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Ce texte et le fruit de mon enquête d'ethnographie menée en 1991 dans le cadre de ma maîtrise d'Ethnologie. Je rends compte de ma rencontre avec des alchimistes de la France de l'Est. C'est une sorte d'état des lieux des pratiques alchimiques en cette fin du XXème siècle.

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Published by Michel Nachez, 2020-05-14 09:17:38

Alchimie et Modernité

Ce texte et le fruit de mon enquête d'ethnographie menée en 1991 dans le cadre de ma maîtrise d'Ethnologie. Je rends compte de ma rencontre avec des alchimistes de la France de l'Est. C'est une sorte d'état des lieux des pratiques alchimiques en cette fin du XXème siècle.

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Michel Nachez

ALCHIMIE et MODERNITÉ

Mémoire de Maîtrise d’Ethnologie
Maîtrise obtenue à l’Université de Strasbourg

Institut d’Ethnologie
Sous la direction du Professeur Éric Navet

1991

SOMMAIRE 3
4
Sommaire 9
Introduction 19
Aperçu historique 47
Les courants alchimiques au XXème siècle 51
Genèse de cette recherche 59
L'alchimie aujourd'hui 83
Les informateurs 90
L'alchimie vue par les informateurs 95
Les buts de l'alchimie d'apres mes informateurs 105
Les difficultés de l'enquête 107
Méthodologie 136
Remarques et réflexions 139
Conclusion 145
Bibliographie 161
Index 164
Annexe - illustrations
Table des matières

INTRODUCTION

Malgré l'idéologie dominante matérialiste de notre
siècle actuel, l'alchimie, avec sa vision du monde
ancestrale, persiste et ressuscite au-delà des
changements, tout en intégrant de nombreux éléments
qu'elle rencontre sur son chemin.
En cette seconde moitié du XXème siècle, certains
alchimistes utilisent des techniques de laboratoires
modernes pour optimiser leurs manipulations.

Quelle est la portée de cette résurgence ?

Elle augure peut-être une nouvelle période où l'homme
utilisera toutes ses potentialités, autant rationnelles

-4-

qu'intuitives, tel qu'Alexandre von Bernus en a exprimé
le désir dans les années 1930.

Comment en suis-je arrivé à étudier ce domaine ?

Au départ, je suis entré en contact avec les alchimistes
par intérêt personnel : attrait pour le mystère.

Puis, à la recherche d'un sujet de maîtrise, je me suis
dit : "Et pourquoi pas les alchimistes ?"

Cela n'a pas été une décision facile à prendre, dans la
mesure où il me semblait difficile d'adopter une
attitude strictement objective, c'est à dire détachée du
sujet de l'enquête.

Au bout d'un certain temps de réflexion, j'ai tout de
même décidé de tenter l'expérience.

Mon hypothèse de départ : compte tenu de ce que
j'avais déjà pu apprendre, je me suis demandé si
l'alchimie, en tant que démarche non conventionnelle,
ne tendait pas à rendre les alchimistes inadaptés à
notre monde moderne. L'alchimie me semblait une

-5-

survivance d'un monde dépassé ; les alchimistes,
comme des nostalgiques d'un passé révolu. Où
l'homme avait sa place, celle d'un instrument divin
chargé de parfaire l'Oeuvre que le Créateur avait laissé
inachevée.

Cependant, au fur et à mesure que l'enquête
progressait, je me suis rendu compte que ce n'était pas
du tout le cas. Les alchimistes m'ont de plus en plus
semblé être des gens intégrés au monde moderne.

Il m'a alors paru plus intéressant d'aborder le sujet sous
un autre angle : celui des interrelations entre le monde
actuel et le monde alchimique.

Je me suis très vite aperçu, pendant l'enquête, que
cette interrelation s'établit à deux niveaux :

- au niveau théorique et philosophique
- au niveau de la pratique concrète.

D'où la problématique "alchimie et modernité". Ou
comment l'alchimie intègre les apports de la physique,

-6-

de la chimie, de la médecine du XXème siècle, pour
optimiser sa pratique.
Car, à l'heure actuelle, il ne s'agit pas uniquement, pour
les alchimistes, d'essayer de reproduire les opérations
des anciens traités, mais aussi de les optimiser, de les
comprendre intellectuellement, de les traduire dans un
langage moderne.

Avant d'exposer ces éléments, il me semble utile de
proposer tout d'abord un rapide tour d'horizon
historique de l'alchimie.
Puis j'évoquerai la genèse de ma recherche.
Suivra un panorama des principaux courants
alchimiques français actuels, afin de mieux comprendre
dans quelle mouvance vont se situer mes informateurs.
Je brosserai ensuite leur portrait, ainsi que leurs
particularités et démarches.

-7-

J'en viendrai ensuite à la méthodologie et aux
difficultés de l'enquête de terrain parmi quelques
alchimistes de l'Est de la France.
En dernier lieux, je présenterai la pratique du travail
spagyrique, tel qu'il m'a été décrit par les personnes
rencontrées.
Entrons maintenant dans le vif du sujet.

-8-

APERÇU HISTORIQUE

Il n'est pas dans mon propos d'écrire une nouvelle
histoire de l'alchimie. Il existe de nombreux ouvrages
qui traitent de ce sujet. Il me semble néanmoins
indispensable d'établir un rapide aperçu de l'histoire de
l'alchimie, afin de mieux faire percevoir son
importance. Elle a profondément marqué tout le
Moyen-âge occidental, après avoir marqué le monde
antique et le monde islamique. Au XXème siècle, bien
que marginale, elle refait surface, et montre une
activité, dont aucun n'aurait jamais cru possible.

-9-

L'alchimie est un art très très ancien. D'après Mircéa
Eliade1, la genèse de l'alchimie se situe à l'âge du fer,
parmi les premiers hommes à avoir arpentés les
profondeurs de la terre et à en avoir extraits minéraux
et métaux.

Car, pour ces hommes, les métaux sont en gestation
dans les profondeurs de la terre. Et l'homme, en les
extrayant, stoppe ce processus.

