✓ LOUIS JOSEPH ANTOINE DE POTTER LETTRE DE M. DE POTTER M. SYLVAIN VAN DE WEYER. PBECEDÉE D'ON AVANT - PROPOS DE L'ÉDITEUR . Prisc 25 cents: AU PROFIT DES DÉTENUS POUR DETTES AUX PETITS - CARMES . Bruxelles . IMPRIMERIE DE J.-F. DE GREÉF- LADURON , A LA LIBRAIRIE BELGE , RUE DES PIERRES , Nº 46. 1830
MEM 5518698 DH 641 P68 1499570 OLC 6-27-70 que 1830 MWA Waw AVANT - PROPOS DE L'ÉDITEUR . LA lettre de M. De Potter , que je publie au jourd'hui , un'a été adressée deux jours après la décision de la chambre des mises en accusation . La position dans laquelle il se trouve , la grave accusation qui pèse sur sa tête , et dont il n'aura pas de peine à se laver devant la justice ; celle plus grave peut- être , quoique toute morale , qu'on a cherché à lui intenter devant un autre tribu nal , dont les décisions importent bien plus à son honneur; mon amitié à laquelle il fait un appel , et qui ne lui manquera pas plus dans cette cir constance que dans toutes les autres , quoi qu'on ait pu dire ; tout enfin me fait un devoir de ren dre publiques ces lignes , tracées sans colère et sans amertume , du fond d'une prison , et où brillent une franchise rare , une bonne-foi et une sincérité parfaite. Certes , pour qui sait réfléchir , elles sont fé condes en hauts enseignements , les six semai nes qui viennent de s'écouler ; et pour quiconque porte une ame d'homme et de citoyen , il y a là de quoi s'émouvoir et s'indigner ! Certes , jamais homme au monde ne s'est
IT AVANT- PROPOS trouvé dans une position pareille à celle où se trouve M. De Potter. Elle est neuve ; elle est unique. Séquestré tout- à- coup de toute communica tion avec ses parents et ses amis, on élève contre lui , qui est en prison , et à l'occasion d'un arti cle publié dans deux journaux , une accusation de complot , de trame secrète contre la sûreté de l'Etat. Ce n'est pas là ce que je donne comme étrange : les fastes judiciaires offrent plus d'un exemple d'accusations plus bizarres encore. Une correspondance, qu'il entretient avec un de ses amis absent , est saisie dans sa prison ; et bientôt elle absorbe toute l'attention du magistrat qui l'interroge ; et bientôt M. De Potter se voit in terpellé, sommé de rendre compte de ses pen sées, de ses sentiments, d'expliquer ses relations , de justifier ses confidences d'homme et de ci toyen , de dire pourquoi sa raison a jugé , son coeur a senti , son intelligence a pensé. Toute sa vie privée , en effet, se déroule , m'a- t - il - dit , dans cette correspondance ; ses affections , ses affaires domestiques , ses qualités , ses défauts , tout ce qu'il y a de plus secret , de plus intime au fond de l'ame humaine , tout ce qu'on ne confie qu'à un second soi - même , et ce qui reste d'ordinaire entre l'homme et Dieu , y est versé dans le sein de l'ami auquel il écrivait : or tout ܪ > >
- 3 } DE L'ÉDITEUR. cela devient l'objet de nombreux interrogatoires. Ce n'est pas encore là ce qui est étrange et nou veau : le despotisme de l'ancien régime ne nous a que trop familiarisés avec ces formes de pro cédure : le Co le pénal de Bonaparte violait le sanctuaire de la conscience avec autant d'indif: férence et de légèreté et aussi peu de remords qu'il en mettait luimême - à jeter nos enfans de vant la bouche d'un canon. Mais tout - à - coup , et comme å un signal donné , ces pensées , ces confidences, ces com munications intimes , celte propriété sacrée de deux amis , sortent du secret où elles devaient rester ensevelies , débordent comme un torrent, et tombent avec fracas au milieu d'un public . dont la curiosité est d'autant plus vivement ex citée , qu'il prend plus d'intérêt à celui qui en est l'objet. Les bruits les plus étranges, appuyés de détails et de circonstances qui leur donnent une apparence de vérité , se répandent avec la rapi dité de l'éclair. On cite , on colporte des phrases de cette correspondance. Chacun les répète , les juge , les commente , comme si les auteurs les eussent avouées , reconnues et destinées à la pu blicité ; on les examine, on les analyse comme un livre ; on les critique comme une ouvre poli tique ou littéraire ; on les blåme comme un pam . phlet. Dans le premier moment de vertige qui
