SNBC 2 ou encore par le CITEPA16. La raison futures SNBC.
principale est la difficulté à considérer les effets des
autres gaz émis par le transport aérien qui ont des
conséquences à des horizons très contrastés.
Le pouvoir de réchauffement global des gaz à effet
de serre (PRG) considéré est issu de l’Assessment
Report 4 (2007) pour pouvoir se comparer aux exer-
cices précédents. L’horizon de 100 ans est retenu,
même si des analyses de sensibilité pourront être
réalisées sur des horizons plus proches particulière-
ment importants, pour le méthane par exemple.
16 Thamara Vieira da Rocha, Jean-Marc Andra, État de l’art de la recherche scientifique sur l’impact climatique des trapinées de
condensation des avions, 2021, 33 pages.
46 Transition(s) 2050
2. SOCIÉTÉ,
MODES DE VIE,
RÉCITS
48 Intégrer les modes de vie aux exercices
prospectifs, un enjeu de taille
51 Méthodes d’intégration des dimensions
socio-politiques et organisationnelles
56 Les récits des scénarios
59 Références bibliographiques
47 Transition(s) 2050
AMBITIONS, CADRAGE DE L’EXERCICE ET CONTEXTE SOCIÉTÉ, MODES DE VIE, RÉCITS
1. Intégrer les modes de vie
aux exercices prospectifs,
un enjeu de taille
Quels changements de nos modes de vie les diffé- technico-économiques. Réunies ici sous l’expression
rents scénarios supposent-ils ? Sur quelles valeurs des « modes de vie », elles contribuent à faire émer-
et aspirations reposent-ils ? Lesquelles viennent-ils ger les enjeux de faisabilité et de désirabilité des
contraindre ? Comment envisager la transformation scénarios de l’ADEME.
des modèles productifs ou des infrastructures de
mobilité ? Quelles sont les politiques publiques à Ce chapitre relate le travail de cadrage et de
approfondir ou à inventer afin d’atteindre l’un ou construction de connaissances, au cours du projet,
l’autre des scénarios, pour encadrer et soutenir une visant à articuler les dimensions technico-écono-
transition écologique vers la neutralité carbone ? miques avec des réflexions sur les transformations
de la société qu’elles supposent ou qu’elles sus-
De telles questions apparaissent de plus en plus citent.
nécessaires à la réflexion prospective. Dans sa
construction d’abord, ces questions visent à affiner Il revient d’abord sur les enjeux liés à l’intégration
les scénarios, à les rendre plus crédibles et à explorer de données liées aux « modes de vie » permettant
les leviers et les freins que chacun d’eux peut ren- de comprendre, au-delà des seuls domaines tech-
contrer. Dans sa mise à disposition ensuite, ces niques et économiques, la façon dont la structura-
questions sont également cruciales : la prospective, tion de la société participe à éclairer les exercices
considérée comme un outil de connaissances, peut de prospective. La section suivante décrit les avan-
alors être utilisable pour la mise en débat public cées méthodologiques mises en œuvre au cours de
des formes de transition et pour la prise de décision. l’exercice prospectif afin d’intégrer des dimensions
Ces questions qui explorent différentes facettes sociale, organisationnelle ou encore politique aux
des transformations socio-économiques et poli- réflexions prospectives. Enfin, cette séquence pré-
tiques ouvrent ainsi la possibilité d’élargir les débats sente succinctement le récit de chacun des quatre
sur la transition écologique, en dehors des cénacles scénarios de l’ADEME.
48 Transition(s) 2050
AMBITIONS, CADRAGE DE L’EXERCICE ET CONTEXTE SOCIÉTÉ, MODES DE VIE, RÉCITS
1.1. Pourquoi considérer
les modes de vie ?
En complément des dimensions techniques et éco- a longtemps primé dans la réalisation d’exercices
nomiques, il est de plus en plus fréquent, dans le prospectifs, ce solutionnisme technique ne semble
domaine énergétique et environnemental, que les plus à même de répondre seul aux objectifs poli-
exercices de prospective intègrent des aspects reflé- tiques. Il doit s’accompagner d’une réflexion sur le
tant les effets des « modes de vie » [1]. Cette facette potentiel de transformation des pratiques sociales
récente et en développement de la production de et des représentations qui sont au fondement de
connaissances prospectives répond à différents notre modèle productif et de consommation.
enjeux.
Ensuite, l’intérêt croissant pour les modes de vie
D’abord, au fil du temps, les experts travaillant sur participe du souhait de représenter des futurs pos-
sibles qui soient plus « réalistes ». Cet enjeu de réa-
la transition écologique mesurent les écarts entre lisme renvoie à deux fonctions différentes données
aux dimensions « modes de vie » dans les exercices
les échéances climatiques d’un côté et les mesures prospectifs. D’abord, celle de décliner les scénarios
ou les modèles prospectifs au niveau des individus
politiques de l’autre. Deux facteurs expliquent cet et des collectifs qui constituent la société. Ainsi une
réflexion en termes de modes de vie traduit des scé-
écart : d’une part, les réticences à engager des narios quantifiés et les incarne dans des personnages
ou des profils de ménages, qui permettent d’appré-
mesures de changement sont nombreuses, qu’elles cier leurs effets sur la vie quotidienne. Cela permet
de communiquer sur les futurs dessinés par les scé-
viennent des décideurs politiques, des citoyens ou narios prospectifs.