Le but d'un métal est de devenir or, stade de perfection
absolue. Chaque métal correspondant à un stade de ce
processus de purification. Chaque métal poursuit son
mûrissement à l'intérieur de la terre, afin d'arriver à sa
maturité : l'or.

Cette croyance semble universelle. Elle se retrouve en ,
en Inde, en Afrique, en Europe... Et est à l'origine de la
pensée alchimique.

1 - Eliade (Mircéa), Forgerons et Alchimistes, Paris, Ed. Flammarion,
1977.

- 10 -

L'idée naît bientôt que l'homme doit aider la Nature à
parfaire son œuvre, accélérer le processus de
maturation : c'est la naissance de la pratique
alchimique.

L'alchimie va, plus tard, se diviser en deux branches :
un courant de tendance artisanale, plus matérialiste -
s'occupant de la transmutation des métaux - et un
courant de tendance spiritualiste - concernant la
transmutation de l'âme -.

Cette distinction est, elle aussi, présente dans divers
points du globe. En Chine, on la trouve déjà au IIème
siècle chez Ko Hung2 qui décrit deux techniques
opposées : l'une concernant l'âme et l'immortalité,
l'autre recherchant la transmutation pure et simple. Un
autre alchimiste chinois, Pêng Hsiao, qui vécut à la fin
du IXème siècle, fait aussi la distinction entre deux
alchimies : l'une, qualifiée d'exotérique, utilise des

2 - Pao Pu-Tzu ou Ko Hung, grand alchimiste chinois qui vécut entre
249 et 330 après Jésus Christ.

- 11 -

substances matérielles (mercure, plomb...) ; l'autre,
ésotérique, utilise uniquement l'âmeErreur ! Source du
renvoi introuvable. de ces mêmes substances et
s'applique au corps humain. Il s'agit là plus de pratiques
de méditations, et de purifications spirituelles, que
d'expériences de laboratoire.

Ce courant donne naissance à l'alchimie taoïste, ou
alchimie sexuelle. Son but est de prolonger la vie, de
transmuer l'âme vile en âme noble, pure, divine, afin
d'atteindre un état trans-humain, où le corps est rendu
immortel.

Ces pratiques se retrouvent aussi en Inde, où la quête
de la longue vie est liée à la pratique ascétique des
yogis, à la différence que cette vie rallongée est due ici
à l'absorption de breuvages aux vertus magico-
alchimiques.

Les techniques des yogis sont un mélange de procédés
alchimiques, tantriques et magiques. Et leur but vise à
la longue vie et à l'immortalité. Non à la connaissance

- 12 -

de la structure physico-chimique de la matière, et à sa
manipulation. Pourtant, ceci est connu parallèlement,
mais n'intéresse pas les ascètes et les tantristes.
L'arrivée des Musulmans en Inde, amenant avec eux le
savoir alchimique hérité d'Alexandrie, ne semble pas
avoir influencé grandement les alchimistes indiens. Et
pour cause : ces préceptes étaient déjà bien connus.

L'alchimie islamique, elle, est issue de l'Égypte de la
période alexandrine (IIIème siècle avant Jésus Christ).
C'est à Hermès Trismégiste que l'on doit la naissance
du Corpus Hermeticum, suite à sa Table d'Émeraude, si
chère et précieuse à toute la lignée des alchimistes
(grecs, arabes, européens) jusqu'au XVIIème siècle.

L'alchimie égyptienne semble plonger ses racines en
Mésopotamie, comme l'expose "Robert Eisler à la suite
de la publication de textes de chimie et de métallurgie
assyriens, en 1925, par R. Campbell-Thompson (On the
Chemistry of the ancient Assyrians)."3 Le mariage des

3 - Rivière (Patrick), L'Alchimie, science et mystique.

- 13 -

données astrologiques avec les manipulations
chimiques et métallurgiques datent de cette époque
lointaine, en Chaldée.

D'Égypte, l'alchimie essaime à Byzance, puis arrive vers
634 chez les Arabes.

Ceux-ci l'introduisent en Europe, via l'Espagne lors de
leurs invasions. Dès le VIIIème siècle, de nombreuses
écoles se fondent : Tolède, Séville, Grenade, Murcie,
Cordoue... D'Espagne en France, en Allemagne et en
Angleterre, il n'y a qu'un pas, vite franchi.

L'Alchimie apparaît comme une synthèse de ces
différents courants, un syncrétisme entre "l'art
pratique des Égyptiens et la philosophie grecque, les
doctrines orientales et le mysticisme alexandrin, (...) le
mélange d'éléments orientaux, grecs, juifs, chrétiens
(...)"4. Et, malgré cela, une constante se dégage, la
pérennité des courants matérialiste et spiritualiste.

4 - Hutin (Serge), L'Alchimie.

- 14 -

Différentes époques se dégagent :
- grecque (jusqu'au IIIème siècle ap. J.C.), avec des
textes attribués à des philosophes célèbres : Platon,
Aristote, Thalès, Héraclite, Zoroastre, Pythagore...
- alexandrine (du IIIème au Vème siècle ap. J.C.), avec
Zozime (début du IVème siècle), Marie la Juive (vécut
au cours du IVème siècle), Synésius (fin du IVème
siècle), Olympiodore (début du Vème siècle)...
- byzantine (VIème au XIème siècle), avec, entre autres
: Enée de Gaza (VIème siècle), Psellos (XIème siècle)...
- arabe (VIIème siècle - XIIème siècle), avec : Geber
(Jâbir ibn Hayyân - vécut vers 720-800), Rhasès (Al-Razi
- mort vers 930), Avicenne (Ibn Sina - 980-1036),
Arthephius (Al Toghrâi - mis à mort vers 1120), Al Gazali
(mort vers 1111)...
- occidentale (du XIIème siècle à nos jours) :

- 15 -

* XIIIème siècle : à cette époque l'alchimie est une
science de la Nature, et est compatible avec les
enseignements de l'Eglise. Principaux alchimistes : Saint
Albert le Grand (1193-1280), Roger Bacon (1214-1294),
Arnauld de Villeneuve (1245-1313), Raymond Lulle
(1235-1313)...

