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Published by Borgny, 2019-05-02 08:32:55

Borgny LA RESCAPéE DES FLAMMES

Borgny_LA RESCAPéE DES FLAMMES.

BORGNY

LA RESCAPéE DES FLAMMES

Tittel: LA RESCAPÈE DES FLAMMES
© Jan Hogne Christiansen & Nina Johansen
Traduit: Gerd Johanna Leira
épreuvage: Thierry Charpiot
Novembre 2015
Aucune copie de ce livre, en violation du droit d’auteur ou contraire aux accords signés avec la copie Kopinor, orga-
nisme professionnel pour les titulaires de licences de propriété intellectuelle. Texte de droit d’auteur et illustrations
incombe aux auteurs et illustrateurs.
ISBN 978-82-999425-0-8
Fjord Service
Røysegata 19 – 6003 Ålesund
www.fluktenfraflammene.no
Dessins:Nina Johansen
Infographie et texte: Jan Hogne Christiansen

4

C’est une nuit de tempête à Aalesund il y a plus de cent ans, plus
précisément le 22 janvier 1904.
Borgny vient de se coucher.
A cette époque, presque toutes les maisons étaient en bois.

5

Borgny sourit. Ses lèvres ne bougent pas, mais elle sourit. C’est
amusant de rester allongée et d’écouter tous les sons. Elle ne veut
pas ouvrir les yeux. Combien de temps est il possible de garder les
yeux fermés ?
Borgny réfléchit. Elle pense aux aveugles. Ils ne peuvent jamais voir.
Ils ne voient pas où ils marchent. Ils ne voient rien du tout.
Borgny pense à Monsieur Langva. Il est aveugle et il va à l’épicerie
tous les jours.
Comment y arrive-t-il alors qu’il ne voit rien ? Borgny essaie de se
rendre à l’épicerie, mais pas pour de vrai bien sûr, puisque ses yeux
sont fermés et qu’elle est couchée dans son lit. Toutefois, elle peut le
voir dans sa tête.
Soudain, Borgny a la tête qui tourne. Comment peut-elle voir dans
sa tête alors que ses yeux sont fermés ? Comment peut-elle voir
alors à l’intérieur de sa tête , car ce n’est pas possible de toute façon ?
Borgny essaie. Elle ferme les yeux de toutes ses forces. Ca ne marche
pas. Elle les ferme encore plus fort. Elle voit de la lumière et plein de
couleurs qui tourbillonnent. Tout d’un coup, elle aperçoit quelque
chose. C’est une chaussure. Une chaussure à l’intérieur de la tête ?
Mais c’est impossible !!!
Borgny sourit vraiment maintenant. Elle imagine : si les pensées
étaient dans nos pieds et que nous devions porter des chaussures
sur la tête. Borgny remue un peu le gros orteil.
Elle essaie de le faire penser. A quoi peut bien penser un gros orteil
? Borgny le touche. Soudain, il se met à hurler.
Le gros orteil ne peut pas hurler. Il ne peut pas parler, mais son pro-
priétaire le peut.
-Aïe! Arrête Borgny! hurle Ivar , son propriétaire.

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Borgny pouffe de rire. Ivar, c’est le grand-frère de Borgny
. Il a treize ans . Borgny et Ivar dorment dans le même
lit . Anna y dort aussi . Elle est la petite soeur de Borgny.
Tous les trois dorment dans le même lit. Ivar et Anna ont
leur tête sur le même oreiller. Borgny est couchée entre
Ivar et Anna, mais elle a la tête dans l’autre sens. On
appelle ça dormir tête-bêche.
Borgny écoute le vent et la pluie. Elle peut entendre le
murmure du vent . Personne ne le sait, seulement
Borgny. Borgny ne le dit à personne , ils ne font que se
moquer quand elle dit que le vent peut lui parler.
Maintenant le vent dit qu’elle doit dormir.
Borgny s’endort.