des organisations. De ce fait, il Mais l’intégration des modes de vie dépasse cette
seule fonction de communication, offrant des tra-
devient nécessaire de considérer ductions concrètes, autres que chiffrées. Plus pro-
fondément, elle renvoie à une transformation par la
Le progrès technique les aspirations des individus, les communauté des modélisateurs et prospectivistes,
ne semble pas le seul adhésions et réactions qui tra- des leviers et contraintes à considérer pour envisager
levier à actionner pour versent la société pour envisager la transition. Sous cet angle, la dimension « modes
envisager la transition la forme, l’ampleur et le rythme de vie » remplit une deuxième fonction, qui est
écologique. des transformations vers un hori- d’éclairer la place des logiques sociales, économiques
zon de neutralité carbone. et politiques et de les mettre en évidence comme
de véritables leviers pour penser les modalités et les
D’autre part, à mesure que l’on rythmes de la transition écologique.
progresse en matière de construc- Les « modes de vie » permettent d’intégrer la com-
plexité des éléments pris en compte dans la pros-
tion des politiques publiques écologiques, il est pos- pective, avec in fine l’ambition de rendre les
scénarios plus robustes: au même titre que les enjeux
sible d’apprécier les résultats des efforts réalisés ces techniques ou économiques font l’objet d’un travail
d’expression de contraintes ou de conditions de réa-
dernières années en matière de transition écologique lisme, les « modes de vie » représentent une voie
fertile afin d’intégrer des connaissances concernant
et de les comparer aux objectifs et aux projections le fonctionnement du corps social et de la société à
la construction des scénarios prospectifs.
antérieures. Or, les évolutions concrètes en matière
de transition écologique ne semblent pas à la hauteur
des objectifs fixés.
La mise en valeur de ces écarts montre que le progrès
technique ne semble pas le seul levier à actionner
pour envisager la transition écologique. Par exemple,
l’efficacité énergétique n’apparaît pas comme la
condition suffisante pour embrasser les défis clima-
tiques. Elle doit être couplée à des approches repo-
sant sur la sobriété des consommations et des
pratiques sociales. Ces dernières peuvent également
représenter un levier favorable à l’adoption de sys-
tèmes techniques économes en énergies, en res-
sources et moins émissifs. Autrement dit, si la
technique comme réponse aux enjeux écologiques
49 Transition(s) 2050
AMBITIONS, CADRAGE DE L’EXERCICE ET CONTEXTE SOCIÉTÉ, MODES DE VIE, RÉCITS
1.2. Qu’intègre-t-on derrière
le terme de « modes de vie » ?
Les prospectives en matière énergétique et clima- La démarche d’intégration des modes de vie dans
tique intégrant une dimension « modes de vie » l’exercice prospectif de l’ADEME s’inscrit donc dans
travaillent volontiers sur des profils d’individus ou une dynamique de développement de ce type d’exer-
de ménages : ce faisant, elles ont développé des cice dans les scénarios énergétiques, environnemen-
profils et personnages, permettant par exemple de taux et climatiques. Ce tour d’horizon d’exercices
montrer la possibilité d’atteindre le facteur 4 en prospectifs récents menés en France montre que le
2050 en déclinant une diversité de profils de périmètre inclus derrière la terminologie de « modes
ménages sans susciter de rupture brutale dans les de vie » tend à s’étoffer, à se complexifier. Ce faisant,
modes de consommation et les pratiques sociales il requiert une réflexion méthodologique et des dis-
(comme cela a été le cas de l’étude [2]). positifs expérimentaux, exploratoires, permettant
de tester différentes manières d’apporter des
Au-delà d’approches «photographiques», présentant connaissances issues des sciences humaines et
des instantanés du futur, d’autres exercices de sociales (notamment en sociologie, science politique
prospective ont cherché à analyser l’évolution des et histoire) et de les articuler dans les exercices pros-
pratiques sociales de différents profils de ménages. pectifs. Les méthodes exposées ci-après ont été
C’est le cas notamment, en matière de choix développées progressivement au cours du présent
alimentaire, de mobilité, d’habitat et de rénovation exercice prospectif.
des logements [3] [4]. Ces trajectoires de transition
sont alors abordées via l’évolution des opinions
politiques des profils [3] et cherchent à caractériser
l’évolution de l’adhésion ou des résistances des divers
profils de ménages aux transitions, que ces
résistances soient liées à leurs contraintes
économiques et matérielles ou à leurs opinions en
matière environnementale [3] [4].
La réflexion autour des modes de vie conduit égale-
ment certains scénarios à dépasser l’analyse des seuls
ménages, pour mettre l’accent sur l’évolution des
infrastructures – urbaine, routière, agroalimentaire
par exemple. Quoique peu fréquent, ce type de
développement permet de se décentrer de la figure
de l’individu, isolé, atomisé et dont la seule opinion
prévaudrait en matière de transition écologique. En
effet, aborder les transformations de la société via
l’évolution de l’environnement matériel permet de
montrer que l’évolution des pratiques sociales des
ménages présuppose celle des infrastructures tech-
niques elles-mêmes. C’est alors une fresque plus
globale des évolutions de la société qui est bros-
sée [5] (cf. [3] en exemple de travail prospectif). Dans
cette visée d’élargir la réflexion au-delà des seuls
individus et ménages, une autre démarche prospec-
tive met en avant – dans le domaine énergétique – les
différents futurs possibles en fonction du degré d’au-
tonomie énergétique fixé à l’échelle de la société. Y
sont abordés la redistribution des rôles et des pou-
voirs entre les entreprises énergétiques, la place des
acteurs publics nationaux et locaux et les modèles
afférents de régulation (centralisés, décentralisés)
de production et de consommation d’énergie [6].
50 Transition(s) 2050