* XIVème siècle : période où les attitudes anti-
catholiques se développent fortement. Principaux
alchimistes : John Cremer (1327-1377), Nicolas Flamel
(1330-1418)...

* XVème siècle : l'alchimie se constitue en doctrine
mystico-religieuse, devient secrète car la période est
troublée, les hérésies foisonnent. L'opposition à l'Église
étant très forte, beaucoup d'ouvrages sont anonymes.
Principaux alchimistes : Jean de la Fonteine, Isaac le
Hollandais, Bernard le Trévisan, Eck de Sulzbach,
George Ripley, Thomas Norton, Basile Valentin...

* XVIème siècle : l'alchimie arrive à son apogée, s'allie
de plus en plus avec la magie, la Qabal, et la

- 16 -

théosophie. Les premiers traités chimiques au sens
moderne du mot apparaissent. Les sociétés secrètes se
multiplient, dont Les Frères de la Rose-Croix. Naissance
de la «i.iatrochimie;» avec Paracelse. Principaux
alchimistes : Georg Agricola (1494-1555), Blaise de
Vigenaire, Denis Zachaire, Samuel Norton (1548-1604),
John Dee (1527-1608) et Edward Kelly, Johann Tritheim
(1462-1516), Paracelse (1493-1541)...

* XVIIème siècle : épanouissement de l'alchimie,
grande activité des alchimistes. Les Frères de la Rose-
Croix se développent, ils se consacrent à la recherche
de la Médecine Universelle. Fin du XVIIème siècle :
déclin de l'alchimie dû à l'éveil de la philosophie des
lumières, des clans se forment, la chimie se développe.
Principaux alchimistes : Johann Valentin Andreae
(1586-1654), Michael Maier (1568-1622), Robert Fludd
(1574-1637), J.R. Glauber (1603-1668), Pierre Borel
(1620-1689), E. Ashmole (1617-1692), Irenaeus
Philalethe...

- 17 -

* XVIIIème siècle : décadence de l'alchimie,
développement de la chimie. L'alchimie disparaît, elle
couve jusqu'au XXème siècle. Rupture totale de la
science et de la mystique Erreur ! Source du renvoi
introuvable.. Principaux alchimistes : Pernety, le comte
de Saint-Germain, Cagliostro (Joseph Balsamo)...
* XXème siècle : renouveau de l'alchimie, de nombreux
courants voient le jour, réédition des anciens traités,
naissance de groupes d'études, de laboratoires. Les
progrès de la science moderne sont utilisés...
Principaux alchimistes : Fulcanelli, Eugène Canseliet,
Frater Albertus, Alexandre von Bernus, Armand
Barbault, Manfred Junius, Ulrich Jürgen Heinz...

- 18 -

LES COURANTS ALCHIMIQUES AU XXème
siècle

Appréhendons les courants alchimiques existant en
cette fin du XXème siècle.
Il semble que le clivage matérialisme-spiritualisme ne
soit plus vraiment d'actualité en ce jour. La plupart des
courants alchimiques ont une vocation spirituelle.
D'autres se tournent volontiers vers un aspect plus
proche de la bonne santé du corps : la iatrochimie5 ou
spagyrie. En résumant, on pourrait dire que l'alchimie
s'occupe de la guérison de l'âme et la spagyrie de celle
du corps. Mais l'alchimie soigne aussi le corps avant de
guérir l'âme...

5 - la iatrochimie; (iatros = médecin) est la branche de l'alchimie qui
s'occupe plus particulièrement de la médecine alchimique;.
Alexandre von Bernus; fut un iatrochimiste de renom.

- 19 -

C'est Paracelse qui, le premier, a utilisé le terme de
spagyrie6 pour désigner la médecine alchimique. C'est à
lui, également, que l'on doit la naissance de la
pharmacologie, et l'homéopathie. Bien que
Hahnemann n'ait jamais voulu le reconnaître.
Alexandre von Bernus désigne l'homéopathie de
"rejeton déjà infecté par le rationalisme moderne"7.

Toutes les critiques et discours de ce siècle vont
tourner autour de ces thèmes de rationalisme et de
scientificité. Cela n'est pas nouveau. On l'observe pour
l'astrologie, et même pour l'homéopathie.

Paracelse, donc, a marqué un tournant dans la pratique
alchimique. Il n'est plus question pour lui de fabriquer

6 - Spagyrie vient de spao = extraire et de ageiro = rassembler. C'est le
solve et coagula, dissous et coagule ; c'est à dire séparer le soufre,
le mercure et le sel philosophiques pour les réunir ensuite, après
purification.

7 - Bernus (Alexandre von), Médecine et Alchimie, Paris, Ed. Pierre
Belfond, 1977.

- 20 -

de l'or, ni d'atteindre l'immortalité : "L'alchimie, dit-il,
ne consiste pas à faire de l'or et de l'argent ; son but est
de produire les essences souveraines et de les
employer pour guérir les maladies."

Il y réussit, comme en témoigne l'épitaphe de sa pierre
tombale à Salzbourg : "Celui qui a fait disparaître par
son art merveilleux les plaies cruelles, la lèpre, la
podagre, l'hydropisie, et d'autres maladies incurables."

La grande originalité de la médecine alchimique
consiste à séparer les trois éléments constitutifs de la
plante, le soufre, le mercure, le sel, et à les réunir une
fois purifiés. En médecine allopathique, les sels sont
jetés. Or les sels, résidus de la plante une fois que l'on a
extrait ses substances actives, sont le résultat d'une
réduction en cendres et d'une calcination à haute
température, qui donne une poudre blanche, appelée
sels de la plante. Ces sels sont en fait des cristaux. Je
reviendrai sur ce point dans la partie concernant
l'exposé des données.

- 21 -

Pour les iatrochimistes, ces sels sont d'une importance
cruciale. Ils donnent aux remèdes spagyriques toute
leur efficacité. Cette efficacité serait phénoménale. Et
bien meilleure que les produits allopathiques.
L'homéopathie, quant à elle, ne peut guère tenir la
comparaison.