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Borgny se réveille brusquement. Le vent lui crie. Le vent crie
qu’elle doit se réveiller. Les yeux de Borgny sont d’un coup
écarquillés. Ils sont si grands et si ronds qu’ils sortent
presque de leurs orbites. Que lui hurle le vent ?
Borgny entend un sifflement dans les vitres, comme si
quelqu’un appelait au secours. Les rideaux ondulent comme
deux monstres terrifiants.
Puis elle entend quelqu’un gratter à la fenêtre. Mais personne
ne peut rentrer par la fenêtre tout de même... Il n’y a
personne d’assez grand. Ils habitent au premier étage..
Borgny s’assoit sur son lit. Elle se frotte les yeux , juste pour
vérifier qu’ils sont là. Ils n’ont pas disparu.
Elle entend son père ronfler.
Borgny écoute. Le vent dit quelque chose. Elle penche la
tête sur le côté et pose la main comme un cornet contre
l’oreille. Que lui hurle le vent ? Il lui semble l’entendre crier
”Fiskeballfabrikk”(Usine de Boulettes de Poisson). Comment
peut-il crier ”Usine de Boulettes de Poisson” ? C’est la chose
la plus idiote qu’elle ne lui a jamais entendu dire. ”Usine de
Boulettes de Poisson”! Entend-elle crier; ” Il y a un incendie”.
Avec toute cette pluie dehors rien ne peut brûler nulle part.
Elle secoue la tête.

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Borgny marche sur
la pointe des pieds
jusqu’à la fenêtre.
Dehors il fait noir et
un peu rouge.
Pourquoi rouge ?.
Elle regarde par la
fenêtre. Le vieux
Chêne dans le jar-
din bascule d’avant
en arrière. Il donne
l’illusion qu’il va
tomber. Les branches
grattent la fenêtre
comme pour lui dire
de se rapprocher.
Borgny regarde par
la fenêtre et com-
prend tout. Il y a le
feu à l’usine de
boulettes de poisson.

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Borgny court voir son père. Elle étend ses bras pour
le secouer. Au moment de le toucher, elle entend une
détonation. La maison entière tremble , les vitres
vibrent et un vase tombe de la table. Elle secoue Papa
d’une manière hystérique. Papa ouvre grand les yeux.
Il a peur. Elle peut le voir. Ses yeux brillent. Ils sont
comme deux oeufs au plat sauf que leurs jaunes sont
noirs.
Puis une seconde détonation se fait entendre. Son père
s’assoit , puis il crie si fort que les cheveux de Borgny
se dressent en arrière sur la tête.
- C’était les canons d’incendie ! Au feu, au feu ! Réveil-
lez-vous tous , il y a le feu !!!
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Borgny s’assoit par terre. Toute la famille s’agite comme un
tourbillon autour d’elle. Maintenant elle comprend ce que
signifie ”habiter une fourmilière”. Ils se croisent par dessous et
par dessus. ils se bousculent Tout le monde crie. Puis c’est le
silence. Borgny a mis un index dans chaque oreille. Elle en
retire un.
-....deux heures et quart......au milieu de la nuit.
Borgny alterne les doigts. Elle entend.
-.... mettre.... l’usine de boulettes de poisson.......frapper à la
porte de......le pantalon.
Borgny ferme les yeux et replace les doigts dans ses oreilles.
Elle essaie d’empêcher tous les sons et le chaos qui l’entourent
d’y entrer . . Borgny ouvre à nouveau les yeux. Elle regarde
droit dans ceux de maman , qui crie à voix haute.
- Dépêche-toi Borgny , et cesse de rêvasser! Papa est parti ap-
porter son aide pour éteindre l’incendie. Nous allons t’habiller
, puis nous dépêcher de descendre dans la rue.
Borgny sent la peur monter quand maman crie avec cette voix
forte et stridente . Elle sent son estomac se nouer.

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Borgny et Ivar dévalent les escaliers quatre à quatre , pas-
sant devant l’appartement de la famille Hjelle , puis celui
de la famille Hessen. Brusquement ils s’arrêtent au niveau
du dernier appartement. C’est celui de la veuve Bugge.
qui comme à son habitude se tient sur le pas de sa porte
lorsque Borgny passe devant.
Borgny la connaît bien . Elle est très âgée. Probablement
centenaire.
- Que fais-tu debout à une heure si tardive, ma fille ?
- Réponds moi.
- C’est quoi cette odeur si bizarre ?
La veuve pose mille questions, Borgny n’a pas le temps de
répondre à la première que déjà la vieille dame lui en pose
une autre.
- Il y a le feu! Il va falloir sortir crie Ivar.
- Que dis-tu mon garçon , il y a le feu ? demande la veuve.
- Oui, toute la rue est en feu. Il faut fuir la ville.

