The words you are searching are inside this book. To get more targeted content, please make full-text search by clicking here.
Discover the best professional documents and content resources in AnyFlip Document Base.
Search
Published by Yannick Jolliet, 2019-09-19 09:55:08

LA VOIX DU POETE édition

LA VOIX DU POETE édition

LA VOIX DU POETE

Conte cosmogonique

Gilbert Jolliet

Aux confins de l’univers, à la lisière du temps,
un poète chantait d’une voix si claire
qu’on eût dit de la lumière.

Toutes les sphères vibraient dans cette transparence
et les étoiles dansaient comme pollen en émoi.

Au coeur de cette harmonie,
les mystères et l’aveu de la source du monde.

Pour mieux s’imprégner des sèves d’aurore,
une jeune comète s‘invita près du souffle.

Entraînant dans sa voltige
une longue chevelure de miel,
elle effleura les lèvres du poète

et lui ravit la voix.

Aussitôt l’univers se tut.
Aussitôt l’univers s’obscurcit.

Quand la comète s’aperçut
que la voix du poète ne chantait plus,
qu’elle flottait comme une endormie dans sa traîne,

elle dénoua sa coiffure
et remit le chant muet
dans les bras de la Voie lactée.

- Que faire de ce chant, se demanda la Voie lactée ?
Mes tourbillons sont trop violents, trop tourmentés !

S’il respirait mes poussières de glace,
sûr qu’il étoufferait.

Ce chant a besoin de chaleur !
Je vais le confier au soleil de la terre.

Alors la Voie lactée confia la voix du poète
au soleil de la terre.

- Que faire de ce chant, se demanda le soleil ?
Mes flammes sont trop ardentes, trop brûlantes !

S’il s’installait dans ma fournaise,
sûr qu’il serait carbonisé.
Ce chant a besoin d’air !

Je vais l’accrocher au ciel de la terre.

Alors le soleil accrocha la voix du poète
au ciel de la terre.

- Que faire de ce chant, se demanda le ciel ?
Ma voûte est trop vaste, trop monotone !
S’il demeurait dans mon azur,
sûr qu’il s’ennuierait.
Ce chant a besoin d’un oreiller !
Je vais le déposer dans un nuage.

Alors le ciel déposa la voix du poète
dans un nuage.

- Que faire de ce chant, se demanda le nuage ?
Mon duvet de mohair est trop froid, trop humide !

S’il rêvait dans mon lit,
sûr qu’il s’engourdirait.
Ce chant a besoin de voyage !
Je vais le livrer au vent.

Alors le nuage livra la voix du poète
au vent.

- Que faire de ce chant, se demanda le vent ?
Mes bourrasques sont trop puissantes, trop sauvages !

S’il croisait l’orage,
sûr qu’il serait foudroyé.
Ce chant a besoin d’eau pure !
Je vais le mêler à la pluie.

Alors le vent mêla la voix du poète
à la pluie.

- Que faire de ce chant, se demanda la pluie?
Mes averses sont trop diffuses, trop incertaines !

S’il tombait sur la montagne,
sûr qu’un glacier l’engloutirait.
Ce chant a besoin d’être bercé !
Je vais le coucher dans la mer.

Alors la pluie coucha la voix du poète
dans la mer.

- Que faire de ce chant, se demanda la mer ?
Mes eaux sont trop furieuses, trop profondes !

S’il nageait dans mes flots,
sûr qu’il se noierait.

Ce chant a besoin de douceur !
Je vais le pousser vers la plage.

Alors la mer poussa la voix du poète
vers la plage.

- Que faire de ce chant, se demanda la plage ?
Mon domaine est trop encombré, trop animé !
S’il s’allongeait un été sur mon tapis d’argent,

sûr qu’il serait piétiné.
Ce chant a besoin d’être protégé !

Je vais lui offrir un abri.

Alors, la plage fit venir la vague et lui dit :
« Je vais te confier un trésor dont tu vas prendre soin.

Voici la voix de la poésie !
Elle a besoin d'être vivifiée,
elle a besoin d'être entendue.

Tu vas la glisser sous le sable
et chaque jour deux fois,

quand la lune le commandera,
tu la feras baigner dans les plis de la marée.

La vague recueillit la voix du poète dans son écume,
en sépara les mille nuances
et les enfouit, une à une,

dans les mille continents du sable,
comme on plante une graine,
avant de l’arroser.

Ainsi,
dans le monde d’ici,
qui se penche sur les peaux de l’estran

devine,
dans les humeurs de la marée,

la musique de la lumière.


Click to View FlipBook Version