Un autre alchimiste contemporain, Armand Barbault, a
lui aussi oeuvré sur ce terrain de la spagyrie. Et a
obtenu d'excellents résultats sur des urémies, des
scléroses en plaques, une syphilis, des affections
cardio-vasculaires, de l'artériosclérose... Son
cheminement est assez curieux puisqu'inspiré par le
Mutus Liber, le Livre Muet, ouvrage composé
uniquement de planches montrant les diverses étapes
du Grand Oeuvre alchimique.

Armand Barbault s'est aussi beaucoup inspiré de la
Nature pour y puiser son inspiration. Il a longuement
médité sur les concepts des anciens alchimistes et a fini
par appliquer une méthode originale qui lui a permis de
mettre au point ce qu'il appelle l'« or potable ; », élixir

- 22 -

par excellence. De longues années ont été nécessaires,
de longues observations et expérimentations, de
nombreux calculs astrologiques pour déterminer les
moments clés des opérations alchimiques. Pour
Armand Barbault "la Table d'Émeraude et le Mutus
Liber présentent, sous une forme symbolique,
l'essentiel des connaissances alchimiques"8.

L'intérêt des travaux d'Armand Barbault réside dans le
fait qu'il a fait analyser et essayer son produit par des
médecins et des laboratoires, dont le fameux
laboratoire Weleda à Stuttgart. Les essais furent
concluants, les résultats enthousiasmants. Seule ombre
au tableau, le coût trop élevé de l'élixir dû au fait des
quantités d'or qu'il fallait pour sa préparation.

D'autres personnes et groupes étudient la spagyrie. On
peut citer la Paracelsus Research Society de Salt Lake
City, USA, dont Frater Albertus est le fondateur. Frater
Albertus - de son vrai nom Dr Albert Riedel (1911-1984)

8 - Barbault (Armand), L'Or du Millième Matin, page 145.

- 23 -

- a également créé un institut international de
recherche spagyrique (Phameres e. V.) dont le but est
de promouvoir la recherche et l'application de remèdes
purement spagyriques. Remèdes permettant de
soigner des maladies telles l'artériosclérose ou les
rhumatismes, maladies pour lesquelles la médecine
officielle ou l'homéopathie ne proposent toujours
aucune solution satisfaisante. Dans une optique
similaire, il s'agit de promouvoir une nouvelle forme de
pensée reposant sur la philosophie alchimique : une
vision holistique du monde, dont les différents
éléments sont en continuelle interaction.

Phameres e. V. dispense un enseignement alchimique
en Suisse et aux États-Unis. À noter qu'il existe aussi au
moins un laboratoire alchimique en Australie
(Australerba-Laboratorium à Adelaïde) et plusieurs en
Allemagne (dont le plus connu est Soluna, créé par
Alexandre von Bernus).

En France, Les Philosophes de la Nature est une
association qui regroupe des personnes mobilisées par

- 24 -

l'expérimentation spagyrique et alchimique. Dans ce
groupement, différents courants se croisent, l'essentiel
étant d'acquérir une véritable pratique de laboratoire.
Les Philosophes de la Nature étudient également la
Qabal d'un point de vue ésotérique. Des cours sont
donnés à toute personne désirant étudier ces
domaines. Des stages pratiques sont organisés dans
plusieurs régions de France, afin de donner la maîtrise
du laboratoire à celles et ceux qui désirent se
perfectionner. Il est vrai qu'en alchimie, plus que
partout ailleurs, le contact est primordial. Pratique,
recherche et enseignement sont donc les pôles de
cette association.

Spagy-Nature, un autre groupement, présidé par
Patrick Rivière, se veut issu des Rose+Croix : "Le groupe
est une branche de la confraternité hermétique : la
C.H.R.+C.H.M.9 qui, dans le domaine de l'hermétisme

9 - la C.H.R+C.H.M s'inscrit dans le courant des anciennes fraternités
"Aureae+Cruci", des "Fratres Rosis+Coctis" (les "Frères de la
Rosée+Cuite;). L'alchimiste Michel Maier avait à ce sujet évoqué le

- 25 -

en général, dispense un enseignement fondamental,
tant sur le plan de l'élaboration du Grand Oeuvre (aussi
loin qu'il soit permis d'en parler : par transmission orale
ou écrite), que sur le plan purement spagyrique ou
iatrochimique dont le groupe de recherche « Spagy-
Nature » s'occupe plus particulièrement."10

Spagy-Nature est donc un groupement qui suit d'une
part un hermétisme traditionnel, hautement spirituel,
porté vers l'accomplissement du Grand Oeuvre ;
d'autre part, la spagyrie de Paracelse. L'un n'excluant
pas l'autre - ce groupe est ouvert à toute personne
désireuse d'étudier ces domaines -. Il dispense des
cours par correspondance et propose des stages en
laboratoire, en pleine nature.

"réveil" (en 1570) de la Société des Frères de la Rose+Croix d'Or,
selon un manuscrit conservé à la bibliothèque de Leipzig, dont
firent état Fessler, Magister Pianco et plus récemment Wittemans.

10 - Extrait d'une documentation éditée par l'association Spagy-
Nature.

- 26 -

D'autres groupements (Essentior, l'Assemblée des
Philosophes - filiation Eugène Canseliet -...), ainsi que
des chercheurs isolés, existent en France. Il est malaisé
d'en établir une description exhaustive dans la mesure
où beaucoup travaillent dans l'ombre, sans désir de se
faire connaître. Cela se conçoit, vu le caractère
particulier de ce domaine qu'est l'alchimie.

Au XXème siècle, il n'est plus possible de parler
d'alchimie sans évoquer le nom de Carl Gustav Jung qui
a passé de nombreuses années de sa vie à étudier l'art
d'Hermès. Son travail est considérable, et des livres
comme Psychologie et Alchimie, Mysterium
Conjunctionis, la Psychologie du Transfert11, ainsi que
de nombreux articles et communications, le montrent.

