©cealy tetley
Vétérinaires des grandes occasions
Dans les coulisses d’une compétition internationale
Par Nathalie Laberge
Les amateurs de sports équestres Dre Sylvie Surprenant, ©Debra Jamroz/professionalsphoto.com Courrier Hippique Volume 28 • n o.1
se souviennent tous de ce moment : vétérinaire « olympique »
Hickstead franchissant le dernier obs-
tacle aux Jeux olympiques lors de la Il faut dire que Sylvie Surprenant fou-
conquête de la médaille d’or. Puis lait les terrains de compétitions bien
l’émouvante jubilation d’Éric Lamaze avant d’accéder à l’élite mondiale.
dont le monde entier a été témoin. Vétérinaire certifiée FEI dans les trois
Des sensations fortes pour les specta- disciplines olympiques, Dre Surprenant
teurs, mais aussi pour les professionnels était en effet vétérinaire substitut aux
oeuvrant en coulisses. Car si les cavaliers Jeux olympiques d’Atlanta en 1996, aux
talentueux et leurs montures finement Jeux panaméricains de Winnipeg en
rodées réussissent – et avec raison – 1999, et aux Jeux olympiques de Sydney
à capter l’attention des médias, c’est en 2000 ! Une réputation de compé
en grande partie dû à la contribution tence bâtie sur d’innombrables pré-
d’un coéquipier qui agit souvent dans sences aux épreuves et trente années
l’ombre. C’est lui qui vérifie la bonne de pratique vétérinaire. Le coup de fil
condition physique des montures avant qui allait changer sa vie est d’ailleurs
la compétition et veille à l’application encore bien frais à sa mémoire. « J’ai
de règles souvent complexes. Son oeil reçu l’appel de Terrance Millar, le chef
averti détecte le malaise et évalue le d’équipe de l’équipe canadienne, la veille
risque. Si ses soins judicieux assurent le de mon 52e anniversaire. Un voyage toutes
bien-être du cheval, sa seule présence dépenses payées aux Jeux olympiques de
rassure le cavalier. Et dans le cas des Pékin, et le privilège de travailler au service
Jeux olympiques de Pékin, ce profes- de l’équipe canadienne de saut d’obstacles !
sionnel chevronné était un talent bien Quel cadeau inoubliable ! »
de chez nous !
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Les préparatifs Courrier Hippique Volume 28 • no.1 trois à sept jours. Durant cette étape, le Les montagnes russes
©Debra Jamroz/professionalsphoto.com vétérinaire vérifiera à intervalles régu-
L’heureux appel à peine reçu, déjà ©Dre sylvie surprenantliers la température et l’appétit des che- Les jours de compétition sont de véri-
la planification s’amorce. Les compéti- vaux, et verra à l’application d’un pro- tables montagnes russes d’émotion où
tions d’envergure se préparent bien à gramme d’exercice léger. « En contexte de tout peut se produire, et où tout va
l’avance, et la prestigieuse expédition chaleur intense, il faut d’abord s’assurer que très vite. Le vétérinaire assiste à tous
comporte des exigences logistiques pas- les chevaux boivent suffisamment », précise les entraînements, qui se déroulent
sablement fastidieuses. Ainsi, les mois Dre Surprenant. « Le transport et la mise habituellement tôt le matin, afin de
qui précèdent le départ sont d’abord au repos dans un espace tempéré favorisera superviser la condition générale des
consacrés aux formalités administratives une acclimatation plus rapide. » À ce chapi- chevaux. Il est également en fonction
entourant l’exportation des chevaux, tre, mentionnons qu’on avait construit au moment même de la compétition,
puis aux précautions de santé équine des installations ultramodernes à Pékin : où sa présence constitue une vérita-
en vigueur selon la destination. « Dans les écuries climatisées étaient main- ble valeur ajoutée pour le partenaire
le cas de Pékin, les vétérinaires chinois recom- tenues à une température idéale de humain du tandem. Confiant de la prise
mandaient la vaccination contre l’encépha- 23 degrés ! en charge « médicale » de sa monture,
lite japonaise. Même s’il ne s’agissait pas le cavalier se sent effectivement plus
d’une menace majeure, nous avons décidé Une fois l’acclimatation bien éta- libre de se concentrer strictement sur
d’administrer préventivement le vaccin à blie, le programme d’entraînement sa prestation. Mais le risque de blessure
tous nos chevaux », explique madame propre à chaque discipline retrouve son demeure bien réel… « Les affections les
Surprenant. Lorsqu’il s’agit de faire rythme de croisière. Moment-clé des plus fréquentes sont de nature myoarth-
voyager des animaux, en Chine comme préparatifs précédant la compétition, rosquelettique, particulièrement certaines
ailleurs, le travail du vétérinaire consis- l’inspection des chevaux par les vétéri- boiteries qui ne sont pas toujours apparen-
tera ensuite à préparer une trousse naires de la FEI constitue en quelque tes au premier examen effectué immédiate-
médicale afin de parer à toute situation sorte l’étape ultime des préliminaires. ment suivant la blessure », atteste la Dre