V1 AVANT-PROPOS сс SE d td ST sc 10 s'empare des esprits, chacune de cesphrasesainsi citées , chacune de ces pensées ainsi isolées de vient en quelque sorte une action ,, dont les au teurs sont justiciables comme d'un crime. L'ac cusation première est perdue de vue ( jamais , à la vérité , on n'a cru qu'elle fût sérieuse ) ; et ce qui n'était qu'un épisode dans le procès intenté à M. De Potter, devient tout- à - coup l'affaire prin cipale , de telle sorte qu'il lui importe plus au jourd'hui de faire cesser ces clameurs , de dé mentir ces calomnies , d'imposer silence aux habiles artisans de mensonges , etd'éclairer l'opi nion publique fourvoyée peut- être , mais tout au moins inquiétée , que de se défendre de l'action judiciaire qui lui est intentée. C'est là ce que je donne comme une nouveauté , comme une bizar rerie et un phénomène politique dignes de toute notre attention , et faits pour provoquer les plus sérieuses réflexions. Et cependant , celui qu'on accusait ainsi , était en prison ; celui auquel on reprochait amère ment ses jugements et ses pensées , sans qu'on daignât s'enquérir comment tout cela était tombé dans le domaine public, était au secret; on l'atta quait avec violence , et il ne pouvait répondre ; on tâchait de l'assassiner moralement , et il ne pouvait se défendre ! Appelé dans ces circonstances auprès de lui , be es n P re e. la q
Insi de au ac 1 се enté rin au dé aux opi it au ction DE L'ÉDITEUR. VII comme son conseil et l'un de ses anciens défen seurs , je ne lui cachai aucun des bruits répan dus avec profusion sur sa personne et sa con duite publique et privée , pas plus que je ne lui dissimulai la nécessité de les faire cesser par de prompts éclaircissements. Je les eusse donnés moi-mėme, ces éclaircissements , tant je souffrais de ces rudes attaques portées au caractère de mon ami, de mon client, si l'on m'avait laissé le temps delire cette volumineuse correspondance , sur laquelle chacun des défenseurs n'a pu jeter qu'un coup-d'oeil rapide et furtif , et dont per sonne de nous ne connaît encore aujourd'hui ni l'ensemble ni les détails. Il y a des hommes avee qui la sincérité n'a pas besoin de précautions oratoires , et M. De Potter est de ce nombre. Dire qu'il fut insensible à ce nouveau coup , ce serait le calomnier. Qui res pecte , comme lui , l'opinion publique , et en a reçu d'éclatants hommages, souffre de la voir exposée à s'égarer dans ses jugements. Que fal lait-il cependant pour qu'elle revînt d'un arrêt qu'elle avait peut-être porté avec trop de préci pitation ? De la part de celui qu'on attaquait , quelques mots , non de justification , mais d'ex . plication ; de la part du public, quelques jours de réflexion . Ces quelques jours, il les a eus , et ils ont porté leurs fruits ; car , s'il est vrai de dire je je izar coute plus était nere qu'on ombé l'atta ondre ; t il ne de lui ,
VIII AVANT- PROPOS DE L'ÉDITEUR . qu' « il n'y a pas de plate méchanceté , pas d'hor » reurs , pas de conte absurde , qu'on ne fasse ' n adopter aux oisifs d'une grande ville en s'y » prenant bien » (1 ) ; il ne l'est pas moins qu'il n'y a pas d'idée saine , pas de sentiment vrai , pas de vérité simple que le public , et le public Belge surtout , ne trouve par la force de son bon sens naturel et de son équité. Écho fidèle d'abord , par excès de droiture et de confiance , de tout ce qu'on veut qu'il répète , il redevient bientôt juge sévère et équitable ; et tout le monde alors répudie et rejette ce que tout le monde avait trop légèrement cru et accrédité . Les quelques mots de la personne intéressée , les voici, simples et graves , tels que devait les prononcer l'homme qui possède à un degré émi. nent les deux traits fondamentaux de notre ca ractère national , la franchise et la loyauté. Je les soumets en toute confiance au jugement calme et impartial de mes concitoyens , et je ne crains point d'ivoir à me repentir , dans l'intérêt de mon ami et de mon client , de l'accomplisse ment du devoir délicat que son amitié réclame de moi. > ។ 1 SYLVAIN VAN DE WEYER, Avoc. Brurelles, 25 mars 1830. fi) Beaumarchais.
