MAGAZINE |249 PNJ, tu vois, Saur. Et elles n’ont jamais arrêté de bosser. Oui, et puis comme elles ont progressé comme PJ – ajouta le troisième– , elles possèdent un gros paquet de compétences, de petites histoires, d’objets, bref une épaisseur quoi qu’on ne prend jamais la peine de conférer à un PNJ classique, même s’il est créé à haut niveau. Autant dire que personne ne fait le malin quand on visite 13ème Âge et qu’on tombe sur elles. Par contre, à mon avis, ça doit faire bizarre de passer de PJ à PNJ. Y a une forme de dégradation. Presque d’humiliation. Pas d’accord, Gordon. Pas d’accord. C’est une belle manière de finir. Tu as écris ta légende et tu peux ensuite bénéficier d’une renommée… Ouais, ouais. Mais si c’était vrai, y en aurait davantage. C’est justement parce que la plupart des PJ meurent ou disparaissent dans les Limbes que de vrais retraités sont rares. Et devraient être respectés… » Tandis que ses ainés débattaient, Saur reporta son regard sur les quatre femmes à la table. Elles étaient belles, aucun doute. Mais pas tout droit sorties d’une sorte de fantasme plastique caricatural. Elles dégageaient autre chose, une présence, une intelligence, un vécu. Leurs cicatrices leur conféraient un sacré charme. L’une d’elle avait même une oreille en moins, mais des piercings autour. Des bras capables de soulever des épées à deux mains ou des haches de bataille. Et au lieu des habituelles ficelles à gigot en guise d’armure ou des robes décolletées jusqu’aux talons qui fleurissent dans les imaginations les moins fertiles, deux d’entre elles arboraient des armures de métal qui avaient bien vécu. La troisième portait une armure de cuir graissée, sobrement décorée. Et la quatrième une robe de mage noire et grise que bien des archimages se seraient arrachés. Se sentant observée, l’une des guerrières porta son regard sur lui. Saur vit qu’elle avait un œil crevé. Il déglutit et reporta rapidement les yeux sur sa bière. Aucun doute, on n’associait pas les termes « mutin », « espiègle » ou « fragile » à un tel visage. Plutôt « violence », « douleur » et « mort ». Malgré le frisson de peur qu’il avait ressenti, Saur était content d’avoir pu les contempler. Il reporta son attention sur ses deux collègues de bar, qui avaient fini par se taire. « Bon, Gordon. T’as du job pour le petit ? demanda Jonnie du tac au tac. Ha. Gamin– dit Gordon en se tournant vers Saur –, t’as un CV long comme un jour Maxime David (Order #26824341)
250 | MAGAZINE LE BAR DES PNJ sans pain, je te l’accorde. Mais t’as pas vraiment tâté de rôle d’envergure. Sérieusement, ta seule expérience de vrai PNJ, c’était commerçant dans une ville où les PJ sont restés pendant trois scénars. Et comme vendeur d’habits, encore. C’est vrai, confirma Saur. Mais j’ai le potentiel, reprit-il en regardant Gordon de face. Je suis capable de jouer n’importe quoi… Et improviser, tu sais faire ? l’interrompit Gordon en haussant un sourcil. Ben… bien sûr, répondit Saur. C’est essentiel… Alors voilà ce qu’on va faire, le coupa Gordon. J’ai un contrat de M. Johnson, Shadowrun. Il me faudra quelques gros bras pour la faire à l’envers aux PJ. Sincèrement, y a de bonnes chances que ce soit un rôle éphémère, du genre à se finir avec les boyaux à l’extérieur. Mais ça te permettra de composer et d’avoir un peu de dialogue, deux-trois réparties, et d’enfin affronter du PJ. Et c’est bien payé. Et je pourrai voir ce que tu vaux sur le terrain. » Saur souriait, yeux grands ouverts, et Jonnie lui donna une petite tape sur le bras. « Par contre, on va faire un petit test. Gordon, le petit peut le faire… intervint Jonnie. Gamin, tu vas aller à cette table et tu vas aller faire peur aux Roses, coupa Gordon. Je veux qu’elles s’en aillent. Qu. quoi ? s’étrangla Jonnie. Saur était bouche bée. Tu m’as compris. Tu vas aller t’asseoir à leur table et tu vas leur faire tellement peur qu’elles vont déguerpir. Gordon, t’exagère. Même moi… merde, même toi tu ne pourrais pas faire ça. Si elles partent, le contrat est à toi, reprit Gordon en souriant d’un air mauvais. Sinon, ben retour au gobelin et au vendeur d’habits. Clair ? » Saur ferma la bouche et déglutit