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Borgny est prise de panique . Fuir la ville ? Et Aurora
qui ne peut pas marcher ! Elle est restée couchée dans
le lit. Borgny doit la chercher .Elle remonte les escaliers
et retourne dans l’appartement , et trouve Aurora .
Elle a les yeux fermés. Mais que lui arrive-t-il? Est-ce
qu’elle dort ?
Borgny voudrait crier, mais n’y arrive pas. Elle sent une
odeur de fumée. Peut-être est-ce le vieux M.Maaseide
vivant au grenier qui fume encore un de ses cigares.
Mais pourquoi le ferait-il ? ,On est au milieu de la nuit
et tout le quartier est en feu.
Soudain, elle réalise que la maison est en feu.
Borgny se raidit. Elle est pétrifiée. Elle n’arrive pas à
bouger et se fige comme une statue. Leur maison
brûle... Maman arrive tout à coup derrière elle.
- Dépêche-toi Borgny !
Borgny tire Aurora du lit. Elles dévalent les escali-
ers, dépassant la veuve Bugge que Ivar soutient pour
descendre les dernières marches. Borgny se précipite
dans la rue par la porte.

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Borgny regarde en direction de l’Usine de Poisson. Elle n’a jamais vu
de maison brûler auparavant. Ca crépite, ça chuinte . Les vitres se
brisent et le vent hurle. Pourquoi hurle-t-il ? Peut-être essaie-t-il
d’éteindre l’incendie. Borgny retient sa respiration. Elle veut
aider le vent. Elle souffle de toutes ses forces jusqu’à être
hors d’haleine. Peine perdue, le feu repart de plus belle.
Borgny fronce les yeux en regardant vers le bas de
la rue. Une autre maison a pris feu. Le vent hurle
encore plus fort . Il semble inquiet. Borgny
essaye de regarder à travers la fumée vers
les maison en bas de la rue. Elle aperçoit
quelque chose. Borgny prend peur. Elle se
cramponne à maman. Elle resserre ses
bras autour de Aurora .
Maman leur crie de courir. Borgny
reste figée. Son coeur bat la chamade
mais elle ne peut cesser de regarder
fixement.
Par dessus les maisons, elle
aperçoit quelque chose de vert. Les
yeux luisent comme deux
flambeaux et crachent ses
flammes sur la ville.
- Courez, dit maman. Courez !
Borgny court. Elle voit ses pied tambouriner comme
des baguettes de percussion alors qu’elle a la sensation
de plutôt faire du surplace. Elle songe à Papa.
Elle s’inquiète pour lui. Il doit se trouver près de l’usine
pour essayer d’éteindre l’incendie.
- Pourquoi ne l’éteint-il pas ?
Borgny n’aime pas l’incendie. Il est ”méchant”.
- Courez ! entend-elle maman crier à nouveau...
- Courez !!!

Borgny court vers maman. Ca la réchauffe. Elle frotte sa tête contre le
ventre de maman. Maman sent si bon. Elle sent comme une rose rouge
en été. Il fait si chaud en été.
Maintenant c’est l’hiver mais il fait presque aussi chaud qu’en été. Borgny
peut sentir la chaleur de maman et celle des flammes. Dans le lointain
elle peut entendre un bruit.
”Clopeti , clopeti, clop”
Borgny tend l’oreille. ”Clopeti , clopéti , clop”. Quel est ce bruit ?
”Clopéti , clopéti , clop.” C’est peut-être Monsieur Möller qui court avec
les sabots qu’il a ramené des Pays Bas. Sans doute que M.Möller fuit
l’incendie lui aussi. C’est peut-être Madame Wiig qui époussette ses tapis
? Mais pourquoi le ferait-elle au milieu de la nuit ? Personne n’époussète
ses tapis au milieu de la nuit !
”Clopéti , clopéti , clop”. Le bruit approche.
”Clopeti , clopéti , clop”.
”Hiiiiiiiiin”.

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Borgny entend la respiration des chevaux. Au coin de
la rue Langberg deux chevaux arrivent avec le cha-
riot d’incendie(brannvogn) accompagnés de deux
pompiers courant à côté. Une fumée sort des naseaux
et des bouches des chevaux. De la fumée des naseaux
et de la bouche ? Il y a le feu à l’intérieur des chevaux
? L’incendie est même à l’intérieur d’eux.
Borgny tremble et retient son souffle. Elle ne veut pas
brûler . Les chevaux non plus. Ils se cabrent et devi-
ennent aussi grands que la flèche de l’église . Borgny

regarde derrière les maisons. Une vapeur se
dégage des chevaux. Ils se sont immobilisés et
refusent d’avancer. L’incendie et le vent
envoient des milliers d’étincelles. Il
pleut des étincelles, Les étincel-
les tourbillonnent dans l’air
pareilles à d’irascibles
pyrophores
mordant les
chevaux.