Ayant lu et médité de très nombreux ouvrages et
traités d'alchimistes, célèbres ou anonymes, il a pu s'en
imprégner profondément. Aussi est-il en mesure de
nous brosser le portrait de l'alchimiste type :

11 - Voir bibliographie.

- 27 -

"Les alchimistes sont, en fait, des solitaires déclarés12 ;
chacun dit ce qu'il dit à sa manière13. Ils ont rarement
des élèves et ils semblent avoir transmis peu de choses
par tradition directe ; il y a tout aussi peu d'indices de
l'existence de sociétés secrètes14. Chacun oeuvrait pour
lui dans le laboratoire et souffrait de sa solitude. Pour
cette même raison, ils se sont peu disputés. Leurs écrits
sont relativement exempts de polémique, et la façon
qu'ils ont de se citer les uns les autres laisse apercevoir
un étonnant accord sur les principes premiers, même si

12 - Khunrath (224, p. 410), par exemple, dit : "Ainsi, dans le
laboratoire, n'oeuvre que par toi seul, sans collaborateurs ou
assistants ; de façon que Dieu, le zélé, ne te retire pas l'art à cause
de tes assistants auxquels il ne désire pas le confier."

13 - Geber, 6, iv, p.557b : "Qui nobis solis artem per nos solos
investigatam tradimus et non aliis..." (Car la science explorée par
nous seuls, c'est à nous seuls que nous la transmettons, et non à
d'autres.)

14 - Je laisse de côté, bien entendu, les Rose-Croix, venus plus tard,
ainsi que la très ancienne communauté Erreur ! Source du renvoi
introuvable. dont parle Zozime. (...)

- 28 -

l'on ne peut comprendre sur quoi ils étaient d'accord15.
On trouve peu de ces ergoteries et de ces chicanes qui
déparent fréquemment la théologie et la philosophie.
La raison en est probablement que la vraie alchimie ne
fut jamais un métier ou une carrière mais était un
véritable opus que l'on accomplissait en un travail
paisible, plein du sacrifice de soi. On a l'impression que
chacun d'entre eux tentait d'exprimer son expérience
particulière, citant pour cela chaque affirmation des
maîtres qui lui semblait contenir quelque chose de
semblable.

Tous sont d'accord, depuis les temps les plus anciens,
sur le fait que leur art est sacré et divin et aussi que
leur œuvre ne peut être accompli qu'avec l'aide de
Dieu. Cette science n'est donnée qu'à un petit nombre,
et nul ne la comprend si Dieu ou un maître ne lui a
ouvert l'entendement. (...)"16

15 - La Turba philosophorum est instructive à cet égard.

16 - Jung (Carl Gustav), Psychologie et Alchimie, pages 403-405.

- 29 -

Les alchimistes sont donc des solitaires, et, de surcroît,
sont tous d'accord entre eux. Pour Carl Gustav Jung, il
ne peut en être autrement, car ces hommes étaient le
jouet de leur propre projections inconscientes sur la
matière. Jung pense qu'ils n'étaient pas en mesure de
reconnaître ces phénomènes de projection et que,
croyant modifier la matière, ils succombaient en fait à
l'illusion de le faire, se faisaient en quelque sorte
tromper par leur propre inconscient qui, par le biais de
l'imagination active, leur faisait prendre leurs désirs
pour des réalités. En croyant travailler sur la matière, ils
travaillaient en fait sur leur psyché. D'où, toujours
d'après C.G. Jung, l'inutilité des travaux de laboratoires,
qui, en fin de compte, n'ont jamais donné aucun
résultat tangible, sinon des résultats invérifiables,
disparates, en contradictions les uns des autres...

"J'entends par là que, pendant qu'il travaillait à ses
expériences chimiques, l'adepte vivait certaines
expériences psychiques qui lui apparaissaient comme le
déroulement propre au processus chimique. Comme il

- 30 -

s'agissait de projections, l'alchimiste était
naturellement inconscient du fait que l'expérience
n'avait rien à voir avec la matière elle-même (ou plutôt
avec la matière telle que nous la connaissons
aujourd'hui). Il vivait sa projection comme une
propriété de la matière. Mais ce qu'il vivait était, en
réalité, son propre inconscient."17

Et :

"Résumons à nouveau la thèse de Jung : là où il y a
obscurité apparaissent presque nécessairement des
projections. Les alchimistes ne connaissaient
réellement ni la matière ni la psyché. En croyant
oeuvrer sur la première, ils agissaient en réalité sur la
seconde, ou plutôt parlaient de la seconde, car aucune
preuve de leur action psychologique n'a été relevée ;
leur recherche de la pierre philosophique était une
découverte du processus d'individuation par lequel,
dépassant l'opposition des contraires, chaque homme

17 - Ibid., page 319.

- 31 -

peut faire naître en lui le Soi (Erreur ! Source du renvoi
introuvable.)."18

Par contre, si le travail sur la matière est stérile, il n'en
est rien concernant la connaissance de la psychologie
des profondeurs :

"(...) l'alchimie donne à la psychologie des profondeurs
des bases historiques et fournit une sorte de Erreur !
Source du renvoi introuvable. de l'existence
universelle des archétypes :19 Erreur ! Source du
renvoi introuvable.."20

Pour Jung donc, la richesse des symboles de l'alchimie a
permis à la psychologie des profondeurs de trouver les
données qu'il lui fallait pour asseoir son raisonnement.

18 - Bonardel (Françoise), Jung et l'alchimie, Cahier de l'Herne, page
170.

19 - Jung (Carl Gustav), Mysterium Conjunctionis, Préface, t. 1, page
20.

20 - Bonardel (Françoise), Jung et l'alchimie, Cahier de l'Herne, page
169.