lentement. Puis il fronça les sourcils, vida sa chope cul sec et se leva d’un air décidé. Il se dirigea d’un pas lent vers la table des Roses. Et comme de juste, le bar redevint totalement silencieux alors que tous les regards se tournaient vers le gamin qui allait aborder les légendes. Certains souriaient déjà par anticipation devant la raclée qu’il allait prendre « Gordon, t’es une ordure, commenta Jonnie. Allez. On a bien le droit de rigoler un peu, sourit l’autre. Je lui donnerai le contrat de toute façon, ne t’inquiète pas. Ouais, mais quand même… c’est un brave petit gars. Il ne mérite pas… d’être… humi… Oh merde ! » Jonnie s’était tu au moment où le gamin s’était assis. Il avait fait ça calmement, en approchant une chaise. Puis il s’était simplement joint à la table et il parlait avec les Roses. Jonnie essaya de comprendre ce qu’il disait mais ils étaient trop loin et Saur parlait tout bas. D’une voix grave, classique de méchant. Le gosse était assis bien droit, le visage totalement impassible, défiant chaque Rose du regard tout en continuant son monologue. Et Jonnie n’en revint pas lorsqu’il vit qu’elles baissaient les yeux ! Puis l’une d’elle se leva, rapidement imitée par les trois autres. Oubliant leurs verres, elles sortirent précipitamment du bar en laissant une bourse pleine sur la table. Calmement, Saur promena alors son regard sur la salle, un léger sourire au coin des lèvres. Jonnie lui-même était soufflé, mais eut droit à un clin d’œil rapide. Les clients étaient médusés. « Gordon, je crois que tu lui dois un contrat, dit Jonnie en souriant et en revenant à sa bière. Putain ! Mais comment il a fait ça ? Qu’est-ce qu’il leur a dit ? J’en sais rien. Mais je crois que tu viens de lui créer une réputation ! répondit Jonnie en riant et en reprenant son verre. Tu t’es fait moucher ! Ha ! Tu verrais ta tête. Bon, bon. J’ai qu’une parole. Je dois y aller, j’ai encore du monde à recruter. Dis-lui que le contrat est à lui, qu’il passe me voir demain. Et je veux savoir ce qu’il leur a dit. Ça roule. Merci pour lui, répondit Jonnie en lui serrant la main. » Gordon se leva, sortit en échangeant un petit signe de tête à Saur, teinté de respect. Puis reMaxime David (Order #26824341)
MAGAZINE |251 vint sur ses pas et lui serra la main, avant de partir précipitamment. Saur revint à la table de Jonnie et fit un geste à la serveuse, qui lui sourit avec admiration. « Saur, là, tu m’as bluffé ! Et Gordon aussi. Et tout le bar, d’ailleurs. Je serais pas surpris que tu croules rapidement sous les contrats. » Saur ne répondit rien, les yeux dans le vague. Il savourait visiblement la sensation. Et il suait à grosses gouttes. « Bien sûr, tu as le contrat Shadowrun. Tu dois passer voir Gordon demain. » Toujours rien. « Tu m’écoutes ? » Rien de rien. « Bon, dit Jonnie en saisissant Saur par l’épaule. Saur. Qu’est-ce que tu leur as dit ? » J’ai… Je leur ai dit : Mesdames, s’il vous plaît, ne me frappez pas. Écoutez-moi deux minutes. S’il vous plaît. J’ai entendu parler de vous et je sais que, même à la retraite, vous voulez contrecarrer les plans du Grand Dragon Bleu. Alors voilà : j’ai gardé une des entrées secrètes de son sanctuaire, à Drakkenhall. Si vous baissez les yeux, je vous dis comment entrer. Ensuite, quand j’aurai terminé, il faudra vous lever et quitter la pièce. De toutes façons, je sais que vous aurez envie de vérifier ce que je viens de vous dire. C’est d’accord ? Bien. Alors voilà : au sous-sol du magasin Le vieux moisi, dans la ruelle Croche, il y a un faux tonneau qui donne sur un couloir. Le tonneau est protégé par trois glyphes magiques. Dans le couloir, il y a habituellement quatre gardes, et deux démons invisibles. Si vous passez, vous arriverez au sanctuaire sans trop de problème. Je jure que je dis la vérité, j’ai bien trop peur de vous pour même songer à vous jouer un mauvais tour. Vous voulez bien partir maintenant, s’il vous plaît ? » Jonnie regarda le gamin bouche bée. « Saur, si jamais quelqu’un apprend ça, ta carrière sera terminée. Et si le syndicat l’apprend, tu finiras avec les rotules en compote. Tu connais les règles, Saur ! En aucun cas les PNJ ne