d’urgence pouvant survenir durant le « Ici, le rôle du vétérinaire de l’équipe cana- Surprenant. Ce fut d’ailleurs le cas pour
séjour. Au plan du transport, cette trous- dienne consiste à voir à ce que tous les le cheval de Mac Cone, Ole, qui malgré
se médicale inclut aussi… le vétérinaire, chevaux soient en état de passer l’examen », une boiterie évidente au terme de la
qui est chargé de superviser l’état des explique Dre Surprenant. « Il faut ensuite deuxième manche, n’affichait aucune
chevaux à toutes les étapes du déplace- demeurer à la disposition des cavaliers et lésion apparente aux premiers tests dia-
ment (voir encadré). de leurs palefreniers afin de répondre aux gnostics. « Comme le membre paraissait sain
questions ou aux inquiétudes qui pour- de l’extérieur, j’ai tout de suite soupçonné une
Si le déplacement est une chose, raient se manifester. » L’heure est mainte- blessure au ligament ou au tendon. Mais à ce
la réinstallation en est une tout autre ! nant à peaufiner le détail, car le grand stade, nous avions toujours espoir que la bles-
À l’arrivée, les voyageurs équins seront moment approche ! sure soit mineure et que Ole puisse concourir
soumis à une quarantaine obligatoire en troisième manche. »
dont la durée variera habituellement de
Ces situations délicates doivent être
Avant d’entreprendre le voyage, il gérées par les professionnels assignés
faut d’abord s’assurer de la bonne au soin des chevaux de concours. La
condition des chevaux. Lors de cer- réglementation sévère limitant consi-
tains déplacements particulière- dérablement le choix des médicaments
ment longs, le vétérinaire optera anti-douleurs en contexte compétitif
pour l’administration de fluides (voir Contrôle des drogues et médicaments,
intraveineux afin de prévenir la Courrier Hippique juillet-août 2009), le
déshydratation des chevaux qui ne vétérinaire s’efforcera alors de maximi-
boivent pas en transit. Avec l’assis- ser les bienfaits d’applications topiques
tance d’un palefrenier profession- telles la glace et la thérapie au laser.
nel, le vétérinaire accompagnera les Mais dans le cas de Ole, en dépit de
chevaux dans le transport jusqu’au l’administration vigilante de tous les
lieu de la compétition, où il pourra traitements permis, le temps nécessaire
alors compter sur le concours d’une à déterminer la nature exacte de la
équipe de spécialistes sur place. blessure vint à manquer. « Il était 18h00,
Durant le vol, le palefrenier pro- et nous devions confirmer la participation
fessionnel demeure aux côtés des de Ole en troisième manche », se souvient
chevaux au décollage et à l’atterris- madame Surprenant. « En présence de
sage, et fait rapport au vétérinaire Mac et de notre chef d’équipe Terrance Millar,
de toute anomalie. nous avons dû nous rendre à l’évidence.
Nous n’avions fait aucun progrès dans
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©Dre sylvie surprenant
Employée à des fins médicales
depuis plus de trente ans, la thé-
rapie au laser à faible intensité (ou
Low Level Laser Therapy) agit par
le rayonnement électromagnétique
d’une longueur d’onde supérieure
à celle de la lumière visible. Par
une émission continue ou pulsée,
selon la profondeur de la lésion à
traiter, cette longueur d’onde réduit
la douleur et l’inflammation en sti-
mulant le système lymphatique. À
ne pas confondre avec le laser à
haute intensité (ou laser « chaud »)
employé en contexte chirurgical, le
laser froid s’utilise sur une vaste
gamme d’affections, notamment
les blessures aux tendons et aux
ligaments, les douleurs arthritiques
et la cicatrisation des plaies.
l’amélioration de la boiterie. » Moment crè- ©cealy tetley
ve-cœur pour la vétérinaire, il est alors
convenu, afin de préserver sa carrière Special Ed sont entrés en piste au troi- si fiers d’être Canadiens ! Cette médaille était Courrier Hippique Volume 28 • n o.1
future, de retirer Ole de la compétition. sième tour. Une bonne palpitation, un effort d’équipe auquel nous avions tous
« Ce fut l’une des décisions les plus difficiles cette fois, pour la vétérinaire : malgré la contribué, un vrai triomphe sur l’adversité. »
de ma carrière. Mac Cone perdait son privi- difficulté de l’épreuve, le tandem réglé
lège de concourir aux Olympiques, et le retrait au quart de tour parvient à exécuter un La joie fut certes intense, mais
de Ole hypothéquait nos chances de médaille. parcours sans faute. Avec Ian Millar et les célébrations furent assez brèves. Il
Nous avions maintenant une équipe de trois Éric Lamaze encore à venir, les espoirs fallait voir à la bonne récupération
chevaux, et aucune marge d’erreur. » Après de médaille de l’équipe canadienne des chevaux en vue de l’épreuve en
le retrait officiel de l’épreuve, des tests renaissaient ! En dépit de ses effectifs individuel, pour laquelle les trois équi-
approfondis ont finalement révélé une réduits, le Canada allait disputer les piers équins du Canada étaient en lice.