- 32 -

Sans l'alchimie, jamais Jung n'aurait pu développer sa
thèse sur le processus d'individuation, les données
fournies par ses patients n'y suffisant pas.21

21 - "Nous sommes aujourd'hui en mesure de voir à quel point
l'alchimie a préparé les voies à la psychologie de l'inconscient, et
cela de deux manières : tout d'abord en léguant sans le vouloir,
dans l'amoncellement de ses symboles, un matériel de
représentations symboliques d'une extraordinaire valeur pour les
méthodes d'interprétation moderne, et ensuite en indiquant, par
ses essais délibérés de synthèse, des processus symboliques que
nous découvrons dans les rêves de nos patients. Nous pouvons
voir aujourd'hui comment la démarche alchimique en vue d'unir
les opposés, telle que je l'ai décrite dans ces pages, peut
représenter également l'itinéraire d'un individu isolé vers
l'individuation, avec toutefois cette différence non négligeable
qu'un individu ne peut jamais égaler à lui seul l'abondance et
l'ampleur des symboles de l'alchimie. La supériorité de cette
dernière consiste en ce que ce sont les siècles qui ont présidé à
son édification, tandis qu'un sujet individuel ne dispose, dans la
courte durée de son existence, que d'une expérience et d'une
faculté de représentation limitées. C'est pourquoi décrire la nature
du processus d'individuation ; à partir de cas particuliers est une
tâche si difficile et si ingrate. (...) Il n'existe pas, dans la sphère de

- 33 -

Ainsi, les sciences dites dures (physique, chimie,
astronomie...), et la psychologie des profondeurs
rejettent-elles les résultats matériels de l'alchimie. Et
pourtant, ce sont bien ces mêmes sciences qui ont
ressuscité l'alchimie.

La physique avec les découvertes sur l'atome, la fission
nucléaire et la théorie des quantas (nous y
reviendrons), et la psychologie des profondeurs en

mon expérience, de cas offrant un caractère assez général pour
manifester toutes les variations et avoir, par suite, valeur de
paradigme. Quiconque voudrait essayer à présenter une
description du processus d'individuation à partir de quelques
observations particulières devrait se contenter d'une mosaïque
sans queue ni tête, fait de pièces séparées, et il serait réduit pour
être compris à compter sur quelqu'un travaillant dans le même
domaine et possédant la même expérience. C'est pourquoi
l'alchimie m'a rendu le service inappréciable de m'offrir ses
matériaux dont le volume propose à mon expérience un champ
d'action suffisant, et cela m'a procuré la possibilité de décrire le
processus d'individuation sous ses principaux aspects." Jung (Carl
Gustav), Mysterium Conjunctionis, Epilogue, t. 2, pages 360-361.

- 34 -

donnant une importance particulière aux symboles
véhiculés par l'alchimie.

Mais C.G. Jung, en pensant faire avancer l'humanité
d'un grand pas vers la connaissance de ses
profondeurs, a provoqué la colère des alchimistes :

"Eugène Canseliet écrit par exemple : le gros volume de
C.G. Jung, Psychologie et Alchimie, nous apparaît ni
plus ni moins nocif qui, dans une très personnelle et
fragile interprétation, réunit, cependant, une foule
d'extraits d'ouvrages, de notes bibliographiques et
particulièrement de figures symboliques (...) En dehors
de cela, de ce maigre butin, que pourraient bien
attendre l'étudiant en alchimie, et, a fortiori,
l'opérateur soucieux de toute vérification dans le
laboratoire, que pourraient-ils attendre tous deux d'un
écrivain spéculatif qui a si peu compris la science, qu'il
prétend la soumettre à son acrobatie psychologique et

- 35 -

la ramener simplement aux dimensions réduites de ses
procédés banaux et de ses fallacieuses inductions ?»"22

Et Alexandre von Bernus d'ajouter :

"La thèse erronée de Jung apparaît totalement
superficielle à qui l'envisage dans une perspective
élevée. En effet, selon cette thèse, les instructions et
les images alchimiques se réfèrent uniquement à
l'interprétation des évènements qui intéressent
l'évolution psychique. Mais celui qui sait s'orienter dans
les cercles de l'expérience alchimique, et qui a suivi le
chemin de l'alchimie pratique, au lieu de ratiociner à
propos de son langage chiffré et de son univers
symbolique, celui-là constate : la fameuse pierre
philosophale, l'élixir mystérieux peut être préparé. (...)
Devant l'importance incontestable que revêt l'ouvrage
de Jung pour la psychologie, puisqu'il place l'alchimie

22 - Canseliet (Eugène), L'Alchimie expliquée par ses textes classiques,
Paris, J.J. Pauvert, 1972, page 1984, cité par Bonardel (Françoise),
Jung et l'alchimie, Cahier de l'Herne, page 166.

- 36 -

pour la première fois dans une perspective
entièrement neuve et qui s'impose à l'attention de
toute recherche psychologique future (c'est à
l'alchimiste lui-même que le livre est le moins utile),
celui qui connaît l'alchimie et sait que ses données sont
réalisables dans la pratique est obligé de récuser
expressément cet ouvrage à cause de sa partialité, car
ce livre [Psychologie et Alchimie] éloigne le chercheur
de son but, au lieu de l'en rapprocher. Évidemment un
tel propos n'entrait pas du tout dans les intentions de
l'auteur. Cependant, en niant que les aspirations
alchimiques puissent se réaliser sur le plan de la
matière, faute d'en avoir fait lui-même l'expérience, il
pèche - et c'est là le reproche qu'on lui fait - contre la
loi des correspondances : ce qui est en haut est comme
ce qui est bas23."24

23 - On trouve la même objection à la conception de Jung ; sous la
plume de F. Sherwood Taylor (The Alchemists, Founders of Modern
Chemistry, Ed. Henry Schuman, New York, 1949, p. 227). Si les
matériaux, les ustensiles et les méthodes de l'alchimie n'étaient

- 37 -

Ainsi que nous le présentent Eugène Canseliet et
Alexandre von Bernus, les résultats matériels des
travaux alchimiques de laboratoire sont bien réels. Von
Bernus ajoute :

"Le dédain et l'incompréhension des savants modernes
à l'égard de l'aspect métaphysique essentiel qui est au
centre de la vision cosmique des alchimistes, leur
ignorance de l'efficacité théorique et pratique de

que des symboles ; qui auraient avec la chimie les mêmes rapports
qui existent entre les symboles de la franc-maçonnerie ; et
l'architecture, alors nous ne devrions pas reconnaître dans les
alchimistes les inventeurs de techniques chimiques et les
constructeurs d'appareils de laboratoire utilisables par le chimiste
d'aujourd'hui. De plus, si les phénomènes alchimiques n'étaient
que des visions ou des projections de l'inconscient ; sur la matière
contenue dans les vases alchimiques - comme semble le suggérer
C.G. Jung -, il n'existerait aucune raison capable d'expliquer
pourquoi cet appareillage est bien adapté au travail pratique avec
des produits chimiques tels que nous les connaissons
aujourd'hui.»