peuvent devenir les héros de l’histoire ! Mais… Y a pas de « mais » Saur, le coupa Jonnie. Je ne dirai rien parce que je t’aime bien, et c’est un risque que je prends. Mais tu sais pourquoi les règles ont été inventées, n’est-ce pas ? Oui, oui. Pour protéger les PJ, répéta Saur d’un ton un brin sarcastique. Exactement, reprit Jonnie. Pour protéger les PJ. Si les PNJ s’allient contre les PJ, ceuxci se feront doubler à chaque fois. Si les PNJ sauvent le monde, le résultat est le même ! Au final, les PJ arrêteront de jouer, et on sera tous au chômage. Le syndicat a un sens de l’humour minuscule sur le sujet ! Mais les PJ n’arrêtent pas de s’allier contre nous, de nous arnaquer, de nous tuer… On peut bien, parfois… Non, Saur, on peut pas ! » Piteux, Saur baissa les yeux sur sa bière. « Allez, soupira Jonnie en lui frappant gentiment l’épaule. Je ne dirai rien et tu t’es fait une sacrée réputation malgré tout. Mais mets-toi bien dans le crâne que les PJ n’ont clairement pas besoin de notre aide pour tout foirer. Incapables de comprendre un scénario, pas foutu de récupérer des indices, ils oublient même qu’un vampire ne peut pas sortir de jour. Ils sont comme des oiseaux aveugles, Saur, tu ne vas pas encore leur jeter des cailloux, non ? Mets-toi bien dans la tête que tu n’es qu’un PNJ. Pas un PJ. Et encore moins un MJ, comme tu viens de le faire. Les petits malins dans ton genre ne font pas long feu dans ce business… » Nicolas Turtschi Illustration : Aurore Folny Maxime David (Order #26824341)
252 | MAGAZINE LE BILLET D’UN ODIEUX CONNARD LAPIDONS-LES AU DÉ 20 ! Le guide des gens et des choses qui vous donnent des envies de strangulation autour d’une table de JDR. Neuvième épisode. Le gars qui ne peut s’empêcher de gruger Une partie de jeux de rôle, c’est un comme un film : les gentils ne sont pas obligés de gagner à la fin pour que tout le monde passe un bon moment. Qui n’a jamais perdu un personnage sur une action mémorable, héroïque ou ridicule, digne d’être racontée bien des années plus tard, au coin d’un feu, à ses petits enfants qui n’en auront rien à carrer parce que pour eux, le seul jeu de rôle possible est sur PC ? Bon, notez que c’est souvent à ce stade que vous les giflerez et que vos petits-enfants ne viendront plus vous voir, mais quelque part, ça valait le coup. Mais pour certains joueurs, une bonne partie, c’est forcément une partie gagnée avec brio. Aussi, lorsque certains jets de dés tournent mal, c’est là qu’intervient le gars qui ne peut s’empêcher de gruger. Peut-être a-t-il quelque chose à prouver aux autres, mais en tout cas, il ne peut accepter de perdre. Aussi peut-on lister quelques-unes de ses ruses favorites : • Le dé qui roule sur le canapé régulièrement, et qui à chaque fois, donne un succès parfait. « Si si, je vous jure, il était sur 20 quand je l’ai ramassé, je ne relance pas ! » À noter qu’il fait des jets pourris le reste du temps mais, semble-t-il, le canapé dispose de pouvoirs enchantés. • Le dé qui roule à peine, voire est directement retourné sur la table sur la bonne face. Et gare à qui l’accusera de gruger : ce sera festival de mauvaise foi. S’il triche sur le dé, vous pensez bien qu’il trichera aussi avec la vérité ! • Le dé qu’il demande à relancer parce que « Oui mais non il a été dévié par le gobelet de Bidule ! » • La fiche de perso où le personnage a quarante points de plus que les autres à la création « Ah bon ? Je n’avais pas remarqué ! C’est fou ! » Le gars qui ne peut s’empêcher de gruger est, par conséquent, toujours l’un des plus bruyants autour de la table, puisque vous imaginez bien que s’il a dopé son personnage au-delà du raisonnable, ce n’est pas pour ne rien en faire. Il va donc passer le plus clair de son temps à essayer de faire des choses absurdes, mais qui devraient passer avec un soupçon de gruge et ainsi faire pâlir d’envie les présents. Généralement, il a tendance à se vanter de ses exploits, puisque quitte à s’embêter autant pour en accomplir, autant que ce soit pour une bonne raison. Ce qui pousse le grugeur à être rejeté des tables de jeux. Il erre alors, triste et solitaire, et lorsqu’enfin la dernière tablée a habilement combiné pied et cul, le grugeur finit à hanter les parties de jeu de rôles grandeur nature, où il est LE personnage qui « oublie » de compter ses points de vie ou d’action. Tous les joueurs de GN savent que c’est un incontournable. Mais qui est cet odieux connard ? Vous ne le connaissez pas ? Odieux connard tient un blog de critiques de films désormais célèbre. Il en a même tiré deux bouquins, Qu’il est bon d’être mauvais et La vie c’est bien, le cynisme, c’est mieux. En fait, monsieur OC est aussi un rôliste. Et il a décidé de partager son vitriol avec nous désormais. Maxime David (Order #26824341)