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Borgny se fâche contre les étincelles. Elle n’aime pas cette pluie
d’étincelles. Elles voltigent partout dans l’air , sur le sol et au dessus des
maisons. Cette pluie d’étincelles l’embête et maintenant elle embête aussi
les chevaux.
- Aïe! Ivar hurle de douleur. Il a été touché par une étincelle.
-Viens Borgny. Il faut s’éloigner de cette pluie d’étincelles , crie maman.
Borgny l’entend à peine. Les étincelles tourbillonnent autour d’eux et
lorsqu’elles touchent l’eau sur le sol elles s’éteignent. Borgny jubile intérie-
urement. Les étincelles meurent grâce à l’eau. Dorénavant elle emportera
toujours avec elle un verre d’eau.
Borgny soupire de soulagement. Les chevaux ne brûlent pas. Ils veulent
sauver la ville. Les pompiers et les chevaux continuent d’avancer. Ils ne se
laissent pas retarder par la tempête ni par les flammes ni par les étincel-
les. Ils veulent éteindre l’incendie. Elle veut les suivre
mais maman lui prend la main et dit fermement;
- Viens Borgny. Entrons dans la rue Langberg.
Il n’y a pas de feu.

Borgny entre à toute vitesse dans la rue Langberg. Il y a foule de gens
tournant en rond, rentrant et sortant des maisons. Ils
portent des chaises, des lits et des pendules. Soudain elle aperçoit Mme
Drablös. Elle a un gros ventre.. Tellement énorme qu’elle marche avec
difficulté. A l’aide de ses bras, Monsieur Drablös
enlace sa femme et Borgny comprend qu’elle est enceinte.
Borgny lève le regard. Elle voit la pluie d’étincelles au dessus des toits. Les
étincelles, si nombreuses tombent et voltigent parmi les ardoises. Souda-
in, l’une d’elle explose et le toit prend feu. Le toit brûle ! Maintenant, cette
rue est aussi en feu !!! Soudain, quelqu’un pousse un cri. C’est Mme Öie
qui hurle.
- Je ne retrouve plus Jenny !!!
Borgny connaît Jenny. Elle n’a que quatre ans.
Maintenant elle est toute seule. Alors tout le mon-
de s’agite comme des poussins ayant perdu la
tête. Borgny écoute. Elle entend les gens
crier et le vent hurler à ses oreilles.
Pourquoi hurle-t-il alors
qu’il est son ami ?

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Borgny tend ses deux bras vers le vent, comme pour lui signifier d’arrêter.
Puis tout devient silencieux... Un silence parfait. On entendrait trotter une
souris. Pas un bruit. Comme si le monde s’était brusquement arrêté. Les
flammes sont devenues immobiles... Plus personne ne parle et le vent a
cessé de souffler.
Borgny écoute. Puis elle entend une voix qui pleure. C’est Jenny ! Elle est
assise sous un escalier. Borgny peut la voir. Elle court vers elle, lui prend la
main et la ramène vers Mme Öie qui à son tour pleure aussi. Pourquoi
pleure-t-elle ? Elle devrait être contente et se réjouir. Borgny regarde en
direction de Maman. Elle aussi a les larmes aux yeux.
- Tu es la meilleure. Maintenant Mme Öye est heureuse.
Moi aussi, je suis fière de toi Borgny. Pense que
tu as sauvé Jenny de l’incendie.
Borgny sourit.