24 - Bernus (Alexandre von), Médecine et Alchimie, pages 38-39.

- 38 -

l'alchimie les conduisent nécessairement à nier les
transmutations les mieux attestées. D'ailleurs la
suffisance même de la science actuelle lui interdit de
reconnaître aux adeptes l'avantage d'avoir possédé un
art dont la maîtrise lui est refusée. Mais puisque C.G.
Jung connaît cet aspect cosmogénétique fondamental,
on était en droit de s'attendre à une attitude plus
positive de sa part, ne serait-ce que par l'expérience
intérieure qui aurait dû l'éclairer : ce qui est en haut est
comme ce qui est en bas."25

Cette incompréhension mutuelle se résume à un seul
terme : évolutionnisme.

En effet, les tenants de la science officielle se veulent
évolutionnistes, ainsi que C.G. Jung. Et les alchimistes,
eux, se veulent dépositaires de la Tradition, Tradition
qui voit le monde comme une globalité. Un monde de
correspondances, un monde où l'homme n'a rien à
inventer, car tout existe déjà, il suffit de savoir ouvrir

25 - Ibid., pages 78-79.

- 39 -

les yeux et de voir. Cette vision globalisante,
universaliste est en contradiction avec la vision
évolutionniste, qui considère l'homme aux débuts de
l'histoire - si cette notion a un sens - comme un être
pratiquement sans conscience, un être régit par ses
pulsions, un sauvage, un primitif. Petit à petit, sa
conscience va se développer, il va devenir de plus en
plus "adulte", il va finir par comprendre qu'il doit
dominer la matière, et apprivoiser la nature pour
survivre.
L'homme occidental du XXème siècle en est à ce stade,
il est adulte et peut juger ses ancêtres : ce sont des
enfants. Marie Louise von Franz, dans cette mouvance,
utilise le terme de mentalité primitive en association
avec la façon de concevoir la matière qu'avaient les
Égyptiens. De plus, tous ces peuples anciens (de
Mésopotamie, d'Égypte, de Chaldée...) avaient "une

- 40 -

attitude magique primitive envers la matière"26. D'où
en découle une "techno-magie"27, qui tient plus de la
magie que de science de la nature. Tous ces concepts
ne peuvent évidemment pas être reconnus par les
alchimistes : ils découlent, pour eux, d'un point de vue
erroné.

Chez certains alchimistes, cette notion d'évolution
existe aussi, mais prend une autre forme :

"Pour la science contemporaine, l'évolution est une
lente marche de la matière vers la conscience. D'un
simple point de vue purement scientifique et
thermodynamique, c'est quelque chose de difficile à
concevoir. Comment de l'auto-organisation peut-elle
apparaître spontanément au sein d'un chaos informe ?
Comment imaginer un processus évolutif sans que
quelque chose ne vienne "informer" ce chaos ? Que le

26 - Franz (Marie Louise von), Psyché et matière dans l'alchimie et la
science moderne, Cahier de l'Herne, page 322.

27 - Concept élaboré par Marie Louise von Franz.

- 41 -

matériel génétique soit transformé au cours de
l'évolution, cela ne fait aucun doute. Mais est-il seul en
cause ? (...) Pour la Tradition, c'est la conscience qui a
créé la vie, puis la matière. L'esprit se manifeste en
devenant matière et la matière, par sa propre énergie,
manifeste l'esprit. L'évolution met en jeu une
dimension invisible (le Soufre - Mercure des
alchimistes) et une dimension matérielle (le corps, le
Sel des alchimistes). L'apparition d'une espèce nouvelle
est une conjonction entre l'âme (le Soufre) et un corps
(le Sel), par l'intermédiaire de l'esprit (le Mercure). Ce
que voit la science, c'est l'évolution physique du corps
(le Sel)."28

Comme on peut le constater dans ce texte, Roger
Durand intègre les données de la science moderne -
évolution des espèces, évolution et développement de
la planète... -. Il ne conteste pas les découvertes

28 - Durand (Roger), Évolution humaine et liberté, Le Petit Philosophe
de la Nature, n°34, mars 1986, page 4.

- 42 -

matérielles. Il reproche uniquement à la science de ne
pas tenir compte, de l'esprit, du divin. Nous sommes en
plein dans le sujet de ce mémoire : alchimie et
modernité.

Nous verrons dans l'exposé des données, comment les
alchimistes contemporains utilisent les techniques et
les découvertes de la science moderne afin de les
utiliser.

Avant d'aborder cette partie, et pour finir ce chapitre
consacré aux différents courants alchimiques
contemporains, il me faut encore évoquer le couple
Fulcanelli-Canseliet, qui réactualise la question des
disparitions mystérieuses29 dans la plus pure tradition
alchimique.

29 - De nombreux alchimistes semblent "disparaître dans la nature"
ou se font passer pour mort après avoir obtenu la Pierre
Philosophale, d'après de nombreux récits. Le plus célèbre étant
celui de Nicolas Flamel et de sa compagne Perenelle.

- 43 -

Tous les livres de Fulcanelli sont préfacés par Eugène
Canseliet, son disciple. L'identité de Fulcanelli reste un
mystère, et différents auteurs ont émis des hypothèses
diverses quant à sa véritable identité. Il aurait été J.H.
Rosny aîné, ou Pierre Dujols (libraire érudit), ou Jean-
Julien Champagne (peintre, illustrateur de oeuvres du
Maître), ou Canseliet lui-même. D'autres, d'après une
armoirie familiale, identifiée comme étant celle de la
famille de Lesseps, y voient un indice de son
appartenance à cette même famille.