LETTRE DE M, DE POTTER A M. SYLVAD VAN DB WEYER , Mox AMI , 1 que les On fait beaucoup de bruit ou , pour mieux dire , beaucoup de scandale de ma correspon dance avec M. Tielemans; on en fait même tant personnes sensées seroient autorisées å croire que la poursuite dirigée contre nous n'a eu d'autre but que celui de faire ce bruit , d'occa sionner ce scandale . Car, pour notre part , on ne peut nous accuser que de l'existence seule de cette correspondance qui étoit nôtre , et unique ment nôtre , destinée par nous à demeurer éter : nellement un secretº entre nous , comme nos * conversations les plus intimes , comme nos pen sées. Or le scandale n'est venu que de l'indiscret abus qu'on a fait de ce que nos lettres contien nent ( je suppose très gratuitement qu'elles con tiennent tout ce que l'on a dit ' ) ' : à qui donc ce scandale doit- il être imputé ? A nous qui n'avons pu nous y opposer, ou à quelques hommes du ministère, qui , malgré nous , 's'en sont rendus coupables ? A nous qui en souffrons, que l'on veut en rendre les victimes , ou à ceux qui cru rent en profiter et's'en font un triomphe? Les faits les plus faux, les plus calomnieuxont été répandus dans le public : malheureusement
2 LETTRE DE M. DE POTTER pour ceux qui les colportent, ces faits sont aussi les plus ridicules , les plus contradictoires , les plus absurdes. D'après ce qui m'est revenu , on diroit qu'un thème général a été fort grossière ment composé par quelque chef de cette miséra ble intrigue , et qu'il a été communiqué par lui et imposé aux sous-ordres, avec injonction de le propager le plus possible , et avec latitude de le varier à volonté. En effet, c'est toujours la même répétition de cinq ou six assertions légèrement modifiées, basées sur des on dit, on assure , on sait de bonne part, qu'on ne précise jamais , que personne n'a vérifiés , et qui , si l'on vouloit y réfléchir un instant , se détruisent les unes les au tres ou du moins ne peuvent coexister avec d'autres faits , réels, prouvés, indubitables. Mon intention est, mon cher ami, d'appuyer ici les observations que je vous ai déjà faites de vive voix sur cette désagréable affaire , par celles qui se pressent dans mon esprit , et que je re cueille pour vous les soumettre dans unmeilleur ordre que ne le comporte une simple conversa tion. Veuillez les lire avec attention jusqu'au bout ; et puis vous déciderez vous-même quel usage il serà bon et utile d'en faire. Avant toute autre remarque , je vous prierai de faire avec moi celle - ci , qui me paroit décisive en faveur de M. Tielemans et en ma faveur. In les feuilles publiques de ma mise au secret et dela saisie de tous mes papiers , par conséquent aussi de ses lettres, il a eu par-devers lui plusieurs jours de temps pour décider ce 1 struit par
8 a > A M. SYLVAIN VAN DE WEYER . qu'il avoit de mieux à faire avant la saisie qu'on pouvoit également pratiquer chez lui : supposong que notre correspondance eût réellement été aussi infâme que l'on a voulu le faire croire ; qu'auroit fait M. Tielemans ? Il l'auroit détruite . Qu'a-t-il fait au contraire ? Rien : il a laissé toutes mes lettres à la disposition de l'autorité qui se seroit crue autorisée à les saisir. Bien des personnes le blâmeront de cet excés de confiance ; et lui -même peut-être aujourd'hui , voyantà qui il avoit affaire, se repent de n'avoir pas simplifié l'attaque àà laquelle nous allions être en butte. Je déclare , moi, que je l'approuve sans réserve , et qu'à sa plaee j'aurois agi exacte