- Nous devons retrouver Papa, dit Maman.
- Je crois qu’il est près de l’église.
Borgny regarde vers l’église. Elle est si belle. C’est le plus bel édi-
fice du monde. Quand Borgny est à son pupitre d’école, elle re-
garde vers l’église et rêve de devenir pasteur.
Personne ne le sait sauf le vent. Les pasteurs ont de si jolies ro-
bes. Borgny connaît le pasteur. Il parle si bien. Il est si gentil... et
il porte une robe. Pourquoi porte-t-il une robe ?
Borgny regarde en direction de Ivar. Il a l’air bizarre et montre
l’église du doigt.
- L’église a pris feu. La flèche est en flammes ! Il y a le feu
dans l’église !
Borgny regarde aussi l’église. Elle brûle vrai-
ment. L’église dans laquelle Papa et Maman
se sont mariés... L’église dans laquelle
elle a été baptisée... L’église que tout le
monde aime tant, s’est embrasée.
Autour de Borgny, des gens pleu-
rent. Ils l’aiment tant cette église.
Borgny sent la colère lui monter.
Elle a envie de crier, de hurler
mais n’y arrive pas. Les sons
demeurent coincés dans sa
gorge.
Elle veut sauver l’église. Elle
court.
- Borgny ! Stop! Hurle
Maman.

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Borgny n’écoute pas. Elle veut stopper les flammes.
L’incendie est ”méchant”. Elle veut le frapper. Borgny court
jusqu’au mur de l’église et sent la chaleur ardente lui picoter
le visage. Elle n’est pas effrayée. Juste en colère. Les étincelles
tourbillonnent autour de son corps. Le vent est si fort que
presque elle en perd son équilibre. Une étincelle brûlante
l’atteint au visage. Elle lui fait mal. Borgny a très mal et a
envie de pleurer.
Soudain, elle est soulevée par quelqu’un... Tellement haut
qu’elle pourrait presque toucher la flèche de l’église et voir
toute la ville en feu
- Tu devrais te calmer Borgny. On ne doit pas plaisanter
avec cet incendie. Il est dangereux.
Borgny jubile. C’est papa : le meilleur père du monde. Il la
soulève et Il la serre fort contre lui. Elle peut sentir son
coeur battre... Borgny est enfin avec son papa et elle est si
heureuse qu’il aille bien.

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Borgny regarde l’église en flamme et observe les pompiers
essayant d’éteindre l’incendie. Ils déroulent la lance de leur
chariot et la branchent à une pompe à eau. Deux hommes
tiennent fermement la lance avant d’ouvrir l’eau. Le tuyaux
s’anime. Il se redresse, s’allonge et s’élargit. comme si un boulet
de canon roulait de la pompe à l’ouverture du tuyau... avant que
l’eau ne jaillisse pour arroser l’église.... Mais l’eau a beau jaillir,
toujours un nouvel endroit s’enflamme.... Laissant l’église
disparaître dans un océan de flammes, les pompiers s’occupent de
l’école de Borgny (Aspöyskolen) qui ne brûle pas encore.
Borgny pousse un soupir de soulagement. Les pompiers veulent
sauver l’école. Ils dirigent le jet d’eau vers elle. Alors que Borgny
s’attend à ce que l’eau heurte le mur, rien ne se passe. Elle se
retourne et voit le tuyau s’aplatire et devenir mou. Il pend autour
des pompiers comme un cordon. Aucune goutte d’eau en sort.
Comment vont-ils pouvoir sauver l’école maintenant ?
Borgny regarde les étincelles traverser l’air comme si elles s’étaient
rassemblées pour un nouvel assaut. Elles sifflent autour de l’école
comme un grand essaim s’accrochant aux murs puis aux châssis
des fenêtres et enfin aux toitures. Elles vont embraser l’école.

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Borgny a une idée. A côté de l’école il y a une crèmerie. Elle voit sa
porte d’entrée ouverte. Borgny y court et remarque un verre de lait sur
le comptoir. Elle le prend, ressort à toute vitesse et jette le contenu sur
le mur de l’école. Les étincelles faiblissent puis s’éteignent. Ainsi, elles
s’éteignent aussi grâce au lait !!! ? A leur tour les gens se précipitent dans
la crèmerie. Ils remplissent les seaux et les cuvettes de lait. avant de les
jeter sur le mur de l’école... Les étincelles crépitent avant de s’éteindre
noires et silencieuses. L’école ne brûle pas.
Borgny aperçoit Papa. Elle court vers lui et se jette dans ses bras forts et
réconfortants. Ses yeux brillent et son visage est tout noir.
- Je crois bien que tu as sauvé l’école. Je suis fier de toi.
- Maintenant il faut te dépêcher de te rendre de l’autre côté de la ville où
tu seras en sécurité lui dit-il fermement.
Borgny est fière. Papa a dit qu’il était fier d’elle. Papa a dit que l’école était
peut-être sauvée, qu’elle n’allait pas brûler.
Borgny court.