MAGAZINE |253 Alors en attendant, n’oubliez pas : il n’existe qu’une seule personne autour de la table qui a le droit, et même le devoir de gruger, et c’est le MJ. Aussi, Maîtres de Jeu, faites-vous plaisir : lorsqu’un dieu de la triche se présente à votre table, n’oubliez pas de lui rappeler qu’à ce petit jeu, il n’est que le second maître à bord après vous. Et que vous gagnez toujours à la fin. Odieux Connard Barbare déchaîné Coucho Maxime David (Order #26824341)
254 | MAGAZINE PROCHAINEMENT Tous droits réservés Catalyst & Black Book Éditions. 2018. PROCHAINEMENT Casus Belli est un train qui ne s’arrête plus. La Rédaction qui vous a livré ce numéro (en PDF) avant les fêtes et va se reposer un peu pendant la trêve des confiseurs, mais l’équipe est déjà à pied d’œuvre. Déjà, revenons sur une autre promesse non tenue. J’ai sorti les orties fraîches : ne vous inquiétez pas, c’est un peu douloureux mais excellent pour la circulation sanguine. Ici même, dans Casus#27, je vous annonçais un scénario Shadowrun 5, « dont l’histoire commence en France, cocorico, et qui envoie les PJ à Boston, en s’appuyant sur le dernier supplément sorti pour la gamme, Lockdown. » Il est prêt, il est même maquetté et illustré, mais nous avons décidé de le décaler à nouveau. Ce numéro était déjà plein à craquer il a fallu faire des choix. Et comme tous les choix, ils sont douloureux. En raison de la présence de COC Menace X, nous avions déjà beaucoup de contemporain dans ce Casus, et puis nous décalons aussi ce scénario pour une autre raison. En effet, ce scénario de Shadowrun écrit par Romain Pélisse va servir d’introduction au supplément Shadows of Paris écrit par une équipe dont Romain fait désormais partie, qui vient d’être financé dans la précommande Shadowrun Anarchy. Et donc nous avons décidé de rapprocher la sortie de ce scénario de la livraison de la précommande. Toutes nos excuses donc à celles et à ceux qui l’attendaient impatiemment. Consolez-vous, les vertus urticantes des orties vous ont vengé. Ouch ! Pour changer de sujet, aujourd’hui, on croise les doigts car on espère très fort que la saison 3, grand finale de COC Menace X, sera bouclée à temps. On travaille dur pour ne pas vous faire attendre trop longtemps, mais ce projet ambitieux est un sacré défi. Pour l’instant, on est dans les clous. Quoi d’autre ? Évidemment, Casus ne serait pas Casus sans toutes les rubriques habituelles, Bâtisse&Artifices, interviewes, critiques, archéo-rolie, l’étagère du rôliste. Enfin, si vous avez aimé le scénario gagnant dans le cadre du concours autour de la BD, attendez-vous à ce qu’on publie un second scénario rapidement car la qualité globale des manuscrits soumis était tout de même excellente. « Faut pas gâcher ! » Sur ce, toute la Rédaction et notre éditeur BBE vous souhaitent une excellente année 2019 ! À très vite ! Tête Brûlée et toute l’équipe Casus DANS CASUS BELLI N°29 Maxime David (Order #26824341)
COMPLÉTEZ VOTRE COLLECTION COMMANDER LES ANCIENS NUMÉROS SUR www.black-book-editions.fr ÉPUISÉ NUMÉROS HORS-SÉRIE ÉPUISÉ ÉPUISÉ black-book-editions.fr Maxime David (Order #26824341)
LE CASUS CLUB Maxime David (Order #26824341)
#FIJ2019 UN ÉVÈNEMENT #MAIRIEDECANNES RÉALISATION PALAIS DES FESTIVALS ET DES CONGRÈS WWW.FESTIVALDESJEUX-CANNES.COM STUDIO PEP KARSTEN SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS – LICENCES 1-1078988 / 2-1078987 / 3-1078989 ENTRÉE GRATUITE 10H-19H PALAIS DES FESTIVALS ET DES CONGRÈS 22-24 FÉVRIER 2019 Maxime David (Order #26824341)
Maxime David (Order #26824341)