ment comme lui . Il me semble qu'à la nouvelle de l'accusation qui pesoit sur moi et des rigueurs dont elle ve noit d'être accompagnée , Mi Tielemans doit avoir raisonné à peu près de cette manière : « M. De P. est poursuivi pour complot con , tre l'ordre de choses établi. Je sais mieux que sa personne que M. De P. n'est pas un conspira teur. Mais tout le monde le sait-il comme moi ? » Ou ceux qui le savent le mieux , ne peuvent-ils » pas se laisser séduire par de vaines apparen * ces ? Ne peut-on pas chercher à le perdre ? En pareil cas, qu'y a -t - il à faire ? Jouer, comme on dit , cartes sur table ; se montrer tel qu'on est réellement, sans rien cacher, sans rien dé guiser , sans faire un secret de rien . Et, après » tout , que trouvera- t -on dans ses lettres? De quoi peut-être blesser l'amour-propre de quelques >>> - por 3
LETTRE DE M. DE POTTER $ de ce que , uns ? Eh bien !de deux choses l'une : ou les per sonnes que nous avons jugées ne s'offenseront pas dans l'intimité d'une conversa tion écrite, nous avons usé enverselles d'un droit , dont à coup sûr elles ne sont pas fait faute d'user également envers nous , et nous soutiendrons » que , quoique nous les ayons traitées sévère • ment , cependant nous n'avons rien dit dont v l'honneur puisse tirer offense ; ou bien elles se fâcheront , et alors nous n'aurons qu'à les plaindre d'avoir plus d'amour -propre que de e vrai dévouement. » J'ai fait parler M. Tielemans comme s'il avoit prévu la publicité que nos lettres ont reçue ; et je demanderois sincèrement pardon de cette hy pothèse , si l'événement ne l'avoit pas justifiée. Mais devoit- il s'attendre à l'abus qu'on a fait de sa confiance ? devoit- il croire que ces lettres, quel qu'étrangères qu'ellesfussent à la prétendue con spiration , que des lettres écrites il y a trois et quatre ans , des conversations, des pensées inti mes, fussent livrées àla curiosité publique comme une proie qu'on jette à la calomnie avec l'invi tation de s'en repaître ? Non ; il devoit penser que la justice cherchoit de bonne foi un corps de délit, et que, le délit prouvé ou non , la vie privée des prévenus ne seroit pas affichée aux coinsd'uuerue . Sans examiner icijusqu'à quel point des agens infidèles ont pu être , sinon excités , du moins , je me bornerai à dire que celles - ci , considérées en elles -'mêmes, sont indignes de la gravité d'un autorisés à commettre des indiscrétio pe
A'M . SYLVAIN VAN DE WEYER . fonctionnaire public qui se respecte. Dues au motif qui y a donné lieu , savoir le désir de froisser des susceptibilités individuelles , de susciter des haines particulières , de diviser des hommes dont on craignoit l'accord , en un mot d'étouffer l'opposition sous les querelles de quelques - uns de ses membres , ce sont des actions que je m'abstiendrai de qualifier. Accompagnées des mensonges qu'on y mêla et qui ne pouvoient manquer d'être bientôt décou verts , des calomnies dont on crut devoir les or ner et les embellir, ce sont , je ne crains pas de le dire, de lâches perfidies qui flétrissent à jamais et les vils instrumens de pareilles manoeuvres et ceux qui peuvent avoir réclamé leurs honteux services . · Avant d'entrer dans les détails surla correspon dance elle-même , permettez-moi, mon ami , de vous adresser quelques questions bien simples : Croyez- vous qu'il soit défendu aux citoyens d'un état libre ou prétendu tel de s'occuper des affai res publiques ? peuvent-ils en parler entr'eux lorsqu'ils sont réunis ? éloignés l'un de l'autre , peuvent-ils s'écrire sur ces matières ? comme la chose publique ne marche pas d'elle-même , y a-t-il inconvénient à ce que les jugemens portés sur les événemens s'étendent aussi sur les hom mes dont plus ou moins ces événemens dépen dent ? Vous-même, mon ami , n'avez -vous ja mais prononcé de cesjugemenslà, soit à part yous, soit dans la conversation , soit dans vos lettres ? la raison dont vous êtes doué me garantit que mm >
6 LETTRE DE M. DE POTTER - vous l'avez toujours fait à bonnes enseignes et que rarement vous vous êtes trompé : si cepen dant vous aviez involontairement été dans l'er reur , soit sur un fait , soit sur un individu , vous accuseriez - vous d'un crime irrémissible ? pour vous expliquer la conduite politique d'un hom me , n'avez-vous pas scruté son caractère , sa po sition sociale , ses occupations habituelles , et en partie să vie privée ? avez-vous supposé que vos amis fussent impeccables et infaillibles ou vou lussent paroître tels à vos yeux ? et , pour parler de ce qui s'est passé depuis l'ouverture de la session parlementaire actuelle , vous êtes - vous fait une loi de conscience d’approuver en tout la tactique suivie par la 2e chambre et par cha cun de nos députés , la marche de tous nos jour naux de l'opposition et de chacun de ses rédac teurs , et nommément de celui à la rédaction duquel vous prenez part et de tous vos collabo rateurs, parce que vous êtes lié avec eux d'amitié et de principes ? Si vos réponses sont ce que , selon moi , elles ne sauroient manquer d’ètre , ma correspondance avec M. Tielemans est pleinement justifiée : et bientôt tous les hommes raisonnables qui au roient répondu comme vous le jugeront de même. Alors , je vous le demande , à qui la honte ? Sur qui retombera le scandale ? A qui le public demandera -t - il compte des mensonges et des ca lomnies dont , pendant quelques semaines , on n'aura pas craint de souiller l'opinion ? Encore une fois , d'où est venu le scandale at
A M. SYLVAIN VAN DE WEYER. 7 > tribué à la correspondance ? De ceux qui, abu sant des secrets de la vie privée, en ont fait métier et marchandise , de ceux qui les ont tronqués , mutilés , altérés , envenimés , entachés de faux matériel . Carles lettres , telles qu'elles sont et pri ses dans leur ensemble , sont à la fois la chose la plus simple comme la plus licite . Deux amis accoutumés à se voir tous les jours , à s'occuper tous les jours de leur patrie et de ceux qui y ont de l'influence , sont forcés par les circonstances à se séparer : ils s'écriront, et leur correspondance contiendra ce qui faisoit le sujet habituel de leurs conversations ; et ils ne croiront pas cette correspondance plus cri minelle que ne l'étoient ces conversations elles mêmes : ils la conserveront donc pour leur satis faction personnelle , comme un monument de leur liaison et de leur confiance sans bornes , loin de penser que jamais l'autorité viendroit violer jusqu'au secret de leur opinion et de leur conscience. Cependant l'un des deux amis est dans une position plus délicate que l'autre : ce dernier malgré les précautions prises pour dérouter le service des postes , redoute encore les accidens imprévus , et il prend le parti de voiler les matières qu'il traite , de déguiser les noms de ceux dont il parle. Mais ce voile est transparent ; car , comme on n'avoit pas songé à convenir d'un chiffre, il falloit bien désigner les choses de manière à ne pas être inintelligible. Dès - lors la 2 chambre devint le tribunal de 1re instance; . !