déchirure importante au tendon flé- grands honneurs à une équipe amé- Le boulot du vétérinaire de compé-
chisseur superficiel, un diagnostic qui ricaine intacte, et remporter l’argent, tition n’est jamais tout à fait fini, et
confirmait la justesse de la décision de sa première médaille d’équipe depuis Pékin allait placer Sylvie Surprenant
Dre Surprenant. 1968 ! « J’ai du mal à décrire le sentiment face à de nouveaux défis… Testés posi-
qui nous animait à ce moment », avoue Dre tifs pour l’analgésique Capsaïcine,
Palpitations et sueurs Surprenant. « Nous étions tous si émotifs, quatre chevaux d’autres pays furent
froides…
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Toute compétition internationale ren-
ferme son lot de palpitations pour le
vétérinaire appelé à appuyer les équi-
piers – humains et équins ! – qu’il porte
en haute estime. Souvent, les pires ins-
tants d’angoisse proviennent du ter-
rain… « À Pékin, 240 compétiteurs nous
ont précédé sur un parcours extrêmement
ardu, et nous avons vu des chutes de tou-
tes sortes », confie madame Surprenant.
C’est d’ailleurs après cette attente
interminable que Jill Henselwood et
disqualifiés illico. Pour ajouter au sus- médaille individuelle depuis les Jeux Bien qu’il s’agisse sans contredit
pense, la menace d’un typhon en prove- de 1976, gratifiant du même coup la du mandat le plus exigeant de la méde-
nance des Philippines planait sur l’évé- vétérinaire d’un autre souvenir impéris- cine vétérinaire équine, Dre Surprenant
nement ! sable. « Nous n’arrivions pas à y croire. L’or conserve de son séjour chinois tout un
et l’argent aux mêmes Jeux ! Que pouvait-on lot d’images et d’impressions nouvelles
Des moments pour les annales souhaiter de mieux ? » à chérir. « Je n’avais d’autre ambition pro-
fessionnelle que de devenir le meilleur vétéri-
Pour le spectateur sélectif, les grands Mais attention, le devoir de préven- naire que je pouvais être, améliorer sans cesse
événements se distinguent par ces heu- tion, vigilance et traitement du vétéri- mes connaissances et maîtriser les nouvelles
res de gloire qui embrasent la mémoi- naire ne se termine pas avec la fin d’une technologies », déclare celle pour qui la
re populaire. Mais pour le vétérinaire épreuve, si glorieuse soit-elle. Le mode qualité des soins doit rester la même,
témoin de tous les moments, chaque professionnel reste en vigueur même peu importe la valeur ou le potentiel
instant est une petite page d’histoire. après la remise des médailles, où le athlétique du cheval. « Pékin m’a permis
Ainsi, la ronde des médailles individuel- vétérinaire sera chargé d’accompagner de côtoyer des cavaliers et des gens de chevaux
les des Jeux de Pékin, alors que tous les chevaux au contrôle anti-dopage. exceptionnels. Ce fut une expérience extraor-
les projecteurs étaient braqués sur Éric Il veillera alors à l’application correcte dinaire que je n’oublierai jamais ! »
Lamaze et Hickstead, fut pour Sylvie de la procédure et au respect des règle-
Surprenant un autre moment fort. « Éric ments. Et après, c’est véritablement la Parions que Sylvie Surprenant aura
était probablement le moins nerveux d’entre fin ? Eh bien non : il faut préparer le une belle pensée pour ses confrères de
nous ! » reconnaît-elle en riant. « Toujours retour à la maison… Dans le cas d’une pratique à l’ouverture des Jeux éques-
le meilleur, donc le dernier sur le parcours, compétition internationale, cela signifie tres mondiaux, au Kentucky, le 25 sep-
il en était à la moitié de l’épreuve quand le la répétition des étapes de l’embarque- tembre prochain…
vent s’est subitement levé. Nous avons tous ment, le vol, le débarquement et la L’auteure tient à souligner la précieuse colla-
cru que le typhon débarquait au milieu de quarantaine, et la même surveillance boration de madame Sylvie Surprenant, m.v.,
l’épreuve ! » Mais le seul typhon sur le s’applique. La compétition a beau être dans le récit de son expérience aux Jeux
parcours ce jour-là fut Éric Lamaze, qui officiellement terminée, tout n’est réel- olympiques de Pékin.
remporta pour le Canada une première lement fini qu’au retour de chaque
cheval dans son logis habituel.
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