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Borgny court , en descendant Kirkegata (la rue de l’Eglise).
Elle ne prête pas attention aux maisons en flammes ni aux
cris des gens pleurant et jetant des tasses et des vases par les
fenêtres. Elle ne réalise pas qu’elle a froid et qu’elle est fati-
guée.
Elle ne voit pas les murs des maisons qui s’écroulent avant
de s’écraser sur la route et encore moins que des fenêtres
explosent ou que des arbres brûlent.. Elle ne sent pas la faim.
Elle est simplement fière. Si fière qu’elle remarque à peine
Mme Volsdal déambulant en combinaison et chapeau.
Borgny sourit. Combinaison et chapeau ? Pauvre Mme
Volsdal. Elle s’agite en combinaison et en chapeau croassant
comme un corbeau et vociférant qu’il y a le feu.
- Pourquoi le feu ?
Tout le monde voit qu’il y a le feu. Pauvre Mme Volsdal ,
elle n’a probablement pas eu le temps de s’habiller. Elle a l’air
drôle.
Borgny regarde autour d’elle. Elle se retrouve au Square de la
Pharmacie(Apotekertorget). Il y a le feu de tous les côtés.
- Dépêchons-nous. Nous devons traverser Hellebroa (Helle-
pont) et quitter la ville dit Maman.
Borgny regarde Maman. Le visage de Maman se fige et devi-
ent livide. Mère lève les yeux, montre quelque chose du doigt
et crie. Borgny regarde aussi et voit une maison s’effondrer
sur elles. La maison entière s’effondre sur elles.
- Cours ! dit Maman. Cours!

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Borgny se sauve en courrant. Les autres l’imitent
s’éparpillant dans toutes les directions . La maison en feu
et crépitante penche vers eux. les flammes jaillissent de
la maison et les étincelles tourbillonnent dans tous les
sens. Borgny court plus vite que jamais . Elle entend un
gigantesque fracas pareil à des milliers d’orages éclatant
simultanément. La maison entière s’écrase sur le sol. Les
flammes se dressent. Le coeur de Borgny martèle très
fort. Elle a peur qu’il lui troue la poitrine. Elle se tient le
coeur et respire. Lorsqu’elle lève la tête, elle ne voit plus
Maman. Où est-elle ? Maman a disparu. Son coeur mar-
tèle encore plus fort. Elle ne voit plus Maman.
40



Borgny regarde vers la maison qui s’est écroulée sur la route.
Un très haut mur de flammes se dresse lui barrant le chemin.
Elle aperçoit Ivar mais pas Maman ni Anna. Maman et Anna
ont disparu. Elle est seule avec Ivar. Où est Maman ? Ou est
Anna ? Borgny regarde dans les flammes et ne voit ni Ma-
man, ni Anna.
Borgny ferme les yeux. Maintenant elle peut voir Maman qui
sourit. Elle porte sa robe d’été, sa robe d’été blanche. Ses
cheveux flottent dans le vent. Maman a les plus beaux che-
veux du monde. Maman sourit.
Borgny rouvre les yeux. Les flammes se sont déchirées et à
travers elles, elle peut voir Maman et Anna. Maman et Anna
sont là. Maman montre quelque chose du doigt et crie.
Borgny ne peut pas l’entendre. Maman pointe le doigt vers
l’autre côté de la ville et le passage de Brosundet (Le détroit
du pont). Elle voudrait sans doute que nous traversions le
pont Hellebroa pour atteindre l’autre côté de la ville.
Borgny regarde Maman avec des yeux tristes. Maman sourit.
Borgny sourit. Ivar sourit. Anna pleure. Borgny sait que les
sourires sont de façade pour cacher la tristesse. Borgny est
triste mais elle sourit. Ivar lui prend la main avant de se diri-
ger rapidement vers le pont.