8 LETTRE DE M. DE POTTER و ។ > la 1re , le tribunal d'appel ; la proposition de M.De Secus, le procés de l'un des correspondans ; sa mise en liberté qui en étoit l'objet accessoire , son émancipation ; etc. Le Nestor de notre re. présentation nationale est désigné sous le nom du bon vieillard ; M. De Stassart sous celui de Lafontaine ou Locman ; M. De Brouckere sous ce lui de l'homme aux certificats ( de capacité ) , point surlequel les deux correspondans ne partageoient pas l'opinion de l'honorable député ; M.Van Bom mel sous celui de Melchisedech , etc. , etc. , etc. Et les lettres , toujours écrites sous l'inspiration du moment et de l'événement , ne portent le plus souvent sur les hommes et les choses que des ju gemens instantanés, qui sont révoqués peu après ou font place quelquefois à des jugemens tout op posés. Par exemple, M. De Secus dont la bonne foi et la franchise ne sont jamais mises en doute, y est parfois accusé d'hésitation et de lenteur, attribuées à sa trop grande confiance dans les promesses mi. nistérielles; ce que d'ailleurs , au commencement surtout de la session , on reproche à la 2e cham bre tout entière : M . De Brouckere n'est pas cru exempt de toute ambition : M. de Stassart mon tre trop de susceptibilité à la moindre phrase des journaux ou au moindre effet qu'elle pro duit sur ses trop susceptibles collègues : MM. Le Hon et De Celles sont réellement soupçonnés d’a voir fait partie du triumvirat médiateur, dont les feuilles ont tant parlé vers la fin de l'année der pière. Mais que l'un de ces mandataires du peu-. ple se prononce dans le sensconstitutionnel d'une
A M. SYLVAIN VAN DE WEYER . g ។ manière ferme et arrêtée , aussitôt toute cri tique s'évanouit devant cet acte courageux de citoyen : ainsi , pour ne point parler des autres, M. De Brouckere après l'envoi de ses honorables démissions , est couvert d'éloges pour sa con duite franche et conséquente , de même que M. De Stassart pour son vote négatif sur le bud jet décennal. Et à propos de cela , il faut donc dire que la cor respondance n'est ni de simple amitié , ni littéraire, ni de caquetage de salons et de cafés: elle est toute politique et domestique. Outre quelques détails particuliers , c'est de la Belgique qu'ily est toujours question , et de l'heureux réveil qui , depuis quel que temps, semble y préparer la régénération na tionale . Mais , comme ce sont les hommes qui se sont réveillés, et non les choses, comme ce sont les hommes qui , en hâtant ou retardant l'esprit pu blic , rendent plus ou moins prochain le règne des lois et de la justice , c'est -à -dire le règne de la vraie liberté , c'est sur les hommes que respondance a dû principalement s'étendre. Quel ques -uns y sont peu favorablementjugés. Si c'est à tort, il en résulte que les deux amis ont mal vu , ou plutôt qu'ils ont été inal instruits , qu'ils se sont trompés ou qu'on les a trompés : c'est là un droit qu'ils ont en commun avec tous leurs concitoyens, avec tous les hommes, et dont certes ils ne sont pas les seuls à user . Mais, je le répète, c'est politique ment que les portraits sont tracés, et jamais d'une autre manière : on dit que tel n'aime pas la li berlé et que tel autre l'aime mal ; jamais on . > la cor
10 LETTRE DE M. DE POTTER 1 1 n'avance un fait qui puisse blesser l'honneur ou la délicatesse de qui que ce soit . La vie privée , pour autant qu'elle n'a pas de relation directe avec la vie publique , reste murée , même dans des lettres qui devoient toujours rester entre nous comme les causeries d'un tête - à -tête . Mais , crie - t -on , les amis particuliers des deux correspondans, les compagnons de travail et de captivité de l'un d'eux sont , dans ces lettres ,dé nigrés et déchirés de toutes les manières ! Cela est faux . Les amis , comme les indifférens, y sont peints avec impartialité et bonne foi , je ne dis pas tels qu'ils sont en effet , mais tels que les correspondans les croyoient être au moment où ils s'écrivoient , toujours