Toutes ces théories sont invérifiables, et il n'entre pas
dans le cadre de ce mémoire de les approfondir. Ce qui
paraît plus intéressant est que Canseliet aurait réalisé
une transmutation de plomb en or dans les années
1930 avec "la poudre de Fulcanelli et ses
instructions"30. Fulcanelli aurait trouvé la Pierre
Philosophale entre 1922 et 1926, et se serait retiré du

30 - Eugène Canseliet, cité par Jacques Sadoul ; Le trésor des
alchimistes,

- 44 -

monde, comme il est de tradition parmi les alchimistes
ayant réussi le Grand Oeuvre.

On ne peut déterminer l'âge auquel "disparut"
Fulcanelli, par manque de données sur sa vie. Par
contre, Jacques Sadoul a édité un tableau montrant la
durée de vie de grands alchimistes ayant trouvé la
Pierre Philosophale :

"Albert le Grand (1193-1280), mort à 87 ans.

Arnauld de Villeneuve (1240-1313), mort à 73 ans.

Roger Bacon (1214-1294), mort à 80 ans.

Bernard le Trévisan (1406-1490), mort à 84 ans.

John Dee (1527-1608), mort à 81 ans.

Nicolas Flamel (1330-1418), mort à 88 ans.

Comte de St Germain (fin XVIIème-1784), mort à 86
ans au moins.

Raymond Lulle (1235-1315), mort à 80 ans.

Michel Sendigovius (1566-1646), mort à 80 ans.

- 45 -

Ce qui nous donne une moyenne d'âge de 82 ans, alors
que la moyenne d'âge générale pour la période
considérée était de 38 ans."31
Jacques Sadoul ne donne pas la méthode avec laquelle
il a calculé la moyenne d'âge générale pour cette
période. Mais une moyenne d'âge de 82 ans est quand
même honorable.
Tous les personnages, morts ou vivants, que nous
venons d'évoquer jusqu'à présent, sont des figures plus
ou moins historiques ou ayant marqué la "scène"
alchimique.

Afin de mieux cerner la personnalité des alchimistes au
XXème siècle, je me propose de dresser le portrait de
quelques-uns d'entre eux, rencontrés dans notre région
de l'Est de la France.

31 - Sadoul (Jacques), op. cit. page 363.

- 46 -

GENESE DE CETTE RECHERCHE

Ma rencontre avec ce monde des alchimistes a
commencé pendant l'enquête que j'ai effectuée pour
mon mémoire de licence. À cette époque, en 1989, j'ai
eu la chance de rencontrer une personne qui m'a
ouvert les portes de cet univers. Jusqu'à cette date,
l'alchimie était pour moi un art souterrain et
inaccessible, plongeant ses racines dans un passé, plus
ou moins mythique. Elle a toutefois toujours attisé ma
curiosité : j'ai toujours été attiré par le mystère. Une
occasion comme celle-ci ne devait pas être manquée.

- 47 -

Grâce à cette personne, j'ai appris beaucoup de choses
:
- les alchimistes ne sont pas une espèce en voie de
disparition,
- il y a des groupements, des rencontres, des axes de
recherches, des échanges, des publications... (voir
chapitre précédent).
J'ai donc décidé de m'y intéresser de plus près et de
contacter ce milieu. Grâce aux portes ouvertes par cet
ami, j'ai pu entrer en relation avec quelques alchimistes
de la région, sympathiser avec eux. Et ce, depuis février
1990.
Certaines de mes lectures m'avaient déjà familiarisé
avec l'alchimie auparavant : Eugène Canseliet32,

32 - Alchimie. Études diverses de symbolisme hermétique et de
pratique philosophale, Montreux, Jean-Jacques Pauvert Éditeur,
1964.

- 48 -

Fulcanelli33, et bien sûr, Carl Gustav Jung34 - qui a
beaucoup étudié la question du point du vue
psychologique. Également Mircéa Eliade35. Ces lectures
m'avaient confirmé dans mon idée : l'alchimie est une
discipline difficile.

L'ouvrage d'Armand Barbault36 ne m'était pas inconnu
non plus. Alchimiste de nos contrées, je pensais qu'il
était un "oiseau rare", et, qu'après sa mort, il ne devait
plus guère rester d'alchimistes dans cette terre
d'Alsace.

L'enquête a révélé qu'il en allait autrement. En fait, il
en existe un certain nombre.

J'y ai ajouté, en cours d'enquête, les ouvrages
d'alchimistes contemporains allemands : Manfred

33 - Le mystère des cathédrales, Paris, Schemit, 1927.
34 - Psychologie et alchimie, Paris, Buchet Chastel, 1970.
35 - Forgerons et alchimistes, Paris, Flammarion, 1977.
36 - L'or du millième matin, Paris, Dervy Livres, 1987.

- 49 -

Junius37, Alexandre von Bernus38, Ulrich Jürgen Heinz39
; et français : Patrick Rivière40. Ainsi que des revues :
Tempête Chymique41 et Le Petit Philosophe de la
Nature42.

Avant de présenter les personnes qui m'ont permises
de réaliser cette enquête, je pense qu'il est intéressant
d'aborder, dans les grandes lignes, le dynamisme de
l'alchimie en France.

37 - Praktisches Handbuch der Pflanzen-Alchemie, Interlaken, Ansata
Verlag, 1982.

38 - Médecine et alchimie, Paris, Belfond, 1977.
39 - Spagyrik - Die medizinische Alternative, Freiburg im Breisgau,

Hermann Bauer Verlag, 1985.
40 - L'alchimie, science et mystique, Paris, Éditions de Vecchi, 1990. Et

: La médecine de Paracelse, Paris, Éditions traditionnelles, 1988.
41 - Premier cahier. Octobre 1984.
42 - N°66 de mai 1989 à N°86 de mai 1991.

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