42



Borgny regarde le pont traversant le joli détroit. Borgny
adore être sur le pont. Ca sent bon, particulièrement en
été quand il y a tant de choses à regarder... Surtout les
bateaux. Ca fourmille de bateaux : des grands et des
petits .
En été, elle et Ivar ont l’habitude de ramer en barque
sur le détroit. Des bateaux arrivent avec de grands ton-
neaux remplis de poissons. D’autres avec des
marchandises du monde entier. Un jour, elle a reçu du
chocolat venu d’un pays qui se nomme Belgique... Le
meilleur qu’elle ait jamais mangé. Maintenant ils n’ont
pas le temps de s’arrêter. Ils se dépêchent de traverser.
Borgny s’arrête brusquement. Elle touche l’épaule de
Ivar et pointe son doigt vers le pont. Il est comme
illuminé. Le pont est en flammes : il brûle derrière, à
coté et devant eux. Le feu est partout. Borgny a peur.
Le pont est le seul moyen permettant d’atteindre l’autre
côté de la ville. Maman n’est pas là et Papa non plus.
Qu’aurait-il fait Papa ?
Borgny regarde vers le quai du Square de la Phar-
macie (Apotekertorget). La barque dans laquelle ils ont
l’habitude de ramer s’y trouve. Elle prend Ivar par la
main et lui montre la barque du doigt. Elle vogue au
rythme des vagues. (elle n’est pas très grande.) Ils
descendent vers le bateau et grimpent à bord.

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Borgny adore être en bateau mais aujourd’hui elle a peur.
Elle a l’habitude de regarder par dessus bord pour y voir
son reflet dans l’eau, le trouvant bizarre. Parfois elle met
la main dans l’eau de mer qu’elle goûte. Elle a le goût de
salé. Aujourd’hui la mer est en colère. Elle fait de l’écume.
Il y a de grosses vagues et le feu partout. Lorsque Borgny
regarde dans la mer elle voit des flammes. Ivar lui indique
un endroit de l’autre côté du détroit qui ne brûle pas. Ivar
commence à ramer.
Borgny regarde Ivar ramer. Il rame avec des poignes fer-
mes en poussant des gémissements. La barque monte et
descend les grosses vagues. Borgny s’accroche au plat
bord du bateau. Elle regarde le détroit. Le joli détroit du
pont est en feu , les maisons sont en feu , plusieurs
bateaux ainsi que leurs avirons sont en feu.

46



Borgny écarquille les yeux. Les rames ont pris feu.
Maintenant les rames aussi sont en feu. Elle agite les bras et
montre les rames du doigt. Ivar regarde Borgny puis les rames.
Il pique les rames dans l’eau de la mer mais rien n’y fait. Borgny
retient son souffle. Elle ne peut rien faire. Ivar pique de nou-
veau les rames dans la mer, sans effet. Elles brûlent toujours.
Ivar continue de ramer; Il rame plus vite que jamais. Les rames
tournent comme des hélices alors que les flammes dansent sur
leurs lames.
La barque donnant l’impression de voler fait de l’écume en
avançant sur l’eau. La barque heurte le quai. Les
rames ont cessé de brûler. Ils ont réussi. Ivar a
réussi. Il a réussi à les faire traverser le détroit sans
encombre. Ils sont arrivés
de l’autre côté.

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Borgny pousse un soupir de soulagement. Elle observe les nuages
rougeâtres dans le ciel embrasé. Il fait plus clair, comme lorsqu’elle
va à l’école. Borgny sent le vent et la pluie lui fouetter le visage. Elle
sent qu’elle est trempée jusqu’aux os. Elle se rend compte qu’elle a
froid et qu’elle claque des dents. Borgny se tient le ventre. Elle a très
mal au ventre. Maman lui manque. Ou est maman ?
- Viens Borgny. Nous accostons ici, dit Ivar.
Borgny regarde Ivar. C’est le meilleur grand-frère du monde. Il est
tellement fort. Borgny se sent en sécurité. Maman lui manque mais
elle se sent en sécurité quand Ivar veille sur elle. Borgny
regarde vers l’autre côté du détroit. Toutes les maisons sont en
flammes. Là bas, de l’autre côté se trouvent Maman, Papa et Anna.
- Viens Borgny, allons jusqu’à l’hôtel. Nous y trouverons de l’aide dit
Ivar.
Borgny avait déjà fréquenté l’hôtel auparavant. Y être est tellement
excitant ; les gens y rient, chantent et dansent. Quand ils y
arrivèrent, ils virent que l’hôtel avait pris feu. Entièrement
rongé par les flammes. Les rues fourmillaient de gens
; des grands , des vieux , des jeunes et
des petits. Ils portaient des lam-
pes et des vases. Ils avaient l’air
malheureux. Très malheureux.
Ils ne riaient pas, ne
chantaient pas ni ne
dansaient. Ils ne faisaient
que marcher. Marcher en
silence. Borgny comprit
et ne dit rien non plus.

50


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