et exclusivement, je ne saurois assez le dire , dans leur conduite publi que , à moins que leur position d'hommes ne fût la seule explication possible de leurs actions de citoyens . C'est ainsi qu'à la demande : Pourquoi tel journal n'a - t - il pas une marche plus régu lière , plus soutenue ? pourquoi n'a -t - il pas plus d'ensemble et de tactique ? il a bien fallu répon dre , à tort ou à raison , ce n'est pas là la question : Parce que les rédacteurs ne font pas leur affaire principale, leur unique affaire de s'entendre pour le succès de la cause dont ils sont les interprètes ; parce que l'un songe à ses plaisirs, que l'autre est absorbé par des soins domestiques , que d'autres enfin ne s'en occupent point ou guère, le tout expri mé avec le laisser- aller d'une conversation animée. Ces assertions peuvent avoir blessé ; et il paroît qu'elles ont blessé vivement . Et cependant , > 2 a 4
A M. SYLVAIN VAN DE WEYER . 11 2 veuillez remarquer ceci , sur quoi étoient-elles fondées ? Étoit - ce sur ce que j'apprenois par les feuilles publiques, comme il arrive lorsqu'il s'a git de la marche du ministère et du plus ou moins d'énergie dans l'opposition de la chambre ? Étoit-ce sur ce que j'avois moi-même été dans le cas de voir ou de vérifier par mes propres yeux ? Ni l'un ni l'autre. Je n'ai pas foi aux feuilles ministérielles , les seules qui traitent les ques tions personnelles publiquement ; et depuis plus de quinze mois , je ne vois et je ne vérifie plus rien . Ce que j'ai avancé , je l'ai donc seulement fait et pu faire d'après les rapports des personnes qui venoient me visiter , toutes aussi liées que moi avec celles dont elles blâmoient ou la négli gence ou le peu d'harmonie. J'ai versé ces confi dences dans le sein d'un ami dont la discrétion est à toute épreuve. Qui les a divulguées ? Est- ce lui ? Est- cemoi? Non certes. Je ne dis pas nos amis, mais nos ennemis eux-mêmes doivent sentir qu'il seroit cruel de s'allier avec les vrais coupables pour les aider à écraser leurs victimes. Car si les personnes dont il s'agit veulent y réfléchir de sang -froid , elles se diront : « Nous voulons tous le triomphe de la bonne cause ; » prouvons au gouvernement , le moment en est » venu , prouvons- lui que nous ne voulons que » cela et que nous saurons y sacrifier tout le reste. La question de la liberté n'est pas une question d'intérêt personnel et de vanité enfan » tine . Montrons à ceux de nos amis ' qui nous ont cru peu zélés pour elle , que nous savons . >
12 LETTRE DE M. DE POTTER 1 i » 1 1 » au besoin nous y dévouer tout entiers . Eux -me » mes , nous le voyons jusque dans l'erreur où » ils sont à notre égard , eux - mêmes chérissent » la patrie par -dessus toutes choses : il y a , selon » eux , et nous sommes loin d'en disconvenir , , il y a parmi les hommes chargés par état ou par choix de préparer son émancipation , » des maladroits qui s'y prennent tout à rebours , » et qui le plus souvent font marcher à reculong » le char national , au lieu de lui faire plus rapide * ment parcourir sa carrière ; et , dans leurs momens de mauvaise humeur, nos amis trai tent assez mal ces maladroits - là . Gardons -nous de permettre que l'on puisse nous confondre avec eux !. .. Je crois , mon ami , avoir retourné dans tous les sens le crime imputé aux deux correspon dans . Il se borne à des confidences familières, et rien que des confidences familières Ceux qui haïssent la liberté publique ont jugé qu'elles leur fournissoient le moyen de se venger : ils ont compté sur l'irritabilité de quelques amours propres froissés . Ce calcul une fois établi , et la lâcheté de quelques hommes mise hors de tout doute , le succès étoit certain . Les indiscrétions commencèrent cette oeuvre de ténèbres ; l'impose ture la continua ; la calomnie dans toute sa hi deuse nudité y mit la dernière main . C'est ainsi que l'opposition que je faisois moi , tantôt pour me faire employer par le gou vernement ,, tantôt par dépit de ne pas être ém ployé par lui , est une calomnie ; que mon pro
A M. SYLVAIN VAN DE WEYER . 13 > 9 jet avoué de trahir les catholiques , après les avoir compromis avec les libéraux , est une calom nie ; que ma tentative pour aider à voler quel ques milliers de florins au gouvernement (je rougis de devoir le dire ) , est une calomnie ; que la prétendue correspondance de M. Tielemans avec le Belge , pour lui fournir les statistiques, est une calomnie ; que sa trahison enve : l'état dont il me livroit les secrets ( et pour quoi faire , grand Dieu ? ), est une calomnie ; que mille et une autre inventions toutes plus perfides et plus plattes , plus atroces et plus absurdes les unes que les au'res , sont des calomnies. Mais supposons que tout cela eût été vrai , qu'y avoit- il de commun entre ces faits , ces in tentions , ces pensées des deux correspondans etla prétendue conspiration , sous prétexte de la quelle on les traitoit avec tant de dureté ? Les faits eussent été honteux , j'en conviens volon tiers , les lettres dégoûtantes , les intentions cou pables , les pensées odieuses. Mais , encore une fois, que cherchoit - on ? Des hommes qui avoient manqué de délicatesse ? Des ennemis de la li berté ? Des ames basses et vénales ? Non ; des conspirateurs. A quoi donc pouvoient servir des révélations qui ne se rapportoient ni ne pou voient se rapporter à aucune espèce de trame ou de complot ? Je l'ai déjà dit : à perdre dans l'opinion (les hommes que l'on hait et qui n'ont rien à redouter de la justice. A défaut de pièces propres à établir l'existence d'une conspiration criminelle , on n'é >
14 LETTRE DE M. DE POTTER : toit parvenu à se procurer que des lettres qui prouvoient précisément que ceux qui les avoient écrites étoient incapables de conspirer : il falloit bien exploiter ces lettres; et là où la loi devoit se taire, on invoqua la malignité des calomniateurs. Vous sentez bien que je ne m'amuserai à vous parler, ni des sobriquets ridicules dont on m'ac cuse d'avoir affublé des amis , et qui sont tout bonnement ceux dont nous ont gratifiés les or ganes du ministère , ni des foulards que j'ai fait imprimer , ni des lithographies que j'ai fait faire , ni des médailles que je me destinois , ni d'autres mensonges puérils qui se réfutent assez d'eux mêmes. Le canal par lequel ils se sont répandus dans le public trahit assez l'impureté de leur source première ; on les a confiés au National, à la Sentinelle et au Journal de Gand ! Je me hâte de finir . Je suis las de fouiller dans cet amas de turpitudes et de niaiseries ; et vous , mon ami , vous ne l'êtes sans doute pas moins de me suivre dans ces pénibles explications. Ne cro pas que j'aie voulu me justifier. A vos yeux je sais que je n'en avois pas besoin ; à ceux de plusieurs autres, je vous avoue que je me respecte trop pour m'abaisser jusques - là . Pour ce qui est du public dont l'estime me sera toujours chère , j'ai pleine confiance dans le temps et la force de la vérité. Du reste , je suis entièrement résigné à ceque le sort me prépare , toujours prêt à me consoler de sa rigueur par le témoignage de ma conscience. N'ayant à rougir de rien , l'ad vienne que pourra continue à être ma devise. 1 1
A M. SYLVAIN VAN DE WEYER . 15 Je vous devois cette lettre >, non seulement comme à un ami , mais encore comme à mon conseil et å mon défenseur : il est important que vous sachiez de tous points qui et ce que vous devez défendre . Vous connoissez ma position mieux que per sonne : maintenant que tout le monde apprenne à la connoître comme vous. Si vous croyez ces lignes utiles à ma cause et à ma réputation j'exige de votre amitié que vous les rendiez pu bliques . Aux prises avec des événemens dont il ne m'est pas donné de prévoir l'issue , coûte que coûte , si je suis condamné à tout perdre, il faut du moins que l'honneur me reste ,. . Je vous serre la main , 1 DE POTTER . Des Petits-CARMES, le 23 